À genoux/La Procession des Dieux

La bibliothèque libre.
Alphonse Lemerre (p. 172-173).

V

LA PROCESSION DES DIEUX


 
À minuit je me lève et pousse mon volet.
Alors devant mes yeux, sous le ciel violet,
Les anciens Commandeurs des foules disparues,
Les Dieux précipités défilent par les rues ;
Sinistrement drapés de brume et de brouillard ;
Et chacun d’eux, étant un mort, est un vieillard.
Les voici tous ! voici Zeus, avec le grand aigle,
Vieux, soumis à son tour à l’indomptable règle
Des souffrances, des sorts cruels, des âpres maux ;
Poseidôn, dont la barbe est un fleuve d’émaux,

Et le grand Être noir, le grand Guerrier de pierre,
Héraklès, qui sous sa furieuse paupière
Semble garder encor l’âme des vieux combats ;
Voici Bakkhos, voici Ploutôn, le Dieu d’en bas ;
Hèrè, qui marche avec lenteur, comme épuisée ;
Et celle qui s’en vint de la vague irisée,
La pâle Reine au corps de neige éblouissant,
Kypris ; mais comme elle a vieilli, Dieu tout-puissant !

La Lune sur la nuit jette sa flamme heureuse.
Dans la procession lugubre et douloureuse,
Tous ont les yeux levés vers cette flamme d’or,
Et songent dans leurs cœurs, en revoyant encor
Au fond du grand azur la blonde Phœbè, telle
Qu’autrefois, toujours Reine et toujours Immortelle,
À tout ce qu’ils étaient du temps qu’ils étaient Dieux ;
Tandis qu’Endymion l’appelle avec ses yeux.