À genoux/Les Exilés

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Alphonse Lemerre (p. 174-175).

VI

LES EXILÉS


 
Dans une cage était un Lion sombre et fauve
Qui hurlait, à demi couché dans son alcôve,
Et geignait avec un énorme bâillement.
En face dans une autre était un grand Serpent.
Le regard du Lion disait : « Autrefois, grave
Et beau, dans le désert où l’Homme est notre esclave,
Chaque jour jusqu’au soir je promenais mes pas.
Les orages, la nuit, ne me réveillaient pas.
J’étais par ma grandeur et ma fière attitude
Le roi de la profonde et vaste solitude

Où l’œil, où la pensée elle-même se perd.
J’avais des compagnons très-beaux dans ce désert
Qui s’étend par delà des millions de lieues.
Maintenant je suis loin de mes montagnes bleues.
Et les autres là-bas m’appellent chaque soir. »
Et les yeux du Serpent disaient : « Oh ! tout est noir !
Ce pays est mauvais, froid, sombre, impitoyable.
Et je m’y sens mourir d’une plaie effroyable.
Moi, j’étais déjà vieux quand ils m’ont emmené ;
Je ne reverrai pas la terre où je suis né,
Ni les sources, ni les grandes oasis calmes
Où j’entendais chanter ces rêveuses, les palmes,
Ni le beau ciel que tant d’étoiles inondaient ! »
Et les deux exilés, tristes, se regardaient.