Page:Zola - Vérité.djvu/338

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plus rares et courtes, disant la lente agonie de l’innocent.

Ces lettres, elles étaient devenues l’unique émotion qui pût tirer Rachel de la torpeur résignée où elle avait fini par vivre. Sa grande beauté n’était plus qu’une ruine, ravagée de larmes. Seuls, ses enfants la rattachaient à la vie : Sarah, fillette encore, qu’elle gardait près d’elle, n’osant l’exposer aux outrages des mauvaises gens, Joseph, grand déjà, comprenant tout, et que Marc défendait à son école. Longtemps, on était parvenu à leur cacher l’histoire effroyable de leur père. Puis, il avait bien fallu les instruire, leur dire la vérité, afin d’éviter à leurs petites têtes un travail douloureux. Et maintenant, quand une lettre arrivait du bagne, on la lisait devant eux : épreuve amère, virile éducation, où se mûrissait leur intelligence naissante. À chacune de ces lectures héroïques, leur mère les prenait dans ses bras, en leur répétant qu’il n’y avait pas, sous le ciel, d’homme plus honnête, plus noble, plus grand que leur père. Elle leur jurait son innocence, elle leur disait l’atroce martyre qu’il endurait, elle leur annonçait qu’il serait libre un jour, réhabilité, acclamé, et, pour ce jour-là, elle leur demandait de l’aimer, de le vénérer, de l’entourer d’un culte dont la douceur lui fit oublier tant d’années de tortures. Mais vivrait-il jusqu’à ce jour de vérité et de justice ? C’était un miracle déjà qu’il n’eût pas succombé, parmi les brutes qui le crucifiaient. Il lui avait fallu une énergie morale extraordinaire, sa résistance froide, son heureux tempérament d’équilibre et de logique. Pourtant, les dernières lettres se faisaient plus inquiétantes, il était à bout de force, brisé, fiévreux. Et les craintes de Rachel en vinrent au point que, sans consulter personne, elle si peu active, osa prendre la décision de se rendre un matin auprès du baron Nathan, en villégiature chez les Sanglebœuf, à la Désirade. Elle avait emporté la dernière lettre de son mari, elle voulait la communiquer au baron, en le suppliant