Page:Zola - Vérité.djvu/337

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée



Après avoir réfléchi quelques jours, Marc, en possession du modèle d’écriture, se décida, fit prier David de se trouver un soir chez les Lehmann, rue du Trou.

Depuis dix ans bientôt, les Lehmann, sous l’exécration publique, vivaient dans l’ombre de leur petite maison humide et comme morte. Quand des bandes antisémites et cléricales venaient menacer leur boutique, ils mettaient les volets, ils étaient forcés de continuer leur travail à la clarté fumeuse de deux lampes. Toute la clientèle de Maillebois, même celle de leurs coreligionnaires, les ayant abandonnés, ils ne vivaient plus que des vêtements confectionnés à la grosse pour des magasins de Paris ; et cette dure besogne, très mal payée, tenait le vieux Lehmann et sa triste femme courbés sur leur établi pendant quatorze heures, en leur donnant à peine du pain, de quoi les nourrir eux deux, leur fille Rachel et les enfants de Simon, en tout cinq personnes enfouies là, au fond de cette détresse morne, sans une joie, sans un espoir. Maintenant encore, après tant d’années, les personnes qui passaient sur le trottoir crachaient devant leur porte, par mépris et terreur de cet antre immonde, où la légende voulait qu’on eût apporté le sang de Zéphirin, tout chaud, pour quelque magie. Et c’était dans cette misère affreuse, cette grande douleur cloîtrée, que tombaient les lettres de Simon, du pitoyable forçat, de plus en