Œuvres (Ferrandière)/Fables/Fable 153

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Janet et Cotelle (Première partie : Fables — Seconde partie : Poésiesp. 164-165).

FABLE CLIII.

LA VACHE ET LE MULET.


Depuis du temps, seule en bon pâturage,
Une vache paissoit tranquille dans son coin ;
Un mulet quelquefois traversoit ce pacage :
Et pourquoi des troupeaux êtes-vous donc si loin,
Lui disoit-il un jour ? C’est une triste vie
D’être matin et soir sans nulle compagnie.
— Non, je connois le monde et sais bien m’en passer ;
Si tu le vois souvent tu pourras t’en lasser.
De ce troupeau nombreux rien ne sauroit me plaire :
Le cheval est fier, dédaigneux ;
Tous les moutons sont ennuyeux ;
L’âne est sot, et ne sait que braire

Qu’il soit ou chagrin, ou joyeux ;
Il faudroit l’assommer, s’il n’étoit nécessaire.
Le courageux taureau parfois est arrogant ;
Brusque, inconstante, et toujours ravageant,
La chèvre par sa pétulance
Excite mon impatience ;
Et le bœuf est triste et pesant.
La crainte de l’ennui me rend l’humeur sauvage,
Et rester seule aux champs me convient davantage.
Le mulet lui repart, et d’un air mécontent :
Chacun a ses défauts, n’avez-vous pas les vôtres ?
Adieu, plus d’entretien désormais avec moi :
Quand on méprise tant les autres,
Il est clair que l’on n’aime et n’estime que soi.