Évangile d’une grand’mère/70

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Librairie de L. Hachette et Cie (p. 193-195).

LXX

PARABOLE DES TALENTS.



Pierre, s’approchant, lui dit :

« Seigneur, combien de fois pardonnerai-je à mon prochain, lorsqu’il m’aura offensé ? Sera-ce jusqu’à sept fois ? »

Jésus lui répondit :

« Je ne vous dis pas jusqu’à sept fois, mais jusqu’à soixante-dix fois sept fois. »

Henri. Pourquoi Notre-Seigneur dit-il ce chiffre-là ?

Grand’mère. Ce chiffre signifie seulement qu’il faut pardonner toujours et toujours, sans jamais se lasser.

Puis Notre-Seigneur ajoute :

« Le Royaume des Cieux est semblable à un Roi qui voulut régler ses comptes avec ses serviteurs. Ayant donc commencé, on lui en amena un qui lui devait dix mille talents. »

Marie-Thérèse. Qu’est-ce que c’est, un talent ?

Grand’mère. Un talent équivalait, chez les Hébreux, à trois mille sicles, c’est-à-dire à six mille francs de notre monnaie. En disant dix mille talents, ou soixante millions de francs, Notre-Seigneur voulait indiquer une somme énorme.

« Ce serviteur n’ayant pas de quoi payer, son maître commanda qu’on le vendît, lui, sa femme et ses enfants, et tout ce qu’il avait pour payer sa dette. »

Valentine. Quel méchant Roi !

Grand’mère. Attends, tu vas voir la fin de la parabole.

« Ce serviteur, se jetant aux pieds du Roi, le suppliait en ces termes :

« Seigneur, prenez patience, et je vous payerai tout. »

« Alors le Roi, touché de compassion, le laissa aller, et lui remit sa dette. Ce serviteur ne fut pas plus tôt sorti qu’il rencontra un de ses camarades qui lui devait cent deniers… »

Armand. Qu’est-ce que c’est, un denier ?

Grand’mère. Le denier était une petite monnaie romaine marquée d’un x, qui valait environ quatre-vingts centimes.

« Le serviteur, ayant donc rencontré ce camarade qui lui devait cent deniers c’est-à-dire quatre-vingts francs, le saisit à la gorge et l’étouffait presque, disant : « Rends-moi ce que tu me dois. » Et son compagnon, se jetant à ses pieds, lui dit : « Prenez patience et je vous payerai tout. »

Mais lui ne voulut pas ; et s’en allant, il le fit mettre en prison jusqu’à ce qu’il eût payé sa dette.

« Les autres serviteurs, voyant ce qui se passait, en furent très-affligés et ils allèrent raconter à leur maître ce qui était arrivé.

« Alors le maître de ce méchant serviteur l’appela et lui dit : « Méchant serviteur, je t’ai remis ta dette parce que tu m’as prié. Comme j’ai eu pitié de toi, ne devais-tu pas avoir pitié de ton compagnon ? »

« Et son maître irrité le livra aux exécuteurs, jusqu’à ce qu’il eût payé toute sa dette.

« Ainsi vous fera le Père Céleste, si chacun de vous ne remet du fond du cœur à son frère ce que son frère lui doit. »

Louis. Mais pourtant, Grand’mère, quand on prête de l’argent, il faut bien qu’on le rende ; ce serait voler que de ne pas rendre !

Grand’mère. Notre-Seigneur ne veut pas parler d’une dette d’argent, mais du pardon des injures, et de la remise des offenses. Ainsi le serviteur méchant devait énormément au Roi, c’est-à-dire qu’il avait commis beaucoup d’offenses envers lui ; son maître veut le punir, lui faire expier par des punitions sévères, par la prison, les offenses dont il s’est rendu coupable. Le serviteur effrayé demande pardon, implore la miséricorde de son maître, et promet de compenser ses offenses passées par sa bonne conduite, par ses bons services ; le maître, qui est bon, se laisse toucher et pardonne. C’est une vraie dette qu’il remet. Le méchant serviteur rencontre un homme qui l’a légèrement offensé ; il le saisit et veut le faire mettre en prison, c’est-à-dire lui faire tout le mal qu’il est en son pouvoir de faire, malgré les supplications et les promesses de son débiteur d’être à l’avenir un ami fidèle.

Alors le Roi, voyant que son méchant serviteur n’a pas suivi son commandement de pardonner les offenses comme nous voudrions qu’on nous les pardonnât à nous-mêmes retire son pardon, et nous fait voir ainsi que nous devons être charitables et pardonner à nos ennemis, si nous voulons que le bon Dieu, notre Divin maître, nous pardonne à son tour tous nos péchés.