À genoux/Le Beau Cheval

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Alphonse Lemerre (p. 246-247).
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XXI

LE BEAU CHEVAL


Le beau cheval, chargé de cavaliers funèbres,
Galopait fièrement au milieu des ténèbres,
Franchissant les forêts, les monts et les ravins,
Et s’éclairant lui-même avec ses yeux divins.
Tout à coup, au détour du fleuve où les eaux bleues
Coulent sans fin depuis des millions de lieues,
Et sur lequel, bercés par des rêves blafards,
Silencieusement dorment les nénuphars,
Il aperçut, dans l’herbe épaisse du rivage,
Le corps immaculé de la Reine sauvage

Que son maître adorait du temps qu’il était dieu.
Alors, et secouant sa crinière de feu
Toute remplie encor des frissons de la route,
Il s’arrêta longtemps sous la céleste voûte,
Le beau cheval céleste aux yeux de diamant,
La regardant avec un morne enchantement,
Silencieusement, comme on regarde un rêve !
Puis repartit à l’heure où le soleil se lève,
Plus fort pour galoper tous les jours jusqu’aux soirs
Vers le sombre pays de ses cavaliers noirs.

Depuis ce temps je vois dans mes rêves superbes
De grands chevaux, teignant de sang les touffes d’herbes
Demi-morts et sentant la nuit tomber sur eux,
Mais calmes et levant vers le ciel ténébreux
Leurs yeux graves où brille une lueur dernière,
Secouer sur le front des Reines leur crinière.