Œuvres complètes de Béranger/Adieux à la Campagne
Pour les autres éditions de ce texte, voir Adieux à la Campagne.
ADIEUX À LA CAMPAGNE[1]
Soleil si doux au déclin de l’automne,
Arbres jaunis, je viens vous voir encor.
N’espérons plus que la haine pardonne
À mes chansons leur trop rapide essor.
Dans cet asile, où reviendra Zéphire,
J’ai tout rêvé, même un nom glorieux.
Ciel vaste et pur, daigne encor me sourire ;
Échos des bois, répétez mes adieux.
Comme l’oiseau, libre sous la feuillée,
Que n’ai-je ici laissé mourir mes chants !
Mais de grandeurs la France dépouillée
Courbait son front sous le joug des méchants.
Je leur lançai les traits de la satire ;
Pour mon bonheur l’amour m’inspirait mieux.
Ciel vaste et pur, daigne encor me sourire ;
Échos des bois, répétez mes adieux.
Déjà leur rage atteint mon indigence[2] ;
Au tribunal ils traînent ma gaîté ;
D’un masque saint ils couvrent leur vengeance :
Rougiraient-ils devant ma probité ?
Ah ! Dieu n’a point leur cœur pour me maudire :
L’Intolérance est fille des faux dieux.
Ciel vaste et pur, daigne encor me sourire ;
Échos des bois, répétez mes adieux.
Sur des tombeaux si j’évoque la Gloire,
Si j’ai prié pour d’illustres soldats,
Ai-je à prix d’or, aux pieds de la Victoire,
Encouragé le meurtre des états ?
Ce n’était point le soleil de l’empire
Qu’à son lever je chantais dans ces lieux.
Ciel vaste et pur, daigne encor me sourire ;
Échos des bois, répétez mes adieux.
Que, dans l’espoir d’humilier ma vie,
Bellart s’amuse à mesurer mes fers ;
Même aux regards de la France asservie
Un noir cachot peut illustrer mes vers.
À ses barreaux je suspendrai ma lyre ;
La Renommée y jettera les yeux.
Ciel vaste et pur, daigne encor me sourire ;
Échos des bois, répétez mes adieux.
Sur ma prison vienne au moins Philomèle !
Jadis un roi causa tous ses malheurs.
Partons : j’entends le geôlier qui m’appelle.
Adieu les champs, les eaux, les prés, les fleurs.
Mes fers sont prêts : la liberté m’inspire ;
Je vais chanter son hymne glorieux.
Ciel vaste et pur, daigne encor me sourire ;
Échos des bois, répétez mes adieux.
Air noté dans Musique des chansons de Béranger :
↑ Haut
- ↑ Cette chanson, faite dans le mois de novembre 1821, fut copiée et distribuée au tribunal le jour de la première condamnation de l’auteur.
- ↑ Lorsque le recueil de 1821 parut, ce fut le ministère qui força les membres du conseil de l’Université d’ôter à l’auteur le modique emploi d’expéditionnaire qu’il occupait depuis douze ans. Au reste, on l’avait prévenu que s’il faisait imprimer ses nouvelles chansons, il perdrait cet emploi.