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Élisabeth Seton/XXII

La bibliothèque libre.
La Compagnie de Publication de la Revue Canadienne (p. 99-103).

XXII


La mort d’Harriet et de Cécilia faisait un vide affreux, à jamais irréparable dans la vie d’Élisabeth. Mais sa douleur ne nuisit en rien à son activité. Elle sut s’oublier ; et, dans sa correspondance d’alors, il n’y a point trace d’un attendrissement, d’un retour sur elle-même. Sa foi la soutenait, elle répondait à une amie protestante :


« Ma très chère Harriet, mon ange Cécilia, reposent dans le bois, tout à côté de moi. Les enfants et plusieurs de nos bonnes sœurs, qu’elles aimaient si tendrement, font croître des fleurs sur leurs tombes. Le petit enclos qui les renferme est l’endroit qui m’est le plus cher au monde. Je suis loin d’être privée d’elles autant que vous le pensez, car il me semble que je les ai toujours près de moi. Au reste, la séparation ne sera pas longue. »


De grands secours lui étaient venus de ses amis de Livourne ; et son œuvre, bénie de Dieu et des hommes, prospérait au-delà de ce qu’elle eût jamais osé espérer. Elle écrivait au mois de mai :


« Nous avons eu la maladie sans trêve dans notre maison pendant tout l’hiver ; et j’ai été obligée de faire bien des frais et de marcher à travers toutes sortes de difficultés, très naturelles dans une œuvre telle que celle où je me suis engagée. Mais il semble que notre adoré Seigneur ait dessein qu’elle obtienne un plein succès, tant il y a engagé de sujets excellents. Nous sommes douze maintenant, et autant attendent leur admission. J’ai une très grande école à surveiller, avec la charge de donner l’instruction religieuse à toute la contrée environnante. Tous ont recours aux Sœurs de Charité, qui sont, nuit et jour, dévouées aux malades et aux ignorants. Notre saint évêque a l’intention de transférer quelques-unes d’entre nous à Baltimore afin qu’elles y accomplissent les mêmes offices qu’ici. La maison que nous avons est très bonne, bien que ce ne soit qu’une log-house elle restera la maison mère, et la maison de retraite dans tous les cas… Il y a grand espoir que ce qui s’est commencé ici soit le germe d’un bien immense à l’avenir. »


Dès ces premiers mois, la maison entretenait, plus de quarante enfants pauvres, et, avant la fin de l’année, ce nombre s’était fort augmenté.

William et Richard, les deux fils de la mère Seton, avaient été admis au petit séminaire du Mont Sainte-Marie. Elle avait auprès d’elle ses trois filles Alma, Catherine et Rebecca, qui lui donnaient tous les contentements possibles ; l’union la plus tendre régnait entre les sœurs, et la courageuse fondatrice ne cessait de remercier Dieu des consolations qu’il lui envoyait. Elle pressait Mme Sadler, qui lui semblait incliner vers le catholicisme, de venir passer quelque temps à Saint-Joseph.

« La seule pensée de votre visite, lui disait-elle, nous cause une joie que vous ne sauriez imaginer. La solitude de nos montagnes, le silence des tombes d’Harriet et de Cécilia, vos petits enfants courant et sautant à travers nos bois, cueillant pour vous à chaque pas les fleurs sauvages dont, la terre ici est couverte dès que le printemps a paru ; le bon ensemble de notre maison, qui est très confortable, très vaste ; tout au bout, à l’extrémité d’une des ailes, notre chère, chère chapelle, si soignée, si tranquille ; — là, dans ce tabernacle, habite, comme nous le croyons, vous savez bien qui ! — Et tout ceci n’est pas un songe. Il faut que vous-même en soyez témoin, pour comprendre comment, depuis le premier jusqu’au dernier jour de la semaine, tout est harmonie, tout est tranquillité ; toutes et chacune s’encourageant et se venant en aide l’une à l’autre. Il faut vraiment le voir pour le croire. Le monde entier n’aurait pu me persuader que cela fut possible, si moi-même je ne l’avais vu. Aussi, il vous est permis d’être incrédule ; mais venez seulement, et voyez ! »


C’est M. Flaget, évêque nommé de Bardstown, qui apporta à la communauté d’Emmettsburg la copie demandée des constitutions données par saint Vincent de Paul aux Filles de la Charité. Après quelques modifications jugées nécessaires en pays protestant, cette règle fut acceptée, et il s’ensuivit une grave difficulté pour Élisabeth, car elle la jugeait incompatible avec ses devoirs envers ses enfants. Le monde entier, disait-elle, ne me ferait pas croire qu’un tuteur peut remplacer une mère. Si elle eût été moins abandonnée à la volonté de Dieu, son angoisse aurait été cruelle. Elle écrivait à son amie, Mme Sadler :


« Je songe à me préparer pour recommencer de vivre dans le monde. Quoiqu’il arrive, nous serons toujours sous la protection du Très-Haut, du Très-Puissant. Vraiment, je serais heureuse, si je pouvais inspirer à votre chère âme autant d’indifférence qu’il s’en trouve dans la mienne, du moment où je sais que pendant le peu de jours que dure ce pèlerinage terrestre, l’adorable volonté de Dieu s’accomplit en moi. Je le fais, ce pèlerinage, au milieu de tant de larmes, il est semé de tant de croix, qu’assurément la joie se trouvera au bout avec le repos éternel.

« Regardez là-haut : les plus élevés au ciel ne furent-ils pas les plus abaissés sur la terre ? Ce qu’ils ont ambitionné le plus, c’était la pauvreté et l’humiliation, ces compagnes fidèles de leur Maître, et de notre Maître, pendant sa vie toute de douleur… Ayons seulement du courage, et nous marcherons vers le ciel avec la vitesse d’un bon coursier, au lieu de ramper et de nous traîner dans le chemin. Tout ce que je puis dire, c’est que notre Maître est trop bon, s’il nous donne à finir notre vie comme il a voulu passer la sienne, sans une place où reposer sa tête. »


Se croyant inutile, l’humble fondatrice n’avait pas prévu ce qui arriva. Mgr Carroll et son conseil la jugeant nécessaire à la communauté firent un règlement spécial en faveur d’Élisabeth, et par de sages exceptions lui permirent de se donner à toutes les misères humaines, sans cesser d’être à ses enfants.

Leur avenir était pour elle une source inépuisable d’anxiétés. Non qu’elle redoutât pour eux la lutte, la pauvreté, mais elle craignait pour leur foi, si la mort venait à l’enlever. Le cruel abandon de sa famille, qui l’avait tant aimée, lui prouvait quelle était sa haine contre le catholicisme. Elle écrivait à Antonio Filicchi :


« L’espérance, même si lointaine, que vous me donnez, qu’il serait possible que vous fissiez un voyage en ce pays-ci, est comme un rayon de lumière au milieu de mes sombres pensées sur l’avenir de mes pauvres enfants. Non que je me mette en peine pour leur fortune temporelle. Mais si la mort m’enlevait, s’ils étaient remis entre les mains de nos parents, ce serait la ruine certaine de leur croyance. Je remets tout, soyez-en certain, à Celui, comme vous le dites, qui nourrit les oiseaux du ciel. Mais, dans l’état d’affaiblissement, d’ébranlement, où est maintenant ma santé, à peu près détruite, je ne puis les regarder tous les cinq sans éprouver les craintes et les pressentiments d’une mère qui n’a de pensée, ni de désir qu’en vue de leur éternité.

« Notre saint Cheverus, lorsqu’il vint nous voir l’hiver dernier, a trouvé qu’ils donnaient, eux tous, de grandes espérances ; et il m’a encouragée à compter qu’il ferait tout ce qu’il pourrait pour les protéger. C’est à lui, et à des cœurs tels que les cœurs des Filicchi, que je les confie en ce monde. »