Œuvres complètes de Béranger/Poniatowski

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PONIATOWSKI f*


JUILLET 1831


Air des Trois couleurs (Air noté )


Quoi ! vous fuyez, vous, les vainqueurs du monde !
Devant Leipsig le sort s’est-il mépris ?
Quoi ! vous fuyez ! et ce fleuve qui gronde,
D’un pont qui saute emporte les débris !
Soldats, chevaux, pêle-mêle, et les armes,
Tout tombe là ; l’Elster roule entravé.
Il roule sourd aux vœux, aux cris, aux larmes :
« Rien qu’une main, (bis) Français, je suis sauvé ! »

« Rien qu’une main ? malheur à qui l’implore !
« Passons, passons. S’arrêter ! et pour qui ? »
Pour un héros que le fleuve dévore :
Blessé trois fois, c’est Poniatowski.
Qu’importe ! on fuit. La frayeur rend barbare.
À pas un cœur son cri n’est arrivé.
De son coursier le torrent le sépare :
« Rien qu’une main, Français, je suis sauvé ! »

Il va périr ; non ; il lutte, il surnage ;
Il se rattache aux longs crins du coursier.
« Mourir noyé ! dit-il, lorsqu’au rivage
« J’entends le feu, je vois luire l’acier !

« Frères, à moi ! vous vantiez ma vaillance.
« Je vous chéris ; mon sang l’a bien prouvé.
« Ah ! qu’il m’en reste à verser pour la France !
« Rien qu’une main, Français, je suis sauvé ! »

Point de secours ! et sa main défaillante
Lâche son guide : adieu, Pologne, adieu !
Mais un doux rêve, une image brillante
Dans son esprit descend du sein de Dieu.
« Que vois-je ? enfin, l’aigle blanc se réveille,
« Vole, combat, de sang russe abreuvé.
« Un chant de gloire éclate à mon oreille.
« Rien qu’une main, Français, je suis sauvé ! »

Point de secours ! il n’est plus, et la rive
Voit l’ennemi camper dans ses roseaux.
Ces temps sont loin, mais une voix plaintive
Dans l’ombre encore appelle au fond des eaux ;
Et depuis peu (grand Dieu, fais qu’on me croie !),
Jusques au ciel son cri s’est élevé.
Pourquoi ce cri que le ciel nous renvoie :
« Rien qu’une main, Français, je suis sauvé ! »

C’est la Pologne et son peuple fidèle
Qui tant de fois a pour nous combattu ;
Elle se noie au sang qui coule d’elle,
Sang qui s’épuise en gardant sa vertu.
Comme ce chef mort pour notre patrie,
Corps en lambeaux dans l’Elster retrouvé,
Au bord du gouffre un peuple entier nous crie :
« Rien qu’une main, Français, je suis sauvé ! »




f*. Joseph Poniatowski, neveu du dernier roi de Pologne, né en 1766, servit glorieusement dans les armées françaises depuis 1806 jusqu’à 1813. Après la bataille de Leipzig, Napoléon l’éleva au grade de maréchal d’empire, et lui donna le commandement d’un corps de Polonais et de Français, à la tête duquel il fit des prodiges de valeur. Le 18 octobre, les ponts de l’Elster ayant été détruits pour couvrir notre retraite, Poniatowski, resté à l’arrière-garde et pressé de toutes parts par les troupes ennemies, rejette les propositions que leurs généraux lui font faire. Dangereusement blessé, il s’écrie : Dieu m’a confié l’honneur des Polonais, je ne le remettrai qu’à Dieu. Il tente de s’ouvrir un passage à travers le fleuve, mais, épuisé de sang, et entraîné par les flots, il disparaît englouti. Ce n’est que quelques jours après que son corps fut trouvé sur les bords de l’Elster.

Cette chanson, celles de Hâtons-nous ! du 14 juillet 1829, et À mes amis les ministres, furent publiées en 1831, au profit du Comité polonais. Elles étaient précédées d’une dédicace au général Lafayette, président de ce Comité, et premier grenadier de la garde nationale de Varsovie. Dans la dédicace, trop longue pour être rapportée ici, se trouvaient deux couplets qu’on me saura gré peut-être de donner, parce qu’ils sont un hommage au héros des deux mondes.


Sa vie entière est comme un docte ouvrage,
Par la vertu transcrit, conçu, dicté.
La gloire y brille ; à chaque jour sa page
Point d’errata : tout pour la liberté.
De bien longtemps qu’à nos pleurs Dieu ne livre,
Si plein qu’il soit, le chapitre dernier,
Et qu’un seul mot constate en ce beau livre
Que le grand homme aima le chansonnier.


Comme il s’agissait de solliciter des secours d’argent pour la Pologne, j’ajoutais, sur l’air de la Sainte-Alliance des peuples :


85



Air noté dans Musique des chansons de Béranger :


PONIATOWSKI.

Air des Trois couleurs.
No 292.



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Quoi vous fu -- yez vous les vain -- queurs du mon -- de
De -- vant Leip -- zig le sort s’est- il mé -- pris
Quoi vous fu -- yez et ce fleu -- ve qui gron -- de
D’un pont qui saute em -- por -- te les dé -- bris
Sol -- dats che -- vaux pê -- le- mêle et les ar -- mes
Tout tom -- be là l’El -- ster roule en -- tra -- vé
Il rou -- le sourd aux vœux aux cris aux lar -- mes
"« Rien" qu’un -- e main Rien qu’un -- e main Fran -- çais, je suis sau -- "vé »"
Il rou -- le sourd aux vœux aux cris aux lar -- mes
"« Rien" qu’un -- e main Rien qu’un -- e main Fran -- çais, je suis sau -- "vé ! »"
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