Œuvres (Ferrandière)/Fables/Fable 028

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Janet et Cotelle (Première partie : Fables — Seconde partie : Poésiesp. 31-32).

FABLE XXVIII.

LE LION L’OURS ET LE RENARD.


Du lion quelques grands vassaux
Contre leur maître se liguèrent,
Et bien diciplinés en troupes ils marchèrent,
Menaçant, ne parlant que de meurtres, d’assauts,
Voulant du Roi mettre l’antre au pillage ;
L’écho ne répétoit que le mot de carnage.
Un rhumatisme affreux, triste fruit du courage
Tenoit dans son palais le monarque alité.
Ne pouvant déployer sa valeur et sa rage,
En rugissant Sa Majesté
Mande un ours de son voisinage,
Bon sujet et rempli de zèle et de talens.
Vous voyez, lui dit-il, qu’en ces fâcheux momens
Je ne puis faire aucun usage
De mes griffes hélas ! non plus que de mes dents,
Ces armes dont les coups sont toujours triomphans.
Mais votre illustre renommée
M’engage à vous créer le chef de mon armée ;
Et si vous obtenez quelque brillant succès,
Bien secondé par mes sujets fidèles,
Si vous exterminez ces hordes de rebelles,
Vous aurez la moitié de mes vastes forêts.

Partez, vous reviendrez, j’espère, en diligence
Jouir de ce bienfait de ma reconnoissance.
L’ours sent le prix d’un choix aussi flatteur,
Et comme il est peu discoureur,
Répond en bref ce qu’il faut dire,
S’incline, accepte, et se retire.
Ce général parti, le renard en faveur,
S’adressant au lion, de vos dons je soupire ;
Sur de grands intérêts l’amitié doit instruire :
L’ours de son souverain défendant le pouvoir
Ne fait, seigneur, que son devoir.
Quoi ! vous voulez pour lui démembrer votre empire ?
Moitié de vos états vous lui promettez, sire !…
Tais-toi, mon mal guéri l’ours n’aura jamais rien :
Mais espérant beaucoup il me servira bien.