Page:Zola - Vérité.djvu/44

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avaient l’air de très mal s’annoncer pour les bons frères. Cette colère montante de la foule, ces cris de mort indiquaient que l’aventure pouvait aller loin, remonter du coupable à la communauté, s’étendre, ébranler l’Église elle-même, si vraiment ce coupable était un de ses membres. Et Marc s’interrogeait, ne trouvait encore en lui aucune conviction arrêtée, à ce point que même un simple soupçon lui aurait paru une chose hasardée et peu honnête. L’attitude du père Philibin et du frère Fulgence lui avait semblé absolument correcte, d’une tranquillité parfaite. Il s’efforçait d’être très tolérant, très juste, par crainte de céder à sa passion de penseur libre, libéré de tous les dogmes. Et il attendait d’en savoir davantage, au milieu des ténèbres de l’effroyable drame.

Mais, comme il était là, il vit revenir Pélagie endimanchée, ayant avec elle son neveu, Polydor Souquet, un gamin de onze ans, qui tenait sous son bras un beau volume, à la couverture gaufrée et dorée.

— C’est le prix de bonne conduite, monsieur ! cria-t-elle enorgueillie. Ça vaut encore mieux qu’un prix de lecture ou d’écriture, n’est-ce pas ?

La vérité était que Polydor, paisible et sournois, étonnait les frères eux-mêmes par sa prodigieuse paresse. C’était un enfant gros et blême, de cheveux pâles, avec une longue figure obtuse. Fils d’un cantonnier toujours ivre, ayant perdu sa mère de bonne heure, il vivait au hasard, pendant que son père cassait les cailloux sur les chemins. Et, par haine de tout travail, terrifié à l’idée de casser des cailloux à son tour, il laissait sa tante faire le rêve de le voir un jour ignorantin, il disait comme elle, venait souvent à sa cuisine, dans l’espoir d’attraper quelque bon morceau.

Cependant, Pélagie, malgré sa joie, se retournait frémissante, regardait la foule d’un air de fureur et de défi.