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À bas la calotte/Nouvelle série de miracles abrutissants

La bibliothèque libre.
Bibliothèque anti-cléricale (p. 32-38).

NOUVELLE SÉRIE

DE MIRACLES ABRUTISSANTS


Hosannah ! Vive la dame de Lourdes au plus haut des soleils et des lunes !

Cette semaine, elle s’est distinguée.

La semaine dernière, elle n’avait guéri qu’une quarantaine d’estropiés vulgaires ; mais, celle-ci, elle a opéré en grand, et personne ne pourra plus nier le caractère authentique de ses bienfaits, car c’est sur de hauts personnages qu’ils se sont étendus.

Les miracles, cette fois, ne sont qu’au nombre de dix, mais aussi quelle dizaine !

Lisez-moi ça, vous allez vous en lécher les doigts de pied.

Miracle no 1.

J’avais un œil… ou plutôt, j’avais deux yeux ; mais l’un des deux était en verre… Par conséquent je ne voyais que de mon œil sérieux.

C’était très-désagréable.

D’abord, ça ennuyait mes meilleurs amis, qui, à tout bout de champ, se fâchaient contre moi, sous prétexte que je ne les regardais que d’un œil.

Ensuite, à propos de bottes, les bonapartistes m’accusaient chaque jour de ne pas être un politique clairvoyant. Je sais bien ce que je vaux ; mais tout de même j’ai accompli le pèlerinage de Lourdes.

J’ai plongé dans la piscine.

Eh bien ! maintenant je vois comme un lynx. Mon faux œil est toujours en cristal, c’est vrai ; mais à présent il est doué comme l’autre de l’organe de la vue la plus parfaite. La nuit, lorsque je le dépose dans un verre d’eau sur ma table de nuit, il me permet de veiller tout en dormant, absolument comme Argus de la mythologie. C’est rudement commode, ça !

Et puis, quand je veux voir tout autour de moi, je n’ai qu’à prendre mon œil à la main, et-j’allonge mon bras, comme les limaçons allongent leurs cornes.

Je vais me faire coudre une paupière postiche dans le dos. J’y placerai mon œil de cristal quand j’irai à la promenade, et de cette façon je verrai tout ce qui se passe par devant et par derrière.

Si ce n’est pas un miracle, ça… alors !

Gambetta.

Miracle no  2.

C’est sur mon échine que, pendant un de mes voyages en Italie, eut lieu la célèbre bataille de Monte-Rotondo. C’est vous dire que je possédais une bosse convenable, puisque les garibaldiens et les zouaves du pape pouvaient se livrer sur elle à leurs combats.

Elle était si convenable que les myopes eux-mêmes la prenaient de loin pour le dôme du Panthéon.

J’ai accompli le pèlerinage de Lourdes.

Je me suis frotté l’échine avec de l’eau de la grotte ; et subitement je suis devenu aussi plat au physique que je l’étais déjà au moral.

Albert Millaud.
Rédacteur du Figaro.

Miracle no 3.

J’avais un défaut de langue très-prononcé. Je zézayais. J’étais obligé de ne parler que par phrases très-courtes, quand je voulais me faire comprendre ; sans quoi, ma voix se mettait à imiter le bourdonnement de la mouche, ce qui était très-rigolo, mais diablement gênant.

Et puis, le prestige !

Quand on s’appelle le duc de Broglie, il faut avoir du prestige, palsambleu !

Pour me guérir de mon zézaiement, j’ai suivi l’exemple de Démosthènes, je me suis fourré des cailloux dans la bouche. Ah ! ouiche ! ma voix avait l’air d’imiter le bourdonnement de toute une ruche d’abeilles. Je me serais flanqué des pavés plein le bec, si j’avais pu.

Alors, voyant mes efforts inutiles, je suis allé d’abord visiter le sanctuaire de Notre-Dame de Saint-Palais. La vierge de là m’a dit : « Imbécile ! il ne suffit pas de te bourrer la gueule avec des cailloux, il faut les avaler. »

Cette médecine m’a paru un peu roide ; mais, quand on a la foi, on n’y regarde pas de si près. J’ai donc avalé mes cailloux ; je suis devenu une véritable autruche. Résultat : aussi zézayeur qu’avant !

Enfin, j’ai accompli le pèlerinage de Lourdes.

Oh ! mes enfants, quelle riche idée j’ai eue là !… J’ai bu de l’eau de la grotte, et, vertu de ma vie ! j’ai maintenant le langage aussi limpide que la Source miraculeuse.

Je ne crains plus les phrases longues ; je puis même débiter des vers de Lorgeril.

Aussi, au premier ordre-moral, au lieu de prendre le portefeuille de la justice, je me nommerai professeur de diction au Conservatoire de Paris.

Duc du Broglie.

Miracle no 4.

Avez-vous vu des pots dans votre vie ? Oui, n’est-ce pas ?

Eh bien ! il est impossible que vous en ayez vu d’aussi sourds que ce que je l’étais il y a une semaine.

Quand la foudre éclatait, je croyais à un éternuement de quelqu’un de la société, et je disais : Dieu vous bénisse ! et quand on tirait le canon à côté de moi, je me figurais que c’était un bouton de mon pantalon qui venait de sauter et de tomber par terre, et je restais de longues heures à le chercher sur le parquet.

J’ai accompli le pèlerinage de Lourdes.

Mère de Dieu, soyez bénie !

J’ai, depuis que j’ai piqué une tête dans la piscine, l’ouïe d’une délicatesse extrême. Si je me promène au bas du clocher d’une église, j’entends marcher les fourmis à l’extrémité de la flèche, et quand je me trouve au théâtre, malgré le tapage de l’orchestre, je perçois même le bruit à peu près nul que font, en volant, les anciens fonctionnaires bonapartistes.

Prince de Joinville.

Miracle no 5.

Vous savez, c’est moi qui écris toutes ces petites brochures contre les libres-penseurs, contre les francs-maçons, contre les savants libéraux, contre les athées, etc.

C’est moi qui suis l’auteur d’un tas d’opuscules à 10, 15 et 25 centimes, dans lesquels je prouve, clair comme « un père de l’Église et un somnambule font deux farceurs », que trois personnes peuvent n’en faire qu’une, qu’au commandement d’un simple mortel comme moi, un morceau de pain devient aussi vivant qu’un vieux fromage, et qu’une femme, tout en restant vierge, est susceptible d’enfanter par l’opération d’un pigeon.

Mais ce que vous ne saviez pas, c’est que je suis aveugle, ou, pour parler plus exactement, j’étais aveugle il y a encore trois jours. Je ne jouais pas de la clarinette pour embêter les passants, mais j’écrivais des brochures, et cela revenait au même. Il y a même des gens qui auraient préféré m’entendre jouer de la clarinette.

J’ai accompli le pèlerinage de Lourdes. C’était bien le moins qu’un évêque qui prêche l’authenticité des miracles vint se faire guérir de sa cécité par la dame de Bernadette Soubirous.

J’ai pris un bain de siège dans la source même.

Eh bien ! maintenant, je vois. Je vois si bien que je puis vous affirmer qu’entre un pèlerin et un cornichon il n’existe absolument aucune différence.

Mgr de Ségur.

Miracle no 6.

Tenez, pour vous faire connaître quelle était mon infirmité, je vais vous narrer une simple anecdote.

L’autre jour je prenais un bain de mer. Comme je nage très-bien, même entre deux eaux, j’étais allé au large. Je faisais la planche, très-tranquillement, rêvant aux doux mois des ordres-moraux et chantonnant en faux-bourbon :

Joli mois de mai, quand reviendras-tu ?

Tout à coup je me sens piqué dans les environs du nombril par un tas de lances pointues et en même temps piétiné précipitamment sur le ventre.

Je lève la tête, et qu’est-ce que je vois ?

Une vingtaine d’individus qui m’enfonçaient des harpons dans la bedaine.

C’étaient tout bêtement des pêcheurs qui, voyant mon abdomen émerger des flots, m’avaient pris pour une baleine. J’ai eu toutes les peines du monde à les faire revenir de leur erreur.

Après ça, si quelqu’un soutient que je n’étais pas obèse, il faudra qu’il ait un fameux toupet.

Un ventre de ce volume était un meuble embarrassant.

J’ai accompli le pèlerinage de Lourdes.

Je me suis frictionné avec l’eau d’une fiole qu’on m’a vendue 1 fr. 50 et maintenant je suis devenu tellement maigre que, si l’on me frottait contre un mur, je prendrais feu.

Batbie.

Miracle no 7.

Mon corps n’était qu’un amas d’humeurs.

Pour un prince qui cherche à se marier, je n’offrais pas à ma future un époux bien engageant.

J’ai accompli le pèlerinage de Lourdes.

J’ai pris, comme tout le monde, mon bain dans la piscine. Dès cet instant mon sang est devenu si pur qu’au cas où les républicains — qui sont buveurs de sang, c’est connu — en auraient envie, ils pourraient en boire sans crainte d’être empoisonnés.

Oreillard IV.

Miracle no 8.

J’étais affectée, tout le monde le sait, de la maladie crépitante.

Si ça ne me gênait pas personnellement, ça gênait les autres, et des fois ça faisait moquer de moi.

Ainsi, dans un bal aux Tuileries, un soir, au beau milieu d’un quadrille, je ne pus retenir une décharge d’artillerie, et tous les danseurs se mirent à rire à gorge d’employés. C’est Louis qui était vexé !

J’ai accompli le pèlerinage de Lourdes.

J’ai fait saucette dans la piscine, en disant : « O bonne vierge, garissez-moi »

Notre-Dame a entendu ma prière ; elle m’a exaucée.

Depuis, plus un murmure, pas le plus petit zéphyr.

Ah ! mon Dieu que je suis t’heureuse !

Maintenant, je puis aller faire des promenades en mer. Les matelots ne me chanteront plus sous le nez :

Dieu ! le bon vent qui souffle dans nos voiles !
comme ils faisaient autrefois pour de rire. Les matelots, c’est des grossiers… Quel bonheur ! je pourrai faire tranquillement des voyages à bord d’une brique ou d’une galette, je verrai voltiger autour de moi les galants et j’entendrai les muettes crier !
Eugénie.

Miracle no 9.

Les amateurs de vélocipèdes me comprendront. Rien n’est aussi incommode que d’avoir une jambe plus courte que l’autre.

Quand on est sur son vélocipède, impossible d’aller en avant. Vous appuyez vos pieds sur les pédales ; va te faire lanlaire, le vélocipède se met à tourner comme si vous vous exerciez dans un cirque ; c’est la faute à la jambe la plus longue qui appuie trop de son côté.

J’ai accompli le pèlerinage de Lourdes.

J’ai trempé dans la source ma guibolle courte.

Ah ! Messieurs les gendarmes, ne m’en parlez pas.

Aujourd’hui, je me mets la tête en bas, je fais l’arbre droit, j’écarte mes jambes en l’air ; vous pouvez faire venir le premier géomètre venu, et lui dire de regarder son point de mire par-dessus mes talons. C’est plus exact qu’un niveau d’eau.

Chambord.

Miracle no 10.

Vous connaissez mon écumoire. J’en suis enfin débarrassé.

Allez, ç’a été dur.

Quelle scie ! Quand une petite femme me passait la main sur la figure en m’appelant son gros chien-chien vert, elle se foulait les doigts dans mes trous de grêle ; ça ne ratait jamais.

J’ai accompli le pèlerinage de Lourdes. J’ai fait tout ce qui était dans le programme et je m’en trouve bien.

C’est-à-dire que je suis devenu beau au point que maintenant les crapauds eux-mêmes se mettent à genoux devant moi.

Louis Veuillot.


À présent, j’espère bien que messieurs les esprits forts ne nieront plus l’évidence.

Voilà des miracles qui crient la puissance du Ciel plus fort que toutes les trompettes de Jéricho.

Mais si, par hasard, il se trouvait encore quelque incrédule parmi mes lecteurs, qu’il ait l’audace de le dire ; je l’enverrai, pour se convaincre, baiser le front aujourd’hui poli de Veuillot.

C’est d’ailleurs par la peau que le rédacteur de l’Univers a maintenant l’avantage d’être poli.