Épîtres (Voltaire)/Épître 31
ÉPÎTRE XXXI.
Rimeur charmant, plein de raison[1],
Philosophe entouré des Grâces,
Épicure, avec Apollon,
S’empresse à marcher sur vos traces.
Je renonce au fatras obscur
Du grand rêveur de l’Oratoire[2],
Qui croit parler de l’esprit pur,
Ou qui veut nous le faire accroire,
Nous disant qu’on peut, à coup sûr,
Entretenir Dieu dans sa gloire.
Ma raison n’a pas plus de foi
Pour René le visionnaire[3].
Songeur de la nouvelle loi,
Il éblouit plus qu’il n’éclaire ;
Dans une épaisse obscurité
Il fait briller des étincelles.
Il a gravement débité
Un tas brillant d’erreurs nouvelles,
Pour mettre à la place de celles
De la bavarde antiquité.
Dans sa cervelle trop féconde
Il prend, d’un air fort important,
Des dés pour arranger le monde :
Bridoye[4] en aurait fait autant.
Adieu ; je vais chez ma Sylvie :
Un esprit fait comme le mien
Goûte bien mieux son entretien
Qu’un roman de philosophie.
De ses attraits toujours frappé,
Je ne la crois pas trop fidèle :
Mais puisqu’il faut être trompé,
Je ne veux l’être que par elle.
- ↑ Les vingt-quatre premiers vers de cette épître ont fait aussi partie d’une lettre à Formont, de mai 1731. (B.)
- ↑ Malebranche. (Note de Voltaire, 1748.)
- ↑ Descartes. (Id., 1757.)
- ↑ Bridoye est un juge qui, dans Rabelais (Pantagruel, liv. III, chap. xxxvii et suiv.), sententioyt les proces au sort des dez.