Œuvres (Ferrandière)/Fables/Fable 029

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Janet et Cotelle (Première partie : Fables — Seconde partie : Poésiesp. 32-33).

FABLE XXIX.

LA BREBIS ET L’AGNEAU.


Un jeune agneau disoit à sa grand’mère
Vous qui savez si bien l’histoire du canton,
Dites-moi donc si ce vieux roi lion,
Qui se traîne souvent au coin de sa tanière,
Fut si glouton, si sanguinaire,
Qu’il mangeoit chaque jour ou génisse ou mouton ?
On dit qu’il dévora ma mère, et puis mon frère.
Paissant l’autre matin là-bas sur la bruyère,
Je l’aperçus, il paraît doux et bon.
Mon fils, c’est sa ruse dernière ;
Pour attirer à lui ceux qui vont dans les bois
Il contrefait et son air et sa voix :
Helas ! plusieurs des miens s’y sont pris quelquefois.

Garde-toi d’approcher de sa dent meurtrière :
L’habitude du mal le rend facile à faire.
Ses crimes, mon enfant, sont trop longs à citer ;
Je m’attendrirois trop à te les raconter,
Et je t’affligerois peut-être.
Si ce vieux maître enfin n’est plus aussi méchant,
N’en sois donc pas reconnaissant,
Il n’a plus la force de l’être.