À genoux/Les Beautés mortes

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Alphonse Lemerre (p. 21-22).
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VI

LES BEAUTÉS MORTES


 
Je songe à ces Beautés qu’ont prises les Oublis,
Que la Mort formidable a mises dans ses lits,
Et qui sont dans de tels sépulcres à cette heure
Qu’on ne sait même plus si personne les pleure.
Oh ! comme elles passaient grandement, dans les soirs
Nébuleux, balançant comme des encensoirs
Leurs bras pleins de parfums redoutables ! et comme
Elles foulaient sous leurs beaux pieds tout ce que l’homme
Farouche y déposa d’immuables trésors,
Abandonnant aux vents tumultueux leurs corps,

Leurs longs manteaux de soie et de velours, leurs voiles,
Et leurs cheveux d’azur baisés par les étoiles !
Et sous les cèdres d’or secoués par la nuit,
Passant comme un navire enchanteur qu’eût conduit
L’éternel nautonier des mers infranchissables.
Maintenant même encore en tous lieux, sur les sables
Des grèves, sur les monts tristes ou parmi les
Lacs d’azur qu’ont remplis d’ombres et désolés
Les hivers de ces temps maladifs, sous la lune,
Nous les voyons la nuit revenir une à une,
Dans toutes leur splendeur native, avec leurs fronts
D’azur et leurs yeux d’or. Et nous les adorons.