Épîtres (Voltaire)/Épître 93
ÉPÎTRE XCIII.
S’il est au monde une beauté
Qui de Corneille ait hérité,
Vous possédez cet apanage.
L’enfant dont je me suis chargé[2]
N’a point l’art des vers en partage ;
Vous l’avez : c’est un avantage
Qui m’a quelquefois affligé,
Et que doit fuir tout homme sage.
Ce dangereux et beau talent
Est pour vous un simple ornement,
Un pompon de plus à votre âge ;
Mais quand un homme a le malheur
D’avoir fait en forme un ouvrage,
Et quand il est monsieur l’auteur,
C’est un métier dont il enrage.
Les vers, la musique, l’amour,
Sont les charmes de notre vie ;
Le sage en a la fantaisie,
Et sait les goûter tour à tour :
S’y livrer toujours, c’est folie.
ÉPÎTRE XCIV.
Illustre protecteur des perdrix de Mont-Rouge[3],
Des faucons, des auteurs, et surtout des catins ;
Vous dont l’auguste sceptre au cuir blanc, au bout rouge,
Est l’effroi des cocus et l’amour des p…,
Vous daignez vous servir de votre aimable plume
Pour dire à la postérité
Que vous avez aimé certain Suisse effronté,
Très-indiscret auteur de plus d’un gros volume,
Mais dont l’esprit encor conserve sa gaîté.
Il pense comme monsieur Hume,
Il rit de la sotte âpreté
De tout dévot plein d’amertume ;
Tranquillement il s’accoutume
À l’humaine méchanceté ;
Le flambeau de la Vérité
Quelquefois dans ses mains s’allume ;
Il doit être bientôt compté
Dans le rang d’un auteur posthume :
Mais quand le temps qui tout consume