À genoux/La prière des damnés

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Alphonse Lemerre (p. 106-108).

VIII

LA PRIÈRE DES DAMNÉS


 
Du fond de la demeure amère
Où nous tient Méphistophélès
Nous crions vers toi, bonne Mère.
Ad te clamamus exsules.

Nous avons chanté sur la terre,
Pareils à des Dieux triomphants,
Et maintenant dans l’ombre austère
Nous pleurons comme des enfants.


Il ne faut pas que tu nous craignes,
Tous nos crimes sont expiés.
Descends des astres où tu règnes.
Nous voudrions baiser tes pieds.

Ô Femme éternelle, ô Sirène
Que nous entendions autrefois,
Descends dans la nuit souterraine,
Nous enchanter avec ta voix.

Laisse rire les autres hommes
Et descends vers nous qui souffrons,
Descends dans la nuit où nous sommes,
Et viens te poser sur nos fronts.

Ô Déesse à la voix sonore,
Éternelle Femme aux bras forts,
Nous voulons t’adorer encore,
T’adorer de l’amour des morts.

L’Homme sur la chair ténébreuse
Se rue ainsi qu’un animal ;
Ô Déesse, sois généreuse,
Ne rends pas le mal pour le mal.


Nous nous ferons doux, sinon chastes ;
Nous déferons nos cheveux blonds
Dont nous vêtirons tes flancs vastes
Et, pendant tous nos soins si longs,

Dans l’obscur délire des fièvres
Qui rend les hommes furieux,
Nous collerons nos belles lèvres
Contre tes seins victorieux.

Et nous verserons des pleurs même
Qui noieront tes rires vainqueurs,
Car c’est notre plaisir suprême
De voir tes deux pieds sur nos cœurs.