Épîtres (Voltaire)/Épître 101

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Œuvres complètes de VoltaireGarniertome 10 (p. 393-394).


ÉPÎTRE CI.


À MADAME DE SAINT-JULIEN.


(1768)


Des contraires bel assemblage,
Vous qui, sous l’air d’un papillon,

Cachez les sentiments d’un sage,
Revolez de mon ermitage
À votre brillant tourbillon ;
Allez chercher l’illusion,
Compagne heureuse du bel âge ;
Que votre imagination,
Toujours forte, toujours légère,
Entre Boufflers et Voisenon
Répande cent traits de lumière :
Que Diane[1], que les Amours,
Partagent vos nuits et vos jours.
S’il vous reste en ce train de vie,
Dans un temps si bien employé,
Quelques moments pour l’amitié,
Ne m’oubliez pas, je vous prie :
J’aurais encor la fantaisie
D’être au nombre de vos amants :
Je cède ces honneurs charmants
Aux doyens de l’Académie[2].
Mais quand j’aurai quatre-vingts ans,
Je prétends de ces jeunes gens
Surpasser la galanterie,
S’ils me passent en beaux talents.
Ces petits vers froids et coulants
Sentent un peu la décadence :
On m’assure qu’en plus d’un sens
Il en est tout de même en France.
Le bon temps reviendra, je pense :
Et j’ai la plus ferme espérance
Dans un de messieurs vos parents[3].



  1. Mme  de Saint-Julien aimait beaucoup la chasse.
  2. Les doyens de l’Académie française, en 1768, étaient le maréchal de Richelieu, reçu en 1720, et MM. d’Olivet et Hénault, reçus en 1723.
  3. M. le duc de Choiseul.