À tire-d’aile (Jacques Normand)/1

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Calmann Lévy, éditeur (p. 1-3).

AU LECTEUR


 
Encore des vers !… Aux vitrines
Quand on voit, par files chagrines,
Bien rangés, bien neufs, bien peignés,
Malgré leurs titres poétiques,
Par les acheteurs trop pratiques
Tant de volumes dédaignés !


Encore des vers !… Quand la prose
Est souveraine en toute chose ?
Quand Pégase erre sans appui ?
Dans ce siècle de télégraphes
Ailleurs que pour les épitaphes
Et les mirlitons, des vers ?… Oui !

Au soleil des jeunes années
Ces rimes éparses sont nées
Sans but aussi bien que sans art,
Et n’ayant eu, pour prendre vie,
D’autre loi que la fantaisie,
D’autre raison que le hasard.

Qu’aujourd’hui libres, et bercées
Au gré des strophes cadencées,
Chantant gaîtés, soucis, espoirs,
Elles s’échappent pêle-mêle,
Et fendent l’air à tire-d’aile
Comme un vol d’oiseaux blancs et noirs !


Avec elles pars, ô mon livre !
Au vent qui passe je te livre !
Pars !… Mais à peine publié,
Hélas ! je connais ta fortune…
Tu suivras la route commune
À peine lu, vite oublié !