À genoux/Le Tombeau intérieur

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Alphonse Lemerre (p. 170-171).

IV

LE TOMBEAU INTÉRIEUR


 
Tout homme a dans l’âme un coin sombre
Triste, silencieux, secret,
(La nuit de l’âme est pleine d’ombre
Comme la nuit d’une forêt)

Dans lequel, fossoyeur allègre,
Il mure comme en un tombeau
Tout ce qu’il a de plus intègre
Et tout ce qu’il a de plus beau,


Tous ses souvenirs, tous ses rêves,
Tous ses amours, plus copieux
Que la poussière sur les grèves
Et que les astres dans les cieux.

Mais lorsqu’après longtemps encore
Il veut rouvrir ce tombeau noir,
Ce qui reste de son aurore
L’effraye et lui fait mal à voir.

Comme un cadavre qu’on déterre
Et dont, après vingt ans passés,
On ne trouve plus sous la pierre
Que les débris décomposés.