Œuvres complètes de Buffon, éd. Lanessan/Histoire naturelle des minéraux/Traité de l’aimant et de ses usages

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TRAITÉ DE L’AIMANT ET DE SES USAGES


ARTICLE PREMIER

DES FORCES DE LA NATURE EN GÉNÉRAL, ET EN PARTICULIER DE L’ÉLECTRICITÉ ET DU MAGNÉTISME.

Il n’y a dans la nature qu’une seule force primitive ; c’est l’attraction réciproque entre toutes les parties de la matière. Cette force est une puissance émanée de la puissance divine, et seule elle a suffi pour produire le mouvement et toutes les autres forces qui animent l’univers. Car, comme son action peut s’exercer en deux sens opposés, en vertu du ressort qui appartient à toute matière, et dont cette même puissance d’attraction est la cause, elle repousse autant qu’elle attire[1]. On doit donc admettre deux effets généraux, c’est-à-dire l’attraction et l’impulsion, qui n’est que la répulsion : la première également répartie et toujours subsistante dans la matière, et la seconde variable, occasionnelle et dépendante de la première. Autant l’attraction maintient la cohérence et la dureté des corps, autant l’impulsion tend à les désunir et à les séparer. Ainsi, toutes les fois que les corps ne sont pas brisés par le choc, et qu’ils sont seulement comprimés, l’attraction, qui fait le lien de la cohérence, rétablit les parties dans leur première situation, en agissant en sens contraire, par répulsion, avec autant de force que l’impulsion avait agi en sens direct ; c’est ici, comme en tout, une réaction égale à l’action : on ne peut donc pas rapporter à l’impulsion les effets de l’attraction universelle ; mais c’est au contraire cette attraction générale qui produit, comme première cause, tous les phénomènes de l’impulsion.

En effet, doit-on jamais perdre de vue les bornes de la faculté que nous avons de communiquer avec la nature ? Doit-on se persuader que ce qui ne tombe pas sous nos sens puisse se rapporter à ce que nous voyons ou palpons ? L’on ne connaît les forces qui animent l’univers que par le mouvement et par ses effets : ce mot même de forces ne signifie rien de matériel et n’indique rien de ce qui peut affecter nos organes, qui cependant sont nos seuls moyens de communication avec la nature. Ne devons-nous pas renoncer dès lors à vouloir mettre au nombre des substances matérielles ces forces générales de l’attraction et de l’impulsion primitive, en les transformant, pour aider notre imagination, en matières subtiles, en fluides élastiques, en substances réellement existantes, et qui, comme la lumière, la chaleur, le son et les odeurs devraient affecter nos organes ; car ces rapports avec nous sont les seuls attributs de la matière que nous puissions saisir, les seuls que l’on doive regarder comme des agents mécaniques, et ces agents eux-mêmes, ainsi que leurs effets, ne dépendent-ils pas, plus ou moins, et toujours, de la force primitive, dont l’origine et l’essence nous seront à jamais inconnues, parce que cette force en effet n’est pas une substance, mais une puissance qui anime la matière ?

Tout ce que nous pouvons concevoir de cette puissance primitive d’attraction, et de l’impulsion ou répulsion qu’elle produit, c’est que la matière n’a jamais existé sans mouvement[NdÉ 1], car l’attraction étant essentielle à tout atome matériel, cette force a nécessairement produit du mouvement toutes les fois que les parties de la matière se sont trouvées séparées ou éloignées les unes des autres ; elles ont dès lors été forcées de se mouvoir et de parcourir l’espace intermédiaire pour s’approcher et se réunir. Le mouvement est donc aussi ancien que la matière, et l’impulsion ou répulsion est contemporaine de l’attraction ; mais, agissant en sens contraire, elle tend à éloigner tout ce que l’attraction a rapproché.

Le choc, et toute violente attrition entre les corps, produit du feu en divisant et repoussant les parties de la matière[2] ; et c’est de l’impulsion primitive que cet élément a tiré son origine ; élément lequel seul est actif et sert de base et de ministre à toute force impulsive, générale et particulière, dont les effets sont toujours opposés et contraires à ceux de l’attraction universelle. Le feu se manifeste dans toutes les parties de l’univers, soit par la lumière, soit par la chaleur ; il brille dans le soleil et dans les astres fixes ; il tient encore en incandescence les grosses planètes ; il échauffe plus ou moins les autres planètes et les comètes ; il a aussi pénétré, fondu, enflammé la matière de notre globe, lequel, ayant subi l’action de ce feu primitif, est encore chaud ; et, quoique cette chaleur s’évapore et se dissipe sans cesse, elle est néanmoins très active et subsiste en grande quantité, puisque la température de l’intérieur de la terre, à une médiocre profondeur, est de plus de dix degrés.

C’est de ce feu intérieur ou de cette chaleur propre du globe que provient le feu particulier de l’électricité. Nous avons déjà dit, dans notre introduction à l’Histoire des minéraux, et tout nous le persuade, que l’électricité tire son origine de cette chaleur intérieure du globe : les émanations continuelles de cette chaleur intérieure s’élèvent perpendiculairement à chaque point de la surface de la terre ; elles sont bien plus abondantes à l’équateur que dans toutes les autres parties du globe. Assez nombreuses dans les zones tempérées, elles deviennent nulles ou presque nulles aux régions polaires, qui sont couvertes par la glace ou resserrées par la gelée. Le fluide électrique, ainsi que les émanations qui le produisent, ne peuvent donc jamais être en équilibre autour du globe : ces émanations doivent nécessairement partir de l’équateur où elles abondent, et se porter vers les pôles où elles manquent[NdÉ 2].

Ces courants électriques, qui partent de l’équateur et des régions adjacentes, se compriment et se resserrent en se dirigeant à chaque pôle terrestre, à peu près comme les méridiens se rapprochent les uns des autres : dès lors, la chaleur obscure qui émane de la terre et forme ces courants électriques, peut devenir lumineuse en se condensant dans un moindre espace, de la même manière que la chaleur obscure de nos fourneaux devient lumineuse lorsqu’on la condense en la tenant enfermée[3]. Et c’est là la vraie cause de ces feux qu’on regardait autrefois comme des incendies célestes et qui ne sont néanmoins que des effets électriques auxquels on a donné le nom d’aurores polaires. Elles sont plus fréquentes dans les saisons de l’automne et de l’hiver, parce que c’est le temps où les émanations de la chaleur de la terre sont le plus complètement supprimées dans les zones froides, tandis qu’elles sont toujours presque également abondantes dans la zone torride ; elles doivent donc se porter alors avec plus de rapidité de l’équateur aux pôles, et devenir lumineuses par leur accumulation et leur resserrement dans un plus petit espace[4].

Mais ce n’est pas seulement dans l’atmosphère et à la surface du globe que ce fluide électrique produit de grands effets ; il agit également et même avec beaucoup plus de force à l’intérieur du globe, et surtout dans les cavités qui se trouvent en grand nombre au-dessous des couches extérieures de la terre ; il fait jaillir dans tous ces espaces vides des foudres plus ou moins puissantes : et, en recherchant les diverses manières dont peuvent se former ces foudres souterraines, nous trouverons que les quartz, les jaspes, les feldspaths, les schorls, les granits et autres matières vitreuses, sont électrisables par frottement, comme nos verres factices, dont on se sert pour produire la force électrique et pour isoler les corps auxquels on veut la communiquer.

Ces substances vitreuses doivent donc isoler les amas d’eau qui peuvent se trouver dans ces cavités, ainsi que les débris des corps organisés, les terres humides, les matières calcaires, et les divers filons métalliques. Ces amas d’eaux, ces matières métalliques, calcaires, végétales et humides, sont, au contraire, les plus puissants conducteurs du fluide électrique. Lors donc qu’elles sont isolées par les matières vitreuses, elles peuvent être chargées d’un excès plus ou moins considérable de ce fluide, de même qu’en sont chargées les nuées environnées d’un air sec qui les isole.

Des courants d’eau, produits par des pluies plus ou moins abondantes ou d’autres causes locales et accidentelles, peuvent faire communiquer des matières conductrices, isolées et chargées de fluide électrique, avec d’autres substances de même nature également isolées, mais dans lesquelles ce fluide n’aura pas été accumulé : alors ce fluide de feu doit s’élancer du premier amas d’eau vers le second, et dès lors il produit la foudre souterraine dans l’espace qu’il parcourt. Les matières combustibles s’allument ; les explosions se multiplient ; elles soulèvent et ébranlent des portions de terre d’une grande étendue et des blocs de rochers en très grande masse et en bancs continus ; les vents souterrains, produits par ces grandes agitations, soufflent et s’élancent dès lors avec violence contre des substances conductrices de l’électricité, isolées par des matières vitreuses : ils peuvent donc aussi électriser ces substances de la même manière que nous électrisons, par le moyen de l’air fortement agité, des conducteurs isolés, humides ou métalliques.

La foudre allumée par ces diverses causes, en mettant le feu aux matières combustibles renfermées dans le sein de la terre, peut produire des volcans et d’autres incendies durables. Les matières enflammées dans leurs foyers doivent, en échauffant les schistes et les autres matières vitreuses de seconde formation qui les contiennent et les isolent, augmenter l’affinité de ces dernières substances avec le feu électrique : elles doivent alors leur communiquer une partie de celui qu’elles possèdent, et, par conséquent, devenir électrisées en moins. Et c’est par cette raison que lorsque ces matières, fondues et rejetées par les volcans, coulent à la surface de la terre, ou qu’elles s’élèvent en colonnes ardentes au-dessus des cratères, elles attirent le fluide électrique des divers corps qu’elles rencontrent, et même des nuages suspendus au-dessus ; car l’on voit alors jaillir de tous côtés des foudres aériennes qui s’élancent vers les matières enflammées, vomies par les volcans : et, comme les eaux de la mer parviennent aussi dans les foyers des volcans et que la flamme est comme l’eau conductrice de l’électricité[5], elles communiquent une grande quantité de fluide électrique aux matières enflammées et électrisées en moins ; ce qui produit de nouvelles foudres, et cause d’autres secousses et des explosions qui bouleversent et entrouvrent la surface de la terre.

De plus, les substances vitreuses qui forment les parois des cavités des volcans, et qui ont reçu une quantité de fluide électrique proportionnée à la chaleur qui les a pénétrées, s’en trouvent surchargées à mesure qu’elles se refroidissent : elles lancent de nouvelles foudres contre les matières enflammées, et produisent de nouvelles secousses qui se propagent à des distances plus ou moins grandes, suivant la disposition des matières conductrices. Et, comme le fluide électrique peut parcourir en un instant l’espace le plus vaste, en ébranlant tout ce qui se trouve sur son passage, c’est à cette cause que l’on doit rapporter les commotions et les tremblements de terre qui se font sentir, presque dans le même instant, à de très grandes distances ; car, si l’on veut juger de la force prodigieuse des foudres qui produisent les tremblements de terre les plus étendus, que l’on compare l’espace immense et d’un très grand nombre de lieues, que les substances conductrices occupent quelquefois dans le sein de la terre, avec les petites dimensions des nuages qui lancent la foudre des airs, dont la force suffit cependant pour renverser les édifices les plus solides.

On a vu le tonnerre renverser des blocs de rochers de plus de vingt-cinq toises cubes : les conducteurs souterrains peuvent être au moins cinquante mille fois plus volumineux que les nuages orageux : si leur force était en proportion, la foudre qu’ils produisent pourrait donc renverser plus de douze cent mille toises cubes ; et, comme la chaleur intérieure de la terre est beaucoup plus grande que celle de l’atmosphère à la hauteur des nuages, la foudre de ces conducteurs électriques doit être augmentée dans cette proportion, et dès lors on peut dire que cette force est assez puissante pour bouleverser et même projeter plusieurs millions de toises cubes.

Maintenant, si nous considérons le grand nombre de volcans actuellement agissants, et le nombre infiniment plus grand des anciens volcans éteints, nous reconnaîtrons qu’ils forment de larges bandes dans plusieurs directions qui s’étendent autour du globe, et occupent les espaces d’une très longue étendue dans lesquels la terre a été bouleversée, et s’est souvent affaissée au-dessous ou élevée au-dessus de son niveau. C’est surtout dans les régions de la zone torride que se sont faits les plus grands changements. On peut suivre la ruine des continents terrestres et leur abaissement sous les eaux, en parcourant les îles de la mer du Sud. On peut voir, au contraire, l’élévation des terres par l’inspection des montagnes de l’Amérique méridionale, dont quelques-unes sont encore des volcans agissants : on retrouve les mêmes volcans dans les îles de la mer Atlantique, dans celles de l’océan Indien et jusque dans les régions polaires, comme en Islande, en Europe et à la terre de Feu à l’extrémité de l’Amérique. La zone tempérée offre de même, dans les deux hémisphères, une infinité d’indices de volcans éteints ; et l’on ne peut douter que ces énormes explosions, auxquelles l’électricité souterraine a la plus grande part, n’aient très anciennement bouleversé les terres à la surface du globe, à une assez grande profondeur, dans une étendue de plusieurs centaines de lieues en différents sens.

M. Faujas de Saint-Fond, l’un de nos plus savants naturalistes, a entrepris de donner la carte de tous les terrains volcanisés qui se voient à la surface du globe, et dont on peut suivre le cours sous les eaux de la mer, par l’inspection des îles, des écueils et autres fonds volcanisés. Cet infatigable et bon observateur a parcouru tous les terrains qui offrent en Europe des indices du feu volcanique, et il a extrait des voyageurs les renseignements sur cet objet, dans toutes les parties du monde ; il a bien voulu me fournir des notes, en grand nombre, sur tous les volcans de l’Europe, qu’il a lui-même observés : j’ai cru devoir en présenter ici l’extrait, qui ne pourra que confirmer tout ce que nous avons dit sur les causes et les effets de ces feux souterrains.

En prenant le volcan brûlant du mont Hécla, en Islande, pour point de départ, on peut suivre, sans interruption, une assez large zone entièrement volcanisée, où l’observateur ne perd jamais de vue, un seul instant, les laves de toute espèce. Après avoir parcouru cette île, qui n’est qu’un amas de volcans éteints, adossés contre la montagne principale, dont les flancs sont encore embrasés, supposons qu’il s’embarque à la pointe de l’île qui porte le nom de Long-Nez. Il trouvera sur la route Westerhorn, Portland et plusieurs autres îles volcaniques ; il visitera celle de Stroma, remarquable par ses grandes chaussées de basalte, et ensuite les îles de Féroë, où les laves et les basaltes se trouvent mêlés de zéolithes. Depuis Féroë il se portera sur les îles de Shetland, qui sont toutes volcanisées, et de là aux îles Orcades, lesquelles paraissent s’être élevées en entier d’une mer de feu. Les Orcades sont comme adhérentes aux îles Hébrides. C’est dans cet archipel que se trouvent celles de Saint-Kilda, Sky, Jona, Lyri, Hikenkil, la vaste et singulière caverne basaltique de Staffa, connue sous le nom de grotte de Fingal, l’île de Nult qui n’est qu’un composé de basalte, pétri, pour ainsi dire, avec de la zéolithe.

De l’île de Nult, on peut aller en Écosse par celle de Kereyru, également volcanisée, et arriver à Don Staffugé ou à Dunkel, sur les laves et les basaltes que l’on peut suivre sans interruption par le duché d’Inverary, par celui de Perth, par Glascow, jusqu’à Édimbourg. Ici, les volcans semblent avoir trouvé des bornes qui les ont empêchés d’entrer dans l’Angleterre proprement dite, mais ils se sont repliés sur eux-mêmes : on les suit sans interruption et sur une assez large zone qui s’étend depuis Dunbar, Cowper, Stirling, jusqu’au bord de la mer, vers Port-Patrick. L’Irlande est en face, et l’on trouve à une petite distance les écueils du canal Saint-Georges, qui sont aussi volcanisés ; l’on touche bientôt à cette immense colonnade connue sous le nom de Chaussée des Géants, et formant une ceinture de basalte prismatique, qui rend l’abord de l’Irlande presque inaccessible de ce côté.

En France, on peut reconnaître des volcans éteints en Bretagne, entre Royan et Tréguier, et les suivre dans une partie du Limousin, et en Auvergne, où se sont faits de très grands mouvements, et de fortes éruptions de volcans actuellement éteints ; car les montagnes, les pics, les collines de basalte et de lave y sont si rapprochés, si accumulés, qu’ils offrent un système bizarre et disparate, très différent de la disposition et de l’arrangement de toutes les autres montagnes. Le mont Dore et le Puy-de-Dôme peuvent être regardés comme autant de volcans principaux qui dominaient sur tous les autres.

Les villes de Clermont, de Riom, d’Issoire ne sont bâties qu’avec des laves et ne reposent que sur des laves. Le cours de ces terrains volcanisés s’étend jusqu’au delà de l’Allier, et on en voit des indices dans une partie du Bourbonnais, et jusque dans la Bourgogne, auprès du mont Cenis, où l’on a reconnu le pic conique de Drevin, formé par un faisceau de basalte, qui s’élève en pointe à trois cents pieds de hauteur, et forme une grande borne, qu’on peut regarder comme la limite du terrain volcanisé. Ces mêmes volcans d’Auvergne s’étendent, d’un côté, par Saint-Flour et Aurillac, jusqu’en Rouergue, et de l’autre, dans le Velay ; et en remontant la Loire jusqu’à sa source, parmi les laves, nous arrivons au mont Mezin, qui est un grand volcan éteint, dont la base a plus de douze lieues de circonférence, et dont la hauteur s’élève au-dessus de neuf cents toises.

Le Vivarais est attenant au Velay, et l’on y voit un très grand nombre de cratères de volcans éteints, et des chaussées de basaltes, que l’on peut suivre dans leur largeur jusqu’à Rochemaure, au bord du Rhône, en face de Montélimar ; mais leur développement, en longueur, s’étend par Cassan, Saint-Tibéri, jusqu’à Agde, où la montagne volcanique de Saint-Loup offre des escarpements de lave, d’une grande épaisseur et d’une hauteur considérable.

Il paraît qu’auprès d’Agde les laves s’enfoncent sous la mer ; mais on ne tarde pas à les voir reparaître entre Marseille et Toulon, où l’on connaît le volcan d’Ollioules et celui des environs de Tourves. De grands dépôts calcaires ont recouvert postérieurement plusieurs de ces volcans ; mais on en voit dont les sommités paraissent sortir du milieu de ces antiques dépouilles de la mer : ceux des environs de Fréjus et d’Antibes sont de ce nombre.

Ici les Alpes maritimes ont servi de barrière aux feux souterrains de la Provence, et les ont, pour ainsi dire, empêchés de se joindre à ceux de l’Italie, par la voie la plus courte ; car, derrière ces mêmes Alpes, il se trouve des volcans qui, en ligne droite, ne sont éloignés que de trente lieues de ceux de Provence.

La zone incendiée a donc pris une autre route : on peut même dire qu’elle a une double direction en partant d’Antibes. La première arrive, par une communication sous-marine, en Sardaigne ; elle coupe le cap Carbonara, traverse les montagnes de cette île, se replonge sous les eaux pour reparaître à Carthagène, et se joindre à la chaîne volcanisée du Portugal, jusqu’à Lisbonne, pour traverser ensuite une partie de l’Espagne, où M. Bowles a reconnu plusieurs volcans éteints. Telle est la première ligne de jonction des volcans de France.

La seconde se dirige également par la mer et va joindre l’Italie, entre Gênes et Florence. On entre ici dans un des plus vastes domaines du feu ; l’incendie a été presque universel dans toute l’Italie et la Sicile, où il existe encore deux volcans brûlants, le Vésuve et l’Etna, des terrains embrasés, tels que la Solfatara, des îles incendiées, dont une, celle de Stromboli, vomit sans relâche et dans tous les temps, des laves, des pierres ponces et jette des flammes qui éclairent la mer au loin.

Le Vésuve nous offre un foyer en activité, couronné et recouvert, de toutes parts, des produits les plus remarquables du feu, et jusqu’à des villes ensevelies à dix-huit cents pieds de profondeur, sous les matières projetées par le volcan : d’un côté, la mer nous montre les îles volcanisées d’Ischia, de Procida, de Caprée, etc. ; et de l’autre, le continent nous offre la pointe de Misène, Baia, Pouzzoles, le Pausilipe, Portici, la côte de Sorrente, le cap de Minerve.

Le lac Agnano, Gastrani, le Monte-Nuovo, le Monte-Barbaro, la Solfatara, sont autant de cratères qui ont vomi, pendant plusieurs siècles, des monceaux immenses de matières volcaniques.

Mais une chose digne de remarque, c’est que les volcans des environs de Naples et de la terre de Labour, comme les autres volcans dont nous venons de parler, semblent toujours éviter les montagnes primitives, quartzeuses et granitiques, et c’est par cette raison qu’ils n’ont point pris leur direction par la Calabre, pour aller gagner la Sicile. Les grands courants de laves se sont frayé une route sous les eaux de la mer, et arrivent du golfe de Naples, le long de la côte de Sorrente, paraissant à découvert sur le rivage et formant des écueils de matières volcaniques, qu’on voit de distance en distance, depuis le promontoire de Minerve, jusqu’aux îles de Lipari. Les îles de Baziluzza, Lisca-Bianca, Liscanera, Panaria, etc., sont sur cette ligne. Viennent ensuite l’île des Salines, celles de Lipari, Volcanello, et Volcano, autre volcan brûlant, où les feux souterrains fabriquent, en grand, de grosses masses de véritables pierres ponces. En Sicile, les monts Neptuniens, comme les Alpes en Provence, ont forcé les feux souterrains à suivre leurs contours et à prendre leur direction par le Val Demona. Dans cette île, l’Etna élève fièrement sa tête au-dessus de tous les volcans de l’Europe ; les éjections qu’a produites ce foyer immense coupent le Val-di-Noto et arrivent à l’extrémité de la Sicile, par le cap Passaro.

Les matières volcaniques disparaissent encore ici sous les eaux de la mer, mais les écueils de basalte qu’on voit de distance en distance sont des signaux évidents qui tracent la route de l’embrasement : on peut arriver, sans s’en écarter, jusqu’à l’Archipel, où l’on trouve Santorin et les autres volcans qu’un observateur célèbre a fait connaître dans son Voyage pittoresque de la Grèce[6].

De l’Archipel on peut suivre, par la Dalmatie, les volcans éteints, décrits par M. Fortis, jusqu’en Hongrie, où l’on trouve ceux qu’a fait connaître M. de Born, dans ses lettres sur la minéralogie de ce royaume. De la Hongrie, la chaîne volcanisée se prolonge, toujours sans interruption, par l’Allemagne, et va joindre les volcans éteints d’Hanovre, décrits par Raspe : ceux-ci se dirigent sur Cassel, ville bâtie sur un vaste plateau de basalte ; les feux souterrains qui ont élevé toutes les collines volcaniques des environs de Cassel ont porté leur direction, par le grand cordon des hautes montagnes volcanisées de l’Habichoual, qui vont joindre le Rhin par Andernach, où les Hollandais font leur approvisionnement de tras[7] pour le convertir en pouzzolane ; les bords du Rhin, depuis Andernach jusqu’au vieux Brisach, forment la continuité de la zone volcanisée, qui traverse le Brisgaw et se rapproche par là de la France, du côté de Strasbourg.

D’après ce grand tableau des ravages du feu dans la partie du monde qui nous est la mieux connue, pourrait-on se persuader, ou même imaginer qu’il ait pu exister d’assez grands amas de matières combustibles pour avoir alimenté, pendant des siècles de siècles, des volcans multipliés en aussi grand nombre ? Cela seul suffirait pour nous indiquer que la plupart des volcans actuellement éteints n’ont été produits que par les foudres de l’électricité souterraine. Nous venons de voir, en effet, que les Pyrénées, les Alpes, l’Apennin, les monts Neptuniens en Sicile, le mont Granby en Angleterre, et les autres montagnes primitives, quartzeuses et granitiques, ont arrêté le cours des feux souterrains, comme étant, par leur nature vitreuse, imperméables au fluide électrique, dont ils ne peuvent propager l’action, ni communiquer les foudres ; et qu’au contraire tous les volcans produits par les feux ou les tonnerres souterrains ne se trouvent qu’aux environs de ces montagnes primitives, et n’ont exercé leur action que sur les schistes, les argiles, les substances calcaires et métalliques, et les autres matières de seconde formation et conductrices de l’électricité. Et, comme l’eau est un des plus puissants conducteurs du fluide électrique, ces volcans ont agi avec d’autant plus de force qu’ils se sont trouvés plus près de la mer, dont les eaux, en pénétrant dans leurs cavités, ont prodigieusement augmenté la masse des substances conductrices et l’action de l’électricité. Mais jetons encore un coup d’œil sur les autres différences remarquables qu’on peut observer dans la continuité des terrains volcanisés.

L’une des premières choses qui s’offrent à nos considérations, c’est cette immense continuité de basaltes et de laves, lesquels s’étendent, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des terrains volcanisés. Ces basaltes et ces laves, contenant une très grande quantité de matières ferrugineuses, doivent être regardés comme autant de conducteurs de l’électricité : ce sont, pour ainsi dire, des barres métalliques, c’est-à-dire des conducteurs à plusieurs centaines de lieues du fluide électrique, et qui peuvent le transmettre en un instant, de l’une à l’autre de leurs extrémités, tant à l’intérieur de la terre qu’à sa surface. L’on doit donc rapporter à cette cause les commotions et tremblements de terre qui se sont fait sentir, presque en même temps, à des distances très éloignées.

Une seconde considération très importante, c’est que tous les volcans, et surtout ceux qui sont encore actuellement agissants, portent sur des cavités dont la capacité est au moins égale au volume de leurs projections ; le monte Nuovo, voisin du Vésuve, s’est élevé presque subitement, c’est-à-dire en deux ou trois jours, dans l’année 1538, à la hauteur de plus de mille pieds, sur une circonférence de plus d’une lieue à la base ; et cette énorme masse sortie des entrailles de la terre, dans un terrain qui n’était qu’une plaine, a nécessairement laissé des cavités au moins égales à son volume : de même, il y a toute raison de croire que l’Etna, dont la hauteur est de plus de dix-huit cents toises, et la circonférence à la base de près de cinquante lieues, ne s’est élevé que par la force des foudres souterraines, et que, par conséquent, cette très énorme masse de matière projetée porte sur plusieurs cavités, dont le vide est au moins égal au volume soulevé. On peut encore citer les îles de Santorin, qui, depuis l’année 237 avant notre ère, se sont abîmées dans la mer et élevées au-dessus de la terre à plusieurs reprises, et dont les dernières catastrophes sont arrivées en 1707. « Tout l’espace, dit M. le comte de Choiseul-Gouffier, actuellement rempli par la mer, et contenu entre Santorin et Thérasia, aujourd’hui Aspro-Nyzi, faisait partie de la grande île, ainsi que Thérasia elle-même. Un immense volcan s’est allumé, et a dévoré toutes les parties intermédiaires. Je retrouve dans toute la côte de ce golfe, composée de rochers escarpés et calcinés, les bords de ce même foyer, et, si j’ose le dire, les parois internes du creuset où cette destruction s’est opérée ; mais ce qu’il faut surtout remarquer, c’est l’immense profondeur de cet abîme, dont on n’a jamais pu réussir à trouver le fond. »

Enfin nous devons encore observer, en général, que le Vésuve, l’Etna et les autres volcans, tant agissants qu’éteints, sont entourés de collines volcaniques projetées par les feux souterrains, et qui ont dû laisser à leur place des cavités égales à leur volume. Ces collines, composées de laves et de matières fondues ou projetées, sont connues en Italie sous le nom de monticolli, et elles sont si multipliées dans le royaume de Naples, que leurs bases se touchent en beaucoup d’endroits. Ainsi, le nombre des cavités ou boursouflures du globe, formées par le feu primitif, a dû diminuer par les affaissements successifs des cavernes, dont les eaux auront percé les voûtes, tandis que les feux souterrains ont produit d’autres cavités, dont nous pouvons estimer la capacité par le volume des matières projetées et par l’élévation des montagnes volcaniques.

Je serais même tenté de croire que les montagnes volcaniques des Cordillères, telles que Chimboraçao, Cotopaxi, Pichencha, Sangaï, etc., dont les feux sont actuellement agissants, et qui s’élèvent à plus de trois mille toises, ont été soulevées à cette énorme hauteur par la force de ces feux, puisque l’Etna nous offre un exemple d’un pareil soulèvement jusqu’à la hauteur de dix-huit cents toises, et dès lors, ces montagnes volcaniques des Cordillères ne doivent point être regardées comme des boursouflures primitives du globe, puisqu’elles ne sont composées ni de quartz, ni de granit, ni d’autres matières vitreuses qui auraient arrêté l’effet des foudres souterraines, de même qu’en Europe nous voyons les Alpes et les Pyrénées avoir arrêté et rompu tous les efforts de cette électricité. Il en doit être de même des montagnes volcaniques du Mexique et des autres parties du monde, où l’on trouve des volcans encore agissants.

À l’égard des volcans éteints, quoiqu’ils aient tous les caractères des volcans actuellement brûlants, nous remarquerons que les uns, tels que le Puy-de-Dôme, qui a plus de dix-huit cents toises d’élévation, le Cantal en Auvergne, qui en a près de mille, et le mont Mezin en Vivarais, dont la hauteur est à peu près égale à celle du Cantal, doivent avoir des cavités au-dessous de leurs bases, et que d’autres se sont en partie éboulés depuis qu’ils ont cessé d’agir : cette différence se remarque par celle de la forme de leurs bouches ou cratères. Le mont Mezin, le Cantal, le col d’Aisa, la coupe de Sauzac, la Gravène de mont Pesat, présentent tous des cratères d’une entière conservation, tandis que d’autres n’offrent qu’une partie de leurs bouches en entonnoir qui subsiste encore, et dont le reste s’est affaissé dans des cavités souterraines.

Mais le principal et le plus grand résultat que nous puissions tirer de tous ces faits, c’est que l’action des foudres et des feux souterrains, ayant été assez violente pour élever dans nos zones tempérées des montagnes telles que l’Etna, jusqu’à dix-huit cents toises de hauteur, nous devons cesser d’être étonnés de l’élévation des montagnes volcaniques des Cordillères jusqu’à trois mille toises. Deux fortes raisons me persuadent de la vérité de cette présomption. La première, c’est que le globe, étant plus élevé sous l’équateur, a dû, dès le premier temps de sa consolidation, former des boursouflures et des cavités beaucoup plus grandes dans les parties équatoriales que dans les autres zones, et que, par conséquent, les foudres souterraines auront exercé leur action avec plus de liberté et de puissance dans cette région, dont nous voyons en effet que les affaissements sous les eaux et les élévations au-dessus de la terre sont plus grands que partout ailleurs, parce que, indépendamment de l’étendue plus considérable des cavités, la chaleur intérieure du globe et celle du soleil ont dû augmenter encore la puissance des foudres et des feux souterrains.

La seconde raison, plus décisive encore que la première, c’est que ces volcans, dans les Cordillères, nous démontrent qu’elles ne sont pas de première formation, c’est-à-dire entièrement composées de matières vitreuses, quartzeuses ou granitiques, puisque nous sommes assurés, par la continuité des terrains volcaniques dans l’Europe entière, que jamais les foudres souterraines n’ont agi contre ces matières primitives, et qu’elles en ont partout suivi les contours sans les entamer, parce que ces matières vitreuses, n’étant point conductrices de l’électricité, n’ont pu en subir ni propager l’action. Il est donc à présumer que toutes les montagnes volcaniques, soit dans les Cordillères, soit dans les autres parties du monde, ne sont pas de première formation, mais ont été projetées ou soulevées par la force des foudres et des feux souterrains, tandis que les autres montagnes dans lesquelles, comme aux Alpes et aux Pyrénées, etc., l’on ne voit aucun indice de volcan, sont en effet les montagnes primitives, composées de matières vitreuses qui se refusent à toute action de l’électricité.

Nous ne pouvons donc pas douter que la force de l’électricité n’ait agi en toute liberté et n’ait fait de violentes explosions dans les cavités ou boursouflures occasionnées par l’action du feu primitif ; en sorte qu’on doit présumer, avec fondement, qu’il a existé des volcans dès ces premiers temps, et que ces volcans n’ont pas eu d’autre cause que l’action des foudres souterraines. Ces premiers et plus anciens volcans n’ont été, pour ainsi dire, que des explosions momentanées et dont le feu, n’étant pas nourri par les matières combustibles, n’a pu se manifester par des effets durables ; ils se sont, pour ainsi dire, éteints après leur explosion, qui néanmoins a dû projeter toutes les matières que la foudre avait frappées et déplacées. Mais lorsque, dans la suite, les eaux, les substances métalliques et autres matières volatiles sublimées par le feu et reléguées dans l’atmosphère sont tombées et se sont établies sur le globe, ces substances, toutes conductrices de l’électricité, ont pu s’accumuler dans les cavernes souterraines. Les végétaux s’étant dès lors multipliés sur les hauteurs de la terre, et les coquillages s’étant en même temps propagés et ayant pullulé au point de former par leurs dépouilles de grands amas de matières calcaires, toutes ces matières conductrices se sont de même rassemblées dans ces cavités intérieures, et dès lors, l’action des foudres électriques a dû produire des incendies durables et d’autant plus violents que ces volcans se sont trouvés plus voisins des mers dont les eaux, par leur conflit avec le feu, ont encore augmenté la force et la durée des explosions ; et c’est par cette raison que le pied de tous les volcans encore actuellement agissants se trouve voisin des mers, et qu’il n’en existe pas dans l’intérieur des continents terrestres.

On doit donc distinguer deux sortes de volcans : les premiers, sans aliments et uniquement produits par la force de l’électricité souterraine ; les seconds, alimentés par les substances combustibles. Les premiers de tous les volcans n’ont été que des explosions momentanées dans le temps de la consolidation du globe. Ces explosions peuvent nous être représentées en petit par les étincelles que lance un boulet de fer rougi à blanc en se refroidissant. Elles sont devenues plus violentes et plus fréquentes par la chute des eaux, dont le conflit avec le feu a dû produire de plus fortes secousses et des ébranlements plus étendus. Ces premiers et plus anciens volcans ont laissé des bouches ou cratères autour desquels se trouvent des laves et autres matières fondues par les foudres, de la même manière que la force électrique mise en jeu par nos faibles instruments fond ou calcine toutes les matières sur lesquelles elle est dirigée.

Il y a donc toute apparence que, dans le nombre infini de volcans éteints qui se trouvent à la surface de la terre, la plupart doivent être rapportés aux premières époques des révolutions du globe après sa consolidation, pendant lesquelles ils n’ont agi que par moments et par l’effet subit des foudres souterraines, dont la violence a soulevé les montagnes et entr’ouvert les premières couches de la terre avant que la nature n’eût produit assez de végétaux, de pyrites et d’autres substances combustibles pour servir d’aliment aux volcans durables, tels que ceux qui sont encore actuellement agissants.

Ce sont aussi ces foudres électriques souterraines qui causent la plupart des tremblements de terre. Je dis la plupart, car la chute et l’affaissement subit des cavernes intérieures du globe produisent aussi des mouvements qui ne se font sentir qu’a de petites distances : ce sont plutôt des trépidations que de vrais tremblements, dont les plus fréquents et les plus violents doivent se rapporter aux commotions produites par les foudres électriques, puisque ces tremblements se font souvent sentir, presque au même moment, à plus de cent lieues de distance et dans tout l’espace intermédiaire. C’est le coup électrique qui se propage subitement et aussi loin que s’étendent les corps qui peuvent lui servir de conducteurs. Les secousses occasionnées par ces tonnerres souterrains sont quelquefois assez violentes pour bouleverser les terres en les élevant ou les abaissant, et changer en même temps la position des sources et la direction des cours d’eau.

Lorsque cette force de l’électricité agit à la surface du globe, elle ne se manifeste pas uniquement par des foudres, par des commotions et par les autres effets que nous venons d’exposer. Elle paraît changer de nature et produit de nouveaux phénomènes. En effet, elle se modifie pour donner naissance à une nouvelle force à laquelle on a donné le nom de magnétisme ; mais le magnétisme, bien moins général que l’électricité, n’agit que sur les matières ferrugineuses et ne se montre que par les effets de l’aimant et du fer, lesquels seuls peuvent fléchir et attirer une portion du courant universel et électrique, qui se porte directement et en sens contraire de l’équateur aux deux pôles.

Telle est donc l’origine des diverses forces, tant générales que particulières, dont nous venons de parler. L’attraction, en agissant en sens contraire de sa direction, a produit l’électricité ; et nous allons voir que le magnétisme n’est qu’une modification particulière de cette électricité générale, qui se fléchit dans son cours vers les matières ferrugineuses.

Nous ne connaissons toutes ces forces que par leurs effets ; les uns sont constants et généraux, les autres paraissent être variables et particuliers. La force d’attraction est universellement répandue, elle réside dans tout atome de matière et s’étend dans le système entier de l’univers, tandis que celle qui produit l’électricité agit à l’intérieur et s’étend à la surface du globe terrestre, mais n’affecte pas tous les corps de la même manière. Néanmoins, cette force électrique est encore plus générale que la force magnétique, qui n’appartient à aucune autre substance qu’à l’aimant et au fer.

Ces deux forces particulières ont des propriétés communes avec celles de l’attraction universelle. Toutes trois agissent à plus ou moins de distance, et les effets du magnétisme et de l’électricité sont toujours combinés avec l’effet général de l’attraction qui appartient à toute matière, et qui, par conséquent, influe nécessairement sur l’action de ces deux forces, dont les effets comparés entre eux peuvent être semblables ou différents, variables ou constants, fugitifs ou permanents, et souvent paraître opposés ou contraires à l’action de la force universelle. Car, quoique cette force d’attraction s’exerce sans cesse en tout et partout, elle est vaincue par celle de l’électricité et du magnétisme, toutes les fois que ces forces agissent avec assez d’énergie pour surmonter l’effet de l’attraction qui n’est jamais que proportionnel à la masse des corps.

Les effets de l’électricité et du magnétisme sont produits par des forces impulsives particulières, qu’on ne doit point assimiler à l’impulsion ou répulsion primitive : celle-ci s’exerce dans l’espace vide et n’a d’autre cause que l’attraction qui force toute matière à se rapprocher pour se réunir. L’électricité et le magnétisme supposent, au contraire, des impulsions particulières, causées par un fluide actif qui environne les corps électriques et magnétiques et qui doit les affecter différemment, suivant leur différente nature.

Mais quel est ou peut être l’agent ou le moyen employé par la nature pour déterminer et fléchir l’électricité du globe en magnétisme vers le fer, de préférence à toute autre masse minérale ou métallique ? Si les conjectures, ou même de simples vues, sont permises sur un objet qui, par sa profondeur et son ancienneté contemporaine des premières révolutions de la terre, semble devoir échapper à nos regards et même à l’œil de l’imagination, nous dirons que la matière ferrugineuse, plus difficile à fondre qu’aucune autre, s’est établie sur le globe avant toute autre substance métallique et que, dès lors, elle fut frappée la première et avec le plus de force et de durée par les flammes du feu primitif : elle dut donc en contracter la plus grande affinité avec l’élément du feu, affinité qui se manifeste par la combustibilité du fer et par la prodigieuse quantité d’air inflammable ou fer fixe qu’il rend dans ses dissolutions, et par conséquent de toutes les matières que l’électricité du globe peut affecter ; le fer, comme ayant spécialement plus d’affinité avec ce fluide de feu et avec les forces dont il est l’âme, en ressent et marque mieux tous les mouvements, tant de direction que d’inflexion particulière, dont néanmoins les effets sont tous subordonnés à la grande action et à la direction générale du fluide électrique de l’équateur vers les pôles.

Car il est certain que, s’il n’y avait point de fer sur la terre, il n’y aurait ni aimant ni magnétisme, et que la force électrique n’en existerait ni ne subsisterait pas moins, avec sa direction constante et générale de l’équateur aux pôles ; et il est tout aussi certain que le cours de ce fluide se fait en deux sens opposés, c’est-à-dire de l’équateur aux deux pôles terrestres, en se resserrant et s’inclinant, comme les méridiens se resserrent et s’inclinent sur le globe ; et l’on voit seulement que la direction magnétique, quoique soumise à cette grande loi, reçoit des inflexions dépendantes de la position des grandes masses de matières ferrugineuses et de leur gisements dans les différents continents.

En comparant les effets de l’action d’une petite masse d’aimants avec ceux que produit la masse entière du globe terrestre, il paraît que ce globe possède en grand toutes les propriétés dont les aimants ne jouissent qu’en petit. Cependant la masse du globe entier n’est pas, comme les petites masses de l’aimant, composée de matières ferrugineuses ; mais on peut dire que sa surface entière est mêlée d’une grande quantité de fer magnétique, puisque toutes les mines primitives sont attirables à l’aimant, et que de même les basaltes, les laves et toutes les mines secondaires, revivifiées par le feu et par les coups de la foudre souterraine, sont également magnétiques. C’est cette continuité de matière ferrugineuse magnétique sur la surface de la terre qui a produit le magnétisme général du globe, dont les effets sont semblables à ceux du magnétisme particulier d’une pierre d’aimant. Et c’est de l’électricité générale du globe que provient l’électricité particulière ou magnétisme de l’aimant. D’ailleurs la force magnétique n’ayant d’action que sur la matière ferrugineuse, ce serait méconnaître la simplicité des lois de la nature, que de la charger d’un petit procédé solitaire, et d’une force isolée qui ne s’exercerait que sur le fer. Il me paraît donc démontré que le magnétisme, qu’on regardait comme une force particulière et isolée, dépend de l’électricité, dont il n’est qu’une modification occasionnée par le rapport unique de son action avec la nature du fer.

Et même, quoique le magnétisme n’appartienne qu’à la matière ferrugineuse, on ne doit pas le regarder comme une des propriétés essentielles de cette matière, car ce n’est qu’une simple qualité accidentelle que le fer acquiert ou qu’il perd, sans aucun changement et sans augmentation ni déperdition de sa substance. Toute matière ferrugineuse qui aura subi l’action du feu prendra du magnétisme par le frottement, par la percussion, par tout choc, toute action violente de la part des autres corps ; encore n’est-il pas nécessaire d’avoir recours à une force extérieure pour donner au fer cette vertu magnétique, car il la prend aussi de lui-même, sans être ni frappé, ni mû, ni frotté ; il la prend dans l’état du plus parfait repos, lorsqu’il reste constamment dans une certaine situation, exposé à l’action du magnétisme général, car dès lors il devient aimant en assez peu de temps. Cette force magnétique peut donc agir sur le fer sans être aidée d’aucune autre force motrice, et, dans tous les cas, elle s’en saisit sans en étendre le volume et sans en augmenter ni diminuer la masse.

Nous avons parlé de l’aimant, comme des autres matières ferrugineuses, à l’article du fer ; mais nous nous sommes réservé d’examiner de plus près ce minéral magnétique qui, quoique aussi brut qu’aucun autre, semble tenir à la nature active et sensible des êtres organisés : l’attraction, la répulsion de l’aimant, sa direction vers les pôles du monde, son action sur les corps animés, et la faculté qu’il a de communiquer toutes ses propriétés sans en perdre aucune, sans que ses forces s’épuisent, et même sans qu’elles subissent le moindre affaiblissement, toutes ces qualités, réunies ou séparées, paraissent être autant de vertus magiques, et sont au moins des attributs uniques, des singularités de nature d’autant plus étonnantes qu’elles semblent être sans exemple, et que, n’ayant été jusqu’ici que mal connues, peu comparées, on a vainement tenté d’en deviner les causes.

Les philosophes anciens, plus sages, quoique moins instruits que les modernes, n’ont pas eu la vaine prétention de vouloir expliquer par des causes mécaniques tous les effets de la nature ; et, lorsqu’ils ont dit que l’aimant avait des affections d’amour et de haine, ils indiquaient seulement, par ces expressions, que la cause de ces affections de l’aimant devait avoir quelque rapport avec la cause qui produit de semblables affections dans les êtres sensibles. Et peut-être se trompaient-ils moins que les physiciens récents qui ont voulu rapporter les phénomènes magnétiques aux lois de notre mécanique grossière. Aussi tous leurs efforts, tous leurs raisonnements, appuyés sur des suppositions précaires, n’ont abouti qu’a démontrer l’erreur de leurs vues dans le principe, et l’insuffisance de leurs moyens d’explication. Mais, pour mieux connaître la nature du magnétisme et sa dépendance de l’électricité, comparons les principaux effets de ces deux forces en présentant d’abord tous les faits semblables ou analogues, et sans dissimuler ceux qui paraissent différents ou contraires.

L’action du magnétisme et celle de l’électricité sont également variables, tantôt en plus, tantôt en moins ; et leurs variations particulières dépendent en grande partie de l’état de l’atmosphère. Les phénomènes électriques que nous pouvons produire augmentent en effet ou diminuent de force, et même sont quelquefois totalement supprimés, suivant qu’il y a plus ou moins d’humidité dans l’air, que le fluide électrique est plus ou moins répandu dans l’atmosphère, et que les nuages orageux y sont plus ou moins accumulés. De même les barres de fer, que l’on veut aimanter par la seule exposition aux impressions du magnétisme général, acquièrent plus ou moins promptement la vertu magnétique, suivant que le fluide électrique est plus ou moins abondant dans l’atmosphère ; et les aiguilles des boussoles éprouvent des variations, tant périodiques qu’irrégulières, qui ne paraissent dépendre que du plus ou moins de force de l’électricité de l’air.

L’aimant primordial n’est qu’une matière ferrugineuse qui, ayant d’abord subi l’action du feu primitif, s’est ensuite aimantée par l’impression du magnétisme du globe ; et, en général, la force magnétique n’agit que sur le fer ou sur les matières qui en contiennent ; de même la force électrique ne se produit que dans certaines matières, telles que l’ambre, les résines, les verres et les autres substances qu’on appelle électriques par elles-mêmes, quoiqu’elle puisse se communiquer à tous les corps.

Les aimants ou fers aimantés s’attirent mutuellement dans un sens, et se repoussent réciproquement dans le sens opposé : cette répulsion et cette attraction sont plus sensibles lorsqu’on approche l’un de l’autre leurs pôles de même nom ou de différent nom. Les verres, les résines et les autres corps électriques par eux-mêmes ont aussi, dans plusieurs circonstances, des parties polaires, des portions électrisées en plus et d’autres en moins, dans lesquelles l’attraction et la répulsion se manifestent par des effets constants et bien distincts.

Les forces électrique et magnétique s’exercent également en sens opposé et en sens direct ; et leur réaction est égale à leur action.

On peut, en armant les aimants d’un fer qui les embrasse, diriger ou accumuler sur un ou plusieurs points la force magnétique ; on peut de même, par le moyen des verres et des résines, ainsi qu’en isolant les substances conductrices de l’électricité, diriger et condenser la force électrique, et ces deux forces électrique et magnétique peuvent être également dispersées, changées ou supprimées à volonté. La force de l’électricité et celle du magnétisme peuvent de même se communiquer aux matières que l’on approche des corps dans lesquels on a excité ces forces.

Souvent, pendant l’orage, l’électricité des nuées a troublé la direction de l’aiguille de la boussole[8] ; et même l’action de la foudre aérienne a influé quelquefois sur le magnétisme, au point de détruire et de changer tout à coup d’un pôle à l’autre la direction de l’aimant[9].

Une forte étincelle électrique, et l’action du tonnerre, paraissent également donner la vertu magnétique aux corps ferrugineux et la vertu électrique aux substances que la nature a rendues propres à recevoir immédiatement l’électricité, telles que les verres et les résines. M. le chevalier de Rozières, capitaine au corps royal du génie, est parvenu à aimanter des barres d’acier, en tirant des étincelles par le bout opposé à celui qui recevait l’électricité, sans employer les commotions plus ou moins fortes des grandes batteries électriques[10], et même sans en tirer des étincelles, et seulement en les électrisant pendant plusieurs heures de suite[11].

Des bâtons de soufre ou de résine qu’on laisse tomber, à plusieurs reprises, sur un corps dur, acquièrent la vertu électrique, de même que des barres de fer, qu’on laisse tomber plusieurs fois de suite d’une certaine hauteur, prennent du magnétisme par l’effet de leurs chutes réitérées[12].

On peut imprimer la vertu magnétique à une barre de fer, de telle sorte qu’elle présente une suite de pôles alternativement opposés : on peut également électriser une lame ou un tube de verre, de manière qu’on y remarque une suite de pôles alternativement opposés[13].

Lorsqu’une barre de fer s’aimante par sa seule proximité avec l’aimant, l’extrémité de cette barre qui en est la plus voisine acquiert un pôle opposé à celui que l’aimant lui présente. De même, une barre de fer isolée peut recevoir deux électricités opposées par le voisinage d’un corps électrisé ; le bout qui est le plus proche de ce corps jouit, comme dans l’aimant, d’une force opposée à celle dont il subit l’action.

Les matières ferrugineuses réduites en rouille, en ocre, et toutes les dissolutions du fer par l’acide aérien ou par les autres acides, ne peuvent recevoir la vertu magnétique ; et de même ces matières ferrugineuses ne peuvent, dans cet état de dissolution, acquérir la vertu électrique.

Si l’on suspend une lame de verre, garnie à ses deux bouts de petites plaques de métal, dont l’une sera électrisée en plus, l’autre en moins, et si cette lame, ainsi préparée, peut se mouvoir librement lorsqu’on en approchera un corps électrique, qui jouit aussi des deux électricités, la lame de verre présentera les mêmes phénomènes qu’une aiguille aimantée présente auprès d’un aimant[14].

Les fortes étincelles électriques revivifient les chaux de fer, et leur rendent la propriété d’être attirées par l’aimant[15]. Les foudres souterraines et aériennes revivifient de même, à l’intérieur et à la surface de la terre, une prodigieuse quantité de matières ferrugineuses, réduites en chaux par les éléments humides.

La plupart des schorls, et particulièrement la tourmaline, présentent des phénomènes électriques qui ont la plus grande analogie avec ceux de l’aimant[16]. Lorsque ces matières ont été chauffées ou frottées, elles ont, pour ainsi dire, des parties polaires dont les unes sont électrisées en plus et les autres en moins, et qui attirent ou repoussent les corps électrisés.

Les aurores polaires qui, comme nous l’avons dit, ne sont que des lumières électriques, influent plus qu’aucune autre affection de l’atmosphère sur les variations de l’aiguille aimantée. Les observations de MM. Vanswsinden et de Cassini ne permettent plus de douter de ce fait[17].

Les personnes dont les nerfs sont délicats, et sur lesquelles l’électricité agit d’une manière si marquée, reçoivent aussi du magnétisme des impressions assez sensibles ; car l’aimant peut, en certaines circonstances, suspendre et calmer les irritations nerveuses, et apaiser les douleurs aiguës. L’action de l’aimant, qui, dans ce cas, est calmante et même engourdissante, semble arrêter le cours et fixer pour un temps le mouvement trop rapide ou déréglé des torrents de ce fluide électrique qui, quand il est sans frein, ou se trouve sans mesure dans le corps animal, en irrite les organes et l’agite par des mouvements convulsifs.

Il existe des animaux dans lesquels, indépendamment de l’électricité vitale qui appartient à tout être vivant, la nature a établi un organe particulier d’électricité, et, pour ainsi dire, un sens électrique et magnétique. La torpille[18], l’anguille électrique de Surinam, le trembleur du Niger[19], semblent réunir et concentrer dans une même faculté la force de l’électricité et celle du magnétisme. Ces poissons, électriques et magnétiques, engourdissent les corps vivants qui les touchent ; et, suivant M. Schilling et quelques autres observateurs, ils perdent cette propriété lorsqu’on les touche eux-mêmes avec l’aimant. Il leur ôte la faculté d’engourdir, et on leur rend cette vertu en les touchant avec du fer, auquel se transporte le magnétisme qu’ils avaient reçu de l’animal. Ces mêmes poissons, électriques et magnétiques, agissent sur l’aimant et font varier l’aiguille de la boussole[20] ; mais ce qui prouve évidemment la présence de l’électricité dans ces animaux, c’est qu’on voit paraître des étincelles électriques dans les intervalles que laissent les conducteurs métalliques avec lesquels on les touche. M. Walsch a fait cette expérience, devant la Société royale de Londres, sur l’anguille de Surinam, dont la force électrique paraît être plus grande que celle de la torpille, dans laquelle cette action est peut-être trop faible pour produire des étincelles[21]. Et ce qui démontre encore que la commotion produite par ces poissons n’est point un effet mécanique, comme l’ont pensé quelques physiciens, mais un phénomène électrique, c’est qu’elle se propage au travers des fluides et se communique, par le moyen de l’eau, à plusieurs personnes à la fois[22].

Or, ces étincelles et cette commotion, plus ou moins violentes, que font éprouver ces poissons, sont vraiment des effets de l’électricité, que l’on ne peut attribuer en aucune manière au simple magnétisme, puisque aucun aimant, tant naturel qu’artificiel, n’a fait éprouver de secousses sensibles, ni produit aucune étincelle ; d’un autre côté, les commotions que donnent les torpilles, l’anguille électrique de Surinam et le trembleur du Niger, étant très fortes, lorsque ces poissons sont dans l’eau des mers ou des grands fleuves, on peut d’autant moins la considérer comme un phénomène purement électrique, que les effets de l’électricité s’affaiblissent avec l’humidité de l’air qui la dissipe, et ne peuvent jamais être excités lorsqu’on mouille les machines qui la produisent. Les vases de verre électrisés que l’on a appelés bouteilles de Leyde, et par le moyen desquels on reçoit les secousses les plus fortes, se déchargent et perdent leur vertu, dès le moment qu’ils sont entièrement plongés dans l’eau : cette eau, en faisant communiquer ensemble les deux surfaces intérieure et extérieure, rétablit l’équilibre dont la rupture est la seule cause du mouvement, et par conséquent de la force du fluide électrique. Si l’on remarque donc des effets électriques dans les torpilles, l’on doit supposer, d’après les modifications de ces effets, que l’électricité n’y existe pas seule, et qu’elle y est réunie avec le magnétisme, de manière à y subir une combinaison qui augmente, diminue ou altère sa puissance, et il paraît que ces deux forces électrique et magnétique qui, lorsqu’elles sont séparées l’une de l’autre, sont plus ou moins actives ou presque nulles, suivant l’état de l’atmosphère, le sont également lorsqu’elles sont combinées dans ces poissons ; mais peut-être aussi la diversité des saisons, ainsi que les différents états de ces animaux, influent-ils sur l’action de leurs forces électrique et magnétique. Plusieurs personnes ont en effet manié des torpilles, sans en recevoir aucune secousse. M. le comte de Lacépède étant à La Rochelle, en octobre 1877, voulut éprouver la vertu de quelques torpilles, que MM. de l’Académie de La Rochelle avaient fait pêcher ; elles étaient bien vivantes et paraissaient très vigoureuses ; cependant, de quelque manière qu’on les touchât, soit immédiatement avec la main, soit avec des barreaux de fer ou d’autres matières, et sur quelque partie de leur corps qu’on portât l’attouchement, dans l’eau ou hors de l’eau, aucun des assistants à l’expérience ne ressentit la moindre commotion. Il paraît donc que ces poissons ne sont pas électriques dans tout les temps, et que cette propriété, qui n’est pas constante, dépend des circonstances, et peut-être de la saison ou du temps auxquels ces animaux doivent répandre leurs œufs et leur frai ; et nous ne pouvons rien dire de la cause de ces alternatives d’action et d’inaction, faute d’observations assez suivies sur ces poissons singuliers.

Cette combinaison des deux forces électrique et magnétique, que la nature paraît avoir faite dans quelques êtres vivants, doit faire espérer que nous pourrons les réunir par l’art, et peut-être en tirer des secours efficaces dans certaines maladies, et particulièrement dans les affections nerveuses.

Les deux forces électrique et magnétique ont en effet été employées séparément avec succès pour la guérison ou le soulagement de plusieurs maux douloureux. Quelques physiciens[23], particulièrement M. Mauduit, de la Société royale de médecine, ont guéri des maladies par le moyen de l’électricité[24], et M. l’abbé le Noble, qui s’occupe avec succès, depuis longtemps, des effets du magnétisme sur le corps humain, et qui est parvenu à construire des aimants artificiels beaucoup plus forts que tous ceux qui étaient déjà connus, a employé très heureusement l’application de ces mêmes aimants pour le soulagement de plusieurs maux. Nous croyons devoir placer, dans la note ci-après, un extrait du rapport fait par MM. les commissaires de la Société royale de médecine, au sujet des travaux utiles de ce physicien, qui les continue avec zèle, et d’une manière d’autant plus louable qu’il les consacre gratuitement au soulagement des malheureux[25].

Nous avons cru devoir y placer aussi quelques détails relatifs aux divers succès que M. l’abbé le Noble a obtenus depuis la publication du rapport de MM. de la Société royale, et qu’il nous a communiqués lui-même.

Les premiers physiciens qui ont voulu rechercher les rapports analogues des forces magnétique et électrique essayèrent de rapporter l’électricité, qu’on venait en quelque sorte de découvrir, au magnétisme dont on connaissait depuis longtemps les grands phénomènes. Des physiciens récents ont, avec plus de fondement, attribué ce même magnétisme à l’électricité qu’ils connaissaient mieux ; mais ni les uns ni les autres n’ont fait assez d’attention aux différences de l’action de ces deux forces, dont nous venons d’exposer les relations analogues, et qui néanmoins diffèrent par plusieurs rapports, et notamment par les directions particulières que ces forces suivent ou qu’elles prennent d’elles-mêmes[26]. Car la direction du magnétisme se combine avec le gisement des continents, et se détermine par la position particulière des mines de fer et d’aimant, des chaînes de laves, de basaltes, et de toutes les matières ferrugineuses qui ont subi l’action du feu ; et c’est par cette raison que la force magnétique a autant de différentes directions qu’il y a de pôles magnétiques sur le globe, au lieu que la direction de l’électricité ne varie point, et se porte constamment de l’équateur aux deux pôles terrestres. Les glaces, qui recouvrent les régions polaires des deux hémisphères du globe, doivent déterminer puissamment le fluide électrique vers ces régions polaires où il manque, et vers lesquelles il doit se porter, pour obéir aux lois générales de l’équilibre des fluides, au lieu que la glace n’influe pas sur le magnétisme, qui ne reçoit d’inflexions que par son rapport particulier avec les masses de l’aimant et du fer.

De plus, il n’y a des rapports semblables et bien marqués qu’entre les aimants et les corps électriques par eux-mêmes ; et l’on ne connaît point de substances sur lesquelles le magnétisme produise des effets pareils à ceux que l’électricité produit sur les substances qui ne peuvent être électrisées que par communication. D’ailleurs, le magnétisme ne se communique pas de la même manière que l’électricité dans beaucoup de circonstances, puisque la communication du magnétisme ne diminue pas la force des aimants, tandis que la communication de l’électricité détruit la vertu des corps qui la produisent.

On peut donc dire que tous les effets magnétiques ont leurs analogues dans les phénomènes de l’électricité ; mais on doit convenir en même temps que tous les phénomènes électriques n’ont pas de même tous leurs analogues dans les effets magnétiques : ainsi, nous ne pouvons plus douter que la force particulière du magnétisme ne dépende de la force générale de l’électricité, et que tous les effets de l’aimant ne soient des modifications de cette force électrique[27]. Et ne pouvons-nous pas considérer l’aimant comme un corps perpétuellement électrique, quoiqu’il ne possède l’électricité que d’une manière particulière, à laquelle on a donné le nom de magnétisme ? La nature des matières ferrugineuses, par son affinité avec la substance du feu, est assez puissante pour fléchir la direction du cours de l’électricité générale, et même pour en ralentir le mouvement en le déterminant vers la surface de l’aimant. La lenteur de l’action magnétique, en comparaison de la violente rapidité de chocs électriques, nous représente en effet un fluide qui, tout actif qu’il est, semble néanmoins être ralenti, suspendu, et, pour ainsi dire, assoupi dans son cours.

Ainsi, je le répète, les principaux effets du magnétisme se rapprochent par une analogie marquée de ceux de l’électricité, et le grand rapport de la direction générale et commune des forces électrique et magnétique, de l’équateur aux deux pôles, les réunit encore de plus près, et semble même les identifier[28].

Si la vertu magnétique était une force résidente dans le fer ou dans l’aimant, et qui leur fût inhérente et propre, on ne pourrait la trouver ou la prendre que dans l’aimant même, ou dans le fer actuellement aimanté ; et il ne serait pas possible de l’exciter, ou de la produire par un autre moyen ; mais la percussion, le frottement, et même la seule exposition aux impressions de l’atmosphère, suffisent pour donner au fer cette vertu magnétique ; preuve évidente qu’elle dépend d’une force extérieure qui s’applique, ou plutôt flotte à sa surface et se renouvelle sans cesse.

En considérant les phénomènes de la direction de l’aimant, on voit que les forces qui produisent et maintiennent cette direction se portent généralement de l’équateur aux pôles terrestres, avec des variations dont les unes ne sont qu’alternatives d’un jour à l’autre, et s’opèrent par des oscillations momentanées et passagères, produites par les variations de l’état de l’air, soit par la chaleur ou le froid, soit par les vents, les orages, les aurores boréales ; les autres sont des variations en déclinaison et en inclinaison, dont les causes, quoique également accidentelles, sont plus constantes, et dont les effets ne s’opèrent qu’en beaucoup plus de temps ; et tous ces effets sont subordonnés à la cause générale, qui détermine la direction de la force électrique de l’équateur vers les pôles.

En examinant attentivement les inflexions que la direction générale de l’électricité et du magnétisme éprouve de toutes ces causes particulières, on reconnaît, d’après les observations récentes et anciennes, que les grandes variations du magnétisme ont une marche progressive du nord à l’est ou à l’ouest, dans certaines périodes de temps, et que la force magnétique a, dans sa direction, différents points de tendance ou de détermination que l’on doit regarder comme autant de pôles magnétiques vers lesquels, selon le plus ou moins de proximité, se fléchit la direction de la force générale qui tend de l’équateur aux deux pôles du globe.

Ce mouvement en déclinaison ne s’opère que lentement ; et cette déclinaison paraissant être assez constante pendant quelques années, on peut regarder les observations faites depuis douze à quinze ans comme autant de déterminations assez justes de la position des lieux où elles ont été faites. Je joins ici les tables de ces observations, et j’en ai rédigé les principaux résultats en cartes magnétiques qui seront très utiles à la navigation, si la déclinaison n’a que peu ou point changé depuis douze à quinze ans : ces tables donneront connaissance aux navigateurs de tous les points où cette déclinaison a été récemment observée, et par conséquent de tous les lieux relatifs à ces observations.

On doit réunir aux phénomènes de la déclinaison de l’aimant ceux de son inclinaison ; ils nous démontrent que la force magnétique prend, à mesure que l’on approche des pôles, une tendance de plus en plus approchante de la perpendiculaire à la surface du globe, et cette inclinaison, quoiqu’un peu modifiée par la proximité des pôles magnétiques qui déterminent la déclinaison, nous paraîtra cependant beaucoup moins irrégulière dans sa marche progressive vers les pôles terrestres, et plus constante que la déclinaison dans les mêmes lieux en différents temps.

Pour se former une idée nette de cette inclinaison de l’aimant, il faut se représenter la figure de la terre, renflée sous l’équateur et abaissée sous les pôles, ce qui fait une courbure dont les degrés ne sont point tous égaux comme ceux d’une sphère parfaite ; il faut en même temps concevoir que le mouvement qui tend de l’équateur aux pôles doit suivre cette courbure et que, par conséquent, sa direction n’est pas simplement horizontale, mais toujours inclinée de plus en plus en partant de l’équateur pour arriver aux pôles.

Cette inclinaison de l’aimant ou de l’aiguille aimantée démontre donc évidemment que la force qui produit ce mouvement suit la courbure de la surface du globe, de l’équateur dont elle part, jusqu’aux pôles où elle arrive ; si l’inclinaison de l’aiguille n’était pas dérangée par l’action des pôles magnétiques, elle serait donc toujours très petite ou nulle dans les régions voisines de l’équateur, et très grande ou complète, c’est-à-dire de 90 degrés dans les parties polaires.

En recherchant quel peut être le nombre des pôles magnétiques actuellement existants sur le globe, nous trouverons qu’il doit y en avoir deux dans chaque hémisphère ; et, de fait, les observations des navigateurs prouvent qu’il y a sur la surface du globe trois espaces plus ou moins étendus, trois bandes plus ou moins larges, dans lesquelles l’aiguille aimantée se dirige vers le nord, sans décliner d’aucun côté. Or, une bande sans déclinaison ne peut exister que dans deux circonstances : la première, lorsque cette bande suit la direction du pôle magnétique au pôle terrestre ; la seconde, lorsque cette bande se trouve à une distance de deux ou de plusieurs pôles magnétiques, telle que les forces de ces pôles se compensent et se détruisent mutuellement. Car, dans ces deux cas, le courant magnétique ne peut que suivre le courant général du fluide électrique et se diriger vers le pôle terrestre ; et l’aiguille aimantée ne déclinera dès lors d’aucun côté. D’après cette considération, on pourra voir aisément, en jetant les yeux sur un globe terrestre, qu’un pôle magnétique ne peut produire dans un hémisphère que deux bandes sans déclinaison, séparées l’une de l’autre par la moitié de la circonférence du globe. S’il y a deux pôles magnétiques, l’on pourra observer quatre bandes sans déclinaison, chaque pôle pouvant en produire deux par son action particulière ; mais alors ces quatre bandes ne seront pas placées sur la même ligne que les pôles magnétiques et le pôle de la terre ; elles seront aux endroits où les puissances des deux pôles magnétiques seront combinées avec leurs distances de manière à se détruire. Ainsi, une et deux bandes sans déclinaison ne supposent qu’un seul pôle magnétique ; trois et quatre bandes sans déclinaison en supposent deux ; et, s’il se trouvait sur le globe cinq ou six bandes sans déclinaison, elles indiqueraient trois pôles magnétiques dans chaque hémisphère. Mais, jusqu’à ce jour, l’on n’a reconnu que trois bandes sans déclinaison, lesquelles s’étendent toutes trois dans les deux hémisphères ; nous sommes par conséquent fondés à n’admettre aujourd’hui que deux pôles magnétiques dans l’hémisphère boréal, et deux autres dans l’hémisphère austral ; et, si l’on connaissait exactement la position et le nombre de ces pôles magnétiques, on pourrait bientôt parvenir à se guider sur les mers sans erreur.

On a tort de dire que les hommes donnent trop à la vaine curiosité : c’est aux besoins, à la nécessité, que les sciences et les arts doivent leur naissance et leurs progrès. Pourquoi trouvons-nous les observations magnétiques si multipliées sur les mers, et en si petit nombre sur les continents ? C’est que ces observations ne sont pas nécessaires pour voyager sur terre, mais que les navigateurs ne peuvent s’en passer ; néanmoins il serait très utile de les multiplier sur terre ; ce qui d’ailleurs serait plus facile que sur mer. Sans ce travail, auquel on doit inviter les physiciens de tous pays, on ne pourra jamais former une théorie complète sur les grandes variations de l’aiguille aimantée, ni par conséquent établir une pratique certaine et précise sur l’usage que les marins peuvent faire de leurs différentes boussoles. Cependant, en s’occupant à compléter les tables des observations, on pourra faire des cartes magnétiques plus étendues que celles que nous publions aujourd’hui, et qui indiqueraient aux navigateurs leur situation plus précisément qu’on ne l’a fait jusqu’ici par aucune autre méthode.

Les effets du magnétisme se manifestent, ou du moins peuvent se reconnaître dans toutes les parties du globe, et partout où l’on veut les exciter ou les produire : la force électrique, toujours présente, semble n’attendre, pour agir et pour produire la vertu magnétique, que d’y être déterminée par la combinaison des moyens de l’art, ou par les combinaisons plus grandes de la nature ; et, malgré ses variations, le magnétisme est encore assujetti à la loi générale qui porte et dirige la marche du fluide électrique vers les pôles de la terre.

Si les forces magnétique et électrique étaient simples, comme celles de la gravitation, elles ne produiraient aucun mouvement composé ; la direction en serait toujours droite, sans déclinaison ni inclinaison, et tous les effets en seraient aussi constants qu’ils sont variables.

L’attraction, la répulsion de l’aimant, son mouvement, tant en déclinaison qu’en inclinaison, démontrent donc que l’effet de cette force magnétique est un mouvement composé, une impulsion différemment dirigée ; et cette force magnétique agissant, tantôt en plus, tantôt en moins, comme la force électrique, et se dirigeant de même de l’équateur aux deux pôles, pouvons-nous douter que le magnétisme ne soit une modification, une affection particulière de l’électricité, sans laquelle il n’existerait pas ?

Les effets de cette force magnétique, étant moins généraux que ceux de l’électricité, peuvent montrer plus aisément la direction de cette force électrique. Cette direction, vers les pôles, nous est démontrée en effet par celle de l’aiguille aimantée, qui s’incline de plus en plus, et en sens contraire, vers les pôles terrestres. Et ce qui prouve encore que le magnétisme n’est qu’un effet de cette force électrique, qui s’étend de l’équateur aux pôles, c’est que des barres de fer ou d’acier, placées dans la direction de ce grand courant, acquièrent, avec le temps, une vertu magnétique plus ou moins sensible, qu’elles n’obtiennent qu’avec peine, et qu’elles ne reçoivent même en aucune manière, lorsqu’elles sont situées dans un plan trop éloigné de la direction, tant en déclinaison qu’en inclinaison, du grand courant électrique. Ce courant général, qui part de l’équateur pour se rendre aux pôles, est souvent troublé par des courants particuliers dépendants de causes locales et accidentelles. Lorsque, par exemple, le fluide électrique a été accumulé par diverses circonstances dans certaines portions de l’intérieur du globe, il se porte avec plus ou moins de violence, de ces parties où il abonde, vers les endroits où il manque. Il produit ainsi des foudres souterraines, des commotions plus ou moins fortes, des tremblements de terre plus ou moins étendus. Il se forme alors, non seulement dans l’intérieur, mais même à la surface des terrains remués par ces secousses, un courant électrique qui suit la même direction que la commotion souterraine, et cette force accidentelle se manifeste par la vertu magnétique que reçoivent des barres de fer ou d’acier, placées dans le même sens que ce courant passager et local. L’action de cette force particulière peut être non seulement égale, mais même supérieure à celle de l’électricité générale qui va de l’équateur aux pôles. Si l’on place en effet des barres de fer, les unes dans le sens du courant général de l’équateur aux pôles, et les autres dans la direction du courant particulier, dépendant de l’accumulation du fluide électrique dans l’intérieur du globe, et qui produit le tremblement de terre, ce dernier courant, dont l’effet est cependant instantané, et ne doit guère durer plus longtemps que les foudres souterraines qui le produisent, donne la vertu magnétique aux barres qui se trouvent dans sa direction, quelque angle qu’elles fassent avec le méridien magnétique, tandis que des barres entièrement semblables, et situées depuis un très long temps dans le sens de ce méridien, ne présentent aucun signe de la plus faible aimantation[29]. Ce dernier fait, qui est important, démontre le rapport immédiat du magnétisme et de l’électricité, et prouve en même temps que le fluide électrique est non seulement la cause de la plupart des tremblements de terre, mais qu’il produit aussi l’aimantation de toutes les matières ferrugineuses sur lesquelles il exerce son action.

Rassemblant donc tous les rapports entre les phénomènes, toutes les convenances entre les principaux effets du magnétisme et de l’électricité, il me semble qu’on ne peut pas se refuser à croire qu’ils sont produits par une seule et même cause, et je suis persuadé que si l’on réfléchit sur la théorie que je viens d’exposer, on en reconnaîtra clairement l’identité. Simplifier les causes, et généraliser les effets, doit être le but du physicien, et c’est aussi tout ce que peut le génie aidé de l’expérience et guidé par les observations.

Or, nous sommes aujourd’hui bien assurés que le globe terrestre a une chaleur qui lui est propre, et qui s’exhale incessamment par des émanations perpendiculaires à sa surface ; nous savons que ces émanations sont constantes, très abondantes dans les régions voisines de l’équateur, et presque nulles dans les climats froids. Ne doivent-elles pas, dès lors, se porter de l’équateur aux deux pôles par des courants opposés ? Et, comme l’hémisphère austral est plus refroidi que le boréal, qu’il présente à sa surface une plus grande étendue de plages glacées, et qu’il est exposé pendant quelques jours de moins à l’action du soleil[30], les émanations de la chaleur, qui forment les courants électrique et magnétique, doivent s’y porter en plus grande quantité que dans l’hémisphère boréal. Les pôles magnétiques boréaux du globe sont dès lors moins puissants que les pôles magnétiques austraux. C’est l’opposé de ce qu’on observe dans les aimants, tant naturels qu’artificiels, dont le pôle boréal est plus fort que le pôle austral, ainsi que nous le prouverons dans les articles suivants ; et, comme c’est un effet constant du magnétisme que les pôles semblables se repoussent et que les pôles différents s’attirent, il n’est point surprenant que, dans quelque hémisphère qu’on transporte l’aiguille aimantée, son pôle nord se dirige vers le pôle boréal du globe, dont il diffère par la quantité de sa force, quoiqu’il porte le même nom, et qu’également son pôle sud se tourne toujours vers le pôle austral de la terre, dont la force diffère aussi par sa quantité de celle du pôle austral de l’aiguille aimantée. L’on verra donc aisément comment, par suite de l’inégalité des deux courants électriques, l’aiguille aimantée qui marque les déclinaisons se tourne toujours vers le pôle nord du globe, dans quelque hémisphère qu’elle soit placée, tandis qu’au contraire l’aiguille qui marque l’inclinaison de l’aimant s’incline vers le nord dans l’hémisphère boréal, et vers le pôle sud dans l’hémisphère austral, pour obéir à la force générale qui va de l’équateur aux deux pôles terrestres en suivant la courbure du globe, de même que les particules de limaille de fer répandues sur un aimant s’inclinent vers l’un ou l’autre des deux pôles de cet aimant, suivant qu’elles en sont plus voisines, ou que l’un des pôles a plus de supériorité sur l’autre. Ces phénomènes, dont l’explication a toujours paru difficile, sont de nouvelles preuves de notre théorie et montrent sa liaison avec les grands faits de l’histoire du globe.

Voilà donc les deux phénomènes de la direction aux pôles et de l’inclinaison à l’horizon ramenés à une cause simple, dont les effets seraient toujours les mêmes si tous les êtres organisés et toutes les matières brutes recevaient également les influences de cette force. Mais, dans les êtres vivants, la quantité de l’électricité qu’ils possèdent ou qu’ils peuvent recevoir est relative à leur organisation ; et il s’en trouve qui, comme la torpille, non seulement la reçoivent, mais semblent l’attirer au point de former une sphère particulière d’électricité, combinée avec la vertu magnétique ; comme aussi, dans les matières brutes, le fer se fait une sphère particulière d’électricité à laquelle on a donné le nom de magnétisme ; et enfin, s’il existait des corps aussi électriques que la torpille, et en assez grande quantité pour former de grandes masses, aussi considérables que celles des mines de fer en différents endroits du globe, n’est-il pas plus probable que le cours de l’électricité générale se fléchirait vers ces masses électriques comme elle se fléchit vers les grandes masses ferrugineuses qui sont à la surface du globe, et qu’elles produiraient les inflexions de cette force électrique ou magnétique en la déterminant à se porter vers ces sphères particulières d’attraction, comme vers autant de pôles électriques plus ou moins éloignés des pôles terrestres, selon le gisement des continents et la situation de ces masses électriques ?

Et, comme la situation des pôles magnétiques peut changer et change réellement, tant par les travaux de l’homme, lesquels peuvent enfouir ou découvrir les matières ferrugineuses, que par les grands mouvements de la nature dans les tremblements de terre et dans la production des basaltes et des laves, qui tous sont magnétiques, on ne doit pas être si fort émerveillé du mouvement de l’aiguille aimantée vers l’ouest ou vers l’est ; car sa direction doit varier et changer, selon qu’il se forme de nouvelles chaînes de basaltes et de laves, et qu’il se découvre de nouvelles mines dont l’action favorise ou contrarie celle des mines plus anciennes.

Par exemple, la déclinaison de l’aiguille, à Paris, était, en 1580, de onze degrés à l’est. Le pôle magnétique, c’est-à-dire les masses ferrugineuses et magnétiques qui le formaient étaient donc situées dans le nord de l’Europe, et peut-être en Sibérie ; mais comme, depuis cette année 1580, l’on a commencé à défricher quelques terrains dans l’Amérique septentrionale, et qu’on a découvert et travaillé des mines de fer en Canada et dans plusieurs autres parties de cette région de l’Amérique, l’aiguille s’est peu à peu portée vers l’ouest par l’attraction de ces mines nouvelles plus puissante que celle des anciennes ; et ce mouvement progressif de l’aiguille pourrait devenir rétrograde, s’il se découvrait dans le nord de l’Europe et de l’Asie d’autres grandes masses ferrugineuses qui, par leur exposition à l’air et leur aimantation, deviendraient bientôt des pôles magnétiques aussi, et peut-être plus puissants que celui qui détermine aujourd’hui la déclinaison de l’aiguille vers le nord de l’Amérique, et dont l’existence est prouvée par les observations.

Parmi ces causes tout accidentelles qui doivent faire changer la direction de l’aimant, l’on doit compter comme l’une des plus puissantes l’éruption des volcans, et les torrents de laves et de basaltes dont la substance est toujours mêlée de beaucoup de fer. Ces laves et ces basaltes occupent souvent de très grandes étendues à la surface de la terre, et doivent par conséquent influer sur la direction de l’aimant ; en sorte qu’un volcan qui, par ses éjections, produit souvent de longues chaînes de collines composées de laves et de basaltes, forme, pour ainsi dire, de nouvelles mines de fer dont l’action doit seconder ou contrarier l’effet des autres mines sur la direction de l’aimant.

Nous pouvons même assurer que ces basaltes peuvent former non seulement de nouvelles mines de fer, mais aussi de véritables masses d’aimant, car leurs colonnes ont souvent des pôles bien décidés d’attraction et de répulsion. Par exemple, les colonnades de basalte des bords de la Volane, près de Val en Vivarais, ainsi que celles de la montagne de Chenavari, près de Rochemaure, qui ont plus de douze pieds de hauteur, présentent plusieurs colonnes douées de cette vertu magnétique, laquelle peut leur avoir été communiquée par les foudres électriques, ou par le magnétisme général du globe[31].

Il en est de même des tremblements de terre et des bouleversements que produisent leurs mouvements subits et désastreux : ce sont les foudres de l’électricité souterraine dont les coups frappent et soulèvent par secousses de grandes portions de terre, et dès lors, toute la matière ferrugineuse qui se trouve dans cette grande étendue devient magnétique par l’action de cette foudre électrique ; ce qui produit encore de nouvelles mines attirables à l’aimant, dans les lieux où il n’existait auparavant que du fer en rouille, en ocre, et qui, dans cet état, n’était point magnétique.

Les grands incendies des forêts produisent aussi une quantité considérable de matière ferrugineuse et magnétique. La plus grande partie des terres du nouveau monde était non seulement couverte, mais encore encombrée de bois morts ou vivants auxquels on a mis le feu pour donner du jour, et rendre la terre susceptible de culture. Et c’est surtout dans l’Amérique septentrionale que l’on a brûlé et que l’on brûle encore ces immenses forêts dans une vaste étendue ; et cette cause particulière peut avoir influé sur la déclinaison vers l’ouest de l’aimant en Europe.

On ne doit donc regarder la déclinaison de l’aimant que comme un effet purement accidentel, et le magnétisme comme un produit particulier de l’électricité du globe. Nous allons exposer en détail tous les faits qui ont rapport aux phénomènes de l’aimant, et l’on verra qu’aucun ne démentira la vérité de cette assertion.


ARTICLE II

DE LA NATURE ET DE LA FORMATION DE L’AIMANT.

L’aimant n’est qu’un minéral ferrugineux, qui a subi l’action du feu, et ensuite a reçu, par l’électricité générale du globe terrestre, son magnétisme particulier. L’aimant primordial est une mine de fer en roche vitreuse, qui ne diffère des autres mines de fer produites par le feu primitif qu’en ce qu’elle attire puissamment les autres matières ferrugineuses, qui ont de même subi l’action du feu. Ces mines de l’aimant primordial sont moins fusibles que les autres mines primitives de fer ; elles approchent de la nature du régule de ce métal, et c’est par cette raison qu’elles sont plus difficiles à fondre : l’aimant primordial a donc souffert une plus violente ou plus longue impression du feu primitif que les autres mines de fer, et il a en même temps acquis la vertu magnétique par l’action de la force qui, dès le commencement, a produit l’électricité du globe.

Cet aimant de première formation a communiqué sa vertu aux matières ferrugineuses qui l’environnaient ; il a même formé de nouveaux aimants, par le mélange de ses débris avec d’autres matières, et ces aimants de seconde formation ne sont aussi que des minéraux ferrugineux provenant des détriments du fer en état métallique, et qui sont devenus magnétiques par la seule exposition à l’action de l’électricité générale. Et, comme le fer qui demeure longtemps dans la même situation acquiert toutes les propriétés du véritable aimant, on peut dire que l’aimant et le fer ne sont au fond que la même substance qui peut également prendre du magnétisme à l’exclusion de toutes les autres matières minérales, puisque cette même propriété magnétique ne se trouve dans aucun autre métal, ni dans aucune autre matière vitreuse ou calcaire. L’aimant de première formation est une fonte ou régule de fer, mêlée d’une matière vitreuse, pareille à celle des autres mines primordiales de fer ; mais, dans les aimants de seconde formation, il s’en trouve dont la matière pierreuse est calcaire ou mélangée d’autres substances hétérogènes. Ces aimants secondaires varient plus que les premiers, par la couleur, la pesanteur et par la quantité de force magnétique.

Mais cette matière vitreuse ou calcaire des différentes pierres d’aimant n’est nullement susceptible de magnétisme, et ce n’est qu’aux parties ferrugineuses contenues dans ces pierres qu’on doit attribuer cette propriété ; et dans toute pierre d’aimant, vitreuse ou calcaire, la force magnétique est d’autant plus grande, que la pierre contient plus de parties ferrugineuses sous le même volume, en sorte que les meilleurs aimants sont ceux qui sont les plus pesants : c’est par cette raison qu’on peut donner au fer, et mieux encore à l’acier, comme plus pesant que le fer, une force magnétique encore plus grande que celle de la pierre d’aimant, parce que l’acier ne contient que peu ou point de particules terreuses, et qu’il est presque uniquement composé de parties ferrugineuses réunies ensemble sous le plus petit volume, c’est-à-dire d’aussi près qu’il est possible.

Ce qui démontre l’affinité générale entre le magnétisme et toutes les mines de fer qui ont subi faction du feu primitif, c’est que toutes ces mines sont attirables à l’aimant que réciproquement elles attirent, au lieu que les mines de fer en rouille, en ocre et en grains, formées postérieurement par l’intermède de l’eau, ont perdu cette propriété magnétique, et ne la reprennent qu’après avoir subi de nouveau l’action du feu. Il en est de même de tous nos fers et de nos aciers ; c’est parce qu’ils ont, comme les mines primitives, subi l’action d’un feu violent qu’ils sont attirables à l’aimant. Ils ont donc, comme les mines primordiales de fer, un magnétisme passif que l’on peut rendre actif, soit par le contact de l’aimant, soit par la simple exposition à l’impression de l’électricité générale.

Pour bien entendre comment s’est opérée la formation des premiers aimants, il suffit de considérer que toute matière ferrugineuse qui a subi l’action du feu, et qui demeure quelque temps exposée à l’air dans la même situation, acquiert le magnétisme et devient un véritable aimant : ainsi, dès les premiers temps de l’établissement des mines primordiales de fer, toutes les parties extérieures de ces masses, qui étaient exposées à l’air et qui sont demeurées dans la même situation, auront reçu la vertu magnétique par la cause générale qui produit le magnétisme du globe, tandis que toutes les parties de ces mêmes mines qui n’étaient pas exposées à l’action de l’atmosphère n’ont point acquis cette vertu magnétique ; il s’est donc formé dès lors, et il peut encore se former des aimants sur les sommets et les faces découvertes des mines de fer, et dans toutes les parties de ces mines qui sont exposées à l’action de l’atmosphère.

Ainsi, les mines d’aimant ne sont que des mines de fer qui se sont aimantées par l’action de l’électricité générale ; elles ne sont pas, à beaucoup près, en aussi grandes masses que celles de fer, parce qu’il n’y a que les parties découvertes de ces mines qui aient pu recevoir la vertu magnétique : les mines d’aimant ne doivent donc se trouver et ne se trouvent en effet que dans les parties les plus extérieures de ces mines primordiales de fer et jamais à de grandes profondeurs, à moins que ces mines n’aient été excavées, ou qu’elles ne soient voisines de quelques cavernes, dans lesquelles les influences de l’atmosphère auraient pu produire le même effet que sur les sommets ou sur les faces découvertes de ces mines primitives.

Maintenant, on ne peut douter que le magnétisme général du globe ne forme deux courants, dont l’un se porte de l’équateur au nord, et l’autre en sens contraire de l’équateur au sud : la direction de ces courants est sujette à variation, tant pour les lieux que pour le temps, et ces variations proviennent des inflexions du courant de la force magnétique, qui suit le gisement des matières ferrugineuses, et qui change à mesure qu’elles se découvrent à l’air ou qu’elles s’enfouissent par l’affaissement des cavernes, par l’effet des volcans, des tremblements de terre, ou de quelque autre cause qui change leur exposition ; elles acquièrent donc ou perdent la vertu magnétique par ce changement de position, et dès lors, la direction de cette force doit varier et tendre vers ces mines ferrugineuses nouvellement découvertes en s’éloignant de celles qui se sont enfoncées.

Les variations dans la direction de l’aimant démontrent que les pôles magnétiques ne sont pas les mêmes que les pôles du globe, quoique, en général, la direction de la force qui produit le magnétisme tende de l’équateur aux deux pôles terrestres. Les matières ferrugineuses, qui seules peuvent recevoir du courant de cette force les propriétés de l’aimant, forment des pôles particuliers selon le gisement local et la quantité plus ou moins grande des mines d’aimant et de fer.

L’aimant primordial n’a pas acquis au même instant son attraction et sa direction ; car le fer reçoit d’abord la force attractive, et ne prend les pôles qu’en plus ou moins de temps, suivant sa position et selon la proportion de ses dimensions. Il paraît donc que, dès le temps de l’établissement et de la formation des premières mines de fer par le feu primitif, les parties exposées à l’action de l’atmosphère ont reçu d’abord la force attractive, et ont pris ensuite des pôles fixes et acquis la puissance de se diriger vers les parties polaires du globe. Ces premiers aimants ont certainement conservé ces forces attractives et directives, quoiqu’elles agissent sans cesse au dehors, ce qui semblerait devoir les épuiser ; mais au contraire elles se communiquent de l’aimant au fer, sans souffrir aucune perte ni diminution.

Plusieurs physiciens, qui ont traité de la nature de l’aimant, se sont persuadé qu’il circulait dans l’aimant une matière qui en sortait incessamment après y être entrée et en avoir pénétré la substance. Le célèbre géomètre Euler, et plusieurs autres[32], voulant expliquer mécaniquement les phénomènes magnétiques, ont adopté l’hypothèse de Descartes, qui suppose dans la substance de l’aimant des conduits et des pores si étroits, qu’ils ne sont perméables qu’à cette matière magnétique, selon eux plus subtile que toute autre matière subtile ; et, selon eux encore, ces pores de l’aimant et du fer sont garnis de petites soupapes, de filets ou de poils mobiles, qui tantôt obéissent et tantôt s’opposent au courant de cette matière si subtile. Ils se sont efforcés de faire cadrer les phénomènes du magnétisme avec ces suppositions peu naturelles et plus que précaires, sans faire attention que leur opinion n’est fondée que sur la fausse idée qu’il est possible d’expliquer mécaniquement tous les effets des forces de la nature. Euler a même cru pouvoir démontrer la cause de l’attraction universelle par l’action du même fluide, qui, selon lui, produit le magnétisme. Cette prétention, quoique vaine et mal conçue, n’a pas laissé de prévaloir dans l’esprit de quelques physiciens ; et cependant, si l’on considère sans préjugé la nature et ses effets, et si l’on réfléchit sur les forces d’attraction et d’impulsion qui l’animent, on reconnaîtra que leurs causes ne peuvent ni s’expliquer, ni même se concevoir par cette mécanique matérielle, qui n’admet que ce qui tombe sous nos sens et rejette, en quelque sorte, ce qui n’est aperçu que par l’esprit ; et de fait, l’action de la pesanteur ou de l’attraction peut-elle se rapporter à des effets mécaniques, et s’expliquer par des causes secondaires, puisque cette attraction est une force générale, une propriété primitive et un attribut essentiel de toute matière[NdÉ 3] ? Ne suffit-il pas de savoir que toute matière s’attire, et que cette force s’exerce non seulement dans toutes les parties de la masse du globe terrestre, mais s’étend même depuis le soleil jusqu’aux corps les plus éloignés dans notre univers, pour être convaincu que la cause de cette attraction ne peut nous être connue, puisque, son effet étant universel et s’exerçant généralement dans toute matière, cette cause ne nous offre aucune différence, aucun point de comparaison, ni, par conséquent, aucun indice de connaissance, aucun moyen d’explication ? En se souvenant donc que nous ne pouvons rien juger que par comparaison, nous verrons clairement qu’il est non seulement vain, mais absurde de vouloir rechercher et expliquer la cause d’un effet général et commun à toute matière, tel que l’attraction universelle, et qu’on doit se borner à regarder cet effet général comme une vraie cause à laquelle on doit rapporter les autres forces, en comparant leurs différents effets ; et si nous comparons l’attraction magnétique à l’attraction universelle, nous verrons qu’elles diffèrent très essentiellement. L’aimant est, comme toute autre matière, sujet aux lois de l’attraction générale, et en même temps, il semble posséder une force attractive particulière et qui ne s’exerce que sur le fer ou sur un autre aimant ; or, nous avons démontré que cette force, qui nous paraît attractive, n’est dans le réel qu’une force impulsive, dont la cause et les effets sont tout différents de ceux de l’attraction universelle.

Dans le système adopté par la plupart des physiciens, on suppose un grand tourbillon de matière magnétique, circulant autour du globe terrestre, et de petits tourbillons de cette même matière, qui non seulement circule d’un pôle à l’autre de chaque aimant, mais entre dans leur substance, et en sort pour y rentrer. Dans la physique de Descartes, tout était tourbillon, tout s’expliquait par des mouvements circulaires et des impulsions tourbillonnantes ; mais ces tourbillons, qui remplissaient l’univers, ont disparu ; il ne reste que ceux de la matière magnétique dans la tête de ces physiciens. Cependant l’existence de ces tourbillons magnétiques est aussi peu fondée que celle des tourbillons planétaires ; et on peut démontrer, par plusieurs faits[33], que la force magnétique ne se meut pas en tourbillon autour du globe terrestre, non plus qu’autour de l’aimant.

La vertu magnétique, que l’aimant possède éminemment, peut de même appartenir au fer, puisque l’aimant la lui communique par le simple contact, et que même le fer l’acquiert sans ce secours, lorsqu’il est exposé aux impressions de l’atmosphère ; le fer devient alors un véritable aimant, s’il reste longtemps dans la même situation ; de plus, il s’aimante assez fortement par la percussion, par le frottement de la lime, ou seulement en le pliant et repliant plusieurs fois ; mais ces derniers moyens ne donnent au fer qu’un magnétisme passager, et ce métal ne conserve la vertu magnétique que quand il l’a empruntée de l’aimant, ou bien acquise par une exposition à l’action de l’électricité générale pendant un temps assez long pour prendre des pôles fixes dans une direction déterminée.

Lorsque le fer, tenu longtemps dans la même situation, acquiert de lui-même la vertu magnétique, qu’il la conserve et qu’il peut même la communiquer à d’autres fers, comme le fait l’aimant, doit-on se refuser à croire que, dans les mines primitives, les parties qui se sont trouvées exposées à ces mêmes impressions de l’atmosphère ne soient pas celles qui ont acquis la vertu magnétique, et que par conséquent toutes les pierres d’aimant, qui ne forment que de petits blocs en comparaison des montagnes et des autres masses des mines primordiales de fer, étaient aussi les seules parties exposées à cette action extérieure qui leur a donné les propriétés magnétiques ? Rien ne s’oppose à cette vue ou plutôt à ce fait ; car la pierre d’aimant est certainement une matière ferrugineuse, moins fusible à la vérité que la plupart des autres mines de fer ; et cette dernière propriété indique seulement qu’il a fallu peut-être le concours de deux circonstances pour la production de ces aimants primitifs, dont la première a été la situation et l’exposition constante à l’impression du magnétisme général ; et la seconde, une qualité différente de la matière ferrugineuse qui compose la substance de l’aimant. Car la mine d’aimant n’est plus difficile à fondre que les autres mines de fer en roche que par cette différence de qualité ; l’aimant primordial approche, comme nous l’avons dit, de la nature du régule de fer, qui est bien moins fusible que sa mine. Ainsi, cet aimant primitif est une mine de fer qui, ayant subi une plus forte action du feu que les autres mines, est devenue moins fusible ; et en effet, les mines d’aimant ne se trouvent pas comme les autres mines de fer par grandes masses continues, mais par petits blocs placés à la surface de ces mêmes mines où le feu primitif, animé par l’air, était plus actif que dans leur intérieur.

Ces blocs d’aimant sont plus ou moins gros, et communément séparés les uns des autres ; chacun a sa sphère particulière d’attraction et ses pôles, et, puisque le fer peut acquérir de lui-même toutes ces propriétés dans les mêmes circonstances, ne doit-on pas en conclure que, dans les mines primordiales de fer, les parties qui étaient exposées au feu plus vif, que l’air excitait à la surface du globe en incandescence, auront subi une plus violente action de ce feu et se seront en même temps divisées, fendues, séparées, et qu’elles auront acquis d’elles-mêmes cette puissance magnétique, qui ne diminue ni ne s’épuise et demeure toujours la même, parce qu’elle dépend d’une cause extérieure toujours subsistante et toujours agissante.

La formation des premiers aimants me paraît donc bien démontrée, mais la cause première du magnétisme en général n’en était pas mieux connue. Pour deviner ou même soupçonner quelles peuvent être la cause ou les causes d’un effet particulier de la nature, tel que le magnétisme, il fallait auparavant considérer les phénomènes en exposant tous les faits acquis par l’expérience et l’observation. Il fallait les comparer entre eux et avec d’autres faits analogues, afin de pouvoir tirer du résultat de ces comparaisons les lumières qui devaient nous guider dans la recherche des causes inconnues et cachées ; c’est la seule route que l’on doive prendre et suivre, puisque ce n’est que sur des faits bien avérés, bien entendus, qu’on peut établir des raisonnements solides ; et plus ces faits seront multipliés, plus il deviendra possible d’en tirer des inductions plausibles et de les réunir pour en faire la base d’une théorie bien fondée, telle que nous paraît être celle que j’ai présentée dans le premier chapitre de ce traité.

Mais, comme les faits particuliers qu’il nous reste à exposer sont, aussi nombreux que singuliers, qu’ils paraissent quelquefois opposés ou contraires, nous commencerons par les phénomènes qui ont rapport à l’attraction ou à la répulsion de l’aimant, et ensuite nous exposerons ceux qui nous indiquent sa direction avec ses variations, tant en déclinaison qu’en inclinaison : chacune de ces grandes propriétés de l’aimant doit être considérée en particulier et d’autant plus attentivement, qu’elles paraissent moins dépendantes les unes des autres, et qu’en ne les jugeant que par les apparences, leurs effets sembleraient provenir de causes différentes.

Au reste, si nous recherchons le temps où l’aimant et ses propriétés ont commencé d’être connus, ainsi que les lieux où ce minéral se trouvait anciennement, nous verrons, par le témoignage de Théophraste, que l’aimant était rare chez les Grecs, qui ne lui connaissaient d’autre propriété que celle d’attirer le fer ; mais du temps de Pline, c’est-à-dire trois siècles après, l’aimant était devenu plus commun, et aujourd’hui il s’en trouve plusieurs mines dans les terres voisines de la Grèce, ainsi qu’en Italie, et particulièrement à l’île d’Elbe. On doit donc présumer que la plupart des mines de ces contrées ont acquis, depuis le temps de Théophraste, leur vertu magnétique à mesure qu’elles ont été découvertes, soit par des effets de nature, soit par le travail des hommes ou par le feu des volcans.

On trouve de même des mines d’aimant dans presque toutes les parties du monde, et surtout dans les pays du nord, où il y a beaucoup plus de mines primordiales de fer que dans les autres régions de la terre. Nous avons donné ci-devant la description des mines aimantées de Sibérie[34], et l’on sait que l’aimant est si commun en Suède et en Norvège, qu’on en fait un commerce assez considérable[35].

Les voyageurs nous assurent qu’en Asie il y a de bons aimants au Bengale, à Siam[36], à la Chine[37] et aux îles Philippines[38] ; ils font aussi mention de ceux de l’Afrique[39] et de l’Amérique[40].


ARTICLE III

DE L’ATTRACTION ET DE LA RÉPULSION DE L’AIMANT.

Le mouvement du magnétisme semble être composé de deux forces, l’une attractive et l’autre directive. Un aimant, de quelque figure qu’il soit, attire le fer de tous côtés et dans tous les points de sa surface ; et plus les pierres d’aimant sont grosses, moins elles ont de force attractive, relativement à leur volume ; elles en ont d’autant plus, qu’elles sont plus pesantes, et toutes ont beaucoup moins de puissance d’attraction quand elles sont nues que quand elles sont armées de fer ou d’acier. La force directive, au contraire, se marque mieux et avec plus d’énergie sur les aimants nus que sur ceux qui sont armés.

Quelques savants physiciens, et entre autres Taylor et Musschenbroëck, ont essayé de déterminer par des expériences l’étendue de la sphère d’attraction de l’aimant, et l’intensité de cette action à différentes distances ; ils ont observé qu’avec de bons aimants cette force attractive était sensible jusqu’à treize ou quatorze pieds de distance, et, sans doute, elle s’étend encore plus loin ; ils ont aussi reconnu que rien ne pouvait intercepter l’action de cette force, en sorte qu’un aimant renfermé dans une boîte agit toujours à la même distance. Ces faits suffisent pour qu’on puisse concevoir qu’en plaçant et cachant des aimants et du fer en différents endroits, même assez éloignés, on peut produire des effets qui paraissent merveilleux, parce qu’ils s’opèrent à quelque distance, sans action apparente d’aucune matière intermédiaire ni d’aucun mouvement communiqué.

Les anciens n’ont connu que cette première propriété de l’aimant ; ils savaient que le fer, de quelque côté qu’on le présente, est toujours attiré par l’aimant ; ils n’ignoraient pas que deux aimants présentés l’un à l’autre s’attirent ou se repoussent. Les physiciens modernes ont démontré que cette attraction et cette répulsion entre deux aimants sont égales, et que la plus forte attraction se fait lorsqu’on présente directement les pôles de différent nom, c’est-à-dire le pôle austral d’un aimant au pôle boréal d’un autre aimant ; et que de même la répulsion est la plus forte quand on présente l’un à l’autre les pôles de même nom. Ensuite ils ont cherché la loi de cette attraction et de cette répulsion, et ils ont reconnu qu’au lieu d’être comme la loi de l’attraction universelle, en raison inverse du carré de la distance, cette attraction et cette répulsion magnétiques ne décroissent pas même autant que la distance augmente[41] ; mais, lorsqu’ils ont voulu graduer l’échelle de cette loi, ils y ont trouvé tant d’inconstance et de si grandes variations, qu’ils n’ont pu déterminer aucun rapport fixe, aucune proportion suivie entre les degrés de puissance de cette force attractive, et les effets qu’elle produit à différentes distances : tout ce qu’ils ont pu conclure d’un nombre infini d’expériences, c’est que la force attractive de l’aimant décroît proportionnellement plus dans les grandes que dans les petites distances[NdÉ 4].

Nous venons de dire que les aimants ne sont pas tous d’égale force, à beaucoup près ; que plus les pierres d’aimant sont grosses, moins elles ont de force attractive relativement à leur volume, et qu’elles en ont d’autant plus qu’elles sont plus pesantes à volume égal ; mais nous devons ajouter que les aimants les plus puissants ne sont pas toujours les plus généreux, en sorte que quelquefois ces aimants plus puissants ne communiquent pas au fer autant de leur vertu attractive que des aimants plus faibles et moins riches, mais en même temps moins avares de leur propriété.

La sphère d’activité des aimants faibles est moins étendue que celle des aimants forts ; et, comme nous l’avons dit, la force attractive des uns et des autres décroît beaucoup plus dans les grandes que dans les petites distances ; mais dans le point de contact, cette force, dont l’action est très inégale à toutes les distances dans les différents aimants, produit alors un effet moins inégal dans l’aimant faible et dans l’aimant fort, de sorte qu’il faut employer des poids moins inégaux pour séparer les aimants forts et les aimants faibles, lorsqu’ils sont unis au fer ou à l’aimant par un contact immédiat.

Le fer attire l’aimant autant qu’il en est attiré : tous deux, lorsqu’ils sont en liberté, font la moitié du chemin pour s’approcher ou se joindre. L’action et la réaction sont ici parfaitement égales ; mais un aimant attire le fer de quelque côté qu’on le présente, au lieu qu’il n’attire un autre aimant que dans un sens et qu’il le repousse dans le sens opposé.

La limaille de fer est attirée plus puissamment par l’aimant que la poudre même de la pierre d’aimant, parce qu’il y a plus de parties ferrugineuses dans le fer forgé que dans cette pierre, qui néanmoins agit de plus loin sur le fer aimanté qu’elle ne peut agir sur du fer non aimanté, car le fer n’a par lui-même aucune force attractive : deux blocs de ce métal, mis l’un auprès de l’autre, ne s’attirent pas plus que deux masses de toute autre matière ; mais dès que l’un ou l’autre, ou tous deux, ont reçu la vertu magnétique, ils produisent les mêmes effets et présentent les mêmes phénomènes que la pierre d’aimant, qui n’est en effet qu’une masse ferrugineuse aimantée par la cause générale du magnétisme. Le fer ne prend aucune augmentation de poids par l’imprégnation de la vertu magnétique ; la plus grosse masse de fer ne pèse pas un grain de plus, quelque fortement qu’elle soit aimantée ; le fer ne reçoit donc aucune matière réelle par cette communication, puisque toute matière est pesante, sans même en excepter celle du feu[42]. Cependant le feu violent agit sur l’aimant et sur le fer aimanté ; il diminue beaucoup, ou plutôt il suspend leur force magnétique lorsqu’ils sont échauffés jusqu’à l’incandescence, et ils ne reprennent cette vertu qu’à mesure qu’ils se refroidissent. Une chaleur égale à celle du plomb fondu[43] ne suffit pas pour produire cet effet ; et d’ailleurs le feu, quelque violent qu’il soit, laisse toujours à l’aimant et au fer aimanté quelque portion de leurs forces ; car, dans l’état de la plus grande incandescence, ils donnent encore des signes sensibles, quoique faibles, de leur magnétisme : M. Æpinus a même éprouvé que des aimants naturels portés à l’état d’incandescence, refroidis ensuite, et placés entre deux grandes barres d’acier fortement aimantées, acquéraient un magnétisme plus fort[44] ; et, par la comparaison de ses expériences, il paraît que plus un aimant est vigoureux par sa nature, mieux il reçoit et conserve ce surcroît de force.

L’action du feu ne fait donc que diminuer ou suspendre la vertu magnétique, et concourt même quelquefois à l’augmenter ; cependant la percussion, qui produit toujours de la chaleur lorsqu’elle est réitérée, semble détruire cette force en entier ; car, si l’on frappe fortement, et par plusieurs coups successifs, une lame de fer aimantée, elle perdra sa vertu magnétique, tandis qu’en frappant de même une semblable lame non aimantée, celle-ci acquerra, par cette percussion, d’autant plus de force magnétique que les coups seront plus forts et plus réitérés ; mais il faut remarquer que la percussion, ainsi que l’action du feu, qui semble détruire la vertu magnétique, ne font que la changer ou la chasser, pour en substituer une autre, puisqu’elles suffisent pour aimanter le fer qui ne l’est pas ; elles ôtent donc au fer aimanté la force communiquée par l’aimant, et en même temps y portent et lui substituent une nouvelle force magnétique, qui devient très sensible lorsque la percussion est continuée ; le fer perd la première et acquiert la seconde, qui est souvent plus faible et moins durable : il arrive ici le même effet, à peu près, que quand on passe sur un aimant faible du fer aimanté par un aimant fort : ce fer perd la grande force magnétique qui lui avait été communiquée par l’aimant fort, et il acquiert en même temps la petite force que peut lui donner l’aimant faible.

Si l’on met dans un vase de la limaille de fer et qu’on la comprime assez pour en faire une masse compacte, à laquelle on donnera la vertu magnétique en l’appliquant ou la frottant contre l’aimant, elle la recevra comme toute autre matière ferrugineuse ; mais cette même limaille de fer comprimée, qui a reçu la vertu magnétique, perdra cette vertu des qu’elle ne fera plus masse et qu’elle sera réduite au même état pulvérulent où elle était avant d’avoir été comprimée. Il suffit donc de changer la situation respective des parties constituantes de la masse pour faire évanouir la vertu magnétique ; chacune des particules de limaille doit être considérée comme une petite aiguille aimantée, qui dès lors a sa direction et ses pôles. En changeant donc la situation respective des particules, leurs forces attractives et directives seront changées et détruites les unes par les autres : ceci doit s’appliquer à l’effet de la percussion, qui, produisant un changement de situation dans les parties du fer aimanté, fait évanouir sa force magnétique. Cela nous démontre aussi la cause d’un phénomène qui a paru singulier et assez difficile à expliquer.

Si l’on met une pierre d’aimant au-dessus d’une quantité de limaille de fer que l’on agitera sur un carton, cette limaille s’arrangera, en formant plusieurs courbes séparées les unes des autres et qui laissent deux vides aux endroits qui correspondent aux pôles de la pierre ; on croirait que ces vides sont occasionnés par une répulsion qui ne se fait que dans ces deux endroits, tandis que l’attraction s’exerce sur la limaille dans tous les autres points ; mais, lorsqu’on présente l’aimant sur la limaille de fer sans la secouer, ce sont, au contraire, les pôles de la pierre qui toujours s’en chargent le plus. Ces deux effets opposés sembleraient, au premier coup d’œil, indiquer que la force magnétique est tantôt très active et tantôt absolument inactive aux pôles de l’aimant ; cependant il est très certain, et même nécessaire, que ces deux effets, qui semblent être contraires, proviennent de la même cause ; et, comme rien ne trouble l’effet de cette cause dans l’un des cas et qu’elle est troublée dans l’autre par les secousses qu’on donne à la limaille, on doit en inférer que la différence ne dépend que du mouvement donné à chaque particule de la limaille.

En général, ces particules étant autant de petites aiguilles qui ont reçu de l’aimant les forces attractives et directives presque en même temps et dans le même sens, elles doivent perdre ces forces et changer de direction dès que, par le mouvement qu’on leur imprime, leur situation est changée. La limaille sera par conséquent attirée et s’amoncellera lorsque les pôles austraux de ces petites aiguilles seront disposés dans le sens du pôle boréal de l’aimant, parce que, dans tout aimant ou fer aimanté, les pôles de différents noms s’attirent et ceux du même nom se repoussent.

Il peut arriver cependant quelquefois, lorsqu’on présente un aimant vigoureux à un aimant faible, que les pôles de même nom s’attirent au lieu de se repousser ; mais ils ont cessé d’être semblables lorsqu’ils tendent l’un vers l’autre ; l’aimant fort détruit par sa puissance la vertu magnétique de l’aimant faible et lui en communique une nouvelle qui change ses pôles : on peut expliquer par cette même raison plusieurs phénomènes analogues à cet effet, et particulièrement celui que M. Æpinus a observé le premier et que nous citons, par extrait, dans la note ci-dessous[45].

Nous devons ajouter à ces faits un autre fait qui démontre également que la résidence fixe ainsi que la direction décidée de la force magnétique ne dépendent, dans le fer et l’aimant, que de la situation constante de leurs parties dans le sens où elles ont reçu cette force : le fer n’acquiert pas de lui-même la vertu magnétique, et l’aimant ne la communique au fer que dans une seule et même direction ; car, si l’on aimante un fil de fer selon sa longueur et qu’ensuite on le plie de manière qu’il forme des angles et crochets, il perd dès lors sa force magnétique, parce que la direction n’est pas la même et que la situation des parties a été changée dans les plis qui forment ces crochets ; les pôles des diverses parties du fer se trouvent alors situés, les uns relativement aux autres, de manière à diminuer ou détruire mutuellement leur vertu, au lieu de la conserver ou de l’accroître ; et non seulement la force magnétique se perd dans ces parties angulaires, mais même elle ne subsiste plus dans les autres parties du fil de fer qui n’ont point été pliées ; car le déplacement des pôles et le changement de direction occasionnés par les plis suffisent pour faire perdre cette force au fil de fer dans toute son étendue.

Mais, si l’on passe un fil de fer par la filière dans le même sens qu’il a été aimanté, il conservera sa vertu magnétique, quoique les parties constituantes aient changé de position en s’éloignant les unes des autres et que toutes aient concouru plus ou moins à l’allongement de ce fil de fer par leur déplacement ; preuve évidente que la force magnétique subsiste ou s’évanouit, selon que la direction se conserve la même lorsque le déplacement se fait dans le même sens, ou que cette direction devient différente lorsque le déplacement se fait dans le sens opposé.

On peut considérer un morceau de fer ou d’acier comme une masse de limaille dont les particules sont seulement plus rapprochées et réunies de plus près que dans le bloc de limaille comprimée : aussi faut-il un violent mouvement, tel que celui d’une flexion forcée ou d’une forte percussion, pour détruire la force magnétique dans le fer et l’acier par le changement de la situation respective de leurs parties ; au lieu qu’en donnant un coup assez léger sur la masse de la limaille comprimée, on fait évanouir à l’instant la force magnétique, parce que ce coup suffit pour changer la situation respective de toutes les particules de la limaille.

Si l’on ne passe qu’une seule fois une lame de fer ou d’acier sur l’aimant, elle ne reçoit que très peu de force magnétique par ce premier frottement ; mais, en le réitérant quinze ou vingt fois, toujours dans le même sens, le fer ou l’acier prendront presque toute la force magnétique qu’ils peuvent comporter, et on ne leur en donnerait pas davantage en continuant plus longtemps les mêmes frottements ; mais si, après avoir aimanté une pièce de fer ou d’acier dans un sens, on la passe sur l’aimant dans le sens opposé, elle perd la plus grande partie de la vertu qu’elle avait acquise et peut même la perdre tout à fait en réitérant les frottements dans ce sens contraire : ce sont ces phénomènes qui ont fait imaginer à quelques physiciens que la force magnétique rend mobiles les particules dont le fer est composé. Au reste, si l’on ne fait que poser le fer ou l’acier sur l’aimant sans les presser l’un contre l’autre ou les appliquer fortement dans le même sens, ils ne reçoivent que peu de vertu magnétique, et ce ne sera qu’en les tenant réunis plusieurs heures de suite qu’ils en acquerront davantage, et cependant toujours moins qu’en les frottant dans le même sens, lentement et fortement, un grand nombre de fois sur l’aimant.

Le feu, la percussion et la flexion suspendent ou détruisent également la force magnétique, parce que ces trois causes changent également la situation respective des parties constituantes du fer et de l’aimant. Ce n’est même que par ce seul changement de la situation respective de leurs parties que le feu peut agir sur la force magnétique, car on s’est assuré que cette force passe de l’aimant au fer à travers la flamme, sans diminution ni direction : ainsi, ce n’est pas sur la force même que se porte l’action du feu, mais sur les parties intégrantes de l’aimant ou du fer, dont le feu change la position ; et lorsque, par le refroidissement, cette position des parties se rétablit telle qu’elle était avant l’incandescence, la force magnétique reparaît et devient quelquefois plus puissante qu’elle ne l’était auparavant.

Un aimant artificiel et homogène, tel qu’un barreau d’acier fortement aimanté, exerce sa force attractive dans tous les points de sa surface, mais fort inégalement, car, si l’on projette de la limaille de fer sur cet aimant, il n’y aura presque aucun point de sa superficie qui ne retienne quelques particules de cette limaille, surtout si elle est réduite en poudre très fine ; les pôles et les angles de ce barreau seront les parties qui s’en chargeront le plus, et les faces n’en retiendront qu’une bien moindre quantité ; la position des particules de limaille sera aussi fort différente ; on les verra perpendiculaires sur les parties polaires de l’aimant, et elles seront inclinées plus ou moins vers ces mêmes pôles, dans toutes les autres parties de sa surface.

Rien n’arrête la vertu magnétique : un aimant placé dans l’air ou dans le vide, plongé dans l’eau, dans l’huile, dans le mercure ou dans tout autre fluide, agit toujours également ; renfermé dans une boîte de bois, de pierre, de plomb, de cuivre ou de tout autre métal, à l’exception du fer, son action est encore la même ; l’interposition des corps les plus solides[46] ne lui porte aucune atteinte et ne fait pas obstacle à la transmission de sa force ; elle n’est affaiblie que par le fer interposé qui, acquérant par cette position la vertu magnétique, peut contre-balancer ou détruire celle qui existait déjà, suivant que les directions de ces deux forces particulières coïncident ou divergent.

Mais, quoique les corps interposés ne diminuent pas l’étendue de la sphère active de l’aimant sur le fer, ils ne laissent pas de diminuer beaucoup l’intensité de la force attractive lorsqu’ils empêchent leur contact. Si l’on interpose entre le fer qu’on veut unir à l’aimant un corps aussi mince que l’on voudra, seulement une feuille de papier, l’aimant ne pourra soutenir qu’une très petite masse de fer, en comparaison de celle qu’il aurait soutenue si le fer lui avait été immédiatement appliqué : cette différence d’effet provient de ce que l’intensité de la force est, sans comparaison, beaucoup plus grande au point de contact, et qu’en mettant obstacle à l’union immédiate du fer avec l’aimant par un corps intermédiaire, on lui ôte la plus grande partie de sa force en ne lui laissant que celle qu’il exercerait au delà de son point de contact. Mais cet effet, qui est si sensible à ce point, devient nul ou du moins insensible à toute autre distance, car les corps interposés à un pied, à un pouce, et même à une ligne de l’aimant, ne paraissent faire aucun obstacle à l’exercice de son attraction.

Le fer réduit en rouille cesse d’être attirable à l’aimant ; la rouille est une dissolution du fer par l’humidité de l’air, ou, pour mieux dire, par l’action de l’acide aérien, qui, comme nous l’avons dit, a produit tous les autres acides : aussi agissent-ils tous sur le fer, et à peu près de la même manière, car tous le dissolvent, lui ôtent la propriété d’être attiré par l’aimant ; mais il reprend cette même propriété lorsqu’on fait exhaler ces acides par le moyen du feu. Cette propriété n’est donc pas détruite en entier dans la rouille et dans les autres dissolutions du fer[47], puisqu’elle se rétablit dès que le dissolvant en est séparé.

L’action du feu produit dans le fer un effet tout contraire à celui de l’impression des acides ou de l’humidité de l’air ; le feu le rend d’autant plus attirable à l’aimant, qu’il a été plus violemment chauffé. Ce sablon ferrugineux[48] dont nous avons parlé, et qui est toujours mêlé avec le platine, est plus attirable à l’aimant que la limaille de fer, parce qu’il a subi une plus forte action du feu, et la limaille de fer, chauffée jusqu’au blanc, devient aussi plus attirable qu’elle ne l’était auparavant : on peut même dire qu’elle devient tout à fait magnétique en certaines circonstances, puisque les petites écailles de fer qui se séparent de la loupe en incandescence, frappée par le marteau, présentent les mêmes phénomènes que l’aimant. Elles s’attirent, se repoussent et se dirigent comme le font les aiguilles aimantées. On obtient le même effet en faisant sublimer le fer par le moyen du feu[49] ; et les volcans donnent par sublimation des matières ferrugineuses qui ont du magnétisme et des pôles, comme les fers sublimés et chauffés.

On augmente prodigieusement la force attractive de l’aimant en la réunissant avec la force directive, au moyen d’une armure de fer ou d’acier ; car cette armure fait converger les directions, en sorte qu’il ne reste à l’aimant armé qu’une portion des forces directives qu’il avait étant nu, et que ce même aimant nu, qui, par ses parties polaires, ne pouvait soutenir qu’un certain poids de fer, en soutiendra dix, quinze et vingt fois davantage s’il est bien armé ; et plus le poids qu’il soutiendra, étant nu, sera petit, plus l’augmentation du poids qu’il pourra porter, étant armé, sera grande : les forces directives de l’aimant se réunissent donc avec sa force attractive, et toutes se portant sur l’armure, y produisent une intensité de force bien plus grande, sans que l’aimant en soit plus épuisé. Cela seul prouverait que la force magnétique ne réside pas dans l’aimant, mais qu’elle est déterminée vers le fer et l’aimant par une cause extérieure dont l’effet peut augmenter ou diminuer, selon que les matières ferrugineuses lui sont présentées d’une manière plus ou moins avantageuse : la force attractive n’augmente ici que par sa réunion avec la force directive, et l’armure ne fait que réunir ces deux forces, sans leur donner plus d’extension ; car, quoique l’attraction, dans l’aimant armé, agisse beaucoup plus puissamment sur le fer qu’elle retient plus fortement, elle ne s’étend pas plus loin que celle de l’aimant nu.

Cette plus forte attraction, produite par la réunion des forces attractives et directives de l’aimant, paraît s’exercer en raison des surfaces : par exemple, si la surface plane du pied de l’armure contre laquelle on applique le fer est de 36 lignes carrées, la force d’attraction sera quatre fois plus grande que sur une surface de neuf lignes carrées ; autre preuve que la cause de l’attraction magnétique est extérieure et ne pénètre pas la masse de l’aimant, puisqu’elle n’agit qu’en raison des surfaces, au lieu que celle de l’attraction universelle, agissant toujours en raison des masses, est une force qui réside dans toute matière. D’ailleurs, toute force dont les directions sont différentes, et qui ne tend pas directement du centre à la circonférence, ne peut pas être regardée comme une force intérieure proportionnelle à la masse, et n’est en effet qu’une action extérieure qui ne peut se mesurer que par sa proportion avec la surface[50].

Les deux pôles d’un aimant se nuisent réciproquement par leur action contraire, lorsqu’ils sont trop voisins l’un de l’autre ; la position de l’armure et la figure de l’aimant doivent également influer sur sa force, et c’est par cette raison que des aimants faibles gagnent quelquefois davantage à être armés que des aimants plus forts. Cette action contraire de deux pôles trop rapprochés sert à expliquer pourquoi deux barres aimantées, qui se touchent, n’attirent pas un morceau de fer avec autant de force que lorsqu’elles sont à une certaine distance l’une de l’autre[51].

Les pieds de l’armure doivent être placés sur les pôles de la pierre pour réunir le plus de force : ces pôles ne sont pas des points mathématiques, ils ont une certaine étendue, et l’on reconnaît aisément les parties polaires d’un aimant, en ce qu’elles retiennent le fer avec une grande énergie, et l’attirent avec plus de puissance que toutes les autres parties de la surface de ce même aimant ne peuvent le retenir ou l’attirer. Les meilleurs aimants sont ceux dont les pôles sont les plus décidés, c’est-à-dire ceux dans lesquels cette inégalité de force est la plus grande. Les plus mauvais aimants sont ceux dont les pôles sont les plus indécis, c’est-à-dire ceux qui ont plusieurs pôles et qui attirent le fer à peu près également dans tous les points de leur surface ; et le défaut de ces aimants vient de ce qu’ils sont composés de plusieurs pièces mal situées, relativement les unes aux autres, car, en les divisant en plusieurs parties, chacun de ces fragments n’aura que deux pôles bien décidés et fort actifs.

Nous avons dit que, si l’on aimante un fil de fer, en le frottant longitudinalement dans le même sens, il perdra la vue magnétique en le pliant en crochet, ou le courbant et le contournant en anneau, et cela parce que la force magnétique ne s’étant déterminée vers ce fil de fer que par un frottement longitudinal, elle cesse de se diriger vers ce même fer dès que ce sens est changé ou interrompu ; et, lorsqu’il devient directement opposé, cette force produit nécessairement un effet contraire au premier ; elle repousse au lieu d’attirer et se dirige vers l’autre pôle.

La répulsion, dans l’aimant, n’est donc que l’effet d’une attraction en sens contraire, et qu’on oppose à elle-même : toutes deux ne partent pas du corps de l’aimant, mais en proviennent, et sont des effets d’une force extérieure, qui agit sur l’aimant en deux sens opposés ; et dans tout aimant, comme dans le globe terrestre, la force magnétique forme deux courants en sens contraire, qui partent tous deux de l’équateur en se dirigeant aux deux pôles.

Mais on doit observer qu’il y a une inégalité de force entre les deux courants magnétiques du globe, dont l’hémisphère boréal, offrant à sa surface beaucoup plus de terres que d’eau et étant par conséquent moins froid que l’hémisphère austral, ne doit pas déterminer ce courant avec autant de puissance, en sorte que ce courant magnétique boréal a moins d’intensité de force que le courant de l’hémisphère austral, dans lequel la quantité des eaux et des glaces étant beaucoup plus grande que dans le boréal, la condensation des émanations terrestres provenant des régions de l’équateur doit être aussi plus rapide et plus grande ; cette même inégalité se reconnaît dans les aimants. M. de Bruno a fait, à ce sujet, quelques expériences, dont nous citons la plus décisive dans la note ci-dessous[52]. Descartes avait dit auparavant que le côté de l’aimant qui tend vers le nord peut soutenir plus de fer dans nos régions septentrionales que le côté opposé[53] ; et ce fait a été confirmé par Rohault, et aujourd’hui par les expériences de M. de Bruno. Le pôle boréal est donc le plus fort dans les aimants, tandis que c’est au contraire le pôle le plus faible sur le globe terrestre ; et c’est précisément ce qui détermine les pôles boréaux des aimants à se porter vers le nord, comme vers un pôle dont la quantité de force est différente de celle qu’ils ont reçue.

Lorsqu’on présente deux aimants l’un à l’autre et que l’on oppose les pôles de même nom, il est nécessaire qu’ils se repoussent, parce que la force magnétique, qui se porte de l’équateur du premier aimant à son pôle, agit dans une direction contraire et diamétralement opposée à la force magnétique, qui se porte en sens contraire dans le second aimant. Ces deux forces sont de même nature, leur quantité est égale et, par conséquent, ces deux forces égales et opposées doivent produire une répulsion, tandis qu’elles n’offrent qu’une attraction, si les deux aimants sont présentés l’un à l’autre par les pôles de différents noms, puisqu’alors les deux forces magnétiques, au lieu d’être égales, diffèrent par leur nature et par leur quantité. Ceci seul suffirait pour démontrer que la force magnétique ne circule pas en tourbillon autour de l’aimant, mais se porte seulement de son équateur à ses pôles, en deux sens opposés.

Cette répulsion, qu’exercent l’un contre l’autre les pôles de même nom, sert à rendre raison d’un phénomène, qui d’abord a surpris les yeux de quelques physiciens. Si l’on soutient deux aiguilles aimantées l’une au-dessus de l’autre, et si on leur communique le plus léger mouvement, elles ne se fixent point dans la direction du méridien magnétique ; mais elles s’en éloignent également des deux côtés, l’une à droite, et l’autre à gauche de la ligne de leur direction naturelle.

Or, cet écartement provient de l’action répulsive de leurs pôles semblables ; et, ce qui le prouve, c’est qu’à mesure qu’on fait descendre l’aiguille supérieure pour l’approcher de l’inférieure, l’angle de leur écartement devient plus grand, tandis qu’au contraire il devient plus petit à mesure qu’on fait remonter cette même aiguille supérieure au-dessus de l’inférieure, et lorsque les aiguilles sont assez éloignées l’une de l’autre pour n’être plus soumises à leur influence mutuelle, elles reprennent alors leur vraie direction, et n’obéissent plus qu’à la force du magnétisme général. Cet effet, dont la cause est évidente, n’a pas laissé d’induire en erreur ceux qui l’ont observé les premiers : ils ont imaginé qu’on pourrait, par ce moyen, construire des boussoles dont l’une des aiguilles indiquerait le pôle terrestre, tandis que l’autre se dirigerait vers le pôle magnétique, en sorte que la première marquerait le vrai nord, et la seconde la déclinaison de l’aimant ; mais le peu de fondement de cette prétention est suffisamment démontré par l’angle que forment les deux aiguilles, et qui augmente ou diminue par l’influence mutuelle de leurs pôles, en les rapprochant ou les éloignant l’un de l’autre.

On déterminera plus puissamment, plus promptement cette force extérieure du magnétisme général vers le fer, en le tenant dans la direction du méridien magnétique de chaque lieu, et l’on a observé qu’en mettant dans cette situation des verges de fer, les unes en incandescence et les autres froides, les premières reçoivent la vertu magnétique bien plus tôt et en bien plus grande mesure[54] que les dernières. Ce fait ajoute encore aux preuves que j’ai données de la formation des mines d’aimant par le feu primitif.

Il faut une certaine proportion, dans les dimensions du fer, pour qu’il puisse s’aimanter promptement de lui-même et par la seule action du magnétisme général ; cependant, tous les fers, étant posés dans une situation perpendiculaire à l’horizon, prendront dans nos climats quelque portion de vertu magnétique. M. le chevalier de Lamanon, ayant examiné les fers employés dans tous les vaisseaux qu’il a vus dans le port de Brest, en 1785, a trouvé que tous ceux qui étaient placés verticalement avaient acquis la vertu magnétique[55]. Il faut seulement un assez long temps pour que cet effet se manifeste dans les fers qui sont gros et courts, moins de temps pour ceux qui sont longs et menus[56]. Ces derniers s’aimantent en quelques minutes, et il faut des mois et des années pour les autres. De quelque manière même que le fer ait reçu la vertu magnétique, il paraît que jusqu’à un certain point, et toutes choses égales, la force qu’il acquiert est en raison de sa longueur[57] ; les barreaux de fer qui sont aux fenêtres des anciens édifices ont souvent acquis, avec le temps, une assez grande force magnétique pour pouvoir, comme de véritables aimants, attirer et repousser d’une manière sensible l’aiguille aimantée à plusieurs pieds de distance.

Mais cette communication du magnétisme au fer s’opère très inégalement suivant les différents climats ; on s’est assuré, par l’observation, que, dans toutes les contrées des zones tempérées et froides, le fer tenu verticalement acquiert plus promptement et en plus grande mesure la vertu magnétique que dans les régions qui sont sous la zone torride, dans lesquelles même il ne prend souvent que peu ou point de vertu magnétique dans cette position verticale.

Nous avons dit que les aimants ont proportionnellement d’autant plus de force qu’ils sont en plus petit volume. Une pierre d’aimant, dont le volume excède vingt-sept ou trente pouces cubiques, peut à peine porter un poids égal à celui de sa masse, tandis que, dans les petites pierres d’aimant d’un ou deux pouces cubiques, il s’en trouve qui portent vingt, trente et même cinquante fois leur poids. Mais, pour faire des comparaisons exactes, il faut que le fer soit de la même qualité et que les dimensions et la figure de chaque morceau soient semblables et égales ; car un aimant qui soutiendrait un cube de fer du poids d’une livre ne pourra soutenir un fil de fer long d’un pied qui ne pèserait pas un gros, et si les masses à soutenir ne sont pas entièrement de fer, quoique de même forme, si, par exemple, on applique à l’aimant deux masses d’égal poids et de figure semblable, dont l’une serait entièrement de fer, et dont l’autre ne serait de fer que dans la partie supérieure, et de cuivre ou d’autre matière dans la partie inférieure, cette masse, composée de deux matières, ne sera pas attirée ni soutenue avec la même force que la masse de fer continu, et elle tiendra d’autant moins à l’aimant que la portion de fer sera plus petite, et que celle de l’autre matière sera plus grande.

Lorsqu’on divise un gros aimant en plusieurs parties, chaque fragment, quelque petit qu’il soit, aura toujours des pôles[58]. La vertu magnétique augmentera au lieu de diminuer par cette division ; ces fragments, pris séparément, porteront beaucoup plus de poids que quand ils étaient réunis en un seul bloc. Cependant les gros aimants, même les plus faibles, répandent en proportion leur force à de plus grandes distances que les petits aimants les plus forts ; et si l’on joint ensemble plusieurs petits aimants pour n’en faire qu’une masse, la vertu de cette masse s’étendra beaucoup plus loin que celle d’aucun des morceaux dont ce bloc est composé. Dans tous les cas, cette force agit de plus loin sur un autre aimant, ou sur le fer qui ne l’est pas[59].

On peut reconnaître assez précisément les effets de l’attraction de l’aimant sur le fer, et sur le fer aimanté par le moyen des boussoles dont l’aiguille nous offre aussi, par son mouvement, les autres phénomènes du magnétisme général. La direction de l’aiguille vers les parties polaires du globe terrestre, sa déclinaison et son inclinaison dans les différents lieux du globe, sont les effets de ce magnétisme dont nous avons tiré le grand moyen de parcourir les mers et les terres inconnues, sans autre guide que cette aiguille qui seule peut nous conduire lorsque l’aspect du ciel nous manque, et que tous les astres sont voilés par les nuages, les brouillards et les brumes[60].

Ces aiguilles, une fois bien aimantées, sont de véritables aimants ; elles nous en présentent tous les phénomènes, et même les démontrent d’une manière plus précise qu’on ne pourrait les reconnaître dans les aimants même ; car l’aimant et le fer bien aimanté produisent les mêmes effets, et, lorsqu’une petite barre d’acier a été aimantée au point de prendre toute la vertu magnétique dont elle est susceptible, c’est dès lors un aimant qui, comme le véritable aimant, peut communiquer sa force sans en rien perdre à tous les fers et à tous les aciers qu’on lui présentera.

Mais ni l’aimant naturel, ni ces aimants artificiels, ne communiquent pas d’abord autant de force qu’ils en ont : une lame de fer ou d’acier, passée sur l’aimant, en reçoit une certaine mesure de vertu magnétique qu’on estime par le poids que cette lame peut soutenir ; si l’on passe une seconde lame sur la première, cette seconde lame ne recevra de même qu’une partie de la première, et ne pourra soutenir qu’un moindre poids ; une troisième lame, passée sur la seconde, ne prendra de même qu’une portion de la force de cette seconde lame, et enfin, dans une quatrième lame passée sur la troisième, la vertu communiquée sera presque insensible, ou même nulle.

Chacune de ces lames conserve néanmoins toute la vertu qu’elle a reçue sans perte ni diminution, quoiqu’elles paraissent en faire largesse en la communiquant ; car l’aimant ou le fer aimanté ne font aucune dépense réelle de cette force ; elle ne leur appartient donc pas en propre et ne fait pas partie de leur substance ; ils ne font que la déterminer plus ou moins vers le fer qui ne l’a pas encore reçue.

Ainsi, je le répète, cette force ne réside pas en quantité réelle et matérielle dans l’aimant, puisqu’elle passe sans diminution de l’aimant au fer et du fer au fer, qu’elle se multiplie au lieu de s’évanouir, et qu’elle augmente au lieu de diminuer par cette communication ; car chaque lame de fer en acquiert sans que les autres en perdent, et la force reste évidemment la même dans chacune, après mille et mille communications. Cette force est donc extérieure, et de plus est, pour ainsi dire, infinie relativement aux petites masses de l’aimant et du fer qui ne font que la déterminer vers leur propre substance ; elle existe à part, et n’en existerait pas moins quand il n’y aurait point de fer ni d’aimant dans le monde ; mais il est vrai qu’elle ne produirait pas les mêmes effets, qui tous dépendent du rapport particulier que la matière ferrugineuse se trouve avoir avec l’action de cette force.


ARTICLE IV

DIVERS PROCÉDÉS POUR PRODUIRE ET COMPLÉTER L’AIMANTATION DU FER.

Plusieurs circonstances concourent à rendre plus ou moins complète la communication de la force magnétique de l’aimant au fer ; premièrement, tous les aimants ne donnent pas au même fer une égale force attractive ; les plus forts lui communiquent ordinairement plus de vertu que les aimants plus faibles ; secondement, la qualité du fer influe beaucoup sur la quantité de vertu magnétique qu’il peut recevoir du même aimant ; plus le fer est pur, et plus il peut s’aimanter fortement ; l’acier, qui est le fer le plus épuré, reçoit plus de force magnétique et la conserve plus longtemps que le fer ordinaire ; troisièmement, il faut une certaine proportion, dans les dimensions du fer ou de l’acier que l’on veut aimanter, pour qu’ils reçoivent la plus grande force magnétique qu’ils peuvent comporter ; la longueur, la largeur et l’épaisseur de ces fers ou aciers ont leurs proportions et leurs limites ; ces dimensions respectives ne doivent être ni trop grandes, ni trop petites, et ce n’est qu’après une infinité de tâtonnements qu’on a pu déterminer à peu près leurs proportions relatives, dans les masses de fer ou d’acier que l’on veut aimanter au plus haut degré[61].

Lorsqu’on présente à un aimant puissant du fer doux et du fer dur, les deux fers acquièrent la vertu magnétique et en reçoivent autant qu’ils peuvent en comporter ; et le fer dur qui en comporte le plus peut en recevoir davantage ; mais, si l’aimant n’est pas assez puissant pour communiquer aux fers toute la force qu’ils peuvent recevoir, on trouvera que le fer tendre, qui reçoit avec plus de facilité la vertu magnétique, aura dans le même temps acquis plus de force que le fer dur. Il peut aussi arriver que l’action de l’aimant sur les fers soit telle que le fer tendre sera pleinement imprégné, tandis que le fer dur n’aura pas été exposé à cette action pendant assez de temps pour recevoir toute la force magnétique qu’il peut comporter, de sorte que tous deux peuvent présenter dans ces deux cas des forces magnétiques égales, ce qui explique les contradictions des artistes sur la qualité du fer qu’on doit préférer pour faire des aimants artificiels[62].

Une verge de fer, longue et menue, rougie au feu et ensuite plongée perpendiculairement dans l’eau, acquiert, en un moment, la vertu magnétique. L’on pourrait donc aimanter promptement des aiguilles de boussole sans aimant. Il suffirait, après les avoir fabriquées, de les faire rougir au feu et de les tremper ensuite dans l’eau froide[63]. Mais ce qui paraît singulier, quoique naturel, c’est-à-dire dépendant des mêmes causes, c’est que le fer en incandescence, comme l’on voit, s’aimante très promptement, en le plongeant verticalement dans l’eau pour le refroidir, au lieu que le fer aimanté perd sa vertu magnétique par le feu, et ne la reprend pas étant de même plongé dans l’eau. Et c’est parce qu’il conserve un peu de cette vertu que le feu ne la lui enlève pas tout entière ; car cette portion qu’il conserve de son ancien magnétisme l’empêcha d’en recevoir un nouveau.

On peut faire avec l’acier des aimants artificiels, aussi puissants, aussi durables que les meilleurs aimants naturels ; on a même observé qu’un aimant bien armé donne à l’acier plus de vertu magnétique qu’il n’en a lui-même. Ces aimants artificiels demandent seulement quelques attentions dans la fabrication, et de justes proportions dans leurs dimensions[64]. Plusieurs physiciens et quelques artistes habiles ont, dans ces derniers temps si bien réussi, tant en France[65] qu’en Angleterre, qu’on pourrait, au moyen d’un de ces aimants artificiels, se passer à l’avenir des aimants de nature.

Il y a plus : on peut, sans aimant ni fer aimanté, et par un procédé aussi remarquable qu’il est simple, exciter dans le fer la vertu magnétique à un très haut degré : ce procédé consiste à poser sur la surface polie d’une forte pièce de fer, telle qu’une enclume, des barreaux d’acier, et à les frotter ensuite un grand nombre de fois en les retournant sur leurs différentes faces, toujours dans le même sens, au moyen d’une grosse barre de fer tenue verticalement et dont l’extrémité inférieure, pour le plus grand effet, doit être aciérée et polie. Les barreaux d’acier se trouvent, après ces frottements, fortement aimantés, sans que l’enclume ni la barre, qui semblent leur communiquer la vertu magnétique, la possèdent ou la prennent sensiblement elles-mêmes ; et rien ne semble plus propre à démontrer l’affinité réelle et le rapport intime du fer avec la force magnétique, lors même qu’elle ne s’y manifeste pas sensiblement et qu’elle n’y est pas formellement établie, puisque, ne la possédant pas, il la communique en déterminant son cours et ne lui servant que de conducteur.

MM. Michel et Canton, au lieu de se servir d’une seule barre de fer pour produire des aimants artificiels, ont employé avec succès deux barres déjà magnétiques : leur méthode a été appelée « méthode du double contact », à cause du double moyen qu’ils ont préféré. Elle a été perfectionnée par M. Æpinus, qui a cherché et trouvé la manière la plus avantageuse de placer les forces dans les aimants artificiels, afin que celles qui attirent et celles qui repoussent se servent le plus et se nuisent le moins possible. Voici son procédé, qui est l’un des meilleurs auxquels on puisse avoir recours pour cet effet, et nous pensons qu’on doit le préférer pour aimanter les aiguilles des boussoles. M. Æpinus suppose que l’on veuille augmenter jusqu’au degré de saturation la vertu de quatre barres déjà douées de quelque magnétisme… Il en met deux horizontalement, parallèlement et à une certaine distance l’une de l’autre, entre deux parallélipipèdes de fer ; il place sur une de ces barres horizontales les deux autres barres qui lui restent ; il les incline, l’une à droite, l’autre à gauche, de manière qu’elles forment un angle de quinze à vingt degrés avec la barre horizontale, et que leurs extrémités inférieures ne soient séparées que par un espace de quelques lignes ; il les conduit ensuite d’un bout de la barre à l’autre, alternativement dans les deux sens et en les tenant toujours à la même distance l’une de l’autre ; après que la première barre horizontale a été ainsi frottée sur ses deux surfaces, il répète l’opération sur la seconde barre ; il remplace alors la première paire de barres par la seconde, qu’il place de même entre les deux parallélipipèdes et qu’il frotte de la même manière que nous venons de le dire avec la première paire ; il recommence ensuite l’opération sur cette première paire, et il continue de frotter alternativement une paire sur l’autre, jusqu’à ce que les barres ne puissent plus acquérir du magnétisme. M. Æpinus emploie le même procédé avec trois barres, ou avec un plus grand nombre ; mais, selon lui, la manière la plus courte et la plus sûre est d’aimanter quatre barres : on peut coucher entièrement les aimants sur la barre que l’on frotte, au lieu de leur faire former un angle de quinze ou vingt degrés, si la barre est assez courte pour que ses extrémités ne se trouvent pas trop voisines des pôles extérieurs des aimants, qui jouissent de forces opposées à celles de ces extrémités.

Lorsque la barre à aimanter est très longue, il peut se faire que l’ingénieux procédé de M. Æpinus, ainsi que celui de M. Canton, produise une suite de pôles alternativement contraires, surtout si le fer est mou et, par conséquent, susceptible de recevoir plus promptement le magnétisme.

M. Æpinus s’est servi du procédé du double contact de deux manières : 1o avec quatre barres d’un fer médiocrement dur, longues de deux pieds, larges d’un pouce et demi, épaisses d’un demi-pouce, et douze lames d’acier de six pouces de long, de quatre lignes de large et d’une demi-ligne d’épaisseur. Les quatre premières étaient d’un acier mou, quatre autres avaient la dureté de l’acier ordinaire avec lequel on fait les ressorts, et les quatre autres barres étaient d’un acier dur jusqu’au plus haut degré de fragilité. Il a tenu verticalement une des grandes barres et l’a frappée fortement environ deux cents fois à l’aide d’un gros marteau ; elle a acquis, par cette percussion, une vertu magnétique assez forte pour soutenir un petit clou de fer ; l’extrémité inférieure a reçu la vertu du pôle boréal, et l’extrémité supérieure la vertu du pôle austral ; il a aimanté de même les autres trois grandes barres. Il a ensuite placé l’une des petites lames d’acier mou sur une table entre deux des grandes barres, comme dans le procédé du double contact, et l’a frottée suivant le même procédé avec les deux autres grandes barres ; il l’a ainsi magnétisée ; il l’a successivement remplacée par les trois autres lames d’acier mou, et a porté la force magnétique de ces quatre lames au degré de saturation : il a placé, après cela, deux des lames qui avaient la dureté des ressorts entre deux parallélipipèdes de fer mou, les a frottées avec deux faisceaux formés des quatre grandes barres, a fait la même opération sur les deux autres, a remplacé les quatre grandes barres par les quatre petites lames d’acier mou, et a porté ainsi jusqu’à la saturation la force magnétique des quatre lames ayant la dureté des ressorts ; il a terminé son procédé par répéter la même opération, et, pour aimanter jusqu’à saturation les lames qui présentaient le plus de dureté, il les a substituées à celles qui n’avaient que la dureté du ressort, et il a mis celles-ci à la place des grandes barres.

La seconde manière que M. Æpinus a employée ne diffère de la première qu’en ce qu’il a fait faire les quatre grandes barres d’un fer très mou, et qu’il a mis la petite lame molle à aimanter, ainsi que les deux grandes barres placées à son extrémité, dans la direction de l’inclinaison de l’aiguille aimantée. Il a ensuite traité la petite lame d’acier avec les deux autres grandes barres, en les tenant parallèlement à la petite lame, ou en ne leur faisant former qu’un angle très aigu[66].

Si l’on approche d’un aimant une longue barre de fer, la portion la plus voisine de l’aimant acquiert à cette extrémité, comme nous l’avons dit, un pôle opposé à celui qu’elle touche ; une seconde portion de cette même barre offre un pôle contraire à celui de la portion contiguë à l’aimant ; une troisième présente le même pôle que la première, une quatrième que la seconde, et ainsi de suite : les pôles alternativement opposés de ces quatre parties de la barre sont d’autant plus faibles, qu’ils s’éloignent davantage de l’aimant, et leur nombre, toutes choses égales, est proportionnel à la longueur de la barre[67].

Si l’on applique le pôle de l’aimant sur le milieu d’une lame, elle acquiert dans ce point un pôle contraire, et, dans les deux extrémités, deux pôles semblables à celui qui la touche : si le fer est épais, la surface opposée à l’aimant acquiert aussi un pôle semblable à celui qui est appliqué contre le fer ; et si la barre est un peu longue, les deux extrémités présentent la suite des pôles alternativement contraires dont nous venons de parler[68].

La facilité avec laquelle le fer reçoit la vertu magnétique par le contact ou le voisinage d’un aimant, l’attraction mutuelle des pôles opposés et la répulsion des pôles semblables, sont confirmées par les phénomènes suivants.

Lorsque l’on donne à un morceau de fer la forme d’une fourche et qu’on applique une des branches à un aimant, le fer devient magnétique et son extrémité inférieure peut soutenir une petite masse de fer ; mais, si l’on approche de la seconde branche de la fourche un aimant dont le pôle soit opposé à celui du premier aimant, le morceau de fer soumis à deux forces qui tendent à se détruire recevant deux vertus contraires, ou, pour mieux dire, n’en recevant plus aucune, perd son magnétisme et laisse échapper le poids qu’il soutenait.

Si l’on suspend un petit fil de fer mou, long de quelques pouces, et qu’on approche un aimant de son extrémité inférieure en présentant aussi à cette extrémité un morceau de fer, ce morceau acquerra une vertu opposée à celle du pôle voisin de l’aimant ; il repoussera l’extrémité inférieure du fil de fer qui aura obtenu une force semblable à celle qu’il possédera, et attirera l’extrémité supérieure qui jouira d’une vertu contraire.

Lorsqu’on suspend un poids à une lame d’acier mince, aimantée et horizontale, et que l’on place au-dessus de cette lame une seconde lame aimantée, de même force, d’égale grandeur, couchée sur la première, la recouvrant en entier et présentant un pôle opposé au pôle qui soutient le poids, ce poids n’est plus retenu. Si la lame supérieure jouit d’une plus grande force que l’inférieure, le poids tombera avant qu’elle ne touche la seconde lame ; mais, en continuant de l’approcher, elle agira par son excès de force sur les nouveaux poids qu’on lui présentera, et les soutiendra, malgré l’action contraire de la lame inférieure.

Lorsque l’on suspend un poids à un aimant et que l’on approche un second aimant au-dessus de ce poids, la force du premier aimant est augmentée dans le cas où les pôles contraires sont opposés, et se trouve diminuée quand les pôles semblables sont les plus voisins : les mêmes effets arriveront et le poids sera également soumis à deux forces agissant dans la même direction, si l’on remplace le second aimant par un morceau de fer auquel la proximité du premier aimant communiquera une vertu magnétique opposée à celle du pôle le plus voisin[69]. Ceci avait été observé précédemment par M. de Réaumur, qui a reconnu qu’un aimant enlevait une masse de fer placée sur une enclume de fer avec plus de facilité que lorsqu’elle était placée sur une autre matière.

Les faits que nous venons de rapporter nous démontrent[70] pourquoi un aimant acquiert une nouvelle vertu en soutenant du fer qu’il aimante par son voisinage, et pourquoi, si on lui enlève des poids qu’on était parvenu à lui faire porter en le chargeant graduellement, il refuse de les soutenir lorsqu’on les lui rend tous à la fois.

L’expérience nous apprend, dit M. Æpinus, que le fer exposé à un froid très âpre devient beaucoup plus dur et plus cassant : ainsi, lorsqu’on aimante une barre de fer, le degré de la force qu’elle acquiert dépend, selon lui, en grande partie du degré de froid auquel elle est exposée, en sorte que la même barre aimantée de la même manière n’acquiert pas, dans l’été, la même vertu que dans l’hiver, surtout pendant un froid très rigoureux ; néanmoins, ce savant physicien convient qu’il faudrait confirmer ce fait par des expériences exactes et réitérées[71]. Au reste, on peut assurer qu’en général la grande chaleur et le grand froid diminuent la vertu magnétique des aimants et des fers aimantés, en modifiant leur état et en les rendant par là plus ou moins susceptibles de l’action de l’électricité générale[72].

On peut voir, dans l’Essai sur le fluide électrique de M. Tressan, une expérience du docteur Knight, que j’ai cru devoir rapporter ici parce qu’elle est relative à l’aimantation du fer et d’ailleurs parce qu’elle peut servir à rendre raison de plusieurs autres expériences surprenantes en apparence, et dont la cause a été pendant longtemps cachée aux physiciens[73]. Au reste, elle s’explique très aisément par la répulsion des pôles semblables et l’attraction des pôles de différent nom.


ARTICLE V

DE LA DIRECTION DE L’AIMANT ET DE SA DÉCLINAISON.

Après avoir considéré les effets de la force attractive de l’aimant, considérons les phénomènes de ses forces directives. Un aimant ou, ce qui revient au même, une aiguille aimantée, se dirige toujours vers les pôles du globe, soit directement, soit obliquement, en déclinant à l’est ou à l’ouest, selon les temps et les lieux, car ce n’est que pendant un assez petit intervalle de temps, comme de quelques années, que dans un même lieu la direction de l’aimant paraît être constante ; et en tout temps, il n’y a que quelques endroits sur la terre où l’aiguille se dirige droit aux pôles du globe, tandis que, partout ailleurs, elle décline de plus ou moins de degrés à l’est ou à l’ouest, suivant les différentes positions de ces mêmes lieux.

Les grandes ou petites aiguilles, aimantées sur un aimant fort ou faible contre les pôles ou contre les autres parties de la surface de ces aimants, prennent toutes la même direction en marquant également la même déclinaison dans chaque lieu particulier.

Les Français sont, de l’aveu même des étrangers, les premiers en Europe qui aient fait usage de cette connaissance de la direction de l’aimant pour se conduire dans leurs navigations[74] : dès le commencement du xiie siècle, ils naviguaient sur la Méditerranée guidés par l’aiguille aimantée, qu’ils appelaient la marinette[75] ; et il est à présumer que, dans ce temps, la direction de l’aimant était constante, car cette aiguille n’aurait pu guider des navigateurs qui ne connaissaient pas ses variations, et ce n’est que dans les siècles suivants qu’on a observé sa déclinaison dans les différents lieux de la terre, et même aujourd’hui l’art nécessaire à la précision de ces observations n’est pas encore à sa perfection. La marinette n’était qu’une boussole imparfaite, et notre compas de mer, qui est une boussole perfectionnée, n’est pas encore un guide aussi fidèle qu’il serait à désirer : nous ne pouvons même guère espérer de le rendre plus sûr, malgré les observations très multipliées des navigateurs dans toutes les parties du monde, parce que la déclinaison de l’aimant change selon les lieux et les temps. Il faut donc chercher à reconnaître ces changements de direction en différents temps, pendant un aussi grand nombre d’années que les observations peuvent nous l’indiquer, et ensuite les comparer aux changements de cette déclinaison dans un même temps en différents lieux.

En recueillant le petit nombre d’observations faites à Paris dans les xvie et xviie siècles, il paraît qu’en l’année 1580 l’aiguille aimantée déclinait de 11 degrés 30 minutes vers l’est ; qu’en 1618 elle déclinait de 8 degrés, et qu’en l’année 1663 elle se dirigeait droit au pôle : l’aiguille aimantée s’est donc successivement approchée du pôle de 11 degrés 30 minutes pendant cette suite de quatre-vingt-trois ans, mais elle n’est demeurée qu’un an ou deux stationnaire dans cette direction où la déclinaison est nulle ; après quoi, l’aiguille s’est de plus en plus éloignée de la direction au pôle[76], toujours en déclinant vers l’ouest ; de sorte qu’en 1785, le 30 mai, la déclinaison était à Paris de 22 degrés[77]. De même on peut voir, par les observations faites à Londres, qu’avant l’année 1657 l’aiguille déclinait à l’est, et qu’après cette année 1657, où sa direction tendait droit au pôle, elle a décliné successivement vers l’ouest[78].

La déclinaison s’est donc trouvée nulle à Londres six ans plus tôt qu’à Paris, et Londres est plus occidental que Paris de 2 degrés 25 minutes. Le méridien magnétique coïncidait avec le méridien de Londres en 1657, et avec le méridien de Paris en 1663 ; il a donc subi pendant ce temps un changement d’occident en orient par un mouvement de 2 degrés 25 minutes en six ans, et l’on pourrait croire que ce mouvement serait relatif à l’intervalle des méridiens terrestres, si d’autres observations ne s’opposaient pas à cette supposition ; le méridien magnétique de la ligne sans déclinaison passait par Vienne en Autriche dès l’année 1638 : cette ligne aurait donc dû arriver à Paris plus tôt qu’à Londres ; et cependant c’est à Londres qu’elle est arrivée six ans plus tôt qu’à Paris. Cela nous démontre que le mouvement de cette ligne n’est point du tout relatif aux intervalles des méridiens terrestres.

Il ne me paraît donc pas possible de déterminer la marche de ce mouvement de déclinaison, parce que sa progression est plus qu’irrégulière et n’est point du tout proportionnelle au temps, non plus qu’à l’espace ; elle est tantôt plus prompte, tantôt plus lente, et quelquefois nulle ; l’aiguille demeurant stationnaire et même devenant rétrograde pendant quelques années, et reprenant ensuite un mouvement de déclinaison dans le même sens progressif. M. Cassini, l’un de nos plus savants astronomes, a été informé qu’à Québec la déclinaison n’a varié que de 30 minutes pendant trente-sept ans consécutifs : c’est peut-être le seul exemple d’une station aussi longue. Mais on a observé plusieurs stations moins longues en différents lieux : par exemple, à Paris, l’aiguille a marqué la même déclinaison pendant cinq années, depuis 1720 jusqu’en 1724, et aujourd’hui ce mouvement progressif est fort ralenti ; car, pendant seize années, la déclinaison n’a augmenté que de 2 degrés, ce qui ne fait que 7 minutes et demie par an, puisqu’en 1769 la déclinaison était de 20 degrés, et qu’en 1785 elle s’est trouvée de 22[79]. Je ne crois donc pas que l’on puisse, par des observations ultérieures et même très multipliées, déterminer quelque chose de précis sur le mouvement progressif ou rétrograde de l’aiguille aimantée, parce que ce mouvement n’est point l’effet d’une cause constante ou d’une loi de la nature, mais dépend de circonstances accidentelles, particulières à certains lieux, et variables selon les temps ; je crois pouvoir assurer, comme je l’ai dit, que le défrichement des terres et la découverte ou l’enfouissement des mines de fer, soit par les tremblements de terre, les effets des foudres souterraines et de l’éruption des volcans, soit par l’incendie des forêts et même par le travail des hommes, doivent changer la position des pôles magnétiques sur le globe et fléchir en même temps la direction de l’aimant.

En 1785, la déclinaison de l’aiguille aimantée était de 22 degrés ; en 1784, elle n’a été que de 21 degrés 21 minutes ; en 1783, de 21 degrés 11 minutes[80] ; en 1782, de 21 degrés 36 minutes[81].

Et en consultant les observations qui ont été faites par l’un de nos plus habiles physiciens, M. Cotte, nous voyons qu’en prenant le terme moyen entre les résultats des observations faites à Montmorency, près Paris, tous les jours de l’année, le matin, à midi et le soir, c’est-à-dire le terme moyen de 1 095 observations, la déclinaison, en 1781, a été de 20 degrés 16 minutes 58 secondes, et les différences entre les observations ont été si petites, que M. Cotte a cru pouvoir les regarder comme nulles[82].

En 1780, cette même déclinaison moyenne a été de 19 degrés 55 minutes 27 secondes ; en 1779, de 19 degrés 41 minutes 8 secondes ; en 1778, de 19 degrés 32 minutes 55 secondes ; en 1777, de 19 degrés 35 minutes 55 secondes ; en 1776, de 19 degrés 33 minutes 31 secondes ; en 1775, de 19 degrés 41 minutes 41 secondes[83].

Ces observations sont les plus exactes qui aient jamais été faites ; celles des années précédentes, quoique bonnes, n’offrent pas le même degré d’exactitude ; et, à mesure qu’on remonte dans le passé, les observations deviennent plus rares et moins précises, parce qu’elles n’ont été faites qu’une fois ou deux par mois, et même par année. Comparant donc ces observations entre elles, on voit que pendant les onze années, depuis 1775 jusqu’en 1785, l’augmentation de la déclinaison vers l’ouest n’a été que de 2 degrés 18 minutes 19 secondes, ce qui n’excède pas de beaucoup la variation de l’aiguille dans un seul jour, qui quelquefois est de plus d’un degré et demi. On ne peut donc pas en conclure affirmativement que la progression actuelle de l’aiguille vers l’ouest soit considérable ; il se pourrait, au contraire, que l’aiguille fût presque stationnaire depuis quelques années, d’autant qu’en 1774 la déclinaison moyenne a été de 19 degrés 55 minutes 35 secondes[84] ; en 1773, de 20 degrés 1 minute 15 secondes[85] ; en 1772, de 19 degrés 55 minutes 25 secondes, et cette augmentation de la déclinaison vers l’ouest a été encore plus petite dans les années précédentes, puisqu’en 1771 cette déclinaison a été de 19 degrés 55 minutes comme en 1772[86] ; qu’en 1770 elle a été de 19 degrés 55 minutes[87], et en 1769 de 20 degrés[88].

Le mouvement en déclinaison vers l’ouest paraît donc s’être très accentué depuis près de vingt ans. Cela semble indiquer que ce mouvement pourra, dans quelque temps, devenir rétrograde, ou du moins que sa progression ne s’étendra qu’à quelques degrés de plus ; car je ne pense pas qu’on puisse supposer ici une révolution entière, c’est-à-dire de 360 degrés dans le même sens : il n’y a aucun fondement à cette supposition, quoique plusieurs physiciens l’aient admise, et que même ils en aient calculé la durée d’après les observations qu’ils avaient pu recueillir ; et si nous voulions supposer et calculer de même, d’après les observations rapportées ci-dessus, nous trouverions que la durée de cette révolution serait de mille neuf cent quatre-vingt-seize ans et quelques mois, puisqu’en cent vingt-deux années, c’est-à-dire depuis 1663 à 1785, la progression a été de 22 degrés ; mais ne serait-il pas nécessaire de supposer encore que le mouvement de cette progression fût assez uniforme pour faire dans l’avenir à peu près autant de chemin que dans le passé, ce qui est plus qu’incertain et même peu vraisemblable par plusieurs raisons, toutes mieux fondées que ces fausses suppositions ?

Car, si nous remontons au delà de l’année 1663, et que nous prenions pour premier terme de la progression de ce mouvement l’année 1580, dans laquelle la déclinaison était de 11 degrés 30 minutes vers l’est, le progrès de ce mouvement en deux cent cinq ans (c’est-à-dire depuis 1580 jusqu’à l’année 1785 comprise) a été en totalité de 33 degrés 30 minutes, ce qui donnerait environ deux mille deux cent un ans pour la révolution totale de 360 degrés. Mais ce mouvement n’est pas, à beaucoup près, uniforme, puisque, depuis 1580 jusqu’en 1663, c’est-à-dire en quatre-vingt-trois ans, l’aiguille a parcouru 11 degrés 30 minutes par son mouvement de l’est au nord, tandis que, dans les cinquante-deux années suivantes, c’est-à-dire depuis 1663 jusqu’en 1715, elle a parcouru du nord à l’ouest un espace égal de 11 degrés 30 minutes et que, dans les cinquante années suivantes, c’est-à-dire depuis 1715 jusqu’en 1765, le progrès de cette déclinaison n’a été que d’environ 7 degrés et demi ; car, dans cette année 1765, l’aiguille aimantée déclinait à Paris de 18 degrés 55 minutes 20 secondes, et nous voyons que, depuis cette année 1765 jusqu’en 1785, c’est-à-dire en vingt ans, la déclinaison n’a augmenté que de 2 degrés, différence si petite, en comparaison des précédentes, qu’on peut présumer avec fondement que le mouvement total de cette déclinaison à l’ouest est borné, quant à présent, à un arc de 22 ou 23 degrés[89].

La supposition que le mouvement suit la même marche de l’est au nord que du nord à l’ouest n’est nullement appuyée par les faits ; car, si l’on consulte les observations faites à Paris depuis l’année 1610 jusqu’en 1663, c’est-à-dire dans les cinquante-trois ans qui ont précédé l’année où la déclinaison était nulle, l’aiguille n’a parcouru que 8 degrés de l’est au nord, tandis que, dans un espace de temps presque égal, c’est-à-dire dans les cinquante-neuf années suivantes, depuis 1663 jusqu’en 1712, elle a parcouru 13 degrés vers l’ouest[90]. On ne peut donc pas supposer que le mouvement de la déclinaison suive la même marche en s’approchant qu’en s’éloignant du nord, puisque ces observations démontrent le contraire.

Tout cela prouve seulement que ce mouvement ne suit aucune règle et qu’il n’est pas l’effet d’une cause constante ; il paraît donc certain que cette variation ne dépend que de causes accidentelles ou locales, et spécialement de la découverte ou de l’enfouissement des mines et grandes masses ferrugineuses, et de leur aimantation plus ou moins prompte et plus ou moins étendue, selon qu’elles sont plus ou moins découvertes et exposées à l’action du magnétisme général. Ces changements, comme nous l’avons dit, peuvent être produits par les tremblements de terre, l’éruption des volcans ou les coups des foudres souterraines, l’incendie des forêts, et même par le travail des hommes sur les mines de fer. Il doit dès lors se former de nouveaux pôles magnétiques plus faibles ou plus puissants que les anciens, dont on peut aussi supposer l’anéantissement par les mêmes causes. Ce mouvement ne peut donc pas être considéré comme un grand balancement qui se ferait par des oscillations régulières, mais comme un mouvement qui s’opère par secousses plus ou moins sensibles, selon le changement plus ou moins prompt des pôles magnétiques, changement qui ne peut provenir que de la découverte et de l’aimantation des mines ferrugineuses, lesquelles seules peuvent former des pôles.

Si nous considérons les mouvements particuliers de l’aiguille aimantée, nous verrons qu’elle est presque continuellement agitée par de petites vibrations dont l’étendue est au moins aussi variable que la durée. M. Graham, en Angleterre[91], et M. Cotte, à Paris[92], ont donné dans leurs tables d’observation toutes les alternatives, toutes les vicissitudes de ce mouvement de trépidation chaque mois, chaque jour et chaque heure. Mais nous devons remarquer que les résultats de ces observations doivent être modifiés. Ces physiciens ne se sont servis que de boussoles dans lesquelles l’aiguille portait sur un pivot dont le frottement influait plus que toute autre cause sur la variation ; car M. Coulomb, capitaine au corps royal du génie, de l’Académie des sciences, ayant imaginé une suspension dans laquelle l’aiguille est sans frottement, M. le comte de Cassini, de l’Académie des sciences, et arrière-petit-fils du grand astronome Cassini, a reconnu, par une suite d’expériences, que cette variation diurne ne s’étendait tout au plus qu’à 15 ou 16 minutes, et souvent beaucoup moins[93], tandis qu’avec les boussoles à pivot cette variation diurne est quelquefois de plus d’un degré et demi ; mais comme, jusqu’à présent, les navigateurs ne se sont servis que de boussoles à pivot, on ne peut compter qu’à 1 degré et demi et même à 2 degrés près sur la certitude de leurs observations.

En consultant les observations faites par les voyageurs récents[94], on voit qu’il y a plusieurs points sur le globe où la déclinaison est actuellement nulle ou moindre d’un degré, soit à l’est, soit à l’ouest, tant dans l’hémisphère boréal que dans l’hémisphère austral, et la suite de ces points où la déclinaison est nulle ou presque nulle forme des lignes et même des bandes qui se prolongent dans les deux hémisphères. Ces mêmes observations nous indiquent aussi que les endroits où la déclinaison est la plus grande, dans l’un et l’autre hémisphère, se trouvent aux plus hautes latitudes et beaucoup plus près des pôles que de l’équateur.

Les causes qui font varier la déclinaison et la transportent, pour ainsi dire, avec le temps, de l’est à l’ouest, ou de l’ouest à l’est du méridien terrestre, ne dépendent donc que de circonstances accidentelles et locales sur lesquelles, néanmoins, nous pouvons asseoir un jugement en rapprochant les différents faits ci-devant indiqués.

Nous avons dit qu’en l’année 1580, l’aiguille déclinait à Paris de onze degrés trente minutes vers l’est ; or, nous remarquerons que c’est depuis cette année 1580 que la déclinaison paraît avoir commencé de quitter cette direction vers l’est, pour se porter successivement vers le nord et ensuite vers l’ouest ; car, en l’année 1610, l’aiguille, ainsi que nous l’avons déjà remarqué, ne déclinait plus que de huit degrés vers l’est ; en 1640, elle ne déclinait plus que de trois degrés, et en 1663, elle se dirigeait droit au pôle. Enfin, depuis cette époque, elle n’a pas cessé de se porter vers l’ouest. J’observerai donc que la période de ce progrès dans l’ouest, auquel il faut joindre encore la période du retour ou du rappel de la déclinaison de l’est au nord, puisque ce mouvement s’est opéré dans le même sens ; j’observerai, dis-je, que ces périodes de temps semblent correspondre à l’époque du défrichement et de la dénudation de la terre dans l’Amérique septentrionale et aux progrès de l’établissement des colonies dans cette partie du nouveau monde : en effet, l’ouverture du sein de cette nouvelle terre par la culture, les incendies des forêts dans de vastes étendues et l’exploitation des mines de fer par les Européens dans ce continent, dont les habitants sauvages n’avaient jamais connu ni recherché ce métal, n’ont-elles pas dû produire un nouveau pôle magnétique, et déterminer vers cette partie occidentale du globe la direction de l’aimant qui précédemment n’éprouvait pas cette attraction, et au lieu d’obéir à deux forces était uniquement déterminée par le courant électrique qui va de l’équateur aux pôles de la terre ?

J’ai remarqué ci-devant que la déclinaison s’est trouvée constante à Québec, durant une période de trente-sept ans ; ce qui semble prouver l’action constante d’un nouveau pôle magnétique dans les régions septentrionales de l’Amérique. Enfin, le ralentissement actuel du progrès de la déclinaison dans l’ouest offre encore un rapport suivi avec l’état de cette terre du nouveau monde, où le principal progrès de la dénudation du sol et de l’exploitation des mines de fer paraît actuellement être à peu près aussi complet que dans les régions septentrionales de l’ancien continent.

On peut donc assurer que cette déclinaison de l’aimant dans les divers lieux et selon les différents temps ne dépend que du gisement des grandes masses ferrugineuses dans chaque région, et de l’aimantation plus ou moins prompte de ces mêmes masses par des causes accidentelles ou des circonstances locales, telles que le travail de l’homme, l’incendie des forêts, l’éruption des volcans, et même les coups que frappe l’électricité souterraine sur de grands espaces, causes qui peuvent toutes donner également le magnétisme aux matières ferrugineuses ; et ce qui en complète les preuves, c’est qu’après les tremblements de terre on a vu souvent l’aiguille aimantée soumise à de grandes irrégularités dans ses variations[95].

Au reste, quelque irrégulière que soit la variation de l’aiguille aimantée dans sa direction, il me paraît néanmoins que l’on peut en fixer les limites, et même placer entre elles un grand nombre de points intermédiaires, qui, comme ces limites mêmes, seront constants et presque fixes pour un certain nombre d’années, parce que le progrès de ce mouvement de déclinaison ne se faisant actuellement que très lentement, on peut le regarder comme constant pour le prochain avenir d’un petit nombre d’années ; et c’est pour arriver à cette détermination, ou du moins pour en approcher autant qu’il est possible, que j’ai réuni toutes les observations que j’ai pu recueillir dans les voyages et navigations faits depuis vingt ans, et dont je placerai d’avance les principaux résultats dans l’article suivant.


ARTICLE VI

DE L’INCLINAISON DE L’AIMANT.

La direction de l’aimant ou de l’aiguille aimantée n’est pas l’effet d’un mouvement simple, mais d’un mouvement composé qui suit la courbure du globe de l’équateur aux pôles. Si l’on pose un aimant sur du mercure, dans une situation horizontale et sous le méridien magnétique du lieu, il s’inclinera de manière que le pôle austral de cet aimant s’élèvera au-dessus, et que le pôle boréal s’abaissera au-dessous de la ligne horizontale dans notre hémisphère boréal, le contraire arrive dans l’hémisphère austral ; cet effet est encore plus aisé à mesurer, au moyen d’une aiguille aimantée, placée dans un plan vertical : la boussole horizontale indique la direction avec ses déclinaisons, et la boussole verticale démontre l’inclinaison de l’aiguille ; cette inclinaison change souvent plus que la déclinaison, suivant les lieux, mais elle est plus constante pour les temps ; et l’on a même observé que la différence de hauteur, comme du sommet d’une montagne à sa vallée, ne change rien à cette inclinaison. M. le chevalier de Lamanon m’écrit qu’étant sur le pic de Ténériffe, à 1 900 toises au-dessus du niveau de la mer, il avait observé que l’inclinaison de l’aiguille était la même qu’à Sainte-Croix ; ce qui semble prouver que les émanations du globe qui produisent l’électricité et le magnétisme s’élèvent à une très grande hauteur dans les climats chauds[96] : au reste, l’inclinaison et la déclinaison sont sujettes à des trépidations presque continuelles de jour en jour, d’heure en heure et, pour ainsi dire, de moment à moment.

Les aiguilles des boussoles verticales doivent être faites et placées de manière que leur centre de gravité coïncide avec leur centre de mouvement, au lieu que, dans les boussoles horizontales, le centre du mouvement de l’aiguille est un peu plus élevé que son centre de gravité.

Lorsqu’on commence à mettre en mouvement cette aiguille placée verticalement, elle se meut par des oscillations qu’on a voulu comparer à celles du pendule de la gravitation ; mais les effets qu’ils présentent sont très différents, car la direction de cette aiguille, dans son inclinaison, varie selon les différents lieux, au lieu que celle du pendule est constante dans tous les lieux de la terre, puisqu’elle est toujours perpendiculaire à la surface du globe.

Nous avons dit que les particules de la limaille de fer sont autant de petites aiguilles, qui prennent des pôles par le contact de l’aimant : ces aiguilles se dressent perpendiculairement sur les deux pôles de l’aimant, mais la position de ces particules aimantées devient d’autant plus oblique, qu’elles sont plus éloignées de ces mêmes pôles, et jusqu’à l’équateur de l’aimant, où il ne leur reste qu’une attraction sans inclinaison. Cet équateur est le point de partage entre les deux directions et inclinaisons en sens contraire ; et nous devons observer que cette ligne de séparation des deux courants magnétiques ne se trouve pas précisément à la même distance des deux pôles, dans les aimants non plus que dans le globe terrestre, et qu’elle est toujours à une moindre distance du pôle le plus faible. Les particules de limaille s’attachent horizontalement sur cette partie de l’équateur des aimants, et leur inclinaison ne se manifeste bien sensiblement qu’à quelque distance de cette partie équatoriale ; la limaille commence alors à s’incliner sensiblement vers l’un et l’autre pôle en deçà et au delà de cet équateur : son inclinaison vers le pôle austral est donc à contresens de la première, qui tend au pôle boréal de l’aimant, et cette limaille se dresse de même perpendiculairement sur le pôle austral comme sur le pôle boréal. Ces phénomènes sont constants dans tous les aimants ou fers aimantés ; et, comme le globe terrestre possède en grand les mêmes puissances que l’aimant nous présente en petit, l’aiguille doit être perpendiculaire par une inclinaison de 90 degrés sur les pôles magnétiques du globe : ainsi, les lieux où l’inclinaison de l’aiguille sera de 90 degrés seront en effet les vrais pôles magnétiques sur la terre.

Nous n’avons rien négligé pour nous procurer toutes les observations qui ont été faites jusqu’ici sur la déclinaison et l’inclinaison de l’aiguille aimantée[97]. Nous croyons que personne avant nous n’en avait recueilli un aussi grand nombre ; nous les avons comparées avec soin, et nous avons reconnu que c’est aux environs de l’équateur que l’inclinaison est presque toujours nulle ; que l’équateur magnétique est au-dessus de l’équateur terrestre dans la partie de la mer des Indes située vers le 97e degré de longitude[98], et qu’il paraît, au contraire, au-dessous de la ligne dans la portion de la mer Pacifique qui correspond au 197e degré : on peut donc conjecturer que le pôle magnétique est éloigné vers l’est du pôle de la terre, relativement aux mers des Indes et Pacifique ; et par conséquent, il doit être situé dans les terres les plus septentrionales de l’Amérique, ainsi que nous l’avons déjà dit.

Dans la mer Atlantique, l’espace où l’aiguille a été observée sans déclinaison[99] se prolonge jusqu’au 58e degré de latitude australe, et à l’égard de son étendue vers le nord, on le peut suivre jusqu’au 35e degré, ou environ, de latitude, ce qui lui donnerait en tout 93 degrés de longueur, si l’on avait fait, jusqu’à présent, assez d’observations pour que nous fussions assurés qu’il n’est interrompu par aucun endroit où l’aiguille décline de plus de 2 degrés vers l’est ou vers l’ouest. Cet espace, ou cette bande sans déclinaison, peut surtout être interrompue dans le voisinage des continents et des îles. Car on ne peut douter que la proximité des terres n’influe beaucoup sur la direction de l’aiguille. Cette déviation dépend des masses ferrugineuses qui peuvent se trouver à la surface de ces terres, et qui, agissant sur le magnétisme général, comme autant de pôles magnétiques particuliers, doivent fléchir son cours et en changer plus ou moins la direction : et si le voisinage de certaines côtes a paru, au contraire, repousser l’aiguille aimantée, la nouvelle direction de l’aiguille n’a point été, dans ces cas particuliers, l’effet d’une répulsion qui n’a été qu’apparente ; mais elle a été produite par le magnétisme général, ou par l’attraction particulière de quelques autres terres plus ou moins éloignées et dont l’action aura cessé d’être troublée dans le voisinage de certaines côtes dépourvues de mines de fer ou d’aimant. Lors donc qu’à l’approche des terres l’aiguille aimantée éprouve constamment des changements très marqués dans sa déclinaison, on peut en conclure l’existence ou le défaut de mines de fer ou d’aimant dans ces mêmes terres, suivant qu’elles attirent ou repoussent l’aiguille aimantée.

En général, les bandes sans déclinaison se trouvent toujours plus près des côtes occidentales : celle qui a été observée dans la mer Atlantique est, dans tous ses points, beaucoup plus voisine des côtes orientales de l’Amérique que des côtes occidentales de l’Afrique et de l’Europe ; et celle qui traverse la mer de l’Inde et la grande mer Pacifique est placée à une assez petite distance à l’est des côtes de l’Asie.

La bande sans déclinaison de la mer des Indes, et qui se prolonge dans la mer Pacifique boréale, paraît s’étendre depuis environ le 59e degré de latitude sud jusqu’au 40e degré de latitude nord.

Il est important d’observer que, sous la latitude boréale de 19 degrés, ainsi que sous la latitude australe de 53 degrés, la bande sans déclinaison de la mer Atlantique et celle de la mer des Indes sont éloignées l’une de l’autre d’environ 157 degrés, c’est-à-dire de près de la moitié de la circonférence du globe. Il est également remarquable qu’à partir de quelques degrés de l’équateur, on n’a observé, dans la mer Pacifique boréale, aucune déclinaison vers l’ouest qu’on ne puisse rapporter aux variations instantanées et irrégulières de l’aiguille : ceci, joint à toutes les déclinaisons, tant de la mer Atlantique que de la mer des Indes, confirme l’existence d’un pôle magnétique très puissant dans le nord des terres de l’Amérique ; et ce qui confirme encore cette vérité, c’est que la plus grande déclinaison orientale, dans la mer Pacifique boréale, a été observée par le capitaine Cook, de 36 degrés 19 minutes, aux environs de 70 degrés de latitude nord, et du 195e de longitude, c’est-à-dire à 2 degrés, ou à peu près, au nord des terres de l’Amérique les plus voisines de l’Asie. D’un autre côté, M. le chevalier de l’Angle a trouvé une déclinaison vers l’ouest de 45 degrés, dans un point de la mer Atlantique situé très près des côtes orientales et boréales de l’Amérique. C’est donc dans ces terres septentrionales du nouveau continent que toutes les directions des déclinaisons se réunissent et coïncident au pôle magnétique, dont l’existence nous paraît démontrée par tous les phénomènes.

La déclinaison n’éprouve que de petites vicissitudes dans les basses latitudes, surtout dans la grande mer de l’Inde, où l’on n’observe jamais qu’un petit nombre de degrés de déclinaison dans le voisinage de l’équateur, tandis que, dans les plus hautes latitudes de l’hémisphère austral, il paraît que la déclinaison de l’aiguille varie beaucoup de l’est à l’ouest, ou de l’ouest à l’est dans un très petit espace.

La ligne sans déclinaison, qui passe entre Malaca, Bornéo, le détroit de la Sonde, se replie vers l’est, et son inflexion semble être produite par les terres de la Nouvelle-Hollande.

Il y a, dans la mer Pacifique, une troisième bande sans déclinaison, qui paraît s’étendre depuis le 7e degré de latitude nord jusqu’au 55e de latitude sud. Cette bande traverse l’équateur vers le 232e degré de longitude ; mais, à 24 degrés de latitude australe, elle paraît fléchir vers les côtes occidentales de l’Amérique méridionale, ce qui paraît être l’effet des masses ferrugineuses que l’on doit trouver dans ces contrées, si souvent brûlées par les feux des volcans et agitées par les coups de la foudre souterraine.

La déclinaison la plus considérable qui ait été trouvée dans l’hémisphère austral est celle de 43 degrés 6 minutes, observée par Cook en février 1773, sous le 60e degré de latitude et le 92e degré 35 minutes de longitude, loin de toute terre connue ; et la plus forte déclinaison qu’on ait trouvée dans l’hémisphère boréal, et, en même temps, la plus grande de toutes celles qui ont été remarquées dans les derniers temps, est celle de 45 degrés dont nous avons déjà parlé, et qui a été observée par M. le chevalier de l’Angle, vers le 62e degré de latitude, et le 297e ou 298e de longitude, entre le Groenland et la terre de Labrador : elles sont toutes les deux vers l’ouest, et toutes les deux ont eu lieu dans des endroits éloignés de l’équateur d’environ 60 degrés.

Tels sont les principaux faits, tant pour la déclinaison que pour l’inclinaison, qu’offre ce qu’on a reconnu de l’état actuel des forces magnétiques qui s’étendent de l’équateur aux pôles ; et, si nous voulons tirer quelques résultats du petit nombre d’observations plus anciennes, nous trouverons que, depuis 1700, l’inclinaison de l’aiguille aimantée a varié en différents endroits ; mais tout ce que l’on peut conclure de ces observations, qui sont en trop petit nombre, c’est que les changements de la déclinaison et de l’inclinaison ont été inégaux et irréguliers dans les divers points des deux hémisphères.

Et, pour ne considérer d’abord que les variations de la déclinaison, la plus grande irrégularité des changements qu’elle a éprouvés sur les différents points du globe suffit pour empêcher d’admettre l’hypothèse de Halley, qui supposait dans l’intérieur de la terre un grand noyau magnétique doué d’une sorte de mouvement de rotation indépendant de celui du globe, et qui, par sa déclinaison, produirait celle des aimants placés à la surface de la terre. M. Æpinus[100], qui d’abord paraissait tenté d’adopter l’opinion de Halley, a vu lui-même qu’elle ne pourrait pas s’accorder avec l’irrégularité des changements de la déclinaison magnétique : au lieu du mouvement régulier d’une sorte de grand aimant imaginé par Halley, il a proposé d’admettre des changements irréguliers et locaux dans le noyau de la terre ; mais, indépendamment de l’impossibilité d’assigner les causes de ces changements intérieurs, ils ne pourraient agir sur la déclinaison des aiguilles qu’autant que les portions du noyau gagneraient ou perdraient la vertu magnétique ; et nous avons vu que les masses ferrugineuses ne pouvaient s’aimanter naturellement que très près de la surface du globe et par les influences de l’atmosphère.

Depuis 1580, la déclinaison de l’aiguille a varié, dans les divers endroits de la surface du globe, d’une manière très inégale : elle s’est portée vers l’est avec des vitesses très différentes, non seulement selon les temps, mais encore selon les lieux ; et ceci est d’autant plus important à observer que ses mouvements ont toujours été très irréguliers, et que nous ne faisons ici aucune attention aux petites causes locales qui ont pu la déranger. Ces causes, dont les effets ne sont pas constants, mais passagers, peuvent être de même nature que les causes plus générales du changement de déclinaison ; mais elles n’agissent qu’en certains endroits, où elles doivent détourner cette même déclinaison d’un grand nombre de degrés, jusqu’à la faire aller en diminuant, lorsqu’elle devrait s’accroître, et peuvent même tout à coup la faire changer de l’est à l’ouest, ou de l’ouest à l’est. Par exemple, dans l’année 1618, la déclinaison était orientale de 15 degrés dans l’île de Candie, tandis qu’elle était nulle à Malte et dans le détroit de Gibraltar, et qu’elle était de 6 degrés vers l’ouest à Palerme et à Alexandrie ; ce que l’on ne peut attribuer qu’à des causes particulières et à ces effets passagers que nous venons d’indiquer.

La bande sans déclinaison, qui se trouve actuellement dans la mer Atlantique, gisait auparavant dans notre continent ; en 1594, elle passait à Narva, en Finlande ; elle était en même temps bien plus avancée du côté de l’est dans les régions plus voisines de l’équateur, et, par conséquent, il y a près de deux cents ans qu’elle était inclinée du côté de l’ouest, relativement à l’équateur terrestre, puisqu’elle n’a passé qu’en 1600 à Constantinople, qui est à peu près sous le même méridien que Narva. Cette bande sans déclinaison est parvenue, en s’avançant vers l’ouest, jusqu’au 282e degré de longitude, et à la latitude de 35 degrés, où elle se trouve actuellement.

En 1616, la déclinaison fut trouvée de 57 degrés à 68 degrés de latitude boréale, et 280 de longitude. C’est la plus grande déclinaison qu’on ait observée ; elle était vers l’ouest, ainsi que les deux fortes déclinaisons dont nous devons la connaissance à M. le chevalier de l’Angle et au capitaine Cook ; elle a eu également lieu sous une très haute latitude, et elle a été reconnue dans un endroit peu éloigné de celui où M. de l’Angle a trouvé la déclinaison de 45 degrés, la plus grande de toutes celles qui ont été observées dans les derniers temps. Néanmoins, dans la même année 1616, la bande sans déclinaison qui traversait l’Europe, et qui s’avançait toujours vers l’Occident, n’était pas encore parvenue au 21e degré de longitude, et dans des points situés à l’ouest de cette bande, comme par exemple à Paris, à Rome, etc., l’aiguille déclinait vers l’est. Et cela provient de ce que les régions septentrionales de l’Amérique n’avaient pas encore éprouvé toutes les révolutions qui y ont établi le pôle magnétique que l’on doit y supposer à présent.

Quoi qu’il en soit, nous ne pouvons pas douter qu’il n’y ait actuellement un pôle magnétique dans cette région du nord de l’Amérique, puisque la déclinaison vers l’ouest est plus grande en Angleterre qu’en France, plus grande en France qu’en Allemagne et toujours moindre à mesure qu’on s’éloigne de l’Amérique, en s’avançant vers l’Orient.

Dans l’hémisphère austral, l’aiguille d’inclinaison, au rapport du voyageur Noël, se tenait perpendiculaire au 35e ou 36e degré de latitude, et cette perpendicularité de l’aiguille se soutenait dans une longue étendue, sous différentes longitudes, depuis la mer de la Nouvelle-Hollande jusqu’à sept ou huit cent milles du cap de Bonne-Espérance[101]. Cette observation s’accorde avec le fait rapporté par Abel Tasman, dans son voyage en 1642 : ce voyageur dit avoir observé que l’aiguille de ses boussoles horizontales ne se dirigeait plus vers aucun point fixe, dans la partie de la mer voisine, à l’occident, de la terre de Diémen ; et cela doit arriver en effet lorsqu’on se trouve sur un pôle magnétique. En comptant donc sur cette observation du voyageur Noël, on est en droit d’en conclure qu’un des pôles magnétiques de l’hémisphère austral était situé, dans ce temps, sous la latitude de 35 ou 36 degrés, et que, quoiqu’il y eût une assez grande étendue en longitude où l’aiguille n’avait point de direction constante, on doit supposer, sur cette ligne, un espace qui servait de centre à ce pôle et dans lequel, comme sur les parties polaires de la pierre d’aimant, la force magnétique était la plus concentrée ; et ce centre était probablement l’endroit où Tasman a vu que l’aiguille de ses boussoles horizontales ne pouvait se fixer.

Le pôle magnétique qui se trouve dans le nord de l’Amérique n’est pas le seul qui soit dans notre hémisphère ; le savant et ingénieux Halley en comptait quatre sur le globe entier, et en plaçait deux dans l’hémisphère boréal et deux dans l’hémisphère austral. Nous croyons devoir en compter également deux dans chaque hémisphère, ainsi que nous l’avons déjà dit, puisqu’on y a reconnu trois lignes ou bandes, sur lesquelles l’aiguille se dirige droit au pôle terrestre sans aucune déviation.

De la même manière que les pôles d’un aimant ne sont pas des points mathématiques, et qu’ils occupent quelques lignes d’étendue superficielle, les pôles magnétiques du globe terrestre occupent un assez grand espace ; et en comptant sur le globe quatre pôles magnétiques, il doit se trouver un certain nombre de régions dans lesquelles l’inclinaison de l’aiguille sera très grande et de plus de 80 degrés.

Quoique le globe terrestre ait en grand les mêmes propriétés que l’aimant nous offre en petit, ces propriétés ne se présentent pas aussi évidemment, ni par des effets aussi constants et aussi réguliers sur le globe que sur la pierre d’aimant : cette différence entre les effets du magnétisme général du globe et du magnétisme particulier de l’aimant peut provenir de plus d’une cause. Premièrement, de la figure sphéroïde de la terre : on a éprouvé, en aimantant de petits globes de fer, qu’il est difficile de leur donner des pôles bien déterminés ; et c’est probablement en raison de sa sphéricité que des pôles magnétiques ne sont pas aussi distincts sur le globe terrestre qu’ils le sont sur des aimants non sphériques. Secondement, la position de ces pôles magnétiques, qui sont plus ou moins voisins des vrais pôles de la terre et plus ou moins éloignés de l’équateur, doit influer puissamment sur la déclinaison dans chaque lieu particulier, suivant sa situation plus ou moins distante de ces mêmes pôles magnétiques, dont la position n’est point encore assez déterminée.

Le magnétisme du globe, dont les effets viennent de nous paraître si variés et même si singuliers, n’est donc pas le produit d’une force particulière, mais une modification d’une force plus générale qui est celle de l’électricité, dont la cause doit être attribuée aux émanations de la chaleur propre du globe ; lesquelles, partant de l’équateur et des régions adjacentes, se portent, en se courbant et se plongeant sur les régions polaires où elles tombent, dans des directions d’autant plus approchantes de la perpendiculaire que la chaleur est moindre et que ces émanations se trouvent dans les régions froides plus complètement éteintes ou supprimées. Or, cette augmentation d’inclinaison, à mesure que l’on s’avance vers les pôles de la terre, représente parfaitement l’incidence de plus en plus approchante de la perpendiculaire des rayons ou faisceaux d’un fluide animé par les émanations de la chaleur du globe, lesquelles, par les lois de l’équilibre, doivent se porter en convergeant et s’abaissant de l’équateur vers les deux pôles.

La force particulière des pôles magnétiques, dans l’action qu’ils exercent sur l’inclinaison, est assez d’accord avec la force générale qui détermine cette inclinaison vers les pôles terrestres, puisque l’une et l’autre de ces forces agissent presque également dans une direction qui tend plus ou moins à la perpendiculaire. Dans la déclinaison, au contraire, l’action des pôles magnétiques se croise et forme un angle avec la direction générale et commune de tout le système du magnétisme vers les pôles de la terre. Les éléments de l’inclinaison sont donc plus simples que ceux de la déclinaison, puisque celle-ci résulte de la combinaison de deux forces agissantes dans deux directions différentes, tandis que l’inclinaison dépend principalement d’une cause simple, dans une direction inclinée et relative à la courbure du globe. C’est par cette raison que l’inclinaison paraît être et est en effet plus régulière, plus suivie et plus constante que la déclinaison dans toutes les parties de la terre.

On peut donc espérer, comme je l’ai dit, qu’en multipliant les observations sur l’inclinaison, et déterminant par ce moyen la position des lieux, soit sur terre, soit sur mer, l’art de la navigation tirera du recueil de ces observations autant et plus d’utilité que de tous les moyens astronomiques ou mécaniques employés, jusqu’à ce jour, à la recherche des longitudes.


Notes de Buffon
  1. Nous croyons nécessaire de rapporter ici ce que nous avons dit à ce sujet dans la seconde vue de la nature, volume II, pages 202 et suivantes. « Si on réfléchit à la communication du mouvement par le choc, on sentira bien qu’il ne peut se transmettre d’un corps à un autre que par le moyen du ressort, et l’on reconnaîtra que toutes les hypothèses que l’on a faites sur la transmission du mouvement dans les corps durs ne sont que des jeux de notre esprit, qui ne pourraient s’exécuter dans la nature. Un corps parfaitement dur n’est en effet qu’un être de raison, comme un corps parfaitement élastique n’est encore qu’un autre être de raison ; ni l’un ni l’autre n’existent dans la réalité, parce qu’il n’y existe rien d’absolu, rien d’extrême, et que le mot et l’idée de parfait n’est jamais que l’absolu et l’extrême de la chose.

    » S’il n’y avait point de ressort dans la matière, il n’y aurait donc nulle force d’impulsion : lorsqu’on jette une pierre, le mouvement qu’elle conserve ne lui-a-t-il pas été communiqué par le ressort du bras qui l’a lancée ? Lorsqu’un corps en mouvement en rencontre un autre en repos, comment peut-on concevoir qu’il lui communique son mouvement, si ce n’est en comprimant le ressort des parties élastiques qu’il renferme, lequel se rétablissant immédiatement après la compression, donne à la masse totale la même force qu’il vient de recevoir. On ne comprend point comment un corps parfaitement dur pourrait admettre cette force, ni recevoir du mouvement ; et d’ailleurs il est très inutile de chercher à le comprendre, puisqu’il n’en existe point de tel ; tous les corps, au contraire, sont doués de ressort ; et si nous réfléchissons sur la mécanique du ressort, nous trouverons que sa force dépend elle-même de celle de l’attraction : pour le voir clairement, figurons-nous le ressort le plus simple, un angle solide de fer ou de toute autre matière dure ; qu’arrive-t-il lorsque nous le comprimons ? Nous forçons les parties voisines du sommet de l’angle de fléchir, c’est-à-dire de s’écarter un peu les unes des autres, et, dans le moment que la compression cesse, elles se rapprochent et se rétablissent comme elles étaient auparavant ; leur adhérence, de laquelle résulte la cohésion des corps, est, comme l’on sait, un effet de leur attraction mutuelle. Lorsque l’on presse le ressort, on ne détruit pas cette adhérence, parce que, quoiqu’on écarte les parties, on ne les éloigne pas assez les unes des autres pour les mettre hors de leur sphère d’attraction mutuelle, et par conséquent, dès qu’on cesse de presser, cette force qu’on remet, pour ainsi dire, en liberté, s’exerce, les parties séparées se rapprochent, et le ressort se rétablit. Si, au contraire, par une pression trop forte, on écarte les parties cohérentes au point de les faire sortir de leur sphère d’attraction, le ressort se rompt, parce que la force de la compression a été plus grande que celle de la cohérence, c’est-à-dire plus grande que celle de l’attraction mutuelle qui réunit ces parties. Le ressort ne peut donc s’exercer qu’autant que les parties de la matière ont de la cohérence, c’est-à-dire autant qu’elles sont unies par la force de leur attraction mutuelle, et par conséquent le ressort en général, qui peut seul produire l’impulsion, et l’impulsion elle-même, se rapportent à la force d’attraction, et en dépendent comme un effet particulier d’un effet général. » Voyez aussi le volume IIe, p. 213 et suiv.

  2. T. II, p. 221 et suiv.
  3. Voyez, t. II, l’article intitulé : Expériences sur les effets de la chaleur obscure.
  4. M. le comte de Lacépède a publié, dans le Journal de physique de 1778, un Mémoire dans lequel il suit les mêmes vues, relatives à l’électricité, que nous avons données dans notre introduction à l’Histoire des minéraux, et rapporte l’origine des aurores boréales à l’accumulation du feu électrique qui part de l’équateur, et va se ramasser au-dessus des contrées polaires. En  1779, on a lu, dans l’une des séances publiques de l’Académie des sciences, un Mémoire de M. Franklin, dans lequel ce savant physicien attribue aussi la formation des aurores boréales au fluide électrique qui se porte et se condense au-dessus des glaces des deux pôles.

    [Note de Wikisource : Buffon a raison en reconnaissant dans les aurores polaires un phénomène électrique, « canalisé » par les méridiens magnétiques ; mais il se trompe sur l’origine des particules qui provoquent cette électricité : elles ne proviennent pas de la terre, mais du soleil ; ces particules, portées par le vent solaire, excitent les atomes de la haute atmosphère, qui, en se désexcitant, produisent ces lueurs caractéristiques.]

  5. « Il y a environ vingt ans que le nommé Aubert, faïencier à la tour d’Aigues, étant occupé à cuire une fournée de faïence, vit, avec le plus grand étonnement, le feu s’éteindre dans l’instant même, et passer d’un feu de cerise à l’obscurité totale. Le four était allumé depuis plus de vingt heures, et la vitrification de l’émail des pièces était déjà avancée ; il fit tous ses efforts pour rallumer le feu et achever sa cuite, mais inutilement ; il fut obligé de l’abandonner.

    » Je fus tout de suite averti de cet accident ; je me transportai à sa fabrique, où je vis ce four, effectivement obscur, conservant encore toute sa chaleur.

    » Il y avait eu ce jour-là, vers les trois heures après midi, un orage duquel partit le coup de tonnerre qui avait produit l’effet dont je viens de parler. L’on avait vu du dehors la foudre ; le faïencier avait entendu un coup qui n’avait rien d’extraordinaire, sans apercevoir l’éclair ni la moindre clarté ; rien n’était dérangé dans la chambre du four, ni au toit. Le coup de tonnerre était entré par la gueule de loup, faite pour laisser échapper la fumée, et placée perpendiculairement sur le four, avec une ouverture de plus de dix pieds carrés.

    » Curieux de voir ce qui s’était passé dans l’intérieur du four, j’assistai à son ouverture deux jours après ; il n’y avait rien de cassé, ni même de dérangé ; mais l’émail appliqué sur toutes les pièces était entièrement enfumé et tacheté partout de points blancs et jaunes, sans doute dus aux parties métalliques qui n’avaient point eu le temps d’entrer en fusion.

    » Il est à croire que la foudre avait passé à portée du feu qui l’avait attirée et absorbée, sans qu’elle eût eu le temps ni le pouvoir d’éclater.

    » Mais, pour connaître la force de cet effet, il est nécessaire d’être instruit de la forme des fours en usage dans nos provinces, lesquels font une masse de feu bien plus considérable que ceux des autres pays, parce qu’étant obligé d’y cuire avec les fagots ou branches de pins ou de chênes verts, qui donnent un feu extrêmement ardent, on est forcé d’écarter le foyer du dépôt de la marchandise.

    » La flamme parcourt dans ces fours plus de six toises de longueur. Ils sont partagés en trois pièces : le corps du four, relevé sur le terrain, y est construit entre deux voûtes, le dessous est à moitié enterré, pour mieux conserver la chaleur, et il est précédé d’une voûte qui s’étend jusqu’à la porte par laquelle l’on jette les fagots au nombre de trois ou quatre à la fois. On a l’attention de laisser brûler ces fagots sans en fournir de nouveaux, jusqu’à ce que la flamme, après avoir circulé dans tout le corps et s’être élevée plus d’un pied au sommet du four, soit absolument tombée.

    » Le four dans lequel tomba le tonnerre est de huit pieds de largeur en carré, sur environ dix pieds de hauteur : le dessous du four a les mêmes dimensions, mais il est élevé seulement de six pieds. On l’emploie à cuire des biscuits et le massicot pour le blanc de la fournée suivante : quant à la gorge du four, elle est aussi de six pieds de haut, mais de largeur inégale, puisque le four n’a pas quatre pieds de largeur à son ouverture. Il est donc aisé de conclure que la force, qui put en un seul instant anéantir une pareille masse ignée, dut être d’une puissance étonnante. » (Extrait d’une lettre de M. de la Tour d’Aigues, président à mortier au parlement de Provence, écrite à M. Daubenton, garde du Cabinet du Roi, de l’Académie des sciences, etc.)

  6. M. le comte de Choiseul-Gouffier.
  7. Le tras est un vrai basalte compact ou poreux, facile à broyer, et dont les Hollandais font de la pouzzolane.
  8. Voyez la relation de Carteret, dans le Premier voyage de Cook.
  9. Transact. Philosoph., no 127, p. 647, et no 157, p. 520.
  10. Lettre de M. de Rozières, secrétaire de la Société patriotique de Valence et capitaine au corps royal du génie, à M. le comte de Buffon, du 14 décembre 1786.
  11. Cette dernière manière n’a été trouvée que nouvellement, par M. le chevalier de Rozières, qui nous en a fait part par sa lettre du 30 avril 1787.
  12. Mémoire de M. Liphardt, Journal de physique, juin 1787.
  13. Voyez, à ce sujet, les expériences de M. Æpinus, dans la dissertation que ce physicien a publiée à la tête de son ouvrage sur le Magnétisme, et celle de M. le comte de Lacépède, dans son Essai sur l’électricité, t. Ier.
  14. Voyez la dissertation prononcée par M. Æpinus, à Pétersbourg, au mois de septembre 1758.
  15. Voyez, sur ce sujet, un Mémoire de M. le comte de Milly, lu à l’Académie des sciences, et celui que M. Vansmarum vient de publier.
  16. Voyez la dissertation de M. Æpinus, dans les Mémoires de l’Académie de Berlin, année 1756.
  17. Voyez l’ouvrage de M. Wanswinden, intitulé : De l’analogie de l’électricité et du magnétisme, dans lequel cet excellent observateur a prouvé que les variations extraordinaires des aiguilles aimantées, les perturbations dans leurs variations diurnes, et même quelques changements assez constants dans leurs déclinaisons, ne sont jamais plus grands que dans le temps où paraissent les aurores boréales ; M. le comte de Cassini, de l’Académie des sciences, a observé avec une aiguille aimantée, suivant la méthode de M. Coulomb, que la variation diurne n’était ordinairement que de quelques minutes, et que les aurores boréales influaient plus qu’aucune autre cause sur cette variation. « Le 23 septembre 1781, la direction était, dit-il, le matin, sur 26 minutes de la division du micromètre ; à deux heures après midi, elle parvint à 1 degré. Ce grand mouvement annonçait quelque chose d’extraordinaire, l’aiguille ensuite rétrograda vers l’est, non seulement de tout le degré où elle était parvenue, mais encore de 13 minutes en deçà, où elle fut observée à neuf heures du soir. C’est alors qu’on s’aperçut d’une aurore boréale, dont l’effet sur l’aiguille avait été par conséquent de 37 minutes. Le 25, une autre aurore boréale ne produisit qu’une variation totale de 35 minutes. Il faut, à la vérité, défalquer l’effet ordinaire de la variation diurne, qui est d’environ 14 minutes. Il a paru que l’effet des aurores boréales précédait souvent de plusieurs heures l’apparition de ces aurores, et se prolongeait aussi longtemps après. Le 12 mai 1783, deux aiguilles d’acier fondu, très fortement aimantées, rétrogradèrent de 14 minutes plus que de coutume, et l’on remarqua un bandeau d’aurore boréale, véritable cause de cet effet, qui n’avait pas eu lieu les jours précédents, et qui n’eût plus lieu le lendemain… Parmi les causes perturbatrices de la variation diurne, les aurores boréales sont sans doute les plus fortes ; leur effet dérange absolument la direction des aiguilles aimantées qu’elles agitent en tout sens, et d’une quantité plus ou moins grande selon la force et l’étendue du phénomène… » (Extrait du Mémoire de M. le comte de Cassini adressé aux auteurs du Journal de physique.)
  18. La torpille ressemble, par sa forme, à la raie. « C’est un poisson des plus singuliers, et qui produit sur le corps humain d’étranges effets. Pour peu qu’on le touche, ou si par hasard on vient à marcher dessus, on se sent saisi d’un engourdissement par tout le corps, mais surtout dans la partie qui a touché immédiatement la torpille. On remarque encore le même effet quand on touche ce poisson avec quelque chose que l’on tient à la main. J’ai moi-même ressenti un assez grand engourdissement dans le bras droit, pour avoir appuyé pendant quelque temps ma canne sur le corps de ce poisson, et je ne doute pas que l’effet n’en eût été plus violent, si l’animal n’avait été près d’expirer, car il produit cet effet à mesure qu’il est plus vigoureux, et il cesse de le produire dès qu’il est mort ; on peut en manger sans inconvénient. J’ajouterai encore que l’engourdissement ne passe pas aussi vite que certains naturalistes le disent. Le mien diminua insensiblement, et le lendemain, j’en sentis encore quelques restes… » Voyage autour du monde, par George Anson ; Amsterdam, 1748, p 211.

    Dans l’ancienne médecine, on s’est servi de la torpille pour engourdir et calmer : Galien compare sa vertu à celle de l’opium pour calmer et assoupir les douleurs.

  19. Il est bon d’observer que les espèces de poissons électriques diffèrent trop les unes des autres pour qu’on puisse rapporter leurs phénomènes à la conformité de leur organisation. On ne peut donc les attribuer qu’aux effets de l’électricité. (Voyez un très bon Mémoire de M. Broussonnet, de l’Académie des sciences, sur le trembleur et les autres poissons électriques, dans le Journal de physique du mois d’août 1785.)
  20. Voyez l’ouvrage que M. Schilling a publié sur cette action de l’aimant, appliquée aux poissons électriques.
  21. Lettre de M. Walsch à M. Le Roi, de l’Académie des sciences, dont ce dernier a publie l’extrait dans le Journal de physique, année 1776.
  22. Lettre de M. Walsch, publiée par M. Le Roi, Journal de physique, année 1774.
  23. On peut voir à ce sujet l’ouvrage de M. l’abbé Bertholon, intitulé : De l’électricité du corps humain.
  24. Voyez les Mémoires de la Société royale de médecine, ainsi que les divers rapports et avis publiés par cette Compagnie.
  25. Dans un compte rendu à la Société royale de médecine sur les effets de l’aimant et au sujet des travaux de M. le Noble, les commissaires s’expriment en ces termes : « Les affections nerveuses nous ont paru céder et se dissiper d’une manière constante pendant l’usage de l’aimant, et, au contraire, les affections humorales n’ont éprouvé aucun changement par la plus forte et la plus longue application de l’aimant. Dans toutes les affections nerveuses, quelle que fût la nature des accidents dont elles étaient accompagnées, soit qu’elles consistassent en des affections purement douloureuses, soit qu’elles parussent plus particulièrement spasmodiques et convulsives, quel que fût aussi leur siège et leur caractère, de quelque manière enfin que nous eussions employé l’aimant, soit en armure habituelle et constante, soit par la méthode des simples applications, toutes ces affections ont subi des changements plus ou moins marqués, quoique presque toujours le soulagement n’ait guère été qu’une simple palliation de la maladie. Ces affections nous ont paru céder et s’affaiblir d’une manière plus ou moins marquée pendant le traitement. Plusieurs malades, que le soulagement dont ils jouissaient depuis quelque temps avait engagés à quitter leurs garnitures, ayant vu se renouveler ensuite leurs accidents, qu’une nouvelle application de l’aimant a toujours suffi pour faire disparaître, nous sommes restés convaincus que c’était à l’usage des aimants qu’on devait attribuer le soulagement obtenu… Nous nous sommes scrupuleusement abstenus d’employer aucun autre remède pendant le traitement. De tous les secours qu’on peut désirer de voir joindre à l’usage de l’aimant, c’est de l’électricité surtout qu’il semble qu’on ait lieu de plus attendre… Le magnétisme intéresse le bien public ; il nous paraît devoir mériter toute l’attention de la Société. Qu’on nous permette, à ce sujet, une réflexion. De tous les objets sur lesquels l’enthousiasme peut s’exciter, et dont le charlatanisme peut, par cette raison, abuser avec plus de confiance, le magnétisme paraît être celui qui offre à l’avidité plus de facilité et plus de ressource. L’histoire seule de cet art suffirait pour en convaincre, quand des essais qui le multiplient sous nos yeux n’autoriseraient pas cette présomption. C’est surtout sur de pareils objets, devenus pour le public un sujet de curiosité, qu’il est à désirer que les compagnies savantes portent toute leur attention pour arracher à l’erreur une confiance qu’elle ne manquerait pas de gagner, si l’on ne dissipait aux yeux des gens crédules les prestiges du charlatanisme par des essais faits avec exactitude et impartialité. De pareils projets, pour être remplis d’une manière utile, ont besoin de l’appui du gouvernement ; mais où les secours peuvent-ils mieux être appliqués qu’aux objets qui touchent aux progrès des sciences et au bien de l’humanité ?

    » En désirant que le gouvernement autorise la Société à annoncer, sous ses auspices, un traitement gratuit et public pour le magnétisme, nous croyons encore utile que la Compagnie invite ceux de ses associés et correspondants, à qui ces sortes d’essais peuvent être agréables, à concourir avec elle au succès de ses recherches. La Société sait, par l’exemple de l’électricité, combien elle peut retirer d’avantages de cette réunion de travaux. Le magnétisme offre encore plus de facilités pour répéter ou multiplier les essais que l’on jugerait nécessaires. Mais, pour rendre ce concours de recherches plus fructueux, on sent qu’il est nécessaire qu’il soit dirigé sur un plan uniforme. Le rapport que nous soumettons ici à l’examen de la Compagnie remplirait cette vue, et nous lui proposons de le faire imprimer et distribuer par la voie de sa correspondance ordinaire.

    » La Société, pour se livrer elle-même à ses travaux, devant s’attacher un physicien exercé dans la préparation des aimants et versé dans tous les genres de connaissances relatives à leur administration, nous pensons que le choix de la Compagnie doit tomber sur M. l’abbé le Noble. Plusieurs raisons nous paraissent devoir lui mériter la préférence. On doit le regarder comme un des premiers physiciens qui, depuis le renouvellement des expériences de l’aimant, se soient occupés de cet objet. En 1763, c’est-à-dire deux ans à peu près avant M. Klarich, que l’on regarde comme le principal rénovateur de ces essais, et dont les observations ont fait attribuer à l’Angleterre la gloire de cette découverte, les aimants de M. l’abbé le Noble pour les dents paraissent avoir été connus dans la capitale et recherchés des physiciens. Au mois de juin 1766, dans le même temps que M. d’Arquier, qu’on regarde comme le premier qui ait répété en France les essais de M. Klarich dans les maux de dents, M. l’abbé le Noble publia, en ce genre, plusieurs observations. Deux ans avant que le père Hell, à Vienne, fît adopter généralement la méthode des armures magnétiques, il avait annoncé plusieurs espèces de plaques aimantées, préparées pour être portées habituellement sur différentes parties du corps. Depuis ces différentes époques, M. l’abbé le Noble n’a cessé de s’occuper de l’usage de l’aimant dans plusieurs espèces d’affections nerveuses. Les résultats qu’il avait obtenus de ces essais sont consignés dans un mémoire qu’il lut, au mois de septembre 1777, dans une des séances de la Société. Enfin, pour compléter l’histoire de ses travaux, on doit y joindre les différents essais auxquels ont donné lieu nos propres observations, et dont nous reconnaissons qu’il doit, s’il en résulte quelque utilité, partager avec nous le mérite. À ce sujet, nous devons rendre compte à la Compagnie du zèle avec lequel M. l’abbé le Noble s’est porté à nous seconder dans nos recherches. Quoique la durée de ces essais et sa résidence ordinaire en province aient exigé de lui de fréquents voyages et de longs séjours à Paris ; quoique la multiplicité des malades qui ont eu recours à l’aimant, le peu d’aisance du plus grand nombre, la durée du long traitement pendant lequel les armures ont dû être souvent renouvelées aient été autant de charges, d’incommodités et de sujets de dépenses pour M. l’abbé le Noble, nous devons annoncer qu’il n’a épargné ni soins, ni peines, ni sacrifices pour concourir, autant qu’il était en lui, au succès de nos épreuves et au soulagement des malheureux. M. l’abbé le Noble se montre encore animé des mêmes dispositions et prêt à les mettre en œuvre, si les circonstances répondaient à ses désirs ; mais, attaché par la nature de ses devoirs à la place qu’il remplit en province, il ne pourrait concourir d’une manière utile aux expériences que nous proposons s’il n’était fixé à Paris. C’est au gouvernement seul qu’il appartient de lever cet obstacle, et nous pensons que la Compagnie doit renouveler en sa faveur les mêmes instances qu’elle a déjà faites, en 1778, pour lui obtenir une résidence fixe dans la capitale.

    » Des raisons particulières et personnelles à M. le Noble nous paraissent devoir lui mériter cette faveur du gouvernement : c’est surtout en employant de forts aimants, portés au plus haut degré de force et préparés de manière à former une machine semblable à celle de l’électricité, qu’on doit attendre de nouveaux avantages du magnétisme. M. l’abbé le Noble possède en ce genre des procédés très supérieurs à tous ceux qui ont été connus et employés jusqu’ici par les physiciens. Nous apportons, en preuve de ce que nous avançons ici, un certificat de l’Académie royale des sciences, à laquelle M. l’abbé le Noble a présenté des aimants capables de soutenir des poids de plus de deux cents livres, et qui lui ont mérité les éloges et l’approbation de cette Compagnie. C’est avec des aimants de ce genre qu’on a lieu de se flatter d’obtenir du magnétisme des effets extraordinaires et inconnus. »

    M. l’abbé le Noble nous a communiqué les détails suivants, relatifs aux diverses applications qu’il a faites de l’aimant, dans les maladies, depuis la publication du rapport de la Société royale de médecine.

    En 1786, le 24 mai, à cinq heures du soir, une plaque d’aimant, envoyée par M. l’abbé le Noble, fut appliquée sur l’estomac à une malade âgée de cinquante et un ans, et qui, depuis l’âge de vingt-deux, éprouvait de temps en temps des attaques de nerfs plus ou moins fréquentes, qui étaient venues à la suite d’une suppression, et étaient accompagnées de convulsions très fortes, et d’autres symptômes effrayants. Ces attaques avaient disparu quelquefois près d’un an ; elles avaient été aussi suspendues par différents remèdes. Pendant les divers intervalles, qui avaient séparé le temps où les attaques étaient plus ou moins fréquentes, la personne qui les avait éprouvées avait joui d’une bonne santé ; mais, depuis quinze mois, elle était retombée dans son premier état ; sur la fin même, les accidents arrivaient plus de dix à douze fois par jour, et quelquefois duraient plusieurs minutes. Depuis dix-huit mois, les évacuations périodiques étaient dérangées et n’avaient lieu que de deux mois en deux mois.

    L’effet de l’aimant fut très prompt : la malade n’eut plus de convulsions, quoique, dans la matinée et dans l’après-dînée, elle en eût éprouvé plus de vingt fois. Le 10 juin, les convulsions n’étaient point encore revenues, la malade se portait mieux ; elle sentait ses forces et son appétit augmenter de jour en jour, elle dormait un peu mieux pendant la nuit et s’occupait continuellement, pendant le jour, des travaux pénibles de la campagne sans en être incommodée ; elle sentait cependant toujours un petit tiraillement dans l’intérieur du front. Elle rendait quelquefois des vents comme auparavant ; sa respiration était un peu gênée lorsqu’ils s’échappaient, mais n’avait jamais été suspendue depuis l’application de l’aimant, ainsi que cela arrivait très souvent auparavant.

    Ces faits ont été attestés par le curé du lieu, et il est à croire que ce bien-être s’est soutenu, puisque la malade n’a point demandé de nouveaux secours.

    Une dame qui souffrait beaucoup des nerfs, presque dans tout le corps, et dont la santé était si dérangée qu’elle n’osait point tenter les remèdes intérieurs, s’est trouvée soulagée par le moyen d’un collier d’aimants, et l’application d’un aimant sur le creux de l’estomac, ainsi qu’elle l’a écrit elle-même à M. l’abbé le Noble.

    Une malade souffrait, depuis six mois, des maux de nerfs qui lui donnaient des maux de gorge et d’estomac, au point que très souvent l’œsophage se fermait presque entièrement, et la mettait dans une impossibilité presque absolue d’avaler même les liquides pendant à peu près la moitié de la journée ; une fièvre épidémique s’était jointe aux accidents nerveux. On lui appliqua un collier et une ceinture d’aimants, suivant la méthode de M. l’abbé le Noble. Huit ou dix heures après, la malade se trouva comme guérie et se porta passablement bien pendant trois mois, au bout desquels le médecin qui l’avait traitée certifia à M. l’abbé le Noble la maladie et la guérison. Ce même médecin pensait que les nerfs de cette dame avaient été agacés par une humeur.

    Une jeune demoiselle ayant eu, pendant plus de trois ans, des attaques d’épilepsie qui avaient commencé à l’époque où les évacuations ont lieu, et ayant fait inutilement plusieurs remèdes conseillés par un membre de la Société royale de médecine, eut recours aux aimants de M. l’abbé le Noble, d’après l’avis du même médecin ; les attaques cessèrent bientôt, et, dix mois après leur cessation, sa mère écrivit au médecin qui lui avait conseillé les aimants de M. l’abbé le Noble, pour lui annoncer la guérison de sa fille.

    Une dame souffrait, depuis plus de huit ans, de maux de nerfs qui avaient été souvent accompagnés d’accidents graves et fâcheux, de lassitudes, d’insomnies, de douleurs vives, de convulsions, d’évanouissements, et surtout d’un accablement général et d’une grande tristesse. Les aimants de M. l’abbé le Noble l’ont guérie, et elle l’a attesté elle-même, un mois ou environ après, à M. l’abbé le Noble ; sa guérison s’était toujours soutenue.

    Une dame, qui était malade d’une épilepsie survenue à la suite d’une frayeur qu’elle avait eue dans un temps critique, a certifié que, depuis quatre ans qu’elle porte des aimants de M. l’abbé le Noble, elle a toujours été soulagée ; que si divers événements lui ont donné quelquefois des crises, elles ont été passagères et bien moins violentes que celles qu’elle avait éprouvées, et qu’elle jouit habituellement d’un bien-être très marqué. Trois femmes et un homme ont été guéris, par l’application de l’aimant, de maux de nerfs, accompagnés de convulsions fortes, etc., trois ans se sont écoulés depuis la guérison d’une de ces femmes, et elle se porte encore très bien.

    M. Picot, médecin de la maison du roi de Sardaigne, a certifié à M. l’abbé le Noble qu’il s’était servi de ses aimants avec le plus grand succès pour procurer à une femme très délicate et d’une très grande sensibilité des évacuations périodiques, dérangées ou supprimées, en partie, depuis plus de deux ans. Le même médecin atteste avoir été guéri lui-même d’une migraine qui avait résisté, pendant plus de huit ans, à tous les secours de l’art. Il demande en conséquence à M. le Noble qu’il établisse un dépôt de ses aimants dans la ville de Turin.

    Depuis plus de dix-huit mois, une dame ne pouvait prendre la plus légère nourriture sans que son estomac fût extrêmement fatigué. Elle ressentait des douleurs presque continuelles, tantôt dans le côté droit, tantôt entre les deux épaules, et souvent dans la poitrine ; elle éprouvait tous les soirs, sur la fin de sa digestion, un étouffement subit, une tension générale, une inquiétude qui la forçaient à cesser toute occupation, à marcher, à aller à l’air quelque froid qu’il fît, et à relâcher tous les cordons de son habit. Quinze jours après avoir employé les aimants de M. l’abbé le Noble, elle fut entièrement guérie et aucune douleur ni aucun accident n’étaient revenus six semaines après qu’elle eut commencé à les porter, ainsi qu’elle l’attesta elle-même à M. l’abbé le Noble.

    Une dame a certifié elle-même qu’elle avait souffert, pendant six jours, des douleurs très vives, occasionnées par un rhumatisme au bras gauche, dont elle avait entièrement perdu l’usage ; qu’elle avait employé sans succès les remèdes ordinaires ; qu’elle avait eu recours aux plaques aimantées de M. l’abbé le Noble et que, quatre jours après, elle avait été entièrement guérie.

    Un homme, très digne de foi, a aussi certifié à M. l’abbé le Noble qu’il avait été guéri, par l’application de ses aimants, d’un rhumatisme très douloureux, dont il souffrait depuis plusieurs années, et dont le siège était au bas de l’épine du dos. Près d’un an après, cet homme portait toujours sur le bas du dos la plaque aimantée ; les douleurs avaient disparu ; et il ne sentait plus que quelquefois un peu d’engourdissement lorsqu’il avait été sédentaire pendant trop longtemps ; mais il dissipait cet engourdissement en faisant quelques pas dans sa chambre.

    Un homme malade d’une paralysie incomplète, souffrant dans toutes les parties du corps, et ayant tenté inutilement tous les remèdes connus, fut adressé, dans le mois de septembre 1785, à M. l’abbé le Noble, par un membre de la Société de médecine ; on lui appliqua les aimants, et, au mois de janvier 1786, il s’est très bien porté.

    Une dame qui souffrait, depuis 20 ans, des douleurs rhumatismales qui l’empêchaient de dormir et de marcher, était presque entièrement guérie au mois de février 1787.

    Le nommé Boissel, garçon menuisier, âgé de 50 ans, a eu recours à M. l’abbé le Noble, le 7 novembre 1786. Il y avait dix mois qu’il éprouvait de grandes douleurs dans les deux bras ; le gauche était très enflé et enflammé, il lui était impossible de l’étendre, et la douleur se communiquait à la poitrine, à l’estomac et aux côtés, et même jusqu’aux jambes, dont il ne pouvait faire usage qu’à l’aide d’une béquille ; on était obligé de le porter dans son lit, où il ressentait encore les mêmes douleurs ; il avait été trois mois à l’Hôtel-Dieu, et il y en avait deux qu’il en était sorti sans y avoir éprouvé le plus léger soulagement. Mais, après l’application des aimants de M. l’abbé le Noble, le 9 novembre, les mouvements dans les jambes, ainsi que dans les bras, sont devenus libres ; le 19 dudit mois, il se promenait dans sa chambre ; et voyant la facilité avec laquelle il marchait, il crut qu’il pourrait sortir sans aucun risque.

    En effet il a été, ce jour-là, à quelque distance de son domicile, et le lendemain 29, il est venu de la rue Neuve-Saint-Martin, où il demeure, à la rue Saint-Thomas du Louvre. Les douleurs étaient encore vives dans les jambes, quoique les mouvements fussent libres ; mais elles se sont dissipées par degrés, et ont cessé le 15 février. Il s’est établi sous les aimants, à la cheville des pieds et sous les jarretières, des espèces de petits cautères qui rendaient une humeur épaisse et gluante. Les jambes, qui étaient considérablement enflées, sont maintenant, au mois de mars 1787, dans l’état naturel ; il marche très bien et jouit d’une bonne santé.

  26. Le père Berault, jésuite, auteur d’une Dissertation couronnée par l’Académie de Bordeaux, a soupçonné, le premier, que les forces magnétique et électrique pouvaient être identiques.
  27. Notre opinion est confirmée par les preuves répandues dans une dissertation de M. Æpinus, lue à l’Académie de Saint-Pétersbourg : ce physicien y a fait voir que les effets de l’électricité et du magnétisme, non seulement ont du rapport dans quelques points, mais qu’ils sont encore semblables dans un très grand nombre de circonstances des plus essentielles ; en sorte, dit-il, qu’il n’est presque pas à douter que la nature n’emploie à peu près les mêmes moyens pour produire l’une et l’autre forces.
  28. M. le comte de Tressan a pensé, comme nous, que le magnétisme n’était qu’une modification de l’électricité. Voyez son ouvrage, qui a pour titre : Essai sur le fluide électrique, considéré comme agent universel ; mais notre théorie n’en diffère pas moins de son opinion. L’hypothèse de ce physicien est ingénieuse, suppose beaucoup de connaissances et de recherches ; il présente des expériences intéressantes, de bonnes vues et des vérités importantes, mais cependant on ne peut admettre sa théorie. Elle consiste principalement à expliquer le mécanisme de l’univers, et tous les effets de l’attraction, par le moyen du fluide électrique. Mais l’action impulsive d’aucun fluide ne peut exister que par le moyen de l’élasticité ; et l’élasticité n’est elle-même qu’un effet de l’attraction, ainsi que nous l’avons ci-devant démontré. On ne fera donc que reculer la question, au lieu de la résoudre, toutes les fois qu’on voudra expliquer l’attraction par l’impulsion, dont les phénomènes sont tous dépendants de la gravitation universelle. On peut consulter, à ce sujet, l’article intitulé de l’Attraction, du Ier volume de la Physique générale et particulière de M. le comte de Lacépède.
  29. Ces faits ont été mis hors de doute par des expériences qui ont été faites par M. de Rozière, capitaine au corps royal du génie. « J’ai placé, dit cet habile physicien, le 4 juillet 1784, dans mon cabinet deux barres d’acier brut, telles que les reçoivent les marchands couteliers pour leur travail, chacune de deux pieds de longueur, de dix lignes de largeur et de trois lignes d’épaisseur, sur des cordons de soie, suspendus de manière qu’elles fussent horizontales et éloignées de six pieds de tous les corps environnants, l’une dans la direction de l’est à l’ouest, et l’autre dans le méridien magnétique : m’étant assuré, avant d’isoler ces barres, comme à l’ordinaire, qu’elles n’avaient aucune vertu magnétique, et désirant savoir s’il serait possible, avec le temps et les procédés simples que je viens de désigner, de la leur faire acquérir, j’ai, pour cet effet, répété, chaque jour, les expériences nécessaires pour m’en assurer sans en avoir rien découvert de nouveau, que le 15 octobre 1784, jour remarquable, dans lequel je fus singulièrement étonné, en réitérant les expériences que j’avais faites précédemment, et même ledit jour, entre huit et neuf heures du matin, de voir la barre placée dans la direction de l’est à l’ouest attirer très sensiblement par ses deux bouts la même limaille de fer que j’avais depuis longtemps employée sans succès ; voulant alors m’assurer plus particulièrement de ce phénomène, j’essayai de lui présenter de fines aiguilles d’acier, que j’avais vérifiées n’avoir aucune des propriétés de l’aimant ; elles furent, ainsi que la limaille, attirées visiblement ; je répétai la chose plusieurs fois de suite, en changeant les aiguilles ; malgré cela, j’obtins constamment le même résultat, et je parvins enfin à en faire porter de très légères par le bout de la barre tourné du côté de l’ouest ; le bout opposé me parut un peu moins fort, mais la différence était si petite, qu’il fallait apporter la plus grande attention pour s’en apercevoir. Depuis cette époque, cette barre a constamment conservé la vertu magnétique qu’elle possède encore aujourd’hui, 6 octobre 1786, au même degré d’intensité ; ce dont je juge par le poids qu’elle soutient, etc., etc.

    » Il est nécessaire de faire observer que le bout de la barre tourné vers l’ouest formait et forme encore aujourd’hui le pôle boréal, et celui opposé, le pôle austral, ce qui est parfaitement démontré par les pointes qu’ils attirent des aiguilles de mes boussoles. Mais ce qu’il est surtout essentiel de faire remarquer, c’est que la barre placée dans la direction du méridien magnétique est absolument dans le même état que le premier jour où elle a été mise en expérience, c’est-à-dire qu’elle n’a pas donné jusqu’à présent le plus léger signe qu’elle fût devenue magnétique ; ces deux barres n’ont point été déplacées depuis le premier jour qu’elles ont été mises en expérience.

    » Le 15 octobre 1784, à midi et quelques minutes, j’étais occupé à écrire dans mon cabinet, situé au deuxième étage, ayant deux fenêtres du côté de l’ouest, qui étaient ouvertes ainsi qu’une porte placée à l’est ; ce qui formait dans mon cabinet un courant d’air. Le vent était au nord et l’air presque calme : le baromètre à vingt-sept pouces quatre lignes et demie ; le thermomètre à dix degrés au-dessus du terme de la congélation, le ciel serein, lorsque j’entendis un bruit sourd, assez semblable à celui d’une voiture fortement chargée, roulant sur le pavé ; au même instant le plancher supérieur de mon cabinet, et celui de ma chambre craquèrent avec violence, et je me sentis balancer deux ou trois fois sur ma chaise assez rudement. Je puis certifier par la manière dont j’étais placé, et d’après le mouvement d’oscillation que j’ai éprouvé, que les secousses de ce tremblement de terre ont duré environ trois à quatre secondes, et qu’elles suivaient la direction de l’est à l’ouest ; ce qui d’ailleurs m’a été confirmé par deux autres faits qui se sont passés sous mes yeux. Il est bon d’observer que les derniers jours qui ont précédé celui du tremblement de terre ont été beaux, le vent étant au nord ; que le lendemain dudit jour, il y eut un brouillard très considérable, qui fut le dernier de l’automne ; il dura plusieurs heures de la matinée, après quoi le temps redevint serein et continua ainsi pendant plusieurs jours. » Extrait d’une lettre de M. de Rozière à M. le comte de Buffon, du 14 décembre 1786.

  30. Voyez les Époques de la Nature.
  31. Note communiquée par M. Faujas de Saint-Fond.
  32. Je voudrais excepter de ce nombre Daniel Bernoulli, homme d’un esprit excellent : « Je me sens, dit-il, de la répugnance à croire que la nature ait formé cette matière cannelée, et ces conduits magnétiques qui ont été imaginés par quelques physiciens, uniquement pour nous donner le spectacle des différents jeux de l’aimant… » Néanmoins ce grand mathématicien rapporte comme les autres à des causes mécaniques les effets de l’aimant ; ses hypothèses sont seulement plus générales et moins multipliées. (Voyez les Pièces qui ont remporté le prix de l’Académie des sciences, année 1746.)
  33. L’un de nos savants académiciens, M. Le Monnier, qui s’est occupé des phénomènes de l’aimant, a fait plusieurs expériences pour démontrer le peu de fondement de cette hypothèse des tourbillons autour de l’aimant. Il a mis sur un carton deux aimants, dont les pôles de différents noms étaient voisins : en ce cas, selon le système commun, les deux tourbillons magnétiques doivent s’être réunis en un seul, et par conséquent il ne devrait se former sur la limaille du carton que deux vides répondant aux deux pôles ; mais le fait est qu’il se forme toujours quatre vides, ce qui démontre que les deux tourbillons ne sont pas confondus, et que la matière magnétique ne passe pas d’un aimant à l’autre… ; et certainement, s’il y a un tourbillon, il s’étend bien à deux ou trois lignes de la pierre. Cependant que l’on aimante une aiguille de boussole en la faisant couler à l’ordinaire sur la pierre, et, en même temps, en lui faisant toucher les deux boutons de l’armure, ou en la tenant éloignée de ces boutons de deux ou trois lignes seulement, elle prendra, dans les deux cas, deux directions diamétralement opposées, tout le reste ayant été parfaitement égal : la même extrémité de l’aiguille qui se tournerait au nord se tournera au sud, etc. Histoire de l’Académie des sciences, année 1733, p. 15 et 16.
  34. Voyez la description des mines aimantées de Sibérie.
  35. La pierre d’aimant est en si grande quantité en Norvège et en Suède, qu’on l’envoie par tonneaux hors du pays. Pontoppidan, Journal étranger, mois de septembre 1745, p. 213.
  36. Il y a deux mines d’aimant dans le royaume de Siam… Ces mines sont dans une montagne à laquelle elles paraissent comme attachées ; elles semblent être divisées en deux roches, qui apparemment sont réunies sous terre ; la grande, qui s’étend d’orient en occident, peut avoir vingt-quatre ou vingt-cinq pas géométriques de longueur et quatre ou cinq de largeur. Dans sa plus grande hauteur, elle a neuf ou dix pieds. La petite, qui est au nord de la grande, dont elle n’est éloignée que de sept ou huit pieds, a trois toises de long, peu de hauteur et de largeur ; elle est d’un aimant bien plus vif que l’autre. Elle attirait avec une force extraordinaire les instruments de fer dont on se servait ; on ne pouvait en détacher aucun morceau, parce que les instruments de fer qui étaient fort mal trempés étaient aussitôt reboulés. On s’attacha à la grande, dont on eut peine de rompre quelques morceaux qui avaient de la saillie, et qui donnaient de la prise au marteau. On ne laissa pas que d’en tirer quelques bonnes pierres ; les pôles de la mine, autant qu’on peut en juger par les morceaux de fer qu’on y appliqua, regardaient le midi et le septentrion ; car on n’a pu rien reconnaître par la boussole, l’aiguille s’affolant sitôt qu’on l’en approchait. Histoire générale des Voyages, t. IX, p. 206 et 245.
  37. Il y a peu de provinces dans la Chine où l’on ne trouve des pierres d’aimant. On en apporte aussi du Japon à la Chine, mais on les emploie particulièrement aux usages de la médecine ; elles se vendent au poids, et les plus chères ne se vendent jamais plus de huit sous l’once. Idem, t. VI, p. 85.
  38. On trouve beaucoup d’aimant à Mindanao… Voyage de M. Le Gentil aux Indes ; Paris, 1781, t. II, p. 36.
  39. On trouve dans le Bambouk, en Afrique, d’excellentes pierres d’aimant, dont on a envoyé plusieurs morceaux en France. Histoire générale des Voyages, t. II, p. 644.
  40. On fit voir à Gemelli-Careri, dans un cabinet de raretés, au Mexique, une pierre d’aimant, de la grosseur d’une pomme ordinaire, qui enlevait dix livres de fer. (Idem, t. XI, Idem, p. 536.) — Le corrégiment de Copiapo, au Chili, produit quantité de pierres d’aimant, t. XIII, p. 144.
  41. Musschenbroëck, Dissertatio de magnete, p. 16 et suiv. Pour connaître la loi de cette attraction, ce physicien s’est servi d’aimants de forme ronde, et, par une balance très mobile, il a mesuré l’effet de cette force à toutes distances, depuis une demi-ligne jusqu’à plusieurs pouces : en comparant les résultats d’un très grand nombre d’expériences, il a vu que cette force attractive des aimants sphériques, non seulement ne diminuait pas comme celle de l’attraction universelle, en raison inverse du carré de la distance, mais que la diminution de cette force magnétique n’est pas même en raison inverse de la simple distance.
  42. Voyez l’article de la Pesanteur du feu.
  43. Pour faire des aimants d’un volume considérable, les ouvriers joignent ensemble plusieurs petits morceaux d’aimant qu’ils réunissent, en les appliquant d’abord les uns contre les autres, et les plongeant ensuite dans du plomb ou de l’étain fondu. La chaleur communiquée par ces métaux fondus à cette masse d’aimant n’en diminue pas la force, et il faut un bien plus grand degré de chaleur, et même un feu très violent, pour opérer cette diminution ou suspension de force de l’aimant et du fer aimanté. Musschenbroëck, p. 73.
  44. « Le premier aimant que j’ai soumis à l’expérience, dit M. Æpinus, était un parallélépipède régulier ; il était noirâtre, sans éclat métallique, très homogène, très compact et tel que sont communément les aimants de mauvaise qualité. Il n’avait presque pas de force, car il pesait 2 onces 58/64, avec son armure, 3 onces 62/64 et n’élevait que 4 onces. Je l’ai dépouillé de son armure, je l’ai placé entre deux grandes barres d’acier fortement aimantées, suivant la manière que j’ai décrite, et, après une demi-heure, j’ai trouvé que sa vertu était augmentée, et que, rejoint à son armure, il pouvait élever 12 onces 1/2 ; je l’ai exposé au feu libre des charbons, je l’ai laissé dans une forte incandescence pendant une demi-heure ; j’ai trouvé, après son refroidissement, qu’il avait perdu presque toute la force magnétique qu’il possédait. Je l’ai placé pendant un quart d’heure entre les deux barres aimantées dont j’ai déjà parlé, et j’ai trouvé que, garni de son armure, il élevait déjà plus de 18 onces ; il a donc, après son incandescence, obtenu par le moyen de barres aimantées, dans un court espace de temps, une force beaucoup plus considérable que celle qu’il avait acquise, pendant un temps plus long, avant d’être exposé au feu. Il est donc évident que l’aptitude de cet aimant à recevoir le magnétisme a été augmentée par mon procédé, dans le rapport de 37 à 27, ce qui revient à peu près à celui de 7 à 5.

    » Un autre aimant, qui pesait nu 4 onces 1/4, et 5 onces 6/8, avec son armure, présentait aussi une matière uniforme et compacte, mais il paraissait plus riche en métal que le premier aimant ; lorsqu’il était revêtu de son armure, il portait 6 onces 3/4 ; placé une demi-heure entre les aimants artificiels, avant d’être exposé à l’action du feu, il ne put pas porter au delà de 22 onces 3/4 ; tenu en incandescence au milieu des charbons pendant une demi-heure, et ensuite refroidi, il avait perdu presque toute sa force ; mais, placé pendant un quart d’heure au milieu des aimants artificiels, il éleva facilement 37 onces 1/2, et son aptitude à recevoir la vertu magnétique se trouva augmentée dans le rapport d’environ 8 à 5. Il paraît donc que la méthode que je décris produit des effets d’autant plus grands que les aimants sont plus généreux avant d’être présentés au feu. J’ai vu aussi, par le moyen du dernier aimant dont je viens de parler, que l’augmentation de force obtenue par ma méthode était assez durable et ne se dissipait pas facilement, car ce second aimant n’avait encore rien perdu de sa vigueur au bout de six mois. »

    M. Æpinus croit qu’on pourrait augmenter encore plus la vigueur des aimants par la cémentation, qui leur donnerait plus de qualité que la simple torréfaction au feu nu. Il propose de tailler en parallélipipèdes les aimants tirés immédiatement de la mine, en leur donnant le plus de longueur qu’il se pourra, pour les cémenter au feu et les plonger ensuite dans l’eau froide ; après quoi, il propose de les placer entre deux ou plusieurs barres d’acier aimantées, et de les frotter avec deux aimants artificiels, suivant la méthode du double contact. Il faudra aussi les armer, après avoir choisi pour pôles les points les plus éloignés l’un de l’autre. Ces aimants présenteront alors la plus grande force magnétique qu’ils puissent comporter. Æpinus, nos 359, 360 et 362.

  45. Que l’on tienne verticalement un aimant au-dessus d’une table, sur laquelle on aura placé une petite aiguille d’acier à une certaine distance du point au-dessus duquel l’aimant sera suspendu, l’aiguille tendra vers l’aimant, et son extrémité la plus voisine de l’aimant s’élèvera au-dessus de la surface de la table : si l’on frappe légèrement la table par-dessous, l’aiguille se soulèvera en entier, et, lorsqu’elle sera retombée, elle se trouvera plus près du point correspondant au-dessous de l’aimant ; son extrémité s’élevant davantage formera, avec la table, un angle moins aigu, et, à force de petits coups réitérés, elle parviendra précisément au-dessous de l’aimant et se tiendra perpendiculaire. Si, au contraire, on place l’aimant au-dessous de la table, ce sera l’extrémité de l’aiguille la plus éloignée de l’aimant qui s’élèvera ; l’aiguille, mise en mouvement par de légères secousses, se trouvera toujours, après être retombée, à une plus grande distance du point correspondant au-dessus de l’aimant ; son extrémité s’élèvera moins au-dessus de la table et formera un angle plus aigu. L’aiguille acquiert la vertu magnétique par la proximité de l’aimant. L’extrémité de l’aiguille opposée à cet aimant prend un pôle contraire au pôle de l’aimant dont elle est voisine ; elle doit donc être attirée pendant que l’autre extrémité sera repoussée. Ainsi, l’aiguille prendra successivement une position où l’une de ses extrémités sera le plus près, et l’autre le plus loin possible de l’aimant ; elle doit donc tendre à se diriger parallèlement à une ligne droite que l’on pourrait tirer de son centre de gravité à l’aimant : lorsque l’aiguille s’élève pour obéir à la petite secousse, la tendance que nous venons de reconnaître lui donne, pendant qu’elle est en l’air, une nouvelle position relativement à l’aimant, et s’il est suspendu au-dessus de la table, cette nouvelle position est telle, que l’aiguille en retombant se trouve plus près du point correspondant au-dessous de l’aimant ; si, au contraire, l’aimant est au-dessous de la table, la nouvelle position donnée à l’aiguille, pendant qu’elle est encore en l’air, fait nécessairement qu’après être tombée elle se trouve plus éloignée du point au-dessous duquel l’aimant a été placé. Il est inutile de dire que, si l’on remplace la petite aiguille par de la limaille de fer, l’on voit les mêmes effets produits dans toutes les particules qui composent la limaille. (Extrait de la seconde des dissertations que M. Æpinus a publiées à la suite de son Essai sur la théorie de l’électricité et du magnétisme.)
  46. Un bloc de plomb d’un pied d’épaisseur, interposé entre l’aimant et le fer, n’en diminue pas la force attractive. Musschenbroëck, p. 59.
  47. En faisant dissoudre la limaille de fer dans les acides vitrioliques ou nitreux, elle cesse d’être attirable à l’aimant ; cependant on ne peut pas dire qu’elle perd entièrement la vertu magnétique ; il en est de même du vitriol de fer, dont l’attraction est à la vérité très petite, mais non pas nulle, comme le dit Lémery. (Mémoires de l’Académie des sciences, année 1706.) Il faut, pour s’en apercevoir, le présenter à une très longue aiguille aimantée ; la dissolution, séparant les parties du fer, fait le même effet que le mouvement de secousse qu’on donne à la limaille en disposant ses parties en différents sens, et c’est ce qui détruit la vertu magnétique. Musschenbroëck, p. 125.
  48. Musschenbroëck et quelques physiciens ont douté que ce sablon fût réellement du fer, parce que, à l’exception de son attraction par l’aimant, il paraît avoir perdu toutes ses autres propriétés métalliques ; mais sa densité démontre qu’il est ferrugineux ; car, selon Musschenbroëck lui-même, la pesanteur spécifique de ce sablon était à celle du sable comme 161 à 71, ce qui est à peu près le rapport du poids spécifique de la fonte de fer au poids du grès ou du marbre blanc.
  49. Expériences faites par MM. de l’Arbre et Quinquet, et communiquées à M. le comte de Buffon, en 1786.
  50. M. Daniel Bernoulli a trouvé, par plusieurs expériences, que la force attractive des aimants artificiels de figure cubique croissait comme la surface, et non pas comme la masse de ces aimants. (Lettre de M. Daniel Bernoulli à M. Tremblay, publiée dans le premier volume du Voyage de M. Saussure.)
  51. Voyez l’ouvrage de M. Æpinus, no 248.
  52. « Je posai un grand barreau magnétique sur une table de marbre blanc ; je plaçai une aiguille aimantée en équilibre sur son pivot, au point qui séparait le grand barreau en deux parties égales. Le pôle austral s’inclina vers le pôle boréal du grand barreau. J’approchai insensiblement cette aiguille vers le pôle austral du grand barreau, jusqu’à ce qu’enfin je m’aperçus que la petite aiguille était dans une situation parfaitement horizontale. » Recherches sur la direction du fluide magnétique, p. 116.
  53. Principes de la philosophie de Descartes, article xxix, Des propriétés de l’Aimant.
  54. Nous devons cependant observer que le fer prend, à la vérité, plus de force magnétique dans l’état d’incandescence, mais qu’il ne la conserve pas en même quantité après son refroidissement ; un fer, tant qu’il est rouge, attire l’aiguille aimantée plus fortement, et la fait mouvoir de plus loin que quand il est refroidi.
  55. Lettre de M. le chevalier de Lamanon à M. le comte de Buffon, datée de Madère, 1785.
  56. Prenez, dit Musschenbroëck, une verge de six pieds de longueur et d’un cinquième de pouce de diamètre, tenez-la perpendiculairement à l’horizon, elle s’aimantera en une minute de temps et attirera, par son extrémité inférieure, le pôle austral de l’aiguille aimantée, et repoussera par cette même extrémité le pôle boréal. Si vous renversez la verge, vous verrez, dans moins d’une minute, que l’extrémité supérieure, devenue l’inférieure, attirera le pôle austral qu’elle repoussait auparavant. Dissert. de magnete, p. 260.
  57. Æpinus, no 152.
  58. Lorsqu’on coupe un diamant par le milieu de son axe, chacune de ses parties a constamment deux pôles et devient un aimant complet. Les parties qui étaient contiguës sous l’équateur avant la section, et qui n’étaient rien moins que des pôles, le sont devenues, et même des pôles de différents noms, en sorte que chacune de ces parties pourrait devenir également pôle boréal et pôle austral, suivant que la section se serait faite plus près du pôle austral ou du pôle boréal du grand aimant ; et la même chose arriverait à chacune de ces moitiés, si on les coupait par le milieu, de la même manière. — Extrait de l’article Aimant, dans l’Encyclopédie, par M. Le Monnier, qui a traité cette matière avec autant de méthode que de justesse et de discernement.

    M. Æpinus a éprouvé que, si on rompt en deux une barre de l’acier le plus dur, qu’on approche les deux morceaux l’un au bout de l’autre, qu’on les presse de manière qu’ils n’en forment qu’un seul, et qu’on aimante cette barre composée, on n’y trouvera que deux pôles ; mais si, ensuite, on sépare les deux morceaux, ils offriront chacun deux pôles opposés ; le pôle boréal et le pôle austral demeurant chacun au bout qu’ils occupaient. nos 103 et 104.

  59. Les distances auxquelles l’aimant agit sur le fer aimanté et sur celui qui ne l’est pas sont dans le rapport de 5 à 2. Musschenbroëck, p. 117.
  60. Il faut que les aiguilles des boussoles soient faites de bon acier homogène, sans soufflures ni fêlures ; leur surface doit être polie, sans inégalités ni cavités, surtout sans points saillants qui ne manqueraient pas de troubler l’effet général du magnétisme par des effets particuliers et contraires ; leur forme doit être aussi simple que leur matière est pure ; il faut seulement que ces aiguilles diminuent et se terminent en pointe aux deux extrémités. On a reconnu, après plusieurs essais, qu’une aiguille de cinq pouces et demi ou six pouces de longueur était plus précise dans ses indications de la déclinaison que les aiguilles plus courtes ou plus longues ; le poids de cette aiguille de six pouces sera de cent cinquante ou cent soixante grains. Si elle était plus légère, elle serait moins assurée sur son pivot, et si elle était plus pesante, la résistance, par le frottement sur ce même pivot, la rendrait moins agile. Les aiguilles, pour les boussoles d’inclinaison, doivent être un peu plus longues. On aura soin de tremper les unes et les autres, pour en rendre l’acier plus élastique, et on leur donnera la couleur bleue pour les préserver plus longtemps de la rouille. Ce pivot ne sera ni de fer ni d’acier, mais de cuivre, ou de toute autre matière dure et susceptible de poli : l’extrémité de ce pivot doit être arrondie et convexe pour entrer et s’ajuster exactement dans la cavité de la chape, qui sera de la même matière dure et polie ; et, s’il l’on enduit cette cavité d’un peu d’huile, ou mieux encore d’une petite quantité de poudre très fine de talc ou de molybdène, le mouvement de l’aiguille aura toute la liberté que l’on peut lui donner, ou plutôt obtenir. Pour faire des aiguilles de boussole, dit Musschenbroëck, l’acier doit être préféré au fer, parce qu’il prend beaucoup plus de force magnétique. On a observé qu’il en recevait jusqu’à sept fois plus ; il la reçoit à la vérité plus lentement, mais il la conserve beaucoup plus longtemps que le fer. Dissertatio de magnete, p. 230.

    Les aiguilles aimantées, de différentes longueurs, ne s’arrêtent pas précisément dans la même direction, quoiqu’on leur présente un seul et même aimant : mais c’est leur différente forme qui donne lieu à cette différence ; celles qui m’ont le mieux réussi, c’est-à-dire celles dont la direction a toujours été la même, avaient les deux bouts droits et semblables. Mémoire sur les aiguilles aimantées, par M. du Fay, dans ceux de l’Académie des sciences, année 1733… Suivant M. Mitchel, la meilleure proportion des dimensions, pour faire des aiguilles de boussole ou des lames d’acier artificielles, est six pouces de longueur, six lignes de largeur et un tiers de ligne d’épaisseur.

  61. « Il faut une certaine proportion déterminée entre la longueur, la largeur et l’épaisseur d’un morceau de fer ou d’acier, pour qu’il prenne la plus grande force magnétique possible ; car, lorsque ces dimensions sont trop petites ou trop grandes, il prend moins de force dans les deux cas ; mais la plus grande différence se trouve entre deux morceaux, dont l’un aurait dix pouces de longueur et l’autre quatre pouces, car celui-ci n’a porté, dans l’expérience, qu’un grain et demi, tandis que l’autre en portait trente-trois. » Musschenbroëck, Expérience xxxii.
  62. Voyez l’ouvrage de M. Æpinus, p. 367.
  63. Nous devons cependant observer que ces aiguilles ne sont pas aussi actives ni aussi précises que celles qu’on a aimantées, en les passant vingt ou trente fois dans le même sens, sur le pôle d’un aimant bien armé.
  64. Pour rendre le fer un véritable aimant, il faut : 1o le frotter sur un des pôles d’un aimant bien armé ; 2o plus on passe lentement le fer, et plus on le presse contre cette armure ou pôle de l’aimant, plus il reçoit de force magnétique ; 3o il ne faut aimanter le fer qu’en le frottant sur l’armure d’un seul pôle, et non pas successivement sur les deux pôles ; 4o il faut frotter le fer sur toute sa longueur, et on remarque que l’extrémité qui touche le pôle la dernière conserve le plus de force ; 5o un morceau d’acier poli reçoit plus de vertu magnétique qu’un morceau de fer simple et de même figure ; et, toutes choses d’ailleurs égales on aimante plus fortement un morceau de fer long, mince et pointu, qu’un autre d’une forme toute différente ; 6o c’est par la raison de la plus grande longueur qu’une lame d’épée, par exemple, reçoit plus de vertu magnétique qu’une lame de couteau ; cependant, il y a de certaines proportions d’épaisseur et de longueur hors desquelles le fer reçoit moins de vertu magnétique ; il est certain qu’on peut donner à des barreaux d’acier, d’une figure convenable et trempés fort durs, une quantité de vertu magnétique très considérable. L’acier trempé a cet avantage sur le fer et sur l’acier doux, qu’il retient beaucoup plus de vertu magnétique, quoiqu’il ait plus de peine à s’en charger. (Extrait de l’article Aimant, dans l’Encyclopédie, par M. Le Monnier.) M. du Fay dit que la figure des morceaux de fer que l’on veut aimanter contribue beaucoup à la formation des pôles, ou plutôt à leur établissement. Par exemple, on ne parviendra que difficilement à établir des pôles sur un morceau de fer dont la forme est sphérique, car il eut beau frotter une petite boule de fer sur un bon aimant, il ne put jamais parvenir à lui donner des pôles bien déterminés. (Mémoires de l’Académie des sciences, 1773.) Ce que dit ici M. du Fay est vrai en général ; cependant, cela dépend encore de la force des aimants qu’on emploie pour communiquer la vertu magnétique à ces boules, car M. Knigth a très bien aimanté de petites boules de fer en employant des aimants artificiels très vigoureux.
  65. M. le Noble, chanoine de Saint-Louis-du-Louvre, s’est surtout distingué dans cet art ; il a composé des aimants artificiels de plusieurs lames d’acier réunies ; il a trouvé le moyen de les aimanter plus fortement et de leur donner les figures et les dimensions convenables pour produire les plus grands effets ; et, comparaison faite des aimants de M. le Noble avec ceux d’Angleterre, ils m’ont paru au moins égaux, et même supérieurs.
  66. Æpinus, nos 255, 383 et suivants.
  67. Æpinus, no 203.
  68. Idem, nos 211 et 212.
  69. Idem, nos 156 et suiv.
  70. Idem, no 208.
  71. M. Æpinus dit s’être assuré que le fer dur conserve sa vertu magnétique beaucoup plus que le fer tendre ; il dit aussi que ce fer dur l’acquiert au plus haut degré en restant très longtemps dans la situation favorable au magnétisme, et que, quand les fers durs se trouvent dans cette position convenable pendant plusieurs années, ils prennent une si grande force magnétique, que ces aimants, produits par le temps, sont quelquefois plus vigoureux que les aimants tirés immédiatement de leurs mines… (Voyez l’ouvrage de M. Æpinus, qui a pour titre : Tentamen theoriæ electricitatis et magnetismi ; Pétropoli, 1759, in-4o, nos 345 et 367.)
  72. M. de Rozières, que nous avons déjà cité, l’a prouvé par plusieurs expériences… (Lettre de M. de Rozières, capitaine au corps royal du génie, à M. le comte de Buffon, du 14 décembre 1786.)
  73. « L’expérience, dit M. de Tressan, la plus singulière à faire sur les aimants artificiels du docteur Knight, est celle dont il m’envoya les détails de Londres en 1748, avec l’appareil nécessaire pour la répéter. Non seulement M. Knight avait déjà trouvé alors le secret de donner un magnétisme puissant à des barres de quinze pouces de longueur, faites d’un acier parfaitement dur, telles que celles qui sont aujourd’hui connues ; mais il avait inventé une composition, dont il s’est réservé le secret, avec laquelle il forme de petites pierres d’une matière noire (en apparence pierreuse et métallique). Celles qu’il m’a envoyées ont un pouce de long, huit lignes de large et deux bonnes lignes d’épaisseur ; il y a joint plusieurs petites balles de la même composition ; les petites balles que j’ai ont, l’une cinq, l’autre quatre, et les autres trois lignes de diamètre. Il nomme ces petites sphères terrella.

    » Je fus moins surpris de trouver un fort magnétisme dans les petits carrés longs, que je ne le fus de le trouver égal dans les petites terrella, dont les pôles sont bien décidés et bien fixes, ces petites sphères s’attirant et se repoussant vivement, selon les pôles qu’elles se présentent.

    » Je préparai donc (selon l’instruction que j’avais reçue de M. Knight) une glace bien polie et posée bien horizontalement ; je disposai en rond cinq de ces terrella, et je plaçai au milieu un de ces aimants factices de la même matière, lequel je pouvais tourner facilement sur son centre ; je vis sur-le-champ toutes les terrella s’agiter et se retourner pour présenter à l’aimant factice la polarité correspondante à la sienne ; les plus légères furent plusieurs fois attirées jusqu’au contact, et ce ne fut qu’avec peine que je parvins à les placer à la distance proportionnelle, en raison composée de leurs sphères d’activité respective. Alors, en tournant doucement l’aimant factice sur son centre, j’eus la satisfaction de voir toutes ces terrella tourner sur elles-mêmes, par une rotation correspondante à celle de cet aimant ; et cette rotation était pareille à celle qu’éprouve une roue de rencontre, lorsqu’elle est mue par une autre roue à dents ; de sorte que, lorsque je retournais mon aimant de la droite à la gauche, la rotation des terrella était de la gauche à la droite, et l’inverse arrivait toujours lorsque je tournais mon aimant de l’autre sens. » Essai sur le fluide électrique, par M. le comte de Tressan ; Paris, 1786, t. Ier, p. 26 jusqu’à 29.

  74. Par le témoignage des auteurs chinois, dont MM. Le Foux et de Guignes ont fait l’extrait, il paraît certain que la propriété qu’a le fer aimanté de se diriger vers les pôles a été très anciennement connue des Chinois ; la forme de ces premières boussoles était une figure d’homme qui tournait sur un pivot, et dont le bras droit montrait toujours le midi. Le temps de cette invention, suivant certaines chroniques de la Chine, est 1 115 ans avant l’ère chrétienne, et 2 700 selon d’autres. (Voyez l’extrait des Annales de la Chine, par MM. Le Foux et de Guignes.) Mais, malgré l’ancienneté de cette découverte, il ne paraît pas que les Chinois en aient jamais tiré l’avantage de faire de longs voyages,
  75. Musschenbroëck, Dissertatio de magnete.
  76. Dans l’année 1670, la déclinaison était de 1 degré 30 minutes vers l’ouest, et l’aiguille a continué de décliner dans les années suivantes, toujours vers l’ouest : en 1680, elle déclinait de degr. 40 min. ; en 1681, de degr. 30 min. ; en 1683, de degr. 50 min. ; en 1684, de degr. 10 min. ; en 1685, de degr. 10 min. ; en 1686, de degr. 30 min. ; en 1692, de degr. 50 min. ; en 1693, de degr. 20 min. ; en 1695, de degr. 48 min. ; en 1696, de degr. min. ; en 1698, de degr. 40 min. ; en 1699, de degr. 10 min. ; en 1700, de degr. 12 min. ; en 1701, de degr. 25 min. ; en 1702, de degr. 48 min. ; en 1703, de degr. min. ; en 1704, de degr. 20 min. ; en 1705, de degr. 35 min. ; en 1706, de degr. 48 min. ; en 1707, de 10 degr. 10 min. ; en 1708, de 10 degr. 15 min. ; en 1709, de 11 degr. 15 min. ; en 1714, de 11 degr. 30 min. ; en 1717, de 12 degr. 20 min. ; en 1719, de 12 degr. 30 min. ; en 1720, 1721, 1722, 1723 et 1724, de 13 degr. ; en 1725, de 13 degr. 15 min. ; en 1727 et 1728, de 14 degr. (Musschenbroëck, Dissertatio de magnete, p. 152) ; en 1729, de 14 degr. 10 min. ; en 1730, de 14 degr. 25 min. ; en 1731, de 14 degr. 45 min. ; en 1732 et 1733, de 15 degr. 15 min. ; en 1734 et 1740, de 15 degr. 45 min. ; en 1744, 1745, 1746, 1747 et 1749, de 16 degr. 30 min. (Encyclopédie, article Aiguille aimantée) ; en 1755, de 17 degr. 30 min. ; en 1756, de 17 degr. 45 min. ; en 1757 et 1758, de 18 degr. ; en 1759, de 18 degr. 10 min. ; en 1760, de 18 degr. 20 min. ; en 1765, de 18 degr. 55 min., 20 sec. ; en 1767, de 19 degr. 16 min. ; en 1768, de 19 degr. 25 min. (Connaissance des temps, années 1769, 1770, 1771 et 1772.)
  77. Extrait des observations faites à l’Observatoire royal en l’année 1785.
  78. L’aiguille aimantée n’avait aucune déclinaison à Vienne en Autriche, dans l’année 1638 ; elle n’en avait de même aucune en 1600 au cap des Aiguilles en Afrique ; et, avant ces époques, la déclinaison était vers l’est dans tous les lieux de l’Europe et de l’Afrique. (Musschenbroëck, p. 166.) Ceci semble prouver que la marche de la ligne sans déclinaison ne se fait pas par un mouvement régulier, qui ramènerait successivement la déclinaison de l’est à l’ouest ; car Vienne étant à quatorze degrés deux minutes trente secondes à l’est de Paris, cette ligne sans déclinaison aurait dû arriver à Paris plus tôt qu’à Londres, qui est à l’ouest de Paris, et l’on voit que c’est tout le contraire, puisqu’elle est arrivée six ans plus tôt à Londres qu’à Paris.
  79. Ce fait est confirmé par les observations de M. Cotte, qui prouvent que la déclinaison moyenne de l’aiguille aimantée, en 1786, n’a été à Laon que de vingt et un degrés trente et une minutes. Voyez le Journal de physique du mois de mai 1787.
  80. Connaissance des temps, années 1787 et 1788.
  81. Idem, année 1786.
  82. Idem, année 1775, p. 387.
  83. En 1780, la déclinaison moyenne, prise d’après 6 022 observations, a été de 19 degr. 55 min. 27 sec. Mais les variations de cette déclinaison ont été bien plus considérables qu’en 1781, car la plus grande déclinaison s’est trouvée de 20 degr. 15 min. le 29 juillet, et la moindre de 18 degr. 40 min. le même jour. La différence a donc été de degr. 35 min. ; et cette variation, qui s’est faite le même jour, c’est-à-dire en douze ou quinze heures, est plus considérable que le progrès de la déclinaison pendant 15 ans, puisqu’en 1764, la déclinaison était de 18 degr. 55 min. 20 sec., c’est-à-dire de 15 min. 20 sec. plus grande que celle du 29 juillet, à l’heure qu’elle s’est trouvée de 18 degr. 55 min… En 1779, la déclinaison moyenne, pendant l’année, a été de 19 degr. 45 min. sec. La plus grande déclinaison s’est trouvée de 20 degr., le 6 décembre, à la suite d’une aurore boréale, et la plus petite, de 19 degr. 15 min., en janvier et février ; la différence a donc été de 45 min. L’observateur remarque que l’augmentation moyenne a augmenté de 8 à min. depuis l’année précédente, et que la variation diurne s’est soutenue avec beaucoup de régularité, excepté dans certains jours où elle a été troublée, le plus souvent à l’approche ou à la suite d’une aurore boréale ; au reste, ajoute-t-il, l’aiguille aimantée tend à se rapprocher du nord chaque jour, depuis trois ou quatre heures du soir, jusqu’à cinq ou six heures du matin, et elle tend à s’en éloigner depuis cinq ou six heures du matin, jusqu’à trois ou quatre heures du soir… En 1778, la déclinaison moyenne, pendant l’année, a été de 19 degr. 32 min. 55 sec. La plus grande déclinaison a été de 20 degr. le 29 juin ; on avait observé une aurore boréale la veille, à 11 heures du soir : la plus petite déclinaison a été de 18 degr. 54 min. le 26 janvier ; ainsi, la différence a été de degr. min. En 1777, la déclinaison moyenne, pendant l’année, a été de 19 degr. 35 min. La plus grande déclinaison s’est trouvée de 19 degr. 58 min. le 19 juin, et la plus petite de 18 degr. 45 min. au mois de décembre : ainsi, la différence a été de degr. 13 min… En 1776, la déclinaison moyenne, pendant l’année, a été de 19 degr. 33 min. 31 sec. La plus grande déclinaison s’est trouvée de 20 degr. en mars, avril et mai, et la plus petite déclinaison en janvier et février, de 19 degr. : ainsi, la différence a été de degr… En 1775, la déclinaison moyenne, pendant l’année, a été de 19 degr. 41 min. 41 sec. ; la plus grande déclinaison s’est trouvée de 20 degr. 10 min. le 15 avril, et la plus petite de 19 degr. le 15 décembre : ainsi, la différence a été de degr. 10 minConnaissance des temps, année 1778 et suivantes.
  84. Connaissance des temps, année 1776, p. 314.
  85. Idem, p. 313.
  86. Idem, année 1774, p. 256.
  87. Idem, année 1772.
  88. Idem, année 1771, p. 232.
  89. Dans le supplément aux Voyages de Thévenot, publié en 1681, p. 30, il est dit que la déclinaison de l’aiguille aimantée avait été observée de 5 degrés vers l’est en 1269. Si l’on connaissait le lieu où cette observation a été faite, elle pourrait démontrer que la déclinaison est quelquefois rétrograde, et par conséquent que son mouvement ne produit pas une révolution entière.
  90. Musschenbroëck, p. 154.
  91. Transactions philosophiques, no 383, année 1724, p. 96.
  92. Voyez la Connaissance des temps, publiée par ordre de l’Académie des sciences, depuis l’année 1770.
  93. « La méthode de M. Coulomb consiste, dit M. de Cassini, à suspendre à un fil de soie, de quinze à vingt pouces de longueur, une aiguille aimantée entre les jambes d’un étrier, au haut duquel le fil est accroché. L’étrier, le fil et l’aiguille sont renfermés dans une boîte dont toutes les parois sont hermétiquement bouchées, et qui n’a qu’une ouverture fermée d’une glace au-dessus de l’extrémité de l’aiguille, afin de pouvoir observer ses mouvements, et les mesurer par le moyen d’un micromètre extérieur placé à cette extrémité.

    » Cette suspension a, comme l’on voit, de grands avantages sur celles des pivots, dans laquelle le frottement seul est capable d’anéantir l’effet de la variation diurne. Depuis le 10 août 1780, jusqu’au 18 du même mois, le plus grand écart de l’aiguille a eu lieu communément du côté de l’ouest, vers une heure après midi ; l’aiguille se rapprochait du nord vers le soir, restait à peu près fixe la nuit, et recommençait le lendemain matin à s’éloigner vers l’ouest ; la variation diurne moyenne a été de 14 minutes environ… Depuis le 3 décembre jusqu’au 31 janvier 1781, le grand écart de l’aiguille a presque toujours eu lieu entre deux et trois heures après midi, l’aiguille s’avançant depuis le lever du soleil, jusqu’à deux ou trois heures, du nord vers l’ouest ; et rétrogradant ensuite dans l’après-midi pour revenir vers dix heures du soir, à peu près au même point que le matin. La nuit, l’aiguille était assez constamment stationnaire ; la variation moyenne n’a été, dans tout ce temps, que de cinq à six minutes… Depuis le 20 septembre 1781 jusqu’au 29, la variation diurne moyenne a été entre 13 et 18 minutes. Depuis le 19 mars 1782 jusqu’au 3 avril, et depuis le 30 avril jusqu’au 11 mai, le plus grand écart de l’aiguille a eu lieu assez constamment vers deux heures après midi, du côté de l’ouest. J’ai aussi remarqué le plus communément la loi de progression vers l’ouest, du matin vers deux heures après midi ; de rétrogradation vers l’est, depuis deux heures jusqu’au soir, et de station pendant la nuit. Depuis le 14 juin jusqu’au 25 juillet, avec la même aiguille fortement aimantée et dans les appartements supérieurs de l’Observatoire, la loi générale de la marche de l’aiguille du nord à l’ouest, depuis huit heures du matin jusqu’à midi, de la rétrogradation dans l’après-midi, et de la station pendant la nuit, a eu lieu, excepté le 17 juin, où l’aiguille a été fixe depuis dix heures et demie du matin, jusqu’au lendemain à onze heures du matin ; même fixité le 21, depuis huit heures du matin jusqu’à cinq heures après midi ; le 25, depuis dix heures du soir jusqu’au lendemain 26 à trois heures après midi ; les 12, 21 et 23 juillet, toute la journée. Les circonstances qui accompagnent cette inaction de l’aiguille sont une grande chaleur, et un très beau temps ; la variation diurne dans ces deux mois a été fort inégale ; nulle dans les temps très chauds ; le plus communément de cinq à six minutes dans d’autres jours ; elle n’a été de douze et de quatorze que le 14 et le 15 juin.

    » Tandis que M. Coulomb s’occupait des moyens de donner à l’aiguille la plus grande force magnétique possible, je m’appliquais de mon côté à perfectionner leur monture leur enveloppe et leur établissement. Jusqu’alors, l’étrier qui portait le fil de suspension n’était fixé que par une forte semelle, d’un bois à la vérité très sec et très épais. La boîte de bois qui servait d’enveloppe et le micromètre étaient également assis sur cette même base, dont le moindre jeu devait communiquer du mouvement à tout l’équipage. Je fis faire en plomb la boîte ou cage qui devait renfermer l’aiguille : au lieu d’étrier, je fis visser et cramponner dans le haut de la boîte, contre ses parois, une traverse de cuivre portant une longue vis, garnie d’un crochet, pour tenir le fil de suspension. Cette forte et solide boîte de plomb fut ensuite incrustée de deux pouces dans un dé de pierre dure, haut de dix pouces sur seize de longueur et huis d’épaisseur ; et c’est sur ce dé que je fixai à demeure le micromètre entièrement isolé de la boîte ; c’est ainsi qu’avec l’équipage le plus simple et le plus solide j’espérai mettre, autant que possible, mes aiguilles à l’abri des courants d’air et des mouvements étrangers ; en effet, je n’avais plus à craindre l’effet de l’humidité des temps et des lieux. L’air ne pouvait guère pénétrer dans une boîte de plomb qui n’avait qu’une porte dont les parois étaient bouchées et collées avec soin ; enfin, le micromètre portant sur un massif dé de pierre, ne pouvait plus communiquer de mouvements à l’aiguille ; c’est avec ce nouvel appareil que je fis les observations suivantes :

    » Depuis le 14 février jusqu’au 24 du même mois, avec une aiguille de lame de ressort fortement aimantée, renfermée dans une boîte de plomb fixée sur un dé de pierre, longueur totale de l’aiguille un pied ; du point de suspension à l’extrémité boréale, neuf pouces une ligne ; le plus grand écart de l’aiguille vers l’ouest a eu lieu entre midi et une heure : presque toutes les matinées, la progression de l’aiguille a été très régulière et de onze minutes ; mais dans les soirées, l’aiguille éprouvait de fréquentes irrégularités. Depuis le 16 après midi, jusqu’au 18 au matin, il n’a pas été possible d’observer, l’aiguille étant dans une continuelle agitation ; il a régné, pendant ce temps, un vent très fort de nord et de nord-est ; les jours où la marche de l’aiguille a été régulière, la variation diurne a été d’environ douze minutes… M. Coulomb a reconnu que l’acier fondu était la matière qui se chargeait le plus de la vertu magnétique, et par conséquent la plus propre à faire des aiguilles très fortement aimantées. À la fin d’avril 1783, il me rendit deux de ces nouvelles aiguilles que je plaçai dans deux boîtes de plomb, telles que je les ai décrites ci-dessus, établies dans deux cabinets différents ; ce qui me procura une nouvelle suite d’observations dont je vais rendre compte… Depuis le1er mai jusqu’au 6 juillet, avec deux aiguilles d’acier fondu placées sur champ, aimantées le plus fortement possible, longueur totale de chaque aiguille, un pied une ligne, poids de l’aiguille, avec son contrepoids et l’anneau de suspension à l’extrémité boréale de l’aiguille, neuf pouces une ligne ; l’accord le plus parfait s’est remarqué pendant ces deux mois d’expériences et de comparaison des deux aiguilles, qui se sont trouvées stationnaires, oscillantes et écartées dans les mêmes circonstances, dans les mêmes intervalles de temps, de la même quantité, et dans le même sens. Les exceptions à cette règle ont été si rares, et les différences si petites, que j’ai cru devoir l’attribuer à l’erreur des observations. Le plus grand des écarts de nos aiguilles vers l’est a eu lieu dans le mois de mai, vers l’heure de midi ; dans le mois de juin, entre deux et trois heures, le vent de nord-est et d’est m’a semblé plus d’une fois accompagner ces irrégularités. J’ai remarqué quelquefois qu’un changement subit du beau au mauvais temps ou du mauvais au beau changeait aussi la direction ordinaire de l’aiguille pour quelques jours, et qu’ensuite semblable changement la ramenait à son premier état.

    » La quantité de la variation diurne n’est pas la même dans toutes les saisons : il paraît qu’on peut fixer la plus grande à quatorze minutes, et la plus petite à cinq minutes. C’est en hiver que la variation diurne paraît être la plus petite, et j’ai remarqué qu’en été, lorsque la chaleur est considérable, la variation est nulle. » (Extrait du Mémoire de M. de Cassini, adressé aux auteurs du Journal de physique.)

  94. Voyez les Trois voyages du capitaine Cook.
  95. Voyez l’ouvrage déjà cité de M. Æpinus, no 364.
  96. Lettre de M. le chevalier de Lamanon à M. de Buffon, datée des îles Canaries, 1785.
  97. De tous nos voyageurs, M. Eckberg et M. Le Gentil, savant astronome de l’Académie des sciences, sont ceux qui ont donné le plus d’attention à l’inclinaison de l’aimant dans les régions qu’ils ont parcourues.
  98. Nous devons remarquer que, dans les articles de la déclinaison et de l’inclinaison de l’aimant, nous avons toujours compté les longitudes à l’est du méridien de Paris.
  99. Je dois observer ici que j’ai regardé comme nulles toutes les déclinaisons qui ne s’étendaient pas à deux degrés au-dessus de zéro, parce que les variations diurnes, et surtout les accidents des aurores boréales et des tempêtes, font souvent changer la direction de l’aiguille de plus de deux degrés.
  100. Voyez l’ouvrage déjà cité de ce savant physicien.
  101. Le capitaine Cook dit que l’inclinaison de l’aiguille fut de 64 degr. 36 min. les trois différentes fois qu’il relâcha à la Nouvelle-Zélande, dans une baie située par 41 degr. min. 56 sec. de latitude, et 172 degr. min. sec. de longitude. Il me paraît que l’on peut compter sur cette observation de Cook, avec d’autant plus de raison qu’elle a été répétée, comme l’on voit par son récit, jusqu’à trois fois différentes dans le même lieu, en différentes années. (Voyez le Second voyage de Cook, t. III, p. 374.)
Notes de l’éditeur
  1. Dans ce passage, Buffon formule en termes très précis une grande pensée : « la matière n’a jamais existé sans mouvement… le mouvement est donc aussi ancien que la matière. » Il aurait pu ajouter : « Le mouvement n’a jamais existé sans la matière. » Il est d’ailleurs facile de s’assurer que ce corollaire était présent à son esprit quand il écrivait les pages remarquables qui figurent au début de son Traité de l’aimant. Il dit un peu plus haut : « L’on ne connaît les forces qui animent l’univers que par le mouvement et par ses effets ; » et il s’empresse d’ajouter : « Ce mot même de forces ne signifie rien de matériel, et n’indique rien de ce qui peut affecter nos organes, qui cependant sont nos seuls moyens de communication avec la nature. » N’est-il pas bien évident que Buffon considère ici le mouvement comme une simple propriété nécessairement inhérente à la matière, sans laquelle cette dernière ne se montre jamais à nous et qui n’existe pas en dehors de la matière ?
  2. Buffon donne, dans ce passage, la première expression, toute divinatoire, de ce que l’on nomme aujourd’hui l’unité des forces physiques. Dans son Histoire du mercure, il a formulé l’idée de l’unité de composition de la matière. À la première page de son Traité de l’aimant, il a indiqué que la propriété la plus essentielle de la matière est le mouvement. Ici, suivant avec une remarquable vigueur la filière de ces pensées, il entrevoit, s’il ne la distingue pas très nettement, l’une des conceptions les plus remarquables des physiciens modernes, celle qui considère la chaleur, la lumière, l’électricité, comme des formes diverses d’une seule et même propriété, le mouvement, formes susceptibles de se transformer l’une dans l’autre. Buffon nous montre le mouvement produisant le « feu » qui se manifeste soit par la « lumière, soit par la chaleur » et la chaleur produisant l’électricité. Je ne crois donc pas me tromper en affirmant qu’il avait entrevu et deviné « la théorie de l’unité des forces physiques », admise aujourd’hui sans contestation par tous les savants. [Note de Wikisource : Notons cependant que cette unité, professée encore de nos jours, n’a toujours pas trouvé de formulation théorique convaincante. En effet, aujourd’hui encore, il existe un antagonisme irréductible entre la théorie de la gravitation (les théories relativistes) et les théories de l’électromagnétisme (les théories quantiques), de sorte que l’on ne sait pas expliquer ces deux forces par un même mécanisme, et donc encore moins expliquer l’une de ces forces par l’autre, comme prétend le faire Buffon. De manière générale, quasiment toutes les vues théoriques de Buffon sont ou bien fausses, ou bien appuyées sur des preuves équivoques. Ainsi, l’électricité souterraine, le fluide et les émanations électrique, l’influence des mines de fer et des défrichements sur l’orientation des boussoles, les multiples pôles magnétiques et plus généralement toutes les causes qu’il avance pour expliquer les phénomènes magnétiques, sont inexistants. Restent les vues de Buffon confirmées par la postérité, principalement : l’identité entre phénomènes électriques et magnétiques, le comportement de la Terre comme un aimant planétaire, et la marche erratique de ses pôles magnétiques.]
  3. Buffon applique ici à l’attraction, c’est-à-dire au mouvement, la caractéristique qui lui convient quand il l’appelle « une propriété primitive et un attribut essentiel de toute matière ». Il montre aussi, par ces expressions mises à la suite du mot « force générale », que dans son esprit la force, inséparable de la matière, n’est qu’ « une propriété », « un attribut » de la matière.
  4. La vérité est que les répulsions et attractions magnétiques varient comme l’attraction universelle, en raison inverse du carré de la distance.