Élémens de chimie/Partie 1/2

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Imprimerie de Jean-François Picot (p. 37-42).
SECTION SECONDE.


Des divers moyens que le Chimiste emploie pour rompre l’adhésion qui existe entre les molécules des corps.


La loi des affinités dont nous venons de nous occuper tend sans cesse à rapprocher les molécules des corps, et à les maintenir dans leur état d’union ; les efforts du Chimiste se bornent presque toujours à vaincre cette puissance attractive, et les moyens qu’il emploie se réduisent 1°. à diviser les corps par des opérations mécaniques ; 2°. à les diviser ou à éloigner les molécules l’une de l’autre par le secours des dissolvans ; 3°. à présenter aux divers principes de ces mêmes corps des substances qui aient plus d’affinité avec eux qu’ils n’en ont eux-mêmes entr’eux.

1°. Les différentes opérations que le Chimiste fait sur les corps, pour en déterminer la nature, en altèrent la forme, le tissu, et en changent même quelquefois la constitution : tous ces changemens sont ou mécaniques ou chimiques ; les opérations méchaniques dont nous parlons en ce moment ne dénaturent point les substances, et n’en changent en général que la forme et le volume : ces opérations s’exécutent par le marteau, le ciseau, le pilon, etc. ce qui nécessite le Chimiste à pourvoir son laboratoire de tous ces agens.

Ces divisions, ces triturations se font dans des mortiers de pierre, de verre ou de métal : la nature des substances détermine l’emploi de l’un ou l’autre de ces vases.

Ces opérations préliminaires préparent et disposent à de nouvelles qui désunissent les principes des corps et changent leur nature : celles-ci, que nous pourrions appeller opérations chimiques, constituent essentiellement l’analyse.

2°. La dissolution dont il est question en ce moment est la division et la disparition d’un solide dans un liquide, mais sans altération dans la nature du corps qu’on dissout.

On appelle dissolvant ou menstrue le liquide dans lequel disparoît le solide.

L’agent de la dissolution paroît suivre quelques loix constantes que nous ne ferons qu’indiquer.

A. L’agent de la dissolution ne paroît pas différer de celui des affinités ; et, dans tous les cas, la dissolution est plus ou moins abondante, selon l’affinité des parties intégrantes du dissolvant avec celles du corps à dissoudre.

Il s’ensuit de ce principe que pour faciliter la dissolution il faut triturer et diviser le corps qu’on veut dissoudre ; par ce moyen, on lui fait présenter plus de surfaces, et on diminue l’affinité des parties intégrantes.

Il arrive quelquefois que l’affinité entre le dissolvant et le corps qu’on lui présente est si peu marquée qu’elle ne devient sensible que par la suite des temps : ces opérations lentes, dont nous avons quelques exemples dans nos laboratoires, sont communes dans les travaux de la nature, et peut-être c’est à de pareilles causes que nous devons rapporter la plupart de ces résultats dont nous ne voyons ni la cause ni les agens.

B. La dissolution est d’autant plus prompte que le corps à dissoudre présente plus de surface ; c’est sur ce principe qu’est fondé l’usage de broyer, de triturer et de diviser les corps qu’on veut dissoudre. Bergmann a même observé que des corps qui ne sont pas attaqués lorsqu’ils sont en masse, deviennent solubles quand en les divise. Lettres sur l’Islande, pag. 421.

C. La dissolution d’un corps produit constamment du froid : on a même tiré parti de ce phénomène pour se procurer des froids artificiels bien supérieurs aux plus rigoureux de nos climats : nous reviendrons sur ce principe en parlant des loix de la chaleur.

Les principaux dissolvans employés dans nos opérations, sont l’eau, l’alkool et le feu : les corps soumis à l’un ou à l’autre de ces dissolvans présentent des phénomènes analogues ; ils se divisent, se raréfient et finissent par disparoître à la vue ; le métal le plus réfractaire se fond, se dissipe en vapeur, et passe à l’état de gaz si une plus forte chaleur lui est appliquée ; ce dernier état forme une dissolution complète de la substance métallique dans le calorique.

On fait souvent concourir le calorique avec quelqu’un des autres deux dissolvans, pour opérer une plus prompte et plus abondante dissolution.

Les trois dissolvans dont nous venons de parler n’exercent point une action égale sur tous les corps indistinctement ; et de très-habiles Chimistes nous ont dressé des tableaux de la vertu dissolvante de ces menstrues : on peut voir dans la minéralogie de Kirwann, avec quel soin ce célèbre Chimiste nous fait connoître le degré de solubilité de chaque sel dans l’eau. On peut encore consulter le tableau de M. de Morveau, sur l’action dissolvante de l’alkool. Journal de physique, 1785.

Presque tous les Auteurs qui ont traité de la dissolution, l’ont envisagée sous un point de vue trop mécanique : les uns ont supposé des étuis dans le dissolvant et des pointes dans le corps qu’on dissout ; cette supposition absurde et gratuite a paru suffisante pour concevoir l’action des acides sur les corps. Newton et Gassendi ont admis des pores dans l’eau dans lesquels les sels pouvoient se nicher, et ont expliqué par ce moyen pourquoi l’eau n’augmentoit pas en volume en proportion des sels qu’elle dissolvoit. Gassendi a même supposé des pores de diverses formes, et a cherché à concevoir par là comment l’eau saturée d’un sel peut en dissoudre d’autres d’une nouvelle espèce. M. Watson qui a observé les phénomènes de la dissolution avec le plus grand soin, a conclu de ses nombreuses expériences, 1°. que l’eau monte dans les vaisseaux dans le moment de l’immersion d’un sel, 2°. qu’elle baisse pendant la dissolution, 3°. qu’elle remonte après la solution au-dessus du premier niveau : les deux derniers effets me paroissent provenir du changement de température qui survient à la liqueur, le refroidissement qu’entraîne la dissolution doit diminuer le volume du dissolvant, mais il doit se restituer dans le premier état dès que la dissolution est faite. On peut consulter les tables qu’a dressé M. Watson sur ces phénomènes et sur la gravité spécifique de l’eau saturée avec différens sels : V. le Journal de physique, tom. XIII, pag. 62.

3°. Comme l’affinité particulière des corps n’est point la même chez tous, les principes constituans peuvent être aisément déplacés par d’autres substances, et c’est là-dessus qu’est fondée l’action de tous les réactifs que le Chimiste emploie dans ses analyses ; quelquefois il déplace certains principes qu’il peut alors examiner plus exactement, par là même qu’il les a isolés et dégagés de toutes leurs entraves ; souvent le réactif employé se combine avec quelque principe du corps qu’on analyse, et il en résulte un composé dont les caractères nous indiquent la nature du principe qui s’est combiné, attendu que les combinaisons des principaux réactifs avec les diverses bases sont connues ; il arrive encore très-souvent, que le réactif employé se décompose lui-même, ce qui complique les phénomènes et les produits, mais nous jugeons toujours par leur nature des principes constituans du corps qu’on analyse ; ce dernier fait a été peu observé par les anciens Chimistes, et c’est là un des grands défauts des travaux de Sthal, qui a rapporté aux corps qu’il soumettoit à l’analyse la plupart des phénomènes qui n’appartiennent qu’à la décomposition des réactifs employés dans ses opérations.