Œuvres (Ferrandière)/Fables/Fable 069

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Janet et Cotelle (Première partie : Fables — Seconde partie : Poésiesp. 76-78).

FABLE LXIX.

L’HOMME DUPE DE SES DÉFAUTS.


 
Un vieil avare étoit sujet à la colère ;
Il grondoit, s’emportoit et souvent sans raison.
On ne voyoit chez lui ni rubans, ni jupon ;
Point d’épouse, en un mot, pas une ménagère :
Mais contre qui, me dira-t-on,
S’exhaloit cet excès d’humeur atrabilaire ?
Contre son chien, son chat, composant sa maison ;
Celui-ci fort gourmand, las de sa maigre chère,
Un des jours gras dérobe au bonhomme un chapon,
Qui devoit le nourrir la moitié du carême :
Contre un pareil larcin sa fureur fut extrême,
Et le chat succomba sous les coups du bâton,
Quoiqu’il eût dit cent fois, mon cher Minon, je t’aime.
Ce délit
Fit du bruit ;
Souris et rats s’en réjouirent,
Et vîte au grenier s’établirent,
Blé, noix, tous les fruits à foison
Deviennent leur provision,
Et rien n’égala leur ravage
Que leurs débats et leur tapage.

Notre vieux, jour et nuit, se croyoit au sabbat :
Que peut un foible humain contre le peuple rat ?
Il fallut bien supporter le dommage,
Et de grippe-souris alors plaindre le sort.
À quelque temps de là, l’avare eut plus grand tort.
Mouflar, son chien, doux, caressant, fidèle,
Depuis dix ans servoit son maître avec ardeur.
Une nuit faisant sentinelle,
Il entend quelque bruit, croit sentir un voleur,
Il jappe, il jappe, et son maître s’éveille,
Qui se lève aussitôt, mais de mauvaise humeur ;
Cherchant et furetant, il secouoit l’oreille,
Signe annonçant toujours quelque malheur.
Dans ma maison, dit-il, oh ! je suis le seul homme :
J’ai guetté, regardé ; parbleu, je ne vois rien :
Maudit soit l’animal, d’interrompre mon somme,
C’est un caprice de ce chien.
Tout en jurant, il veut l’obliger à se taire
Et Mouflard aboyant, mais plus fort que jamais,
De son maître sembloit défier la colère :
Sans trembler il le voit armer ses pistolets,
Et cette bonne et tendre bête
Sentit l’un d’eux décharger sur sa tête
Par cette main, hélas ! qu’il lécha si souvent.
Il tombe, et sur l’ingrat encore en expirant,
Ce zélé serviteur jette un regard touchant,
Auprès d’un mur, en embuscade,
Un voleur étoit tout de bon :
Ce drôle au plus tôt l’escalade,
Et le voilà dans la maison.
Saisir l’argent et l’or, piller tout le ménage,
Pour ce coquin ne fut qu’un jeu.
L’avare tempêta, puis il pleura de rage.

Trop tard de la douceur il comprit l’avantage ;
Enfin des passions misère éteint le feu.
De cette histoire un jour comme il faisoit l’aveu,
Le malheur m’a, dit-il, appris maxime sage :
Qui ne sait pas souffrir un peu,
S’expose à souffrir davantage.