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À bas la calotte/Éventrons les femmes !

La bibliothèque libre.
Bibliothèque anti-cléricale (p. 63-67).

ÉVENTRONS LES FEMMES !



Personne n’a oublié cette horrible affaire de Champoly qui fit tant de bruit l’année dernière. Un curé avait éventré une femme enceinte, sous prétexte de lui baptiser son enfant.

Cette affaire fut suivie de plusieurs autres analogues. Pendant quelques semaines, les journaux furent pleins de ces récits d’éventrements opérés par des prêtres. Cela devenait une mode. On assista à une véritable série. On découvrit que l’éventrement de la femme enceinte était passé dans les mœurs cléricales.

La presse républicaine jeta les hauts cris. Les curés compromis furent arrêtés ; mais, comme il fallait s’y attendre de la part d’une magistrature recrutée en bonne quantité chez les coadjuteurs temporels de l’ordre de Loyola, les parquets s’empressèrent de rendre des ordonnances de non-lieu en faveur des Billoirs du nouveau genre.

Il me semble que j’assiste à l’interrogatoire d’un de nos prêtres éventreurs, questionné par un de ces bons juges d’instruction du temps de M. Mac-Melon.

Admettons — vous verrez tout à l’heure pour quoi, — que ledit juge est affligé d’une vue extrêmement basse, basse à prendre un pot nocturne pour une tasse à café.

Le juge, d’un ton rogue. — Pandore, est-ce qu’il reste encore des accusés dans l’antichambre ?

Le gendarme. — Mon magistrat, il y en a un qui attend son tour, sauf votre respect.

Le juge. — Ôtez-lui les menottes, et faites-le entrer.

Le gendarme. — Pardon, excuse, mon magistrat ; mais le particulier en question, que je ne lui ai pas mis le chapelet de Saint-François. Sauf votre respect, que c’est un accusé que M. le procureur il avait convoqué et qu’il vous envoie, vu que votre collègue, chargé de l’instruction, il est absent.

Le juge. — Très-bien, introduisez-le.

Le gendarme fait passer dans le cabinet l’accusé, qui n’est autre que le curé de l’endroit.

Le juge. — Prévenu, asseyez-vous et exposez-moi votre affaire ; car je n’en connais pas le premier mot, puisque ce n’est pas à moi qu’elle devait être confiée. Et surtout, soyez bref. Du moment que M. le procureur vous avait simplement convoqué par lettre, c’est que vous n’êtes pas un grand coupable. Voyons, dites-moi sommairement de quel délit insignifiant vous êtes l’auteur.

Le prévenu. — Mon Dieu ! Monsieur le juge, je ne suis pas en effet ici pour une bien grosse affaire. J’ai éventré une femme.

Le juge, bondissant. — Vous dites ?

Le prévenu. — J’ai éventré une femme enceinte.

Le juge. — Ah çà ! êtes-vous fou ?

Le prévenu. — Pas le moins du monde.

Le juge. — Comment ! vous venez me dire que vous êtes accusé d’un crime passible de la cour d’assises, et vous êtes en liberté ?… Pandore, vous devez être au courant de l’affaire. Quel délit a commis ce prévenu qui me fait l’effet d’être légèrement timbré !

Le gendarme. — Mon magistrat, que le prévenu il est dans tout son bon sens, et qu’il a en effet ouvert à coups de couteau le ventre de Mme Corniolon, dont qu’elle allait s’accoucher.

Le juge, ahuri. — Mais alors, c’est M. le procureur qui a perdu la raison… Un criminel de cette espèce en liberté ! un assassin convoqué à l’instruction par simple lettre d’invitation !… cela ne s’est jamais vu.

Le prévenu. — Pardon, Monsieur le juge, c’est que…

Le juge, d’un ton dur. — Taisez-vous, misérable ! Vous avez bénéficié sans doute d’une erreur que je ne m’explique pas ; mais vous ne sortirez pas d’ici comme vous y êtes entré, c’est moi qui vous en réponds… Vous avouez donc avoir éventré une femme ?

Le prévenu. — Oui, Monsieur le juge.

Le juge. — Une femme enceinte sur le point de s’accoucher ?

Le prévenu. — C’est cela même, Monsieur le juge.

Le juge. — Mais, malheureux, vous avez commis là une action abominable que rien n’excuse !… Savez-vous bien que vous ne vous en tirerez pas à moins des travaux forcés à perpétuité… Et votre victime est-elle morte ?

Le prévenu. — Monsieur le juge, la mère et l’enfant sont morts.

Le juge. — C’est horrible… Aviez-vous quelque motif de haine contre la pauvre femme que vous avez éventrée ?

Le prévenu. — Aucun, Monsieur le juge.

Le juge. — Affreux ! affreux !… Ce n’est pas le bagne que vous méritez, c’est l’échafaud, et vous l’aurez !

Le prévenu. — Mais, Monsieur le juge.

Le juge. — Silence, bandit !… Oh ! quelles tristes fonctions que les nôtres ! être obligés de nous trouver face à face avec de pareils scélérats !… Gendarme, préparez vos menottes. Plus qu’une question, et vous me débarrasserez de la présence de ce misérable… Quel mobile vous a poussé à commettre le crime ?

Le prévenu. — Mon Dieu ! Monsieur le juge…

Le juge, sévèrement. — Répondez sans mêler le nom de Dieu à vos paroles.

Le prévenu. — Monsieur le juge, la femme en question était dans les douleurs de l’enfantement et ne pouvait venir à bout de s’accoucher. Alors, j’ai pris un couteau…

Le juge. — Imposteur ! et vous croyez que j’ajoute la moindre foi à ce que vous me dites ?

Le prévenu. — Mais c’est la vérité, pourtant. Cette femme risquait de mourir ; elle avait en elle un enfant auquel mon devoir était de donner à tout prix le baptême…

Le juge, n’y comprenant rien. — Ah çà ! que me racontez-vous là ? Qu’est-ce que le baptême peut venir faire dans votre crime ?

Le prévenu. — Comment ! est-ce que je pouvais laisser cet enfant dans un état qui l’eût conduit en enfer ? J’ai éventré la mère pour baptiser l’enfant.

Le juge, indigné. — Pour baptiser l’enfant ?… Vous osez inventer un pareil prétexte ?… Mais vous êtes donc aussi cynique que criminel ?

Le prévenu. — Monsieur le juge, cependant, le devoir de mon ministère…

Le juge, interloqué. — Quel ministère ?

Le prévenu. Mon ministère de prêtre.

Le juge, tombant de son haut. — Vous êtes prêtre ?

Le prévenu. — Certainement, puisque je suis le curé de la paroisse ; or, la religion nous ordonne de sauver, autant que nous pouvons, les âmes, même celle des enfants, des flammes de l’enfer.

Le juge. — Je n’en reviens pas… Monsieur le curé, je vous présente mes plus humbles excuses… J’ai la vue extraordinairement basse, et je n’ai pu distinguer ni votre tonsure ni votre soutane… Sans cela, croyez bien que…

Le curé. — Monsieur le juge, je ne vous en veux pas.

Le juge. — Merci, mille fois merci… Greffier, rédigez une ordonnance de non-lieu en faveur de M. le curé.

Epilogue

Billoir, du haut du ciel, sa demeure dernière[1]. — Si j’avais su, j’aurais dit que j’avais éventré ma femme pour voir si elle avait un enfant et le lui baptiser dans son intérieur… J’aurais peut-être été acquitté.


  1. On sait que Billoir est mort muni des sacrements de l’Église.