À genoux/L’Enchantement

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Alphonse Lemerre (p. 17-20).

V

L’ENCHANTEMENT


 
La femme avait laissé tomber sur sa poitrine
Sa chevelure d’or adorable et divine,
Et, nue, offrait à mes regards sous le soleil
Surnaturel son corps éblouissant pareil
Aux étoiles. C’était au fond de l’avenue
Où vivent dans la paix d’une extase inconnue
Les grands chênes pensifs au milieu des ravins
Et les vastes palmiers et les cèdres divins
Que le flot baise avec un murmure farouche.
Elle me disait : « Viens t’endormir sur ma bouche.

Je t’en supplie ! Oh ! viens, cher être bien-aimé,
T’endormir sur mon sein de vierge parfumé.
Je chanterai le jour et la nuit ; quand je chante
Dans la forêt, ma voix délicieuse enchante
Les flots et rend les vieux rocs eux-mêmes pensifs ! »
Plus loin que les glaciers monstrueux où les ifs
Dorment bercés par la souffrance et les épreuves,
On entendait la voix lamentable des fleuves
Qui désespérément montait vers les grands cieux.
Elle continuait : « Viens, ô silencieux
Amant de la tristesse et de la rêverie !
Nous n’aurons désormais qu’une même patrie,
Un asile que rien d’humain ne troublera ;
Et cet asile cher à nos cœurs, ce sera
Ma couche au fond des bois lointains silencieuse ! »
Pendant qu’elle parlait, sa tête glorieuse
Sous le rouge et mourant soleil qui l’enflammait
Se haussait vers les cieux profonds comme un sommet.
Puis, attachant son bel œil clair comme la lune
Sur toutes les splendeurs de son corps une à une :
« Vois, disait-elle, vois mes cheveux, vois mes bras,
Vois mes seins, vois mes flancs ! tu les caresseras
Pendant la belle nuit prochaine sur ma couche
Irrésistible ; et tu caresseras ma bouche
Idéale, pareille aux fleurs rouges, ô cher
Voluptueux ! et tu dormiras sur ma chair.

Je t’aime par-dessus tous les hommes du monde.
Veux-tu nous en aller dans la forêt profonde,
Profonde ! » Et ses cheveux flottaient dans un grand vent.
C’était l’heure tardive où tout être vivant,
Sentant la nuit tomber, regagne sa demeure,
Et ferme ses deux yeux en attendant qu’il meure.
Il circulait dans l’air terrible où nous étions
Des appels tellement chargés d’afflictions
Et des odeurs d’amour tellement accablantes
Que je croyais toujours voir passer sous les plantes,
Sous les rocs, sous les grands flots bleus où le feu bout,
L’immense mort qui doit bientôt dévorer tout.
Elle continuait, encor plus séductrice,
Surnaturelle ! « Terre et cieux ! que je périsse
Si je te perds ! Mais non ! tu vas me suivre ! ami,
Tu vas me suivre ! Et quand tu seras endormi
Sur ma poitrine, les belles étoiles pures
Envieront ton sommeil pendant les nuits obscures,
Et, se penchant du haut de leurs couches de feu,
Te baiseront avec des bouches d’azur bleu.
Viens ! » Le soleil mourait dans les feuilles des palmes.
« Viens, continuait-elle, en fermant ses yeux calmes ;
Nul être ne pourra nous voir, quand nous serons
Au fond des bois. Alors nous mêlerons nos fronts,
Nos poitrines, nos bras, nos mains, nos chevelures,
Et surtout nos deux cœurs sanglants dont les brûlures

Se communiqueront à nos corps enfiévrés ! »
Alors elle me prit par la main, et, serrés
L’un contre l’autre, avec des paroles pareilles
À celles que nous font entendre les abeilles
Qui bourdonnent depuis le matin jusqu’au soir,
Nous allâmes, pensifs et tristes, nous asseoir
Sur sa couche, parmi les herbes et les branches.
Et je dormis bercé par ses belles mains blanches.
Et je fis tellement de rêves ce soir-là,
Que toute ma douleur ancienne s’envola,
Comme un voile qu’un vent terrestre aux cieux entraîne,
Et que je demeurai l’amant de la Sirène
Divine qui m’avait séduit avec sa voix.
C’est depuis ce soir-là que je vis dans les bois.