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À travers l’Europe/Volume 1/Les palais royaux

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P.-G. Delisle (1p. 163-170).

IX

LES PALAIS ROYAUX.



ILS sont nombreux ; mais il y en a plusieurs qui ne sont pas des monuments, et je ne veux que les mentionner en passant.

St James Palace ressemble au roi qui l’a fait bâtir, Henri VIII : il a l’aspect d’un gros bourgeois. C’est un bloc de briques sans style, ni caractère, qui ferait tout aussi bien une manufacture. Il contient néanmoins quelques jolis appartements où la Reine tient des levers.

Buckingham Palace a plus de cachet et de distinction ; mais il est encore massif et lourd, et manque surtout d’harmonie dans l’ensemble.

On sait que la famille royale y réside l’hiver, et je n’ai pas besoin de dire que les appartements de l’intérieur affectés aux réceptions officielles sont d’une grande magnificence, et contiennent de riches collections de peinture et de sculpture.

La Maison de Marlborough, qui est la résidence du Prince de Galles ne mérite guère d’autre mention que celle du grand homme de guerre que son nom rappelle. Elle fut bâtie en 1709, l’année même que Marlborough battait le Maréchal de Villars à Malplaquet.

C’est dans ce palais sans doute que le Duc entassait le produit des déprédations qu’on l’accuse d’avoir commises.

Kensington Palace, très agréablement situé au fond de Kensington Garden, fut habité par la famille royale au siècle dernier. C’est dans ce palais que notre Gracieuse Souveraine est née, et c’est la résidence actuelle du Prince et de la Princesse de Teck.

Lambeth Palace est peut-être le seul que les touristes ne visitent pas, par ce qu’il mérite l’attention davantage. C’est une vénérable antiquité, un bloc de murailles massives et noires, flanqué d’une haute tour carrée et d’une chapelle gothique qui menace de s’écrouler de vétusté. Il y a mille légendes plus ou moins lugubres sur cette vieille tour, qui est beaucoup plus jeune que la chapelle, et qui porte néanmoins assez vaillamment ses quatre cents ans. C’est un âge respectable que le temps seul ne respecte pas.

Sur la route de Londres à Windsor, au-dessus des marronniers et des ormes qui les entourent s’élèvent les tourelles blanches de Hampton Court.

En voyant de loin ses pignons imprévus, ses donjons crénelés, ses profils étranges, ses portiques à colonnes, on dirait un palais de fées.

Cet ensemble bizarre et superbe de constructions où tous les styles sont amalgamés, a une histoire bien intéressante qu’il serait trop long de raconter. Bâtis avec un luxe inoui par le célèbre Cardinal Woolsey, favori de Henri VIII, ces murs ont vu ce prince de l’Église au faîte des honneurs, plus riche que Crésus, plus puissant qu’un roi, étalant un faste scandaleux et entretenant une Cour qui éclipsait celle des Souverains de toute l’Europe ; puis disgracié, dépouillé, banni, accusé de haute trahison et atteint heureusement d’une maladie mortelle qui le sauva de l’échafaud !

Alors ce palais devint la propriété de Henri VIII, et ses femmes y ont passé bien des jours de joie et de triomphe. C’est là que leurs têtes orgueilleuses ont reposé sur des coussins de soie en attendant le billot où leur terrible amant ne tardait pas à les faire tomber.

Jeanne Seymour, sa troisième femme, y mourut après un an de mariage en donnant le jour à Edouard VII.

Philippe II et Marie Tudor, que la calomnie a surnommée la Sanglante, y sont venus passer leur lune de miel. Elisabeth y reçut, dit-on, ses chastes amants. Charles II et son épouse, aussi malheureuse que lui, y firent plusieurs séjours ; et, une dernière fois, Charles y vint seul prisonnier !.

Bien d’autres rois ont passé depuis dans cette résidence vraiment princière, et l’on cite un incident remarquable du séjour que Georges I y fit. Dans la grand’salle de réception qui garde tant de souvenirs de Henri VIII et de son ministre, Georges I fit jouer la tragédie de Shakespeare « Henri VIII ou la Chute de Woolsey. » Les acteurs qui jouèrent les rôles principaux durent être inspirés ce soir là.

Quels que soient les charmes de Hampton Court qui se cache comme un nid de marbre au milieu de la verdure de ses avenues et de ses jardins, ce somptueux palais n’a pas le caractère de grandeur et de noblesse que présente Windsor.

Le château de Windsor est et restera le palais royal par excellence de l’Angleterre. Son antiquité et ses souvenirs on font une relique des plus précieuses, et sur ses murs sont écrites les annales domestiques de la royauté anglaise.

Son site élevé qui domine la ville et les campagnes environnantes, ses murailles massives, ses tours et ses bastions qui en font une forteresse, son aspect sévère, solennel, et sa magnificence forment un ensemble remarquable par son harmonie et sa grandeur. On y sent battre le cœur d’Albion, et quand un anglais exilé regrette sa patrie, c’est Windsor qui doit se dresser au loin dans les mirages de ses souvenirs. C’est le Home sweet Home de la nation, sinon de l’individu ; c’est le siège de son empire, le symbole de sa force et de sa durée, la réalisation monumentale de sa puissante suzeraineté.

Du haut des terrasses du château, la vue s’étend au loin et peut apercevoir, d’un côté, les sinuosités de la Tamise qui se déroule au milieu des prés verts et des bouquets d’arbres, et de l’autre, la ville de Windsor qui se presse au pied du château pour lui jurer obéissance. En arrière, s’étend le Parc du Château qui est l’un des plus beaux que l’on puisse voir, et dans lequel on a multiplié les embellissements pour l’amusement des princes et des princesses.

Windsor a une histoire antique dont les commencements sont un peu obscurs ; mais comme en beaucoup d’autres endroits de l’Angleterre le premier nom historique qui y ait laissé des souvenirs, c’est toujours St Edouard le Confesseur. Partout où les saints passent, ils laissent une empreinte profonde et l’on dirait que leurs œuvres, même matérielles, participent de l’immortalité de leurs mérites.

Saint Edouard y installa un cloître. Guillaume le Conquérant y bâtit une citadelle. Les deux vont bien ensemble : car un cloître est aussi une forteresse dans l’ordre spirituel. La citadelle protégea le cloître, et le cloître défendit la citadelle. Les abbés ont disparu, mais leurs cellules sont restées, et qui sait si elles n’attendent pas le retour de leurs hôtes primitifs ?

La Chapelle de Saint Georges les reconnaîtrait, et leur ouvrirait ses portes ; car elle date du XVe siècle et appartient au catholicisme. C’est un monument splendide, qui comme l’abbaye de Westminster a gardé le cachet catholique. La nef avec ses admirables sculptures et ses riches ornements, les vitraux coloriés avec leurs symboles et leurs portraits historiques, le chœur avec ses stalles somptueuses destinées au Souverain, aux princes du sang, aux rois étrangers, aux chevaliers de la Jarretière, et chargées de blasons, d’emblèmes héraldiques, d’écussons et de bannières, tout cet ensemble magnifiquement éclairé, m’a jeté dans l’admiration.

Depuis Edouard IV qui fut placé sur le trône par Warvick, le faiseur des rois, et qui a bâti cette chapelle de St Georges, bien des rois, des reines, des princes et des princesses sont venus dormir leur dernier sommeil sous ces dalles funèbres. Les princes de la maison régnante Georges III, Georges IV et Guillaume IV y reposent.

Je n’ai pas l’intention de décrire le labyrinthe de cours, d’édifices, de tourelles, de donjons et de chapelles qui composent Windsor, non plus que la série des splendides appartements de l’intérieur que nous avons pu visiter, pendant que la famille royale voyage en Écosse.

Mais il convient de mentionner spécialement la Chambre d’Audience de la Reine dont les murs sont couverts de tapisseries des gobelins qui racontent l’histoire d’Esther, de Mardochée et d’Aman ; la Salle Vandick ainsi nommée parce qu’elle contient vingt-deux portraits de ce peintre célèbre, presque tous consacrés à Charles I et sa famille ; la Chambre de Waterlo qui est une véritable galerie de portraits militaires ; la Salle du Trône et la Salle de Bal décorées avec luxe ; la Salle St-Georges, d’une longueur de deux cents pieds, où se font les cérémonies de l’admission dans l’ordre de la Jarretière, et qui contient les portraits des Souverains de cet ordre ; et enfin la Grand’chambre qui a l’aspect d’un musée d’armures.

Je n’ai indiqué que les principaux appartements de ce merveilleux château, et je serais fort embarrassé de vous décrire le dédale de corridors, d’escaliers, de cours et de poternes qui vous y conduirait.

Mais il ne faut pas oublier la Tour Ronde, dont les sombres créneaux dominent tout cet écrin de bijoux antiques. C’est un entassement circulaire de moellons noircis, un nid de vautours au sommet d’une montagne, une Lumière digne du Lion Britannique, accroupi sur son île et grinçant des dents pour la défendre.

Ce vieux donjon eut jadis un emploi très important, et renferma d’illustres prisonniers d’État, même des rois — ce qui sans doute lui a donné son air hautain. Mais depuis Georges II on lui a enlevé cet office qu’on a confié à la Tour de Londres, sa jeune sœur, bâtie comme lui par Guillaume le Conquérant, dit-on. Le vieux scélérat n’a donc plus rien à faire qu’à se laisser vivre ; et il est soigneusement entretenu par l’État.

Quand on le fait causer — ce qui ne lui est plus défendu comme jadis-il raconte des histoires pleines d’intérêt, et même des aventures galantes dont il a gardé le souvenir.

Voyez-vous ce jardin qui grimpe la colline, et qui s’étend jusqu’à la muraille comme pour lui offrir un bouquet ? Un jour — c’était au commencement d’un printemps du XVe siècle — une femme très belle, Jeanne de Beaufort, y vint promener ses rêves, peut-être ses ennuis. À travers les barreaux de son cachot un prisonnier d’État l’aperçut, et en devint amoureux. Il était roi, et l’amour en fit un poète, dont les vers ont survécu. Sa captivité fut longue ; mais quand les portes de sa, prison s’ouvrirent, Jacques II remonta sur le trône d’Écosse, et il y fit asseoir avec lui celle dont un regard avait illuminé sa prison.

Un autre poète a longtemps soupiré dans un cachot voisin. C’est le Comte de Surrey que sa vie aventureuse et ses vers non moins que ses amours ont rendu célèbre. On l’a surnommé le Pétrarque de l’Angleterre, mais il n’avait pas comme le poète italien, le tort grave d’aimer la femme dE son prochain ; car la belle Géraldine était libre.

À l’âge de 28 ans il sortit de la Tour Ronde, non pas comme Jacques I pour placer en même temps sur son front les diamants de la couronne et les roses de l’hymen, mais pour poser sa tête sur le billot où sans cause valable le cruel Henri VIII la fit tomber.

Et Géraldine, me demandera-t-on peut-être, que devenait-elle ?…

Réponse. — Un grand seigneur l’épousait en troisièmes noces.

O poésie de l’amour !