Aller au contenu

Œuvres complètes de Buffon, éd. Lanessan/Introduction/2

La bibliothèque libre.
Texte établi par J.-L. de LanessanA. Le Vasseur (Tome Ip. 86-147).



II

ORGANISATION ET ÉVOLUTION DE LA TERRE. IDÉES DE BUFFON. IDÉES MODERNES.


L’évolution des planètes d’après Buffon. Après avoir déterminé hypothétiquement l’origine des planètes et de la terre, Buffon s’efforce d’établir les phases d’évolution par lesquelles ces globes ont dû passer. D’abord incandescents et lumineux, comme le soleil dont ils étaient nés, ils se sont ensuite graduellement refroidis par le rayonnement dans l’espace, en prenant, sous la double influence de la force centrifuge et de la pesanteur, la forme sphéroïdale qu’ils affectent aujourd’hui. Le refroidissement et la solidification ont commencé par la surface. Telle est, en peu de mots, la première phase de l’évolution de la terre et des planètes, d’après le savant naturaliste du xviiie siècle. Les planètes ont d’abord été fluides. Laissons-lui la parole : « Passons, dit-il[1], au premier âge de notre univers, où la terre et les planètes ayant reçu leur forme ont pris de la consistance, et de liquides sont devenues solides. Ce changement d’état s’est fait naturellement et par le seul effet de la diminution de la chaleur : la matière qui compose le globe terrestre et les autres globes planétaires était en fusion lorsqu’ils ont commencé à tourner sur eux-mêmes ; ils ont donc obéi, comme tout autre matière fluide, aux lois de la force centrifuge ; les parties voisines de l’équateur, qui subissent le plus grand mouvement dans la rotation, se sont le plus élevées ; celles qui sont voisines des pôles, où ce mouvement est moindre ou nul, se sont abaissées dans la proportion juste et précise qu’exigent les lois de la pesanteur, combinées avec celles de la force centrifuge, et cette forme de la terre et des planètes s’est conservée jusqu’à ce jour, et se conservera perpétuellement, quand même l’on voudrait supposer que le mouvement de rotation viendrait à s’accélérer, parce que la matière ayant passé de l’état de fluidité à celui de solidité, la cohésion des parties suffit seule pour maintenir la forme primordiale, et qu’il faudrait pour la changer que le mouvement de rotation prît une rapidité presque infinie, c’est-à-dire assez grande pour que l’effet de la force centrifuge devînt plus grand que celui de la force de cohérence. »

Dans un autre passage des Époques de la nature (t. II, p. 4), Buffon invoque encore à l’appui de la fluidité primitive générale de la terre sa forme sphéroïdale. « Le premier fait du renflement de la terre à l’équateur et de son aplatissement aux pôles est mathématiquement démontré et physiquement prouvé par la théorie de la gravitation et par les expériences du pendule. Le globe terrestre a précisément la figure que prendrait un globe fluide qui tournerait sur lui-même avec la vitesse que nous connaissons au globe de la terre. Ainsi la première conséquence qui sort de ce fait incontestable, c’est que la matière dont notre terre est composée était dans un état de fluidité au moment qu’elle a pris sa forme, et ce moment est celui où elle a commencé à tourner sur elle-même. Car si la terre n’eût pas été fluide, et qu’elle eût eu la même consistance que nous lui voyons aujourd’hui, il est évident que cette matière consistante et solide n’aurait pas obéi à la loi de la force centrifuge, et que par conséquent malgré la rapidité de son mouvement de rotation, la terre, au lieu d’être un sphéroïde renflé sur l’équateur et aplati sous les pôles, serait au contraire une sphère exacte, et qu’elle n’aurait jamais pu prendre d’autre figure que celle d’un globe parfait, en vertu de l’attraction mutuelle de toutes les parties de la matière dont elle est composée. »

L’opinion émise dans ces deux passages par Buffon est celle que tous les astronomes professent aujourd’hui. Tous aussi invoquent, comme Buffon, à l’appui de cette opinion, la forme sphéroïdale de la terre. Cependant John Herschel a eu soin de faire observer que même dans l’état où elle se trouve aujourd’hui, c’est-à-dire avec une surface solide parsemée de mers, la terre devrait prendre la forme qu’elle présente. Quelle qu’ait été à l’origine la forme de la terre, étant donnée la constitution actuelle de sa surface « il se produirait, dit-il[2], (sous l’influence de la rotation) une force centrifuge dont la tendance générale serait de contraindre les eaux, en chaque point de la surface, à s’éloigner de l’axe. On pourrait même concevoir une rotation assez rapide pour chasser tout l’Océan de la surface de la terre, comme on expulse l’eau d’un linge mouillé ; mais un tel résultat exigerait une vitesse beaucoup plus grande que celle dont il s’agit ici. Dans le cas supposé, le poids de l’eau suffirait pour la retenir sur la terre, et l’effet de la force centrifuge consisterait simplement à éloigner l’eau des pôles et à la faire refluer vers l’équateur, où elle s’accumulerait en forme de bourrelet circulaire, et où elle se trouverait retenue, contrairement à son poids et à sa tendance naturelle vers le centre, par la pression ainsi produite. Ceci, toutefois, ne pourrait avoir lieu sans qu’il en résultât la mise à sec des régions polaires qui, alors, se trouveraient occupées par des continents élevés, tandis qu’une zone océanique entourerait l’équateur. Tel serait le premier effet, l’effet immédiat, de l’état de choses supposé dans l’hypothèse en question. Voyons à présent ce qui arriverait plus tard, en laissant les choses suivre leur cours naturel.

» La mer bat continuellement les côtes de la terre ferme ; elle les ronge, et en disperse sur le fond de son bassin les particules et les fragments, à l’état de sable et de galets. Un grand nombre de faits géologiques attestent pleinement que les continents ont tous subi, à plusieurs reprises et plus ou moins, les effets de cette action ; qu’ils ont été entièrement réduits en fragments ou en poussière, submergés, puis reconstruits. La terre ferme, considérée à ce point de vue, ne justifie donc pas son attribut de fixité. Comme masse solide, elle peut résister à des forces auxquelles l’eau obéit librement ; mais lorsque, dans son état de dégradation subite ou successive, elle se trouve disséminée dans l’eau, sous forme de sable ou de limon, elle participe à tous les mouvements de ce liquide. Ainsi, dans le cours des siècles, les continents seront détruits, et leurs débris se répandront sur le fond de l’Océan, où, remplissant les cavités les plus profondes, ils tendront continuellement à rendre à la surface du noyau solide la forme d’équilibre. On voit donc, en admettant que la terre, soit douée d’un mouvement de rotation, qu’après un laps de temps suffisant, les protubérances polaires disparaîtront graduellement, et seront transportées à l’équateur (où se trouvera alors la mer la plus profonde), jusqu’à ce que la terre prenne peu à peu la forme que nous lui connaissons aujourd’hui, — celle d’un ellipsoïde aplati. Nous sommes loin de prétendre que ce soit réellement ainsi que la terre est arrivée à prendre sa forme actuelle ; notre seul but est de montrer que telle est la figure qu’elle tend à prendre, étant soumise à un mouvement de rotation autour de son axe, et celle qu’elle prendrait, lors même qu’originairement, et en quelque sorte par erreur, elle eût été constituée de toute autre manière. »

Le savant géologue Lyell, dont la constante préoccupation est de démontrer que tous les caractères de forme et d’organisation de la terre ont pu être produits par des causes lentes et s’exerçant encore aujourd’hui, fait remarquer avec raison que Herschel a négligé l’action destructive exercée sur la terre ferme par les rivières et les fleuves, action puissante et qui s’ajoute à celle de la mer pour déplacer les matériaux solides du globe et les transporter vers l’équateur. Il insiste aussi sur ce fait que, même actuellement, il existe dans les couches les plus superficielles de la terre des foyers de chaleur capables de fondre des masses considérables de substances qui se sont ensuite déversées à la surface et ont été entraînées vers l’équateur. Il ajoute[3] : « Ou si, dans les régions équatoriales, il existait alors au-dessous de l’écorce terrestre des lacs et des mers de lave, comme il s’en trouve probablement aujourd’hui dans les Andes du Pérou, le fluide ainsi emprisonné se serait frayé une issue pour s’échapper et aurait soulevé d’une manière permanente les roches sus-jacentes. La figure d’équilibre du sphéroïde terrestre, dont le plus long diamètre excède le plus court d’environ 40 kilomètres, peut donc être le résultat de causes graduelles et même encore existantes, et non celui d’un état de fluidité primitive, universelle et simultanée. »

Buffon se trompait donc lorsqu’il émettait l’opinion, reproduite plus haut, que la forme sphéroïdale de la terre implique nécessairement un état de fluidité totale pendant lequel elle aurait revêtu cette forme. Cependant, la nature des phénomènes signalés par Herschel et leur rôle dans la détermination de la forme de la terre ne lui avaient pas échappé. Il admet, en effet, que la forme sphéroïdale prise par la terre pendant son état de fluidité s’est accentuée davantage par le transport vers l’équateur de sédiments entraînés par les eaux : « Il me paraît, dit-il[4], que dans le temps que la terre s’est formée elle a nécessairement dû prendre, en vertu de l’attraction mutuelle de ses parties et de l’action de la force centrifuge, la figure d’un sphéroïde dont les axes diffèrent d’une deux cent trentième partie ; la terre ancienne et originaire a eu nécessairement cette figure qu’elle a prise lorsqu’elle était fluide, ou plutôt liquéfiée par le feu ; mais lorsque, après sa formation et son refroidissement, les vapeurs qui étaient étendues et raréfiées, comme nous voyons l’atmosphère et la queue d’une comète, se furent condensées, elles tombèrent sur la surface de la terre et formèrent l’air et l’eau, et lorsque ces eaux qui étaient à la surface furent agitées par le mouvement du flux et reflux, les matières furent entraînées peu à peu des pôles vers l’équateur, en sorte qu’il est possible que les parties des pôles soient abaissées d’environ une lieue, et que les parties de l’équateur se soient élevées de la même quantité. »

Il ne faut pas perdre de vue, d’ailleurs, que si la forme sphéroïdale de la terre a pu être déterminée en partie par le transport des terres arrachées aux continents ou par les autres causes signalées par Lyell, cela n’empêche pas d’admettre qu’elle ait été d’abord entièrement fluide ; cela prouve simplement que l’on peut expliquer sa forme sans être obligé de supposer, comme le dit Lyell, qu’elle soit due à une « fluidité primitive, universelle et simultanée ».

Nature du noyau central de la terre. Nous devons maintenant examiner une question fort importante et encore très débattue parmi les géologues : celle de savoir si la terre est entièrement solide ou si, au contraire, sa partie superficielle seule est dans cet état, tandis que le centre serait encore liquide ou gazeux. La manière de voir la plus généralement admise sur ce sujet est, dans les grandes lignes, celle qu’adoptait Buffon. Je lui laisse d’abord la parole ; je montrerai ensuite dans quelles limites ses idées ont été modifiées par les savants modernes.

« Le refroidissement de la terre et des planètes, dit-il, comme celui de tous les corps chauds, a commencé par la surface ; les matières en fusion s’y sont consolidées dans un temps assez court ; dès que le grand feu dont elles étaient pénétrées s’est échappé, les parties de la matière qu’il tenait divisées se sont rapprochées et réunies de plus près par leur attraction mutuelle ; celles qui avaient assez de fixité pour soutenir la violence du feu ont formé des masses solides ; mais celles qui, comme l’air et l’eau, se raréfient ou se volatilisent par le feu ne pouvaient faire corps avec les autres ; elles en ont été séparées dans les premiers temps du refroidissement ; tous les éléments pouvant se transmuer et se convertir, l’instant de la consolidation des matières fixes fut aussi celui de la plus grande conversion des éléments et de la production des matières volatiles : elles étaient réduites en vapeurs et dispersées au loin, formant autour des planètes une espèce d’atmosphère semblable à celle du soleil ; car on sait que le corps de cet astre en feu est environné d’une sphère de vapeurs qui s’étend à des distances immenses, et peut-être jusqu’à l’orbe de la terre[5]. L’existence réelle de cette atmosphère solaire est démontrée par un phénomène qui accompagne les éclipses totales du soleil. La lune en couvre alors à nos yeux le disque tout entier ; et néanmoins l’on voit encore un limbe ou grand cercle de vapeurs dont la lumière est assez vive pour nous éclairer à peu près autant que celle de la lune : sans cela, le globe terrestre serait plongé dans l’obscurité la plus profonde pendant la durée de l’éclipse totale. On a observé que cette atmosphère solaire est plus dense dans ses parties voisines du soleil, et qu’elle devient d’autant plus rare et plus transparente qu’elle s’étend et s’éloigne davantage du corps de cet astre de feu : l’on ne peut donc pas douter que le soleil ne soit environné d’une sphère de matières aqueuses, aériennes et volatiles[6], que sa violente chaleur tient suspendues et reléguées à des distances immenses, et que dans le moment de la projection des planètes le torrent des matières fixes sorties du corps du soleil n’ait, en traversant son atmosphère, entraîné une grande quantité de ces matières volatiles dont elle est composée : et ce sont ces mêmes matières volatiles, aqueuses et aériennes, qui ont ensuite formé les atmosphères des planètes, lesquelles étaient semblables à l’atmosphère du soleil tant que les planètes ont été, comme lui, dans un état de fusion ou de grande incandescence[7].

» Toutes les planètes n’étaient donc alors que des masses de verre liquide, environnées d’une sphère de vapeurs. Tant qu’a duré cet état de fusion, et même longtemps après, les planètes étaient lumineuses par elles-mêmes, comme le sont tous les corps en incandescence ; mais à mesure que les planètes prenaient de la consistance, elles perdaient de leur lumière : elles ne devinrent tout à fait obscures qu’après s’être consolidées jusqu’au centre, et longtemps après la consolidation de leur surface, comme l’on voit dans une masse de métal fondu la lumière et la rougeur subsister très longtemps après la consolidation de sa surface. Et dans ce premier temps, où les planètes brillaient de leurs propres feux, elles devaient lancer des rayons, jeter des étincelles, faire des explosions, et ensuite souffrir, en se refroidissant, différentes ébullitions à mesure que l’eau, l’air et les autres matières qui ne peuvent supporter le feu retombaient à leur surface : la production des éléments, et ensuite leur combat, n’ont pu manquer de produire des inégalités, des aspérités, des profondeurs, des hauteurs, des cavernes à la surface et dans les premières couches de l’intérieur de ces grandes masses ; et c’est à cette époque que l’on doit rapporter la formation des plus hautes montagnes de la terre, de celles de la lune et de toutes les aspérités ou inégalités qu’on aperçoit sur les planètes.

» Représentons-nous l’état et l’aspect de notre univers dans son premier âge : toutes les planètes nouvellement consolidées à la surface étaient encore liquides à l’intérieur, et lançaient au dehors une lumière très vive ; c’étaient autant de petits soleils détachés du grand, qui ne lui cédaient que par le volume, et dont la lumière et la chaleur se répandaient de même ce temps d’incandescence a duré tant que la planète n’a pas été consolidée jusqu’au centre, c’est-à-dire environ 2 936 ans pour la terre, 644 ans pour la lune, 2 127 ans pour Mercure, 1 130 ans pour Mars, 3 596 ans pour Vénus, 5 140 ans pour Saturne, et 9 433 ans pour Jupiter. »

Buffon pousse, on le voit, la hardiesse de ses vues jusqu’à calculer le temps qui a été nécessaire pour que le refroidissement de chaque planète ait pu s’effectuer. Je n’ai pas besoin d’insister sur ces calculs, qui manquent manifestement de base.

Je me borne à résumer son opinion sur l’évolution de notre globe. D’abord incandescent, il s’est refroidi et solidifié de la surface au centre. Aujourd’hui sa surface est froide, mais son centre est encore chaud. Tandis que la solidification s’effectuait, des irrégularités de toutes sortes se produisaient dans sa surface, des cavernes se creusaient et des montagnes émergeaient, et les matières les plus volatiles « qui ne peuvent supporter le feu », l’eau et l’air notamment, étaient séparées de la masse incandescente et rejetées au dehors. Buffon précise mieux, dans une page des Époques de la nature[8], la séparation de ce qu’il appelle « les matières volatiles » et la formation de l’atmosphère : « Tant que la chaleur excessive a duré, il s’est fait une séparation et même une projection de toutes les parties volatiles, telles que l’eau, l’air et les autres substances que la grande chaleur chasse au dehors et qui ne peuvent exister que dans une région plus tempérée que ne l’était alors la surface de la terre. Toutes ces matières volatiles s’étendaient donc autour du globe en forme d’atmosphère à une grande distance où la chaleur était moins forte, tandis que les matières fixes, fondues et vitrifiées, s’étant consolidées, formèrent la roche intérieure du globe et le noyau des grandes montagnes, dont les sommets, les masses intérieures et les bases, sont en effet composés de matières vitrescibles. »

Si on laisse de côté les détails, on peut dire que sur ces questions la science n’a pas modifié l’opinion exprimée par Buffon. La plupart des géologues croient encore comme Buffon que la terre s’est refroidie de la périphérie au centre, que sa portion centrale est encore à une température très élevée, que l’eau et l’air se sont séparés des parties solides du globe lorsqu’il a commencé à se refroidir. Pendant longtemps même, on a pensé, comme Buffon, que certaines montagnes ou, du moins, leur « noyau », pour employer l’expression du savant naturaliste, dataient de l’époque où la croûte du globe était encore en fusion. Si cette opinion n’a plus cours, on admet du moins généralement qu’un grand nombre d’aspérités rocheuses de notre globe ont été poussées au dehors par éruption et proviennent des portions centrales encore en fusion de la terre.

Il importe d’examiner avec soin chacune de ces questions.

Direction du refroidissement de la terre. Relativement à la direction dans laquelle s’est fait le refroidissement de notre globe et à l’existence d’un noyau terrestre encore en fusion, on peut dire que presque tous les géologues sont du même avis que Buffon, c’est-à-dire admettent que la terre s’est d’abord refroidie à la périphérie, et que son centre est encore composé de matières en fusion. Les motifs invoqués à l’appui de cette manière sont à peu près ceux que faisait valoir Buffon. En premier lieu, l’élévation graduelle de la température à mesure qu’on pénètre davantage dans la profondeur du sol. Buffon dit à cet égard[9] : « La surface de la terre est plus refroidie que son intérieur. Des expériences certaines et réitérées nous assurent que la masse entière du globe a une chaleur propre et tout à fait indépendante de celle du soleil. Cette chaleur nous est démontrée par la comparaison de nos hivers à nos étés[10] ; et on la reconnaît d’une manière encore plus palpable dès qu’on pénètre au dedans de la terre ; elle est constante en tous lieux pour chaque profondeur, et elle paraît augmenter à mesure que l’on descend. Mais que sont nos travaux en comparaison de ceux qu’il faudrait faire pour reconnaître les degrés successifs de cette chaleur intérieure dans les profondeurs du globe ! Nous avons fouillé les montagnes à quelques centaines de toises pour en tirer les métaux ; nous avons fait dans les plaines des puits de quelques centaines de pieds : ce sont là nos plus grandes excavations, ou plutôt nos fouilles les plus profondes ; elles effleurent à peine la première écorce du globe, et néanmoins la chaleur intérieure y est déjà plus sensible qu’à la surface : on doit donc présumer que si l’on pénétrait plus avant, cette chaleur serait plus grande, et que les parties voisines du centre de la terre sont plus chaudes que celles qui en sont éloignées, comme l’on voit, dans un boulet rougi au feu, l’incandescence se conserver dans les parties voisines du centre longtemps après que la surface a perdu cet état d’incandescence et de rougeur. »

Dans une addition à ce passage des Époques de la nature, Buffon cite les observations de Gensanne, d’Eller, de Dortous de Mairan, relatives à l’élévation de la température dans les mines.

Depuis la fin du xviiie siècle, un très grand nombre d’expériences ont été faites pour établir la quantité dont s’élève la température à mesure que l’on s’enfonce dans le sol, non seulement dans les mines, mais encore dans les puits artésiens, dont quelques-uns atteignent à une grande profondeur et fournissent par suite d’excellents éléments d’étude.

On a d’abord déterminé la profondeur à laquelle les rayons du soleil font sentir leur action calorifique, et l’on sait aussi qu’au delà de 20 à 25 mètres cette action est tout à fait nulle. Des thermomètres placés dans les caves de l’Observatoire de Paris, à une profondeur de 29 mètres, marquent une température de 11°,7 C., tellement constante, que ses variations annuelles elles-mêmes ne sont pas appréciables. « Il est démontré par l’expérience, dit Buffon[11], que la lumière du soleil ne pénètre qu’à six cents pieds à travers l’eau la plus limpide, et que, par conséquent, sa chaleur n’arrive peut-être pas au quart de cette épaisseur, c’est-à-dire à cent cinquante pieds : ainsi toutes les eaux qui sont au-dessous de cette profondeur seraient glacées sans la chaleur intérieure de la terre, qui, seule, peut entretenir leur liquidité. Et de même, il est encore prouvé par l’expérience que la chaleur des rayons solaires ne pénètre pas à quinze ou vingt pieds dans la terre, puisque la glace se conserve à cette profondeur pendant les étés les plus chauds. »

Quand on descend au-dessous du point à température fixe, on voit, au contraire, le thermomètre s’élever d’autant plus que l’on pénètre plus avant dans les entrailles de la terre, sans que les variations de la température extérieure aient sur lui aucune action. On avait cru d’abord que l’élévation était la même, pour une profondeur déterminée, dans tous les points du globe ; on voyait dans ce fait un argument nouveau en faveur de l’existence d’un foyer central de chaleur se faisant également sentir dans tous les points de la sphère terrestre, et l’on admettait que le thermomètre s’élevait de 1° C. par chaque 31 mètres, en moyenne. Des recherches plus précises n’ont pas tardé à montrer, au contraire, que le degré de profondeur géothermique, c’est-à-dire le nombre de mètres nécessaires pour obtenir une élévation de 1° C., varie beaucoup d’un point à l’autre du globe. D’après M. Cordier[12], dans certaines mines de la Saxe, on obtient une élévation de 1° C. par chaque 55 mètres, tandis que dans d’autres il faut un nombre de mètres deux ou trois fois plus considérable pour obtenir une élévation de température de 1° C. M. Fox ayant placé un thermomètre dans la mine de Dolcoath, à la profondeur de 421 mètres, obtint, pendant dix-huit mois d’observation, une température moyenne de 20° ; celle de l’atmosphère étant de 10°, l’élévation n’était donc que de 1° pour chaque 22 mètres, 13 mètres de moins que dans les mines de la Saxe. Malgré ces inégalités dans le degré de profondeur géothermique, il n’est pas permis de mettre en doute que le thermomètre s’élève d’autant plus qu’on l’enfonce davantage dans le sol. Il paraît fort naturel d’en conclure, comme on l’a fait, que le centre de la terre, étant en fusion, constitue un foyer de chaleur intense auquel est due l’élévation graduelle du thermomètre qui pénètre dans le sol.

On a cependant opposé à cette conclusion des objections dont l’importance est d’autant plus grande qu’elles viennent d’un homme dont la compétence et l’autorité ne sont mises en doute par personne. « Si, dit Lyell[13], nous adoptons comme résultat moyen l’évaluation de 1° C. par 35 mètres de profondeur, et si nous supposons, avec les partisans de la fluidité du noyau central, que la température continue à s’accroître en descendant jusqu’à une distance indéfinie, nous atteindrons le point d’ébullition de l’eau à plus de 3 218 mètres au-dessous de la surface, et celui de la fusion du fer (plus de 1 500° C. suivant le pyromètre de Daniell) et de presque toutes les substances connues, à la profondeur de 54 716 mètres. S’il est vrai que la chaleur augmente dans la proportion que nous venons d’énoncer, nous devrions rencontrer, à peu de distance, une température plusieurs fois supérieure à celle qui suffit pour fondre les substances les plus réfractaires connues. Dans ce cas, à des profondeurs bien plus considérables, quoique encore très éloignées du noyau central, la chaleur devrait avoir une intensité telle (cent soixante fois celle du point de fusion du fer) qu’il serait impossible de concevoir comment la croûte terrestre peut résister à son action sans se fondre. » Prévoyant une objection qui, en effet, se présente aussitôt à l’esprit, il ajoute : « Peut-être dira-t-on que nous pouvons nous maintenir sur la surface durcie d’un courant de laves pendant qu’il est encore en mouvement, et même descendre dans le cratère du Vésuve après une éruption, et nous tenir sur les scories au moment où chaque crevasse nous laisse apercevoir la roche incandescente à 0m,60 ou 0m,90 au-dessous de nous, ce qui permet de supposer qu’un peu plus bas elle est entièrement à l’état de fusion, et qu’à une profondeur de plusieurs centaines de mètres ou de kilomètres, il règne une chaleur beaucoup plus intense encore. À cela, nous répondrons que jusqu’à ce qu’une grande quantité de chaleur ait été abandonnée, soit par l’émission de la lave, soit, sous forme latente, par un dégagement de vapeur d’eau et de gaz, la matière fondue continue à être en ébullition dans le cratère du volcan. Mais cette ébullition cesse quand il ne vient plus d’en bas une quantité suffisante pour l’entretenir, et il peut alors se former une croûte de lave sur la partie supérieure, ce qui permet à des pluies de scories d’y tomber et de s’y maintenir sans se fondre. Si la chaleur intérieure vient à être augmentée de nouveau, l’ébullition recommence et détermine bientôt la fusion de la croûte superficielle. De même, dans le cas du courant en mouvement dont nous parlions tout à l’heure, nous pouvons supposer, en toute assurance, qu’aucune partie du liquide qui se trouve au-dessous de la surface durcie n’a une température de beaucoup supérieure à celle qui suffit pour le maintenir à l’état de fluidité. »

On a encore invoqué, à l’appui de l’existence d’un noyau fluide au centre de la terre, la température élevée des eaux thermales, la densité de la terre, plus forte au centre qu’à la surface, les phénomènes volcaniques, les tremblements de terre, de prétendues marées terrestres intérieures, et des déplacements supposés de l’axe de la croûte terrestre, les abaissements et les soulèvements que subissent certaines parties de la surface de la terre.

M. Lyell pense cependant qu’aucun de ces phénomènes n’est de nature à exiger que le centre de la terre soit entièrement en fusion. Il pense qu’il suffit, pour les expliquer, d’admettre l’existence, dans certaines parties limitées de la portion superficielle du globe terrestre, de cavités remplies de roches en fusion.

D’abord, il nie les marées intérieures et le déplacement de l’axe de la croûte terrestre, qui ont été admis par quelques géologues. Il fait remarquer, relativement au premier phénomène, que, si faibles que fussent les marées intérieures, si elles existaient, et que si, comme l’admettent les partisans de la fluidité centrale, les laves des volcans étaient en communication directe avec la matière fondue du noyau central, elles devraient s’abaisser et s’élever en même temps que la mer dans les volcans, comme le Stromboli, où il existe toujours de la matière en fusion. Or, cela ne se produit pas. Relativement au prétendu déplacement de la croûte terrestre autour du noyau central, il fait, entre autres objections, celle-ci, qui est topique : « La terre étant un sphéroïde et non une sphère parfaite, il devient nécessaire de supposer la fluidité du noyau assez complète pour que l’enveloppe solide puisse glisser librement au-dessus. Si la surface inférieure ou interne de l’enveloppe est de forme irrégulière, ou même si quelqu’une de ses parties est visqueuse, cette enveloppe éprouvera une très forte résistance chaque fois qu’elle devra changer de position. Sa liberté de glissement sera contrariée par son défaut d’adaptation avec le noyau, et son changement de position, supposé même qu’il soit toujours très petit, ne s’effectuera qu’avec des frottements excessivement violents, par suite desquels se produiront la voussure et le déchirement de la masse incombante. »

Les arguments en faveur de la fluidité centrale du globe tirés des phénomènes volcaniques, des sources thermales, des abaissements et des soulèvements de certains points du globe ont une valeur beaucoup plus grande. Lyell cependant n’admet pas davantage les déductions qu’on en tire.

Les volcans d’après Buffon Occupons-nous d’abord des volcans. La plupart des géologues modernes admettent que les volcans communiquent avec la masse centrale en fusion du globe. Nous verrons plus bas sur quels arguments ils appuient cette opinion, dont ils font usage, d’un autre côté, pour plaider la cause du feu central. Les idées émises par Buffon au sujet des volcans sont tout à fait différentes ; elles méritent de nous arrêter, sinon à cause de leur absolue exactitude, du moins à cause de leur originalité et de la confirmation qu’une partie d’entre elles ont reçue. Disons d’abord que Buffon n’est pas partisan de la fluidité centrale du globe. Il admet bien que le centre de la terre jouit d’une température très élevée, mais il le considère comme doué d’une solidité égale à celle de la surface. « Nous pouvons présumer, dit-il dans son mémoire sur la Formation des planètes[14], que l’intérieur de la terre est rempli d’une matière à peu près semblable à celle qui compose sa surface. » Un peu plus loin, il dit encore : « Il y a tout lieu de conjecturer, avec grande vraisemblance, que l’intérieur de la terre est rempli d’une matière vitrifiée dont la densité est à peu près la même que celle du sable[15], et que par conséquent le globe terrestre, en général, peut être regardé comme homogène. »

Buffon admettant l’état solide du centre de la terre ne pouvait pas considérer les volcans comme les cheminées d’un foyer central rempli de matières en fusion. Il explique leur formation et leur fonctionnement d’une toute autre façon. Il suppose qu’au moment du refroidissement de la terre, il s’est formé à sa surface, par le bouillonnement des gaz et des vapeurs, des boursouflures analogues à celles qu’on voit sur un morceau de verre ou de fer fondu au contact de l’air et de la vapeur d’eau ; les parties saillantes de ces boursouflures ont constitué les montagnes primitives, tandis que leurs cavités ont formé les creusets des volcans. « On pourra, dit-il[16], me demander pourquoi tous les volcans sont situés dans les montagnes ? pourquoi paraissent-ils d’autant plus ardents que les montagnes sont plus hautes ? quelle est la cause qui a pu disposer ces énormes cheminées dans l’intérieur des murs les plus solides et les plus élevés du globe ? Si l’on a bien compris ce que j’ai dit au sujet des inégalités produites par le premier refroidissement, lorsque les matières en fusion se sont consolidées, on sentira que les chaînes des hautes montagnes nous représentent les plus grandes boursouflures qui se sont faites à la surface du globe dans le temps qu’il a pris consistance : la plupart des montagnes sont donc situées sur des cavités, auxquelles aboutissent les fentes perpendiculaires qui les tranchent du haut en bas : ces cavernes et ces fentes contiennent des matières qui s’enflamment par la seule effervescence, ou qui sont allumées par les étincelles électriques de la chaleur intérieure du globe. Dès que le feu commence à se faire sentir, l’air attiré par la raréfaction en augmente la force et produit bientôt un grand incendie, dont l’effet est de produire à son tour les mouvements et les orages intestins, les tonnerres souterrains et toutes les impulsions, les bruits et les secousses qui précèdent et accompagnent l’éruption des volcans. On doit donc cesser d’être étonné que les volcans soient tous situés dans les hautes montagnes, puisque ce sont les seuls anciens endroits de la terre où les cavités intérieures se soient maintenues, les seuls où ces cavités communiquent de bas en haut par des fentes qui ne sont pas encore comblées, et enfin les seuls où l’espace vide était assez vaste pour contenir la très grande quantité de matières qui servent d’aliment au feu des volcans permanents et encore subsistants. Au reste, ils s’éteindront comme les autres dans la suite des siècles ; leurs éruptions cesseront ; oserai-je même dire que les hommes pourraient y contribuer ? En coûterait-il autant pour couper la communication d’un volcan avec la mer voisine, qu’il en a coûté pour construire les pyramides d’Égypte ? Ces monuments inutiles d’une gloire fausse et vaine nous apprennent au moins qu’en employant les mêmes forces pour les monuments de sagesse, nous pourrions faire de très grandes choses, et peut-être maîtriser la nature, au point de faire cesser, ou du moins diriger les ravages du feu comme nous savons déjà par notre art diriger et rompre les efforts de l’eau. »

D’après Buffon, non seulement les volcans ne communiquent pas avec le centre de la terre, mais encore ils sont situés très près de sa surface, d’ordinaire dans l’épaisseur même des montagnes, « Il ne faut pas croire, dit-il dans son Histoire et théorie de la terre[17], que ces feux viennent d’un feu central, comme quelques auteurs l’ont écrit, ni même qu’ils viennent d’une grande profondeur, comme c’est l’opinion commune ; car l’air est absolument nécessaire à leur embrasement, au moins pour l’entretenir. On peut assurer, en examinant les matières qui sortent des volcans dans les plus violentes éruptions, que le foyer de la matière enflammée n’est pas à une grande profondeur, et que ce sont des matières semblables à celles qu’on trouve sur la croupe de la montagne, qui ne sont défigurées que par la calcination et la fonte des parties métalliques qui y sont mêlées ; et pour se convaincre que ces matières jetées par les volcans ne viennent pas d’une grande profondeur, il n’y a qu’à faire attention à la hauteur de la montagne et juger de la force immense qui était nécessaire pour pousser des pierres et des minéraux à une demi-lieue en hauteur ; car l’Etna, l’Hécla et plusieurs autres volcans ont au moins cette élévation au-dessus des plaines. Or, on sait que l’action du feu se fait en tout sens ; elle ne pourrait donc pas s’exercer en haut avec une force capable de lancer de grosses pierres à une demi-lieue en hauteur, sans réagir avec la même force en bas et vers les côtés ; cette réaction aurait bientôt détruit et percé la montagne de tous côtés, parce que les matières qui la composent ne sont pas plus dures que celles qui sont lancées ; et comment imaginer que la cavité qui sert de tuyau ou de canon pour conduire ces matières jusque l’embouchure du volcan puisse résister à une si grande violence ? D’ailleurs, si cette cavité descendait fort bas, comme l’orifice extérieur n’est pas fort grand, il serait comme impossible qu’il en sortit à la fois une aussi grande quantité de matières enflammées et liquides, parce qu’elles se choqueraient entre elles et contre les parois du tuyau, et qu’en parcourant un espace aussi long elles s’éteindraient et se durciraient. On voit souvent couler du sommet du volcan dans les plaines des ruisseaux de bitume et de soufre fondu qui viennent de l’intérieur, et qui sont jetés au dehors avec les pierres et les minéraux. Est-il naturel d’imaginer que des matières si peu solides, et dont la masse donne si peu de prise à une violente action, puissent être lancées d’une grande profondeur ? Toutes les observations qu’on fera sur ce sujet prouveront que le feu des volcans n’est pas éloigné du sommet de la montagne, et qu’il s’en faut bien qu’il descende au niveau des plaines.

» Cela n’empêche pas cependant que son action se fasse, sentir dans ces plaines par des secousses et des tremblements de terre qui s’étendent quelquefois à une très grande distance, qu’il ne puisse y avoir des voies souterraines par où la flamme et la fumée peuvent se communiquer d’un volcan à un autre, et que, dans ce cas, ils ne puissent agir et s’enflammer presque en même temps[18] : mais c’est du foyer de l’embrasement que nous parlons, il ne peut être qu’à une petite distance de la bouche du volcan, et il n’est pas nécessaire pour produire un tremblement de terre dans la plaine que ce foyer soit au-dessous du niveau de la plaine, ni qu’il y ait des cavités intérieures remplies du même feu ; car une violente explosion telle qu’est celle d’un volcan, peut, comme celle d’un magasin à poudre, donner une secousse assez violente pour qu’elle produise par sa réaction un tremblement de terre.

» Je ne prétends pas dire pour cela qu’il n’y ait des tremblements de terre produits immédiatement par des feux souterrains, mais il y en a qui viennent de la seule explosion des volcans. Ce qui confirme tout ce que je viens d’avancer à ce sujet, c’est qu’il est très rare de trouver des volcans dans les plaines ; ils sont au contraire tous dans les plus hautes montagnes, et ils ont tous leur bouche au sommet ; si le feu intérieur qui les consume s’étendait jusque dessous les plaines, ne le verrait-on pas dans le temps de ces violentes éruptions s’échapper et s’ouvrir un passage au travers du terrain des plaines ? et dans le temps de la première éruption, ces feux n’auraient-ils pas plutôt percé dans les plaines et au pied des montagnes, où ils n’auraient trouvé qu’une faible résistance, en comparaison de celle qu’ils ont dû éprouver, s’il est vrai qu’ils aient ouvert et fendu une montagne d’une demi-lieue de hauteur pour trouver une issue ?

» Enfin, on a souvent observé qu’après de violentes éruptions pendant lesquelles le volcan rejette une très grande quantité de matières, le sommet de la montagne s’affaisse et diminue à peu près de la même quantité qu’il serait nécessaire qu’il diminuât pour fournir les matières rejetées ; autre preuve qu’elles ne viennent pas de la profondeur intérieure du pied de la montagne, mais de la partie voisine du sommet et du sommet même. »

Quant à la raison pour laquelle les volcans sont situés dans les montagnes, Buffon la formule de la façon suivante[19] :

« Ce qui fait que les volcans sont toujours dans les montagnes, c’est que les minéraux, les pyrites et les soufres se trouvent en plus grande quantité et plus à découvert dans les montagnes que dans les plaines, et que ces lieux élevés recevant plus aisément et en plus grande abondance les pluies et les autres impressions de l’air, ces matières minérales, qui y sont exposées, se mettent en fermentation et s’échauffent jusqu’au point de s’enflammer. »

Il attribue une influence considérable à l’électricité dans la production des phénomènes volcaniques. « L’électricité, dit-il[20], me paraît jouer un très grand rôle dans les tremblements de terre et dans les éruptions des volcans.= Je me suis convaincu par des raisons très solides, et par la comparaison que j’ai faite des expériences sur l’électricité, que le fond de la matière électrique est la chaleur propre du globe terrestre ; les émanations continuelles de cette chaleur, quoique sensibles, ne sont pas visibles, et restent sous la forme de chaleur obscure, tant qu’elles ont leur mouvement libre et direct ; mais elles produisent un feu très vif et de fortes explosions, dès qu’elles sont détournées de leur direction, ou bien accumulées par le frottement des corps. Les cavités intérieures de la terre contenant du feu, de l’air et de l’eau, l’action de ce premier élément doit y produire des vents impétueux, des orages bruyants et des tonnerres souterrains dont les effets peuvent être comparés à ceux de la foudre des airs ; ces effets doivent même être plus violents et plus durables, par la forte résistance que la solidité de la terre oppose de tous côtés à la force électrique de ces tonnerres souterrains. Le ressort d’un air mêlé de vapeurs denses et enflammées par l’électricité, l’effort de l’eau, réduite en vapeurs élastiques par le feu, toutes les autres impulsions de cette puissance électrique, soulèvent, entr’ouvrent la surface de la terre, ou du moins l’agitent par des tremblements, dont les secousses ne durent pas plus longtemps que le coup de la foudre intérieure qui les produit ; et ces secousses se renouvellent jusqu’à ce que les vapeurs expansives se soient fait une issue par quelque ouverture à la surface de la terre ou dans le sein des mers. Aussi les éruptions des volcans et les tremblements de terre sont précédés et accompagnés d’un bruit sourd et roulant, qui ne diffère de celui du tonnerre que par le ton sépulcral et profond que le son prend nécessairement en traversant une grande épaisseur de matière solide, lorsqu’il s’y trouve renfermé.

» Cette électricité souterraine, combinée comme cause générale avec les causes particulières des feux allumés par l’effervescence des matières pyriteuses et combustibles que la terre recèle en tant d’endroits, suffit à l’explication des principaux phénomènes de l’action des volcans : par exemple, leur foyer paraît être assez voisin de leur sommet, mais l’orage est au-dessous. Un volcan n’est qu’un vaste fourneau, dont les soufflets, ou plutôt les ventilateurs, sont placés dans les cavités inférieures, à côté et au-dessous du foyer : ce sont ces mêmes cavités, lorsqu’elles s’étendent jusqu’à la mer, qui servent de tuyaux d’aspiration pour porter en haut non seulement les vapeurs, mais les masses mêmes de l’eau et de l’air ; c’est dans ce transport que se produit la foudre souterraine, qui s’annonce par des mugissements, et n’éclate que par l’affreux vomissement des matières qu’elle a frappées, brûlées et calcinées : des tourbillons épais d’une noire fumée ou d’une flamme lugubre ; des nuages massifs de cendres et de pierres ; des torrents bouillants de lave en fusion, roulant au loin leurs flots brûlants et destructeurs, manifestent au dehors le mouvement convulsif des entrailles de la terre. »

Enfin, et c’est par là que je terminerai l’exposé des idées de Buffon sur les volcans, il insiste beaucoup sur l’importance du rôle joué par l’eau dans les phénomènes volcaniques. Il signale ce fait important que les volcans n’existent qu’au voisinage des mers, et il en conclut qu’ils n’ont pu se former et produire leur action qu’après que l’eau se fut déposée à la surface de la terre pour y former les mers. Il distingue les volcans terrestres des volcans marins. « Ceux-ci, dit-il[21], ne peuvent faire que des explosions, pour ainsi dire, momentanées, parce qu’à l’instant que leur feu s’allume par l’effervescence des matières pyriteuses et combustibles, il est immédiatement éteint par l’eau qui les couvre et se précipite à flots jusque dans leur foyer par toutes les routes que le feu s’ouvre pour en sortir. » Quant aux volcans de la terre, « ils ont au contraire une action durable et proportionnée à la quantité de matières qu’ils contiennent. » Et il ajoute aussitôt : « Ces matières ont besoin d’une certaine quantité d’eau pour entrer en effervescence, et ce n’est ensuite que par le choc d’un grand volume de feu contre un volume d’eau que peuvent se produire leurs violentes éruptions ; et de même qu’un volcan sous-marin ne peut agir que par instants, un volcan terrestre ne peut durer qu’autant qu’il est voisin des eaux. C’est par cette raison que tous les volcans actuellement agissants sont dans les îles ou près des côtes de la mer, et qu’on pourrait en compter cent fois plus d’éteints que d’agissants ; car à mesure que les eaux, en se retirant, se sont trop éloignées du pied de ces volcans, leurs éruptions ont diminué par degrés et enfin ont entièrement cessé, et les légères effervescences que l’eau fluviale aura pu causer dans leur ancien foyer n’aura produit d’effet sensible que par des circonstances particulières et très rares.

» Les observations confirment parfaitement ce que je dis de l’action des volcans : tous ceux qui sont maintenant en travail sont situés près des mers ; tous ceux qui sont éteints, et dont le nombre est bien plus grand, sont placés dans le milieu des terres, ou tout au moins à quelque distance de la mer ; et quoique la plupart des volcans qui subsistent paraissent appartenir aux plus hautes montagnes, il en a existé beaucoup d’autres dans les éminences de médiocre hauteur.

» La date de l’âge des volcans n’est donc pas partout la même : d’abord il est sûr que les premiers, c’est-à-dire les plus anciens, n’ont pu acquérir une action permanente qu’après l’abaissement des eaux qui couvraient leur sommet ; et ensuite, il paraît qu’ils ont cessé d’agir dès que ces mêmes eaux se sont trop éloignées de leur voisinage ; car, je le répète, nulle puissance, à l’exception de celle d’une grande masse d’eau choquée contre un grand volume de feu, ne peut produire des mouvements aussi prodigieux que ceux de l’éruption des volcans. »

Les volcans d’après les idées modernes. J’ai insisté sur la théorie des volcans formulée par Buffon, parce qu’elle est à la fois très complète, quand on en rapproche les parties insérées dans ses Époques de la nature et dans sa Théorie de la terre, parce qu’elle soulève un certain nombre de problèmes d’une grande importance, et parce qu’elle a été adoptée, dans ses parties capitales, par un grand nombre de géologues modernes, revêtus de la plus grande autorité. Résumons cette théorie : les volcans ont un foyer en communication avec des cavités souterraines situées dans l’épaisseur des couches superficielles de la terre. Les matières en fusion que renferment les cavités inférieures et de foyer ont été « enflammées par la seule effervescence », c’est-à-dire par les actions chimiques qu’elles ont exercé les unes sur les autres, « ou par les étincelles électriques de la chaleur intérieure du globe. » Si l’on trouve de préférence les volcans dans les montagnes, c’est parce que les matières minérales y étant plus exposées à l’action de l’eau et de l’air « se mettent en fermentation et s’échauffent jusqu’au point de s’enflammer. »

Deux agents suffisent à Buffon pour expliquer la fusion des matériaux que contiennent et rejettent les volcans : les réactions chimiques et l’électricité développée par la chaleur propre du globe. L’eau et l’air, l’eau surtout, sont indispensables à la production des réactions chimiques. Les matières contenues dans les cavités volcaniques « ont besoin d’une certaine quantité d’eau pour entrer en effervescence » ; l’eau est également indispensable à la production des éruptions ; « ce n’est que par le choc d’un grand volume de feu contre un volume d’eau que peuvent se produire les violentes éruptions. » C’est cette nécessité de l’eau qui explique la présence constante des volcans au voisinage des mers.

Comparons les divers points de cette théorie avec les opinions admises actuellement et avec les faits découverts par la science moderne.

Les volcans actifs sont au voisinage des mers ou des grands lacs. En ce qui concerne la position des volcans au voisinage des mers, il est établi que sur 139 volcans qui ont eu des éruptions depuis le milieu du xviiie siècle, c’est-à-dire depuis l’époque de Buffon, 98 appartiennent à des îles ; 48 sont situés sur des continents, mais au voisinage des côtes ou de grands lacs. John Herschel a constaté que sur 225 volcans que l’on sait avoir été en éruption dans les cent cinquante dernières années, un seul, le mont Demavend, en Perse, est situé à 512 kilomètres de l’Océan, mais il est peu éloigné de la mer Caspienne. Le Jorullo, au Mexique, qui fit éruption en 1759, est situé à 192 kilomètres de l’Océan, mais il fait partie d’une chaîne de volcans dont l’extrémité touche presque à la mer. Quant aux nombreux volcans éteints qui se dressent dans des régions actuellement éloignées de la mer, comme ceux de l’Auvergne, des Montagnes Rocheuses, etc., on sait qu’à l’époque de leur activité ils étaient entourés d’océans ou de grandes mers intérieures.

La relation des cavités volcaniques avec les mers voisines, admise par Buffon, n’est pas moins certaine. Les volcans reçoivent de l’eau et en rejettent. On sait que tous les volcans rejettent une grande quantité de vapeurs d’eau. On pourrait, il est vrai, prétendre que cette vapeur provient de l’eau des pluies qui ont pénétré dans le cratère volcan ou dans les terrains avoisinants et qui est vaporisée par la chaleur du foyer volcanique. Mais des observations directes prouvent que ces vapeurs viennent, au moins en grande partie, d’eau de mer qui a pénétré dans le volcan par des fissures sous-marines. Davy a constaté que les vapeurs qui s’échappent du Vésuve laissent déposer du sel marin. Lors de l’éruption de l’Etna, en 1865, M. Fouqué s’est assuré que les gaz rejetés par le volcan étaient identiques à ceux qui auraient dû prendre naissance, si d’énormes quantités d’eau de mer avaient pénétré dans la cavité du volcan, s’y étaient décomposées et avaient été expulsées avec la lave. Non content de cela, il a calculé que la quantité de vapeur d’eau rejetée par le volcan était proportionnelle à celle des autres gaz, et il a pu évaluer à 22 000 mètres cubes la quantité de vapeur d’eau rejetée chaque jour par les nombreuses bouches béantes de l’Etna. Enfin, on a trouvé dans le tuf qui recouvre Pompéi, et qui est formé de laves rejetées par le Vésuve, une quantité considérable de tests siliceux de diatomées et de protozoaires marins qui ne peuvent provenir que de l’eau de la mer qui a pénétré dans la cavité du volcan et qui a été ensuite rejetée. Un grand nombre de ces tests sont en partie fondus, ce qui témoigne de leur passage dans un foyer à température très élevée, car ils sont formés d’une substance assez difficilement fusible, la silice. Quant au rôle joué par l’eau dans les éruptions, il est décrit de la façon suivante par le géologue Lyell[22] : « On peut supposer qu’il existe à une profondeur de plusieurs kilomètres au-dessous de la surface de la terre de vastes cavités souterraines dans lesquelles s’accumule de la lave fondue, et que lorsque de l’eau, mêlée à de l’air dans les proportions ordinaires, vient à pénétrer dans ces cavités, il s’y produit de la vapeur qui exerce une certaine pression sur la lave et la force à monter dans le conduit d’un volcan de la même manière qu’une colonne d’eau est poussée de bas en haut dans le tube d’un geyser. Dans d’autres cas, on peut supposer une colonne continue de lave liquide, mêlée avec de l’eau à la température de la chaleur rouge ou de la chaleur blanche (car l’eau, suivant le professeur Bunsen, peut se trouver en cet état lorsqu’elle est soumise à une certaine pression), et qui serait douée d’une température croissant de haut en bas d’une façon régulière. Que l’équilibre vienne à être rompu dans la masse, il se produit près de la surface, par suite de l’expansion et de la conversion en gaz de l’eau emprisonnée dans le sein des diverses substances qui constituent la lave, une éruption dont le résultat sera de diminuer la pression supportée par la colonne liquide ; une plus grande quantité de vapeur d’eau venant alors à se dégager, elle entraîne avec elle des jets de roche fondue qui, lancés dans l’air, retomberont en pluies de scories ou de cendres sur la contrée environnante. Enfin, l’arrivée de la lave et de l’eau, de plus en plus chauffées, à l’orifice du conduit ou du cratère du volcan, peut donner à la force d’expansion une puissance suffisante pour expulser un courant de lave massive. L’éruption terminée, survient une période de repos pendant laquelle de nouvelles provisions de calorique sortent du foyer intérieur et fondent peu à peu des masses nouvelles de roche, en même temps que l’eau de la mer ou celle de l’atmosphère descend de la surface dans les cavités inférieures ; jusqu’à ce qu’enfin, toutes les conditions requises pour une nouvelle explosion se trouvant parfaites, une autre série de phénomènes se reproduise dans un ordre tout à fait semblable. »

Credner[23], résumant l’opinion admise par tous les géologues, dit de son côté : « On doit considérer la puissance de la vapeur d’eau comme déterminante dans ces manifestations de l’activité des volcans stratifiés, et la gravité des phénomènes éruptifs d’un volcan doit être attribuée à la quantité de vapeur d’eau mise en jeu. »

Tous ces faits, toutes ces opinions ne viennent-ils pas confirmer la manière de voir de Buffon ? celui-ci n’avait-il pas raison d’écrire : « En coûterait-il autant pour couper la communication d’un volcan avec la mer voisine qu’il en a coûté pour construire les pyramides d’Égypte[24] ? »

Actions chimiques et électricité dans la production des volcans. Examinons maintenant son opinion sur le rôle des actions chimiques et de l’électricité dans la fusion des matériaux volcaniques. L’état des sciences physique et chimique était encore si rudimentaire à l’époque de Buffon qu’il ne pouvait avoir, relativement au rôle joué par l’électricité et les réactions chimiques dans la production de la chaleur du globe, que des idées purement hypothétiques, de simples « vues de l’esprit », pour me servir d’une expression qui lui était chère ; mais j’ajoute que ces vues ont été confirmées, dans une très large mesure, par les découvertes de la science moderne et le seront probablement encore davantage. La première base scientifique qui leur ait été donnée a été fournie par M. Davy. Il émit l’opinion qu’une grande quantité de métaux peuvent exister à l’état non oxydé dans l’intérieur de la terre ; que l’eau pénétrant dans le sol par les fissures des roches, et même à travers les pores dont les plus dures sont munies, et entraînant de l’oxygène, peut porter ce gaz au contact des métaux, qui s’oxydent alors en produisant une quantité de chaleur assez considérable pour déterminer la fusion des roches voisines. Si cette manière de voir était exacte, il se formerait sans cesse, dans divers endroits de la portion superficielle de la terre, des amas de substances fondues, sortes de creusets gigantesques dans lesquels il suffirait qu’une certaine quantité d’eau pût pénétrer pour qu’il se produisît une rupture de la partie sus-jacente de la terre et une éruption de matières en fusion, c’est-à-dire un volcan. Un grand nombre de faits tendent à corroborer cette manière de voir.

Il est d’abord certain que l’eau pénètre avec la plus grande facilité dans l’intérieur du globe, à une profondeur très considérable, soit par des fissures, soit même à travers les roches les plus dures. La décomposition des granits par l’eau est une preuve irrécusable entre mille de la faculté qu’a l’eau de traverser toutes les roches, notamment le granit. Il n’est pas moins certain qu’il existe dans l’intérieur de la terre des métaux privés d’oxygène ou n’en contenant qu’une proportion assez faible pour qu’ils soient susceptibles d’en prendre une beaucoup plus considérable. Les sulfures de fer et le sulfure de zinc se trouvent en grande quantité dans le sol ; or, tous les sulfures s’oxydent facilement. Tantôt il ne se forme ainsi que des oxydes métalliques qu’on trouve à l’état d’efflorescence à la surface du minéral ; c’est ainsi que l’ocre et la fleur d’antimoine se produisent à la surface de la stilbine, que la fleur d’arsenic se forme à la surface de la pyrite d’arsenic, etc. Tantôt les sulfures se transforment, sous l’influence de l’oxygène, en sulfates. Le sulfure de fer devient du sulfate de fer, qui lui-même est susceptible de subir de nouvelles oxydations et de se changer en limonite, en mettant en liberté de l’acide sulfurique ; celui-ci attaquant d’autres métaux donnera des sulfates : par exemple, s’il se porte sur des calcaires (carbonate de chaux), il les transformera en gypse (sulfate de chaux). Le sulfure de zinc ou blende s’oxyde facilement, puis donne du sulfate de zinc ; le sulfure de plomb (galène) s’oxyde avec non moins de facilité pour donner du sulfate de plomb. Le sulfure de cuivre (pyrite de cuivre) forme aussi volontiers avec l’oxygène du sulfate de cuivre. Tous ces sulfates sont, comme celui de fer, susceptibles de subir de nouvelles oxydations, et de perdre une partie de leur acide sulfurique qui sert à faire d’autres sulfates. Il est à peine utile d’ajouter que toutes ces oxydations sont accompagnées d’une production de chaleur, et que si les masses de sulfures et celles de l’oxygène qui sont mises en contact sont considérables, leur combinaison est de nature à développer une quantité de chaleur assez grande pour déterminer la fusion des roches voisines. Cette chaleur favorise du reste beaucoup d’autres oxydations et réactions chimiques diverses, qui elles-mêmes produisent une nouvelle quantité de calorique. Un grand nombre de carbonates métalliques se forment sous l’influence des sulfates qui proviennent de l’oxydation des sulfures, l’acide sulfurique abandonne l’oxyde métallique pour prendre la place de l’acide carbonique combiné avec les alcalis et les terres ; l’acide carbonique mis ainsi en liberté se porte alors sur l’oxyde métallique pour former avec lui un carbonate ; c’est ainsi que naissent, dans l’intérieur du sol, l’azurite, la malachite, la céruse, etc.

L’hydrogène sulfuré, qui existe en abondance dans le sol de certaines régions, est encore transformé par l’oxygène en acide sulfurique, qui lui-même sert ensuite à former des sulfates. L’oxydation des silicates d’oxyde de fer se fait avec une telle rapidité que « si les réductions ne venaient s’opposer à ces oxydations, tous les silicates d’oxydule de fer disparaîtraient à la fin, en peu de temps, du règne minéral[25]. » (Credner.) L’oxygène se combine même dans le sol avec toutes les substances d’origine animale ou végétale avec lesquelles il est mis en contact. Sans parler de la formation de la houille, de la tourbe, de l’anthracite, de la lignite, du graphite, etc., qui est due à l’oxydation ou combustion lente des végétaux, l’oxygène mis en contact avec ces substances dans l’intérieur du sol, les transforme encore, les brûle, en produisant le bitume, les huiles minérales, le naphte, le pétrole, etc. Les oxydations de cette sorte sont certainement d’une très grande importance si l’on en juge par l’énorme quantité d’acide carbonique qui s’échappe de l’intérieur de la terre, soit à l’état de gaz, soit en dissolution dans les eaux minérales ; encore faut-il ajouter qu’une portion plus grande encore peut-être de l’acide carbonique résultant de l’oxydation du carbone des plantes fossiles, sert à produire, dans l’intérieur du sol, une partie de l’énorme quantité de carbonates que nous offre la terre. Les phénomènes de combustion que l’oxygène détermine par son contact avec les matières organiques contenues dans le sol sont parfois assez intenses pour déterminer la formation de véritables petits volcans auxquels on a donné le nom de volcans de boue, à cause de leur composition. Ce sont de petits cônes aplatis, ayant depuis 1 mètre jusqu’à 150 mètres de hauteur, formés d’argile qui se dessèche pendant les périodes d’inaction, mais qui, pendant l’activité, prend la consistance d’une boue épaisse de laquelle se dégagent du protocarbure d’hydrogène, de l’oxyde de carbone, de l’acide carbonique, et, parfois, du naphte ou du pétrole. À l’état paroxysmal, les éruptions sont précédées et accompagnées d’oscillations du sol ; la boue s’échauffe, le cratère qui termine le cône lance de la boue et des pierres jusqu’à une hauteur de 30 mètres de haut, puis laisse échapper un courant de boue liquide, argileuse, bouillante, riche en chlorure de sodium et en naphte. La quantité de ces matières est parfois si considérable qu’elle peut se répandre jusqu’à 1 000 ou 1 500 mètres du cratère. Il existe presque toujours, à proximité des volcans de boue, des sources de pétrole indiquant la relation de ces volcans avec les masses souterraines de matières organiques en voie de décomposition. L’Italie, la Sicile, l’Islande, possèdent des volcans de boue ; mais les plus importants se trouvent dans le voisinage de la mer Caspienne.

Le pétrole, formé par oxydation des matières organiques contenues dans le sol, est lui-même susceptible de s’oxyder encore pour donner d’autres produits. C’est de l’oxydation du pétrole que résultent la poix minérale et l’asphalte solide ; c’est encore par suite de l’oxydation lente des matières bitumineuses qu’il contient que le calcaire asphaltique de Hammer, dans le Hanovre, devient blanc à la surface, tandis qu’il est noir dans les parties centrales qui n’ont pas encore subi le contact et l’action de l’oxygène.

Un grand nombre d’autres phénomènes chimiques de diverses sortes se produisent dans le sol, sur lesquels il serait trop long d’insister. Des minéraux anhydres s’hydratent en changeant de caractères extérieurs et de volume. L’anhydrite se transforme en gypse avec une extrême rapidité ; l’oligiste se transforme en limonite, etc. Des carbonates se forment par altération des silicates, sous l’influence de l’acide carbonique apporté par l’eau de la surface ou mis en liberté par les oxydations de matières organiques signalées plus haut ; d’autre part, les carbonates alcalins décomposent le silicate de chaux, le fluorure de chaux ; les silicates d’ammoniaque agissent sur le chlorure de sodium, sur le sulfate de chaux ou de magnésie et déterminent la formation de silicate de magnésie, de sulfates d’alcalis, etc.[26].

Innombrables sont les phénomènes chimiques qui se produisent dans le sol, sous la seule action de l’eau qui dissout les corps, les apporte au contact les uns des autres et les soumet à l’action du gaz qu’elle tient en dissolution. Très grande, par suite, doit être la quantité de chaleur produite par tous ces phénomènes chimiques. Mais la chaleur elle-même détermine la production d’autres phénomènes et active leur intensité, tandis qu’elle-même joint son action à celle des réactions chimiques pour déterminer, comme nous allons le montrer, la production de courants électriques destinés à engendrer de nouvelles quantités de calorique et à provoquer de nouvelles réactions chimiques dans les substances qu’ils traversent.

Il est donc permis d’admettre avec Buffon que les phénomènes chimiques jouent un grand rôle dans la formation des substances fondues que rejettent les volcans. Que ces phénomènes prennent une grande intensité dans un point donné du globe, par suite de la pénétration en ce point d’une grande quantité d’eau et d’oxygène, et ils pourront déterminer la production d’une chaleur assez élevée pour que les roches soient fondues sur une étendue peut-être très considérable. Un nouvel apport d’eau et de gaz au contact de la masse fondue suffira désormais pour provoquer la formation d’un volcan. L’eau, se transformant en vapeur au contact de la masse ignée, se dilatera, soulèvera la croûte terrestre sus-jacente, la fera éclater et poussera au dehors les matériaux en fusion contenus dans le creuset du volcan. Buffon avait donc raison d’attribuer en partie les phénomènes volcaniques aux « feux allumés par l’effervescence des matières pyriteuses et combustibles que la terre recèle en tant d’endroits. » Mais, ainsi que le fait remarquer Lyell[27], « les difficultés que l’on rencontre, lorsqu’on essaie d’établir une théorie chimique des volcans, sont presque insurmontables, en raison de notre incapacité à démontrer expérimentalement la manière dont se comporteraient diverses substances solides, liquides ou gazeuses, sous des conditions de température et de pression complètement différentes de celles qui existent à la surface de la terre. Une simple variation dans la quantité de chaleur peut entraîner, observe Seemann, des modifications essentielles dans les affinités chimiques des corps. Le mercure, remarque le même auteur, ne se combine pas avec l’oxygène à la température ordinaire, mais bien à celle du point d’ébullition, et se débarrasse ensuite de ce gaz à la chaleur rouge naissante. Nous avons donc ici, dans les limites de quelques centaines de degrés, trois états différents d’affinité chimique ; et qui oserait affirmer, qu’après cette dernière phase de séparation, l’action chimique cesse entre ces deux éléments d’une manière définitive et pour toutes les températures supérieures ? Or, ce qui est vrai à l’égard du mercure et de l’oxygène l’est aussi pour tous les autres éléments. »

Rôle de l’électricité et du magnétisme dans la production des volcans. Nous avons dit plus haut que la science moderne confirme les vues de Buffon relatives à l’action des phénomènes magnétiques et électriques sur la production des matières fondues que rejettent les volcans. Quelques mots de démonstration sont nécessaires. Depuis le commencement de ce siècle, les physiciens sont restés fidèles à l’idée d’Ampère que tous les phénomènes de l’aiguille magnétique sont dus à des courants électriques circulant dans les couches superficielles du globe, dans des directions parallèles à l’équateur magnétique ; mais ils ne sont pas également d’accord quand il s’agit de décider à quelle cause sont dus les courants électriques terrestres. Les uns les attribuent aux phénomènes chimiques qui se produisent dans le sol, sous l’influence de l’eau et de l’air qui y pénètrent ; les autres à la thermo-électricité déterminée dans le sol par la chaleur du soleil ; d’autres les mettent sur le compte, partiellement du moins, de la thermo-électricité développée par la chaleur des cavités volcaniques. Examinons rapidement ces opinions. Il ne paraît guère permis de douter que les innombrables réactions chimiques dont le sol est le siège ne soient de nature à produire des courants électriques d’une grande intensité, mais aucun fait ne prouve que les courants ayant cette origine aient une action sensible sur l’aiguille aimantée. L’opinion d’après laquelle les courants électriques de la terre seraient dus à des phénomènes thermo-électriques déterminés par la chaleur solaire, peut invoquer à son aide des faits très importants. Rappelons d’abord que l’on peut embrasser, sous le nom de phénomènes thermo-électriques, tous ceux qui sont déterminés dans un corps ou mieux dans deux corps en contact intime par une distribution non symétrique de la chaleur. Lorsque, par exemple, on chauffe l’une des extrémités d’une barre de fer, on constate qu’il se produit dans cette barre un courant électrique allant de l’extrémité chaude vers la froide et qu’on peut changer à volonté la direction du courant en chauffant tantôt l’une, tantôt l’autre extrémité. De semblables courants se produisent quand, deux métaux étant soudés ensemble, il y a inégalité de température entre la soudure et les extrémités. Or, grâce à son mouvement de rotation diurne, la terre se trouve dans le cas de métaux inégalement chauffés. Elle jouit toujours d’une température plus chaude sur la face qui regarde le soleil que sur l’autre ; un courant thermo-électrique doit donc se produire dans sa masse, se dirigeant de la face chauffée vers la face froide, et changeant de direction au bout de douze heures, lorsque la face qui était froide se trouve réchauffée par son exposition au soleil. « Ce qui prouve, fait observer Lyell[28], que cette idée n’est point une simple conjecture, c’est, d’une part, la correspondance des variations diurnes de l’aiguille aimantée avec le mouvement apparent du soleil ; de l’autre, la somme de variations qui est plus grande en été qu’en hiver, et pendant le jour que pendant la nuit. »

D’autres phénomènes thermo-électriques peuvent encore être déterminés dans l’intérieur de la terre par les inégalités de température que provoquent les foyers volcaniques. Le savant anglais que je viens de citer dit à cet égard : « Partout où l’on rencontre des masses de roches d’une grande étendue horizontale et d’une profondeur considérable, qui, sur un point, sont à l’état de fusion (comme au-dessous de quelques volcans actifs ), sur un autre, à la température de la chaleur rouge, et sur un troisième, relativement refroidies, il peut arriver que l’action thermo-électrique soit fortement excitée et que les courants électriques, une fois dans cet état, fondent les roches et jouissent du pouvoir décomposant de la pile électrique[29]. » L’électricité agirait donc, dans ces cas, d’un côté par elle-même, en élevant la température des roches au point de les fondre ; d’un autre côté, indirectement, en provoquant la production de phénomènes chimiques capables d’engendrer une nouvelle quantité de chaleur qui viendrait s’ajouter à la première.

Il n’est pas jusqu’aux modifications qui se produisent périodiquement ou accidentellement dans les taches du soleil dont on n’ait constaté l’influence sur les phénomènes magnétiques dont la terre est le siège. L’électricité et le magnétisme doivent donc jouer un rôle d’une haute importance dans la chaleur terrestre. Quand Buffon, et cent ans après lui, le savant géologue Lyell leur attribuent, conjointement aux phénomènes chimiques, la propriété de développer une chaleur suffisante pour fondre des roches et créer les gigantesques creusets dans lesquels bouillonnent les laves fondues des volcans, ils émettent une hypothèse au moins aussi plausible que celle des géologues qui expliquent les volcans par l’existence, au centre de la terre, d’une masse en fusion.

Arguments invoqués en faveur d’un noyau terrestre fluide et incandescent. Nous sommes maintenant en mesure de revenir à cette hypothèse qui est, il faut bien le dire, la plus généralement admise à l’heure actuelle par les géologues. Les seules raisons qu’on invoque en sa faveur sont les suivantes : En premier lieu, les volcans existent ou ont existé dans les points les plus divers du globe, près des pôles comme près de l’équateur et sur tous les points intermédiaires. En second lieu, on les trouve dans tous les terrains et à tous les âges de la terre, aussi bien sous les montagnes que dans les plaines et sous la mer. En troisième lieu, leurs phénomènes sont partout identiques. On en conclut, en violant quelque peu les règles de la logique, que les volcans ne sont pas situés dans la portion superficielle du globe, qu’ils ont leur source dans les régions profondes et que ces sources ne peuvent être que le feu central. Un ouvrage essentiellement classique, aussi bien en France qu’en Allemagne, déjà cité plusieurs fois[30], s’exprime sur ce sujet de la façon suivante : « La répartition des volcans et des sources chaudes à la surface de la terre est tout à fait indépendante des rapports physiques et de la composition géognostique. Nous voyons des volcans sur tous les continents, dans chaque océan, à toute latitude, près du pôle et sous l’équateur, sur les plateaux les plus élevés et sur les côtes des montagnes, comme sous le niveau des mers ; enfin, ils ne sont liés à aucune formation et se montrent aussi bien aux plus anciennes périodes de la terre qu’à l’âge actuel. De cette complète indépendance des volcans par rapport à la croûte superficielle du globe, on peut conclure que la cause de leur activité doit être cherchée dans les régions profondes de la terre. De l’existence des phénomènes volcaniques par toute la terre, on peut aussi conclure à l’existence en tous points de leur cause matérielle ; et enfin, la concordance des produits éruptifs de volcans d’ailleurs éloignés les uns des autres, leur identité de structure, la similitude des phénomènes volcaniques, apportent aussi la preuve de leur communauté d’origine. On peut dire la même chose des sources chaudes. On les voit sourdre sous toutes les zones, sur les îles comme au milieu des continents. Toutes ces circonstances nous conduisent à admettre que les phénomènes volcaniques ne sont rien autre chose que les manifestations intérieures du feu central de la terre[31]. »

Il ne me paraît pas utile d’insister beaucoup sur le vice des conclusions que je viens de rapporter. Il est bien manifeste que tous les caractères des volcans sont aussi faciles à expliquer par l’hypothèse des foyers localisés répandus dans l’épaisseur des couches superficielles de la terre que par celle du feu central. L’existence d’un noyau de substances en fusion au centre de la terre n’est pas indispensable à celle des foyers des volcans, puisque les phénomènes chimiques et magnétiques, dont la terre est indubitablement le siège, sont assez intenses pour produire la chaleur nécessaire à la fusion de toutes les roches qui entrent dans la composition du sol et qui sont rejetées par les volcans.

Parmi les arguments qui ont été donnés en faveur de l’existence d’un noyau terrestre, fluide et incandescent, nous devons rappeler, à la suite des volcans, les tremblements de terre. Mais comme, de l’avis de tous les géologues, les tremblements de terre sont très étroitement liés aux phénomènes volcaniques, ce que nous avons dit de ces derniers peut également s’appliquer aux premiers. S’il est possible d’attribuer les phénomènes volcaniques à l’existence, dans les couches superficielles de la terre, de cavités remplies de roches en fusion, on peut, avec autant de raison, appliquer cette hypothèse aux tremblements de terre.

Les phénomènes d’abaissement et de soulèvement constatés à la surface de la terre non seulement aux époques anciennes de son histoire, mais encore de nos jours, peuvent être expliqués de la même façon ; mais la nature particulière de cette étude m’oblige à entrer dans quelques détails.

Formation des montagnes d’après Buffon. Exposons d’abord l’opinion émise par Buffon, relativement à la cause productrice de ces phénomènes. On peut distinguer à cet égard deux phases dans les idées de Buffon. Dans son discours sur l’Histoire et la théorie de la terre, il attribue la formation des montagnes, aussi bien que celle des vallées, à la seule action de l’eau enlevant des matériaux d’un point de la surface de la terre pour aller les déposer dans un autre, creusant, dans le fond de la mer, des vallées dont elle transporte les matériaux en d’autres points, où elle édifie des montagnes. Il avait été conduit à cette hypothèse par un fait sur lequel nous aurons à revenir plus tard : la présence de restes fossiles d’animaux et de végétaux non seulement dans le fond des vallées, mais jusque sur te sommet des plus hautes montagnes[32]. Il en conclut que la mer avait dû recouvrir le globe entier et qu’elle avait créé, par le flux et le reflux de ses eaux, toutes les inégalités que nous constatons à la surface du sol.

« Nous sommes assurés, dit-il[33], par des observations exactes, réitérées et fondées sur des faits incontestables, que la partie sèche du globe que nous habitons a été longtemps sous les eaux de la mer ; par conséquent cette même terre a éprouvé pendant tout ce temps les mêmes mouvements, les mêmes changements qu’éprouvent actuellement les terres couvertes par la mer. Il paraît que notre terre a été un fond de mer ; pour trouver donc ce qui s’est passé autrefois sur cette terre, voyons ce qui se passe aujourd’hui sur le fond de la mer, et de là nous tirerons des inductions raisonnables sur la forme extérieure et la composition intérieure des terres que nous habitons. […]

» Examinons de près[34] la possibilité ou l’impossibilité de la formation d’une montagne dans le fond de la mer par le mouvement et par le sédiment des eaux. Personne ne peut nier que sur une côte contre laquelle la mer agit avec violence dans le temps qu’elle est agitée par le flux, ces efforts réitérés ne produisent quelque changement, et que les eaux n’emportent à chaque fois une petite portion de la terre de la côte ; et quand même elle serait bordée de rochers, on sait que l’eau use peu à peu ces rochers et que par conséquent elle en emporte de petites parties à chaque fois que la vague se retire après s’être brisée : ces particules de pierre ou de terre seront nécessairement transportées par les eaux jusqu’à une certaine distance et dans de certains endroits où le mouvement de l’eau se trouvant ralenti, abandonnera ces particules à leur propre pesanteur, et alors elles se précipiteront au fond de l’eau en forme de sédiment, et là elles formeront une première couche horizontale ou inclinée, suivant la position de la surface du terrain sur laquelle tombe cette première couche, laquelle sera bientôt couverte et surmontée d’une autre couche semblable et produite par la même cause, et insensiblement il se formera dans cet endroit un dépôt considérable de matière, dont les couches seront posées parallèlement les unes sur les autres ; cet amas augmentera toujours par les nouveaux sédiments que les eaux y transporteront, et peu à peu, par succession des temps, il se formera une élévation, une montagne dans le fond de la mer, qui sera entièrement semblable aux éminences et aux montagnes que nous connaissons sur la terre, tant pour la composition intérieure que pour la forme extérieure. S’il se trouve des coquilles dans cet endroit du fond de la mer où nous supposons que se fait notre dépôt, les sédiments couvriront ces coquilles et les rempliront ; elles seront incorporées dans les couches de cette matière déposée, et elles feront partie des masses formées par ces dépôts ; on les y trouvera dans la situation qu’elles auront acquise en y tombant, ou dans l’état où elles auront été saisies ; car, dans cette opération, celles qui se seront trouvées au fond de la mer, lorsque les premières couches se seront déposées, se trouveront dans la couche la plus basse, et celles qui seront tombées depuis dans ce même endroit se trouveront dans les couches plus élevées.

» Tout de même, lorsque le fond de la mer sera remué par l’agitation des eaux, il se fera nécessairement des transports de terre, de vase, de coquilles et d’autres matières dans de certains endroits où elles se déposeront en forme de sédiment : or nous sommes assurés par les plongeurs qu’aux plus grandes profondeurs où ils puissent descendre, qui sont de vingt brasses, le fond de la mer est remué au point que l’eau se mêle avec la terre, qu’elle devient trouble, et que la vase et les coquillages sont emportés par le mouvement des eaux à des distances considérables ; par conséquent, dans tous les endroits de la mer où l’on a pu descendre, il se fait des transports de terre et de coquilles qui vont tomber quelque part et former, en se déposant, des couches parallèles et des éminences qui sont composées comme nos montagnes le sont ; ainsi le flux et le reflux, les vents, les courants et tous les mouvements des eaux produiront des inégalités dans le fond de la mer, parce que toutes ces causes détachent du fond et des côtes de la mer des matières qui se précipitent ensuite en forme de sédiments.

» Au reste, il ne faut pas croire que ces transports de matières ne puissent pas se faire à des distances considérables, puisque nous voyons tous les jours des graines et d’autres productions des Indes orientales et occidentales arriver sur nos côtes ; à la vérité elles sont spécifiquement plus légères que l’eau, au lieu que les matières dont nous parlons sont plus pesantes ; mais comme elles sont réduites en poudre impalpable, elles se soutiendront assez longtemps dans l’eau pour être transportées à de grandes distances.

» Ceux qui prétendent que la mer n’est pas remuée à de grandes profondeurs ne font pas attention que le flux et le reflux ébranlent et agitent à la fois toute la masse des mers, et que dans un globe qui serait entièrement liquide il y aurait de l’agitation et du mouvement jusqu’au centre ; que la force qui produit celui du flux et du reflux est une force pénétrante qui agit sur toutes les parties proportionnellement à leurs masses ; qu’on pourrait même mesurer et déterminer par le calcul la quantité de cette action sur un liquide à différentes profondeurs, et qu’enfin ce point ne peut être contesté qu’en se refusant à l’évidence du raisonnement et à la certitude des observations.

» Je puis donc supposer légitimement que le flux et le reflux, les vents et toutes les autres causes qui peuvent agiter la mer, doivent produire par le mouvement des eaux des éminences et des inégalités dans le fond de la mer, qui seront toujours composées de couches horizontales ou également inclinées ; ces éminences pourront avec le temps augmenter considérablement, et devenir des collines qui dans une longue étendue de terrain se trouveront, comme les ondes qui les auront produites, dirigées du même sens, et formeront peu à peu une chaîne de montagnes. Ces hauteurs une fois formées feront obstacle à l’uniformité du mouvement des eaux, et il en résultera des mouvements particuliers dans le mouvement général de la mer. Entre deux hauteurs voisines il se formera nécessairement un courant qui suivra leur direction commune, et coulera comme coulent les fleuves de la terre, en formant un canal dont les angles sont alternativement opposés dans toute l’étendue de son cours : ces hauteurs formées au-dessus de la surface du fond pourront augmenter encore de plus en plus ; car les eaux qui n’auront que le mouvement du flux déposeront sur la cime le sédiment ordinaire, et celles qui obéiront au courant entraîneront au loin les parties qui se seraient déposées entre deux, et en même temps elles creuseront un vallon au pied de ces montagnes, dont tous les angles se trouveront correspondants, et par l’effet de ces deux mouvements et de ces dépôts le fond de la mer aura bientôt été sillonné, traversé de collines et de chaînes de montagnes, et semé d’inégalités telles que nous les y trouvons aujourd’hui. Peu à peu les matières molles dont les éminences étaient d’abord composées se seront durcies par leur propre poids, les unes formées de parties purement argileuses auront produit ces collines de glaise qu’on trouve en tant d’endroits ; d’autres composées de parties sablonneuses et cristallines ont fait ces énormes amas de rochers et de cailloux d’où l’on tire le cristal et les pierres précieuses ; d’autres faites de parties pierreuses mêlées de coquilles ont formé ces lits de pierres et de marbres où nous retrouvons ces coquilles aujourd’hui ; d’autres enfin composées d’une matière encore plus coquilleuse et plus terrestre ont produit les marnes, les craies et les terres ; toutes sont posées par lits, toutes contiennent des substances hétérogènes, les débris des productions marines s’y trouvent en abondance et à peu près suivant le rapport de leur pesanteur, les coquilles les plus légères sont dans les craies, les plus pesantes dans les argiles et dans les pierres, et elles sont remplies de la matière même des pierres et des terres où elles sont renfermées, preuve incontestable qu’elles ont été transportées avec la matière qui les environne et qui les remplit, et que cette matière était réduite en particules impalpables ; enfin toutes ces matières, dont la situation s’est établie par le niveau des eaux de la mer, conservent encore aujourd’hui leur première position.

.........................

» Le mouvement général du flux et du reflux a donc produit les plus grandes montagnes qui se trouvent dirigées d’occident en orient dans l’ancien continent, et du nord au sud dans le nouveau, dont les chaînes sont d’une étendue très considérable ; mais il faut attribuer aux mouvements particuliers des courants, des vents et des autres agitations de la mer l’origine de toutes les autres montagnes ; elles ont vraisemblablement été produites par la combinaison de tous ces mouvements, dont on voit bien que les effets doivent être variés à l’infini, puisque les vents, la position différente des îles et des côtes ont altéré de tous les temps et dans tous les sens possibles la direction du flux et du reflux des eaux : ainsi il n’est point étonnant qu’on trouve sur le globe des éminences considérables dont le cours est dirigé vers différentes plages ; il suffit pour notre objet d’avoir démontré que les montagnes n’ont pas été placées au hasard, et qu’elles n’ont point été produites par des tremblements de terre ou par d’autres causes accidentelles, mais qu’elles sont un effet résultant de l’ordre général de la nature, aussi bien que l’espèce d’organisation qui leur est propre et la position des matières qui les composent. »

J’ai insisté sur cette opinion de Buffon parce qu’elle offre un intérêt considérable non seulement au point de vue de la question spéciale qui nous occupe, mais encore au point de vue beaucoup plus général des causes qui ont agi à la surface de notre globe pour en modifier l’aspect. Nous reviendrons plus bas sur cette deuxième partie de la question.

Dans ses Époques de la nature, Buffon assigne une autre origine à certaines montagnes. Tandis que dans l’Histoire et théorie de la terre il attribuait la formation de toutes ces éminences, grandes ou petites, à l’action lente des eaux de la mer, dans les Époques, il distingue deux sortes de montagnes, ou mieux, deux parties dans la plupart des montagnes : l’une produite par les eaux, l’autre, plus ancienne, tirant son origine des phénomènes dont la surface de la terre a été le siège pendant qu’elle était encore incandescente, mais à l’heure où déjà sa consolidation commençait à se produire.

« Comparons, dit-il[35], les effets de cette consolidation du globe de la terre en fusion à ce que nous voyons arriver à une masse de métal ou de verre fondu, lorsqu’elle commence à se refroidir : il se forme à la surface de ces masses des trous, des ondes, des aspérités ; et au-dessous de la surface, il se fait des vides, des cavités, des boursouflures, lesquelles peuvent nous représenter ici les premières inégalités qui se sont trouvées sur la surface de la terre et les cavités de son intérieur ; nous aurons dès lors une idée du grand nombre de montagnes, de vallées, de cavernes et d’anfractuosités qui se sont formées dès ce premier temps dans les couches extérieures de la terre. Notre comparaison est d’autant plus exacte que les montagnes les plus élevées, que je suppose de trois mille ou trois mille cinq cents toises de hauteur, ne sont, par rapport au diamètre de la terre, que ce qu’un huitième de ligne est par rapport au diamètre d’un globe de deux pieds. Ainsi, ces chaînes de montagnes qui nous paraissent si prodigieuses, tant par le volume que par la hauteur, ces vallées de la mer, qui semblent être des abîmes de profondeur, ne sont dans la réalité que de légères inégalités proportionnées à la grosseur du globe, et qui ne pouvaient manquer de se former lorsqu’il prenait sa consistance : ce sont des effets naturels produits par une cause tout aussi naturelle et fort simple, c’est-à-dire par l’action du refroidissement sur les matières en fusion, lorsqu’elles se consolident à la surface. »

Un peu plus loin[36], pour bien montrer la distinction qu’il établit entre ces montagnes primitives et celles dont il attribue la formation à l’eau, il ajoute : « Ainsi, le premier établissement local des grandes chaînes de montagnes appartient à cette seconde époque, qui a précédé de plusieurs siècles celle de la formation des montagnes calcaires, lesquelles n’ont existé qu’après l’établissement des eaux, puisque leur composition suppose la production des coquillages et des autres substances que la mer fomente et nourrit. »

Il écrit encore, parlant de la topographie du globe, antérieurement à la chute des eaux, c’est-à-dire pendant la première phase de son refroidissement[37] : « Nous n’avons que quelques indices encore subsistants de la première forme de sa surface ; les plus hautes montagnes, composées de matières vitrescibles, sont les seuls témoins de cet ancien état ; elles étaient alors encore plus élevées qu’elles ne le sont aujourd’hui ; car, depuis ce temps et après l’établissement des eaux, les mouvements de la mer, et ensuite les pluies, les vents, les gelées, les courants d’eau, la chute des torrents, enfin toutes les injures des éléments de l’air et de l’eau, et les secousses des mouvements souterrains, n’ont pas cessé de les dégrader, de les trancher et même d’en renverser les parties les moins solides, et nous ne pouvons douter que les vallées qui sont au pied de ces montagnes ne fussent bien plus profondes qu’elles ne le sont aujourd’hui. »

Parmi les « éminences primitives » de la surface du globe terrestre, il range : la chaîne des Cordillères, les montagnes qui s’étendent en Afrique, dans le sens de son plus grand diamètre, depuis le cap de Bonne-Espérance jusqu’à la Méditerranée, vis-à-vis la pointe de la Morée, et qui forment l’énorme chaîne désignée autrefois sous le nom d’épine du monde ; la grande chaîne qui commence à l’occident de l’Europe, dans le sud de l’Espagne, gagne les Pyrénées, se continue par l’Auvergne et le Vivarais, puis par les Alpes jusqu’au Caucase et au Thibet, en émettant de chaque côté un grand nombre de branches principales.

« Les hautes montagnes que nous venons de désigner, dit-il après cette énumération[38], sont les éminences primitives, c’est-à-dire les aspérités produites à la surface du globe au moment qu’il a pris sa consistance ; elles doivent leur origine à l’effet du feu, et sont aussi, par cette raison, composées, dans leur intérieur et jusqu’à leurs sommets, de matières vitrescibles : toutes tiennent par leur base à la roche intérieure du globe, qui est de même nature. Plusieurs autres éminences moins élevées ont traversé dans ce même temps et presque en tous sens la surface de la terre, et l’on peut assurer que, dans tous les lieux où l’on trouve des montagnes de roc vif ou de toute autre matière solide et vitrescible, leur origine et leur établissement local ne peuvent être attribués qu’à l’action du feu et aux effets de la consolidation, qui ne se fait jamais sans laisser des inégalités sur la superficie de toute masse de matière fondue.

» En même temps que ces causes ont produit des éminences et des profondeurs à la surface de la terre, elles ont aussi formé des boursouflures et des cavités à l’intérieur, surtout dans les couches les plus extérieures : ainsi le globe, dès le temps de cette seconde époque, lorsqu’il eut pris sa consistance et avant que les eaux n’y fussent établies, présentait une surface hérissée de montagnes et sillonnée de vallées ; mais toutes les causes subséquentes et postérieures à cette époque ont concouru à combler toutes les profondeurs extérieures et même les cavités intérieures ; ces causes subséquentes ont aussi altéré presque partout la forme de ces inégalités primitives ; celles qui ne s’élevaient qu’à une hauteur médiocre ont été pour la plupart recouvertes dans la suite par les sédiments des eaux, et toutes ont été environnées à leurs bases, jusqu’à de grandes hauteurs, de ces mêmes sédiments ; c’est par cette raison que nous n’avons d’autres témoins apparents de la première forme de la terre que les montagnes composées de matière vitrescible, dont nous venons de faire l’énumération ; cependant ces témoins sont sûrs et suffisants ; car, comme les plus hauts sommets de ces premières montagnes n’ont peut-être jamais été surmontés par les eaux, ou du moins qu’ils ne l’ont été que pendant un petit temps, attendu qu’on n’y trouve aucun débris des productions marines, et qu’ils ne sont composés que de matières vitrescibles, on ne peut pas douter qu’ils ne doivent leur origine au feu, et que ces éminences, ainsi que la roche intérieure du globe, ne fassent ensemble un corps continu de même nature, c’est-à-dire de matière vitrescible, dont la formation a précédé celle de toutes les autres matières. »

On voit que Buffon multiplie les efforts pour mettre d’accord l’opinion exprimée dans son Histoire de la terre, relativement à la formation des montagnes avec celle qui lui est venue à l’esprit en écrivant trente ans plus tard les Époques de la nature. Le moyen qu’il trouve est de supposer que la charpente, pour ainsi dire, de toutes les grandes chaînes de montagne qui hérissent notre globe est constituée par les boursouflements et aspérités qui se sont formés à l’époque du refroidissement de la terre, tandis que le revêtement de cette charpente a été déposé par les eaux.

Idées modernes sur la formation des montagnes. Si l’on veut bien comprendre le développement des idées qui ont tour à tour dominé relativement à cette question, parmi les géologues, il faut avoir bien soin de séparer les deux parties de la théorie de Buffon : celle qui se rapporte à la formation de la charpente des montagnes, et celle qui a trait à leurs parties superficielles. Tout le monde est d’accord aujourd’hui pour admettre avec Buffon que le revêtement à base calcaire ou siliceuse des montagnes a été formé sous les eaux. Personne n’oserait plus répéter la méchante et sotte plaisanterie que fit Voltaire à propos de la doctrine émise dans l’Histoire de la terre ; le plus ignorant rougirait de dire avec lui que les coquilles trouvées sur les flancs et les sommets des montagnes y ont été perdues par des pèlerins. Mais si tout le monde admet que la plus grande partie de la masse des montagnes a été déposée par les eaux, personne ne croit plus avec Buffon que c’est le flux et le reflux de la mer qui a produit les éminences de notre globe. Tous les géologues sont, au contraire, d’accord pour voir dans les montagnes des portions du globe terrestre soulevées par un agent d’impulsion sous-jacent à ces éminences, et procédant de bas en haut. C’est aussi, nous l’avons vu, dans une certaine mesure, l’opinion qu’admettait Buffon lui-même dans ses Époques de la nature. Mais Buffon ne faisait porter le soulèvement que sur la charpente des montagnes, et il le datait de la période de refroidissement du globe, tandis que les géologues modernes assignent aux diverses montagnes des âges différents, et admettent que le soulèvement a porté non seulement sur leur charpente, mais encore sur leur masse entière. Quelques détails sur ce sujet ne seront pas inutiles.

L’opinion qui a été pendant longtemps la plus généralement admise, relativement à la formation des montagnes, peut être résumée de la façon suivante : Le centre de la terre étant encore incandescent et fluide, la croûte solide n’ayant qu’une épaisseur relativement minime, il s’est produit, à diverses époques anciennes de l’histoire de notre globe, des affaissements locaux de la croûte terrestre ; la masse fluide centrale, comprimée dans ces points, s’est forcément soulevée en d’autres pour former une montagne ou une chaîne de montagnes, tandis que les parties affaissées formaient des vallées ou même des mers si l’eau venait à les envahir. Si ces soulèvements se sont produits à une époque très reculée, en un point où la mer n’avait pas encore séjourné ou n’avait fait, pour ainsi dire, que passer, la montagne se montre formée uniquement de roches ignées primitives ; si, au contraire, la mer avait régné dans ce point pendant un temps assez long pour qu’elle y eût laissé des dépôts épais de sédiments, ces derniers ont été soulevés par la roche ignée poussée du dedans, et ils la recouvrent plus ou moins complètement. Dans l’un et l’autre cas, la montagne possède une charpente constituée par la roche primitive ; le revêtement seul varie en épaisseur et en étendue. Que l’action du feu central se fasse sentir plus violemment encore, et la montagne elle-même se rompt, se transforme en volcan dont l’orifice donne passage à la substance liquide intérieure. Ajoutons que, d’après les uns, le soulèvement des montagnes aurait été aussi brusque et instantané que violent, tandis que, pour d’autres, il se serait effectué avec une lenteur si grande qu’un observateur même attentif n’aurait pu le percevoir qu’avec de grandes difficultés et par les procédés les plus délicats de la science.

Bientôt même les opinions se divisèrent sur la question de savoir si la charpente des montagnes était réellement constituée par des roches primitives, ou si les matériaux auxquels on avait jusqu’alors attribué cette antique origine n’étaient pas d’une naissance plus obscure et moins reculée. Enfin, on émit des doutes relativement à la cause productrice de ces soulèvements, les uns la cherchant dans le feu central, tandis que d’autres, niaient l’existence d’un noyau terrestre en fusion, et la trouvaient dans la présence de cavités superficielles, pleines de matières liquides, dont nous avons déjà parlé à propos des volcans. La dernière de ces opinions est la seule qui nous intéresse en ce moment ; nous reviendrons sur les autres avec plus d’à-propos quand nous étudierons les phases ultérieures de l’évolution du globe et les causes qui ont déterminé les transformations successives de sa surface. Nous pourrons alors mettre davantage en relief les parties de la théorie de Buffon sur la formation des montagnes qui sont en accord ou en désaccord avec les idées modernes.

Il est bien évident que si l’on admet avec Lyell et d’autres géologues l’existence, dans l’épaisseur des régions superficielles du globe, de vastes cavités remplies de matières en fusion, on peut expliquer le soulèvement des montagnes et l’affaissement corrélatif des vallées et des mers avec la même facilité qu’à l’aide du feu central.

On peut donc conclure, à propos des soulèvements et affaissements dont la surface de la terre est le théâtre, comme à propos des volcans et des tremblements de terre, que ces phénomènes n’exigent pas nécessairement l’existence d’un noyau terrestre fluide.

L’hypothèse d’un noyau fluide au centre de la terre. Je dois ajouter que si aucun des phénomènes qui se passent à la surface du globe ne rend indispensable l’hypothèse d’un noyau fluide central, certaines observations et certains calculs paraissent en démontrer la fausseté. L’un des plus illustres mathématiciens de ce siècle, Poisson, a combattu[39] par le calcul l’hypothèse non seulement de la fluidité, mais encore de la haute température attribuée au centre de la terre. Il paraît avoir pertinemment démontré que si la terre s’est refroidie et solidifiée par suite du rayonnement de sa chaleur, c’est son centre qui a dû le premier se refroidir et se solidifier. D’autres calculs aussi exacts qu’il est possible d’en faire sur un semblable sujet ont conduit à des résultats conformes à celui qu’a obtenu Poisson. Hopkins[40], recherchant les variations qui devraient être introduites dans la précession des équinoxes par la plus ou moins grande fluidité ou solidité de la terre, est arrivé à la conclusion que les conditions actuelles de la précession exigent la présence d’une croûte solide extrêmement épaisse. Il résume son opinion de la façon suivante : « On peut se risquer à dire que l’épaisseur minimum de la croûte terrestre, évaluée d’après les observations faites sur la somme du mouvement de précession, ne saurait être inférieure au quart ou au cinquième du rayon de la terre, » c’est-à-dire 1 287 à 1 609 kilomètres. Il importe de faire remarquer avec Lyell que cette évaluation n’est qu’un minimum, et qu’une épaisseur encore plus grande s’accorderait parfaitement avec les conditions dans lesquelles s’effectue actuellement la précession des équinoxes : « ces calculs n’étant pas contraires à l’hypothèse qui admet l’état de solidité générale du globe. » On doit dire même qu’ils lui sont aussi favorables que possible, car il serait difficile d’expliquer les éruptions volcaniques, si l’on admettait que la matière fondue doit traverser une couche solide épaisse de 1 200 à 1 600 kilomètres avant d’arriver au dehors. Une aussi grande épaisseur de la croûte solide rendrait également bien difficiles les affaissements et des exhaussements du sol que l’on constate encore aujourd’hui. Tous ces phénomènes, au contraire, trouvent aisément leur explication dans l’hypothèse de cavités voisines de la surface du sol, émise par Buffon et adoptée par Lyell.

Nous pouvons donc conclure de cette longue étude que Buffon était dans le vrai quand il admettait la solidité du globe terrestre jusque dans les parties les plus centrales, et quand il expliquait les phénomènes volcaniques par des cavités relativement superficielles, remplies de substances fondues par les actions chimiques et électriques auxquelles elles sont soumises.

Température du centre de la terre. Avait-il également raison en admettant que le centre de la terre jouit, malgré sa consolidation, d’une température très élevée ?

La réponse à cette question est fort difficile à formuler. Nous avons dit plus haut que Poisson concluait à un refroidissement du centre de la terre, antérieur à celui de la surface. L’opinion contraire est, il faut bien le dire, généralement admise. Elle paraîtra probable si l’on tient compte de la pression énorme à laquelle se trouvent soumises les substances contenues dans le centre de notre globe. Cette pression est tellement considérable que, d’après les calculs de Young, l’acier serait réduit, au centre de la terre, au quart de son volume et la pierre au huitième du sien. Si l’on considère que la pression développe de la chaleur, il est permis d’admettre que celle à laquelle sont soumises toutes les substances qui entrent dans la composition des parties centrales de la terre doit être énorme. L’est-elle assez pour faire passer toutes ces substances à l’état liquide ? Il est d’autant plus difficile de répondre à cette question qu’on imagine difficilement quel est l’état physique compatible avec de semblables pressions. Nous n’imaginons guère quel serait l’état de l’acier après qu’il aurait atteint le quart de son volume ni celui de la pierre réduite au huitième du sien. On a calculé, en effet, que si l’eau continuait à diminuer de volume suivant le degré de compressibilité qu’on lui connaît, elle doublerait de densité à la profondeur de 149 666, et qu’elle serait aussi dense que le mercure, c’est-à-dire treize fois autant qu’elle l’est à la surface de la terre, à 0°, lorsqu’elle serait descendue à une profondeur de 582 477 mètres seulement, à peine le dixième du rayon de la terre. Quel serait alors son état physique ? Serait-elle solide, serait-elle liquide ? Si l’on admet la théorie de la constitution atomique de la matière dont j’aurai à parler plus bas, il me paraît impossible de supposer que les corps placés au centre de la terre ou seulement à une certaine profondeur soient gazeux ou liquides ; ils ne peuvent être que solides, mais solides dans des conditions telles que nous ne pouvons pas les imaginer.

Nous sommes amenés par tout ce qui précède à nous demander s’il faut croire à la possibilité d’un refroidissement de plus en plus complet de notre globe et au refroidissement concomitant du soleil.

Puisque l’objet spécial de ce travail est une étude des idées de Buffon, voyons d’abord comment il a résolu ce double problème.

Quantité de chaleur envoyée par le soleil à la terre. Il est utile de faire remarquer, avant toutes choses, que Buffon attachait à la chaleur propre de la terre une influence beaucoup plus considérable qu’à celle du soleil sur les phénomènes dont la surface de la terre est le siège. J’ai à peine besoin d’ajouter qu’il commettait sur ce point une grave erreur. Il dit dans les Époques de la nature : « La chaleur que le soleil envoie à la terre est assez petite en comparaison de la chaleur propre du globe terrestre ; et cette chaleur envoyée par le soleil ne serait pas seule suffisante pour maintenir la nature vivante[41]. » Contrairement à cette assertion, il est aujourd’hui absolument démontré que la chaleur propre du globe ne se fait, pour ainsi dire, pas sentir à la surface de la terre. La quantité de chaleur que la surface de notre globe reçoit du soleil est au contraire énorme. En une seule année, chaque mètre carré de la surface de la terre reçoit 2 318 157 calories (on nomme calorie la quantité de chaleur nécessaire pour élever de 1° centigrade la température d’un kilogramme d’eau). « C’est plus de 23 millions de calories par hectare, c’est-à-dire 9 852 200 000 000 kilogrammètres (on nomme kilogrammètre la quantité de force nécessaire pour élever de 1 mètre un poids de 1 kilogramme). Ainsi, la radiation calorifique du soleil, en s’exerçant sur la superficie d’un de nos hectares, y développe sous mille formes diverses une puissance qui équivaut au travail continu de 4 163 chevaux-vapeur. Sur la terre entière, c’est un travail de 217 316 000 000 000 chevaux-vapeur[42]. » Cette quantité presque inimaginable de chaleur est employée, en partie, au développement des animaux et des végétaux, à la transformation de l’eau liquide en vapeur, et au changement d’état physique d’une foule d’autres corps. Si l’homme savait l’accumuler et la transformer en travail utile comme il le fait pour la chaleur relativement si faible produite à grands frais dans ses machines, il pourrait en quelques années transformer la face entière du globe. Que d’autres forces naturelles, mises à sa disposition par l’univers, laisse-t-il perdre, tandis qu’il use les siennes dans des luttes aussi vaines qu’odieuses, et nuisibles non seulement aux individus qui y prennent part, mais encore à l’espèce humaine tout entière !

Le refroidissement de la terre. Un grand nombre de géologues pensent que la terre est condamnée à perdre graduellement sa chaleur propre par le rayonnement dans l’espace. Quoique la déperdition de chaleur que subit notre globe soit très faible, il n’est cependant pas possible de la nier, et il paraît qu’on doive conclure à la possibilité d’un complet refroidissement au bout d’un temps plus ou moins long. Buffon paraît être de cet avis quoiqu’il ne s’en explique nulle part avec précision. Quelques savants modernes ont émis une opinion contraire. Ils pensent que les phénomènes chimiques et électriques dont il a été question plus haut et qui se produisent incessamment dans l’intérieur de notre globe sont de nature à régénérer une quantité de chaleur égale à celle que le rayonnement fait perdre à la terre. Lyell résume cette opinion de la façon suivante[43] : « L’existence de courants électriques dans l’écorce terrestre, et les changements de direction qu’ils peuvent subir, à la suite de grandes révolutions géologiques dans la position des chaînes de montagne, et dans celle de la mer ; la relation qui existe entre le magnétisme terrestre et le magnétisme solaire, et les rapports de ce dernier agent avec l’électricité et l’action chimique, peuvent nous aider à concevoir un cycle de changements de nature à rendre à la planète la chaleur qu’elle est supposée perdre par rayonnement dans l’espace. »

Le soleil se refroidira-t-il ? La chaleur propre de la terre n’ayant qu’une influence insignifiante sur les phénomènes dont la surface de notre globe est le siège, tandis que la chaleur du soleil exerce sur eux une action indispensable à leur production, on s’est beaucoup préoccupé de la question de savoir si le soleil est condamné à éprouver un refroidissement semblable à celui que l’on suppose avoir été subi par la terre.

Buffon attribuait la chaleur du soleil à la pression qu’exercent sur lui les nombreux astres qui circulent autour de sa masse. Depuis leur formation, les planètes auraient ajouté leur pression à celle des comètes pour maintenir et même accroître la chaleur du soleil, de même que la pression exercée par les satellites développerait une certaine quantité de chaleur dans les planètes dont ces satellites dépendent. Je lui laisse la parole : « S’il en est, dit-il[44], des comètes comme des planètes, si les plus grosses sont les plus éloignées du soleil, si les plus petites sont les seules qui en approchent d’assez près pour que nous puissions les apercevoir, quel volume immense de matière ! quelle charge énorme sur les corps de cet astre ! quelle pression, c’est-à-dire quel frottement intérieur dans toutes les parties de sa masse, et par conséquent quelle chaleur et quel feu produits par ce frottement !

» Car, dans notre hypothèse, le soleil était une masse de matière en fusion, même avant la projection des planètes ; par conséquent, ce feu n’avait alors pour cause que la pression de ce grand nombre de comètes qui circulaient précédemment et circulent encore aujourd’hui autour de ce foyer commun. Si la masse ancienne du soleil a été diminuée d’un six cent cinquantième par la projection de la matière des planètes lors de leur formation, la quantité totale de la cause de son feu, c’est-à-dire de la pression totale, a été augmentée dans la proportion de la pression entière des planètes, réunie à la première pression de toutes les comètes, à l’exception de celle qui a produit l’effet de la projection, et dont la matière s’est mêlée à celle des planètes pour sortir du soleil, lequel par conséquent, après cette perte, n’en est devenu que plus brillant, plus actif et plus propre à éclairer, échauffer et féconder son univers.

» En poussant ces inductions encore plus loin, on se persuadera aisément que les satellites qui circulent autour de leur planète principale, et qui pèsent sur elle comme les planètes pèsent sur le soleil, que ces satellites, dis-je, doivent communiquer un certain degré de chaleur à la planète autour de laquelle ils circulent : la pression et le mouvement de la lune doivent donner à la terre un degré de chaleur qui serait plus grand si la vitesse du mouvement de circulation de la lune était plus grande ; Jupiter, qui a quatre satellites, et Saturne, qui en a cinq avec un grand anneau, doivent par cette seule raison être animés d’un certain degré de chaleur. Si ces planètes, très éloignées du soleil, n’étaient pas douées comme la terre d’une chaleur intérieure, elles seraient plus que gelées ; et le froid extrême que Jupiter et Saturne auraient à supporter, à cause de leur éloignement du soleil, ne pourrait être tempéré que par l’action de leurs satellites. Plus les corps circulants seront nombreux, grands et rapides, plus le corps qui leur sert d’essieu ou de pivot s’échauffera par le frottement intime qu’ils feront subir à toutes les parties de sa masse. »

Il est facile de déduire de ce que dit Buffon, relativement à la cause productrice, d’après lui, de la chaleur solaire, que cette dernière ne saurait s’affaiblir et encore moins disparaître tant que les comètes et les planètes circuleront autour de l’astre lumineux.

Il n’est guère possible de méconnaître que la pression exercée par les planètes et les comètes sur le soleil, ou, pour parler un langage plus moderne, le frottement du soleil contre l’éther qui le sépare des planètes et des comètes, soit de nature à développer une certaine quantité de chaleur ; mais on a calculé que cette quantité ne pourrait suffire à la radiation pendant plus de deux siècles. Thomson avait d’abord attribué l’entretien de la chaleur solaire à la chute incessante, dans le globe incandescent, de météorites innombrables, mais il y a ensuite renoncé, en présence de faits contradictoires, pour se rallier à l’opinion d’Helmholtz. Celui-ci attribue la chaleur du soleil à la conversion en calorique du mouvement dont étaient animées les molécules de la nébuleuse solaire primitive. Nous savons déjà que, d’après l’hypothèse de Laplace, le monde solaire constituait, au début, une immense nébuleuse, dont les molécules se sont rapprochées et condensées pour former, au centre., le globe solaire. En tombant vers le centre, les molécules ont obéi à la force de gravitation dont elles étaient douées ; celle-ci, après leur rapprochement, s’est transformée en chaleur. Mais il est bien évident que si c’est là l’origine de la chaleur solaire, cette dernière doit finir par s’épuiser, puisque sa source n’a été que momentanée. D’après Helmholtz, le soleil serait à l’état de globe rayonnant du calorique depuis environ 500 millions d’années, et il aurait déjà rayonné les 453/454 de sa provision de calorique. Faye admet également que le soleil se contracte chaque jour davantage, et que cette contraction produit de nouvelles quantités de calorique destinées à subvenir au rayonnement. « Ses matériaux, dit-il, se rapprochent du centre, et cette chute continuelle, si faible qu’elle paraisse, donne lieu à une nouvelle transformation de travail en calories très considérable et peut être même capable de subvenir en grande partie à la dépense actuelle. » Il est bien évident néanmoins que la contraction devra s’arrêter à un moment déterminé, et qu’à partir de ce moment le soleil perdra de la chaleur sans en retrouver autrement que par son frottement contre l’éther, c’est-à-dire, très probablement, en quantité beaucoup inférieure à celle qu’il perd.

Quelques savants émettent encore des doutes sur la réalité du refroidissement du soleil ; Lyell fait remarquer que « quand on considère les découvertes récemment faites de conversion d’un genre de force en un autre, et les rapports intimes qui existent entre la chaleur, le magnétisme, l’électricité et l’affinité chimique, il est bien permis d’hésiter avant que d’accepter cette théorie d’une diminution constante qu’éprouverait, de siècle en siècle, une source considérable de puissance vitale et dynamique. » Mais on peut répondre à ses justes observations que l’équilibre de l’univers ne serait nullement rompu par le refroidissement, même absolu, du soleil. La chaleur perdue se transforme chaque jour en électricité, en magnétisme, en mouvements vitaux, en une foule d’autres formes du mouvement qui elles-mêmes se transforment à leur tour sans qu’une seule parcelle en soit perdue, mais sans qu’il soit nécessaire qu’elles retournent au soleil, qui n’en est que la source seconde ; lui-même, en effet, n’a pas été toujours ce qu’il est ; et j’ajoute que, pour se conformer à la loi immuable de la transformation incessante de la matière, il ne peut pas rester indéfiniment ce qu’il est. Il est donc permis de croire que le soleil ira sans cesse se contractant et se refroidissant davantage, déterminant la disparition des êtres vivants qui peuplent la terre, et finissant par n’être plus lui-même qu’une planète solidifiée, entraînée avec ses satellites dans quelque orbite immense, autour d’un soleil plus volumineux, encore incandescent et lumineux, mais condamné à un sort identique.

Évolution de la terre. Nous n’avons étudié jusqu’à ce moment que la première phase de l’évolution de la terre, celle de l’incandescence et de la fluidité, en recherchant jusqu’à quel point notre globe a conservé les traces de ces deux états. Nous devons maintenant retracer les phases diverses par lesquelles il a passé depuis la période de l’incandescence jusqu’à nos jours.

C’est ce problème que Buffon s’était efforcé de résoudre dans l’Histoire et théorie de la terre, puis dans les Époques de la nature. J’exposerai d’abord ses idées, puis je montrerai le sort que leur a fait subir la science moderne, sort beaucoup plus glorieux qu’on ne le pense généralement.

La surface du globe. Pour bien préciser la nature des questions qu’il s’agit de résoudre, il est utile de jeter, avec Buffon, un coup d’œil d’ensemble sur l’organisation de la terre. L’esquisse qu’il trace de la structure de notre globe est assez belle pour trouver place ici.

« Ce globe immense, écrit le savant naturaliste[45], nous offre à la surface des hauteurs, des profondeurs, des plaines, des mers, des marais, des fleuves, des cavernes, des gouffres, des volcans, et à la première inspection nous ne découvrons en tout cela aucune régularité, aucun ordre. Si nous pénétrons dans son intérieur, nous y trouvons des métaux, des minéraux, des pierres, des bitumes, des sables, des terres, des eaux et des matières de toute espèce, placées comme au hasard et sans aucune règle apparente ; en examinant avec plus d’attention, nous voyons des montagnes affaissées, des rochers fendus et brisés, des contrées englouties, des îles nouvelles, des terrains submergés, des cavernes comblées ; nous trouvons des matières pesantes souvent posées sur des matières légères, des corps durs environnés de substances molles, des choses sèches, humides, chaudes, froides, solides, friables, toutes mêlées et dans une espèce de confusion qui ne nous présente d’autre image que celle d’un amas de débris et d’un monde en ruine. »

Cependant ce désordre apparent cache un ordre profond ; sur ce globe qui semble formé de ruines entassées et qui porte, en effet, les traces visibles des transformations qu’il a subies, « les générations d’hommes, d’animaux, de plantes, se succèdent sans interruption, la terre fournit abondamment à leur substance ; la mer a des limites et des lois, ses mouvements y sont assujettis, l’air a ses courants réglés, les saisons ont leurs retours périodiques et certains, la verdure n’a jamais manqué de succéder aux frimas : tout nous paraît être dans l’ordre. »

Nous ne connaissons d’ailleurs qu’une portion très faible de la masse énorme de notre globe ; « il faut donc nous borner à examiner et à décrire la surface de la terre, et la petite épaisseur intérieure dans laquelle nous avons pénétré. La première chose qui se présente, c’est l’immense quantité d’eau qui couvre la plus grande partie du globe ; ces eaux occupent toujours les parties les plus basses, elles sont aussi toujours de niveau, et elles tendent perpétuellement à l’équilibre et au repos : cependant nous les voyons agitées par une forte puissance qui, s’opposant à la tranquillité de cet élément, lui imprime un mouvement périodique et réglé, soulève et abaisse alternativement les flots, et fait un balancement de la masse totale des mers en les remuant jusqu’à la plus grande profondeur. Nous savons que ce mouvement est de tous les temps, et qu’il durera autant que la lune et le soleil, qui en sont les causes.

» Considérant ensuite le fond de la mer, nous y remarquons autant d’inégalités que sur la surface de la terre ; nous y trouvons des hauteurs, des vallées, des plaines, des profondeurs, des rochers, des terrains de toute espèce ; nous voyons que toutes les îles ne sont que les sommets de vastes montagnes dont le pied et les racines sont couverts de l’élément liquide ; nous y trouvons d’autres sommets de montagnes qui sont presque à fleur d’eau, nous y remarquons des courants rapides qui semblent se soustraire au mouvement général : on les voit se porter quelquefois constamment dans la même direction, quelquefois rétrograder et ne jamais excéder leurs limites, qui paraissent aussi invariables que celles qui bornent les efforts des fleuves de la terre. Là sont ces contrées orageuses où les vents en fureur précipitent la tempête, où la mer et le ciel également agités se choquent et se confondent ; ici des mouvements intestins, des bouillonnements, des trombes et des agitations extraordinaires causées par des volcans dont la bouche submergée vomit le feu du sein des ondes, et pousse jusqu’aux nues une épaisse vapeur mêlée d’eau, de soufre et de bitume. Plus loin, je vois ces gouffres dont on n’ose approcher, qui semblent attirer les vaisseaux pour les engloutir : au delà j’aperçois ces vastes plaines toujours calmes et tranquilles, mais tout aussi dangereuses, où les vents n’ont jamais exercé leur empire, où l’art du nautonier devient inutile, où il faut rester ou périr ; enfin, portant les yeux jusqu’aux extrémités du globe, je vois ces glaces énormes qui se détachent des continents des pôles, et viennent comme des montagnes flottantes voyager et se fondre jusque dans les régions tempérées.

» Voilà les principaux objets que nous offre le vaste empire de la mer ; des milliers d’habitants de différentes espèces en peuplent toute l’étendue, les uns couverts d’écaillés légères en traversent avec rapidité les divers pays, d’autres chargés d’une épaisse coquille se traînent pesamment et marquent avec lenteur leur route sur le sable ; d’autres, à qui la nature a donné des nageoires en forme d’ailes, s’en servent pour s’élever et se soutenir dans les airs ; d’autres enfin, à qui tout mouvement a été refusé, croissent et vivent attachés aux rochers ; tous trouvent dans cet élément leur pâture ; le fond de la mer produit abondamment des plantes, des mousses et des végétations encore plus singulières ; le terrain de la mer est de sable, de gravier, souvent de vase, quelquefois de terre ferme, de coquillages, de rochers, et partout il ressemble à la terre que nous habitons.

» Voyageons maintenant sur la partie sèche du globe ; quelle différence prodigieuse entre les climats ! quelle variété de terrains ! quelle inégalité de niveau ! mais observons exactement, et nous reconnaîtrons que les grandes chaînes de montagnes se trouvent plus voisines de l’équateur que des pôles ; que dans l’ancien continent elles s’étendent d’orient en occident beaucoup plus que du nord au sud, et que dans le nouveau monde elles s’étendent au contraire du nord au sud beaucoup plus que d’orient en occident ; mais ce qu’il y a de très remarquable, c’est que la forme de ces montagnes et leurs contours qui paraissent absolument irréguliers, ont cependant des directions suivies et correspondantes entre elles, en sorte que les angles saillants d’une montagne se trouvent toujours opposés aux angles rentrants de la montagne voisine, qui en est séparée par un vallon ou par une profondeur. J’observe aussi que les collines opposées ont toujours à très peu près la même hauteur, et qu’en général les montagnes occupent le milieu des continents et partagent dans la plus grande longueur les îles, les promontoires et les autres terres avancées : je suis de même la direction des plus grands fleuves, et je vois qu’elle est toujours presque perpendiculaire à la côte de la mer dans laquelle ils ont leur embouchure, et que dans la plus grande partie de leur cours il vont à peu près comme les chaînes de montagnes dont ils prennent leur source et leur direction. Examinant ensuite les rivages de la mer, je trouve qu’elle est ordinairement bornée par des rochers, des marbres et d’autres pierres dures, ou bien par des terres et des sables qu’elle a elle-même accumulés ou que les fleuves ont amenés, et je remarque que les côtes voisines, et qui ne sont séparées que par un bras ou par un petit trajet de mer, sont composées des mêmes matières, et que les lits de terre sont les mêmes de l’un et l’autre côté ; je vois que les volcans se trouvent dans les hautes montagnes, qu’il y en a un grand nombre dont les feux sont entièrement éteints, que quelques-uns de ces volcans ont des correspondances souterraines, et que leurs expulsions se font quelquefois en même temps. J’aperçois une correspondance semblable entre certains lacs et les mers voisines ; ici sont des fleuves et des torrents qui se perdent tout à coup et paraissent se précipiter dans les entrailles de la terre ; là est une mer intérieure où se rendent cent rivières qui y portent de toutes parts une énorme quantité d’eau sans jamais augmenter ce lac immense, qui semble rendre par des voies souterraines tout ce qu’il reçoit par ses bords ; et chemin faisant je reconnais aisément les pays anciennement habités, je les distingue de ces contrées nouvelles où le terrain paraît encore tout brut, où les fleuves sont remplis de cataractes, où les terres sont en partie submergées, marécageuses ou trop arides, où la distribution des eaux est irrégulière, où des bois incultes couvrent toute la surface des terrains qui peuvent produire.

» Entrant dans un plus grand détail, je vois que la première couche qui enveloppe le globe est partout d’une même substance ; que cette substance qui sert à faire croître et à nourrir les végétaux et les animaux, n’est elle-même qu’un composé de parties animales et végétales détruites, ou plutôt réduites en petites parties, dans lesquelles l’ancienne organisation n’est pas sensible. Pénétrant plus avant je trouve la vraie terre, je vois des couches de sable, de pierres à chaux, d’argile, de coquillages, de marbres, de gravier, de craie, de plâtre, etc., et je remarque que ces couches sont toujours posées parallèlement les unes sur les autres, et que chaque couche a la même épaisseur dans toute son étendue : je vois que dans les collines voisines les mêmes matières se trouvent au même niveau, quoique les collines soient séparées par des intervalles profonds et considérables. J’observe que dans tous les lits de terre, et même dans les couches plus solides, comme dans les rochers, dans les carrières de marbres et de pierres, il y a des fentes, que ces fentes sont perpendiculaires à l’horizon, et que dans les plus grandes comme dans les plus petites profondeurs, c’est une espèce de règle que la nature suit constamment. Je vois de plus que dans l’intérieur de la terre, sur la cime des monts et dans les lieux les plus éloignés de la mer, on trouve des coquilles, des squelettes de poissons de mer, des plantes marines, etc., qui sont entièrement semblables aux coquilles, aux poissons, aux plantes actuellement vivantes dans la mer, et qui en effet sont absolument les mêmes. Je remarque que ces coquilles pétrifiées sont en prodigieuse quantité, qu’on en trouve dans une infinité d’endroits, qu’elles sont renfermées dans l’intérieur des rochers et des autres masses de marbre et de pierre dure, aussi bien que dans les craies et dans les terres ; et que non seulement elles sont renfermées dans toutes ces matières, mais qu’elles y sont incorporées, pétrifiées et remplies de la substance même qui les environne : enfin, je me trouve convaincu par des observations réitérées que les marbres, les pierres, les craies, les marnes, les argiles, les sables et presque toutes les matières terrestres sont remplies de coquilles et d’autres débris de la mer, et cela par toute la terre et dans tous les lieux où l’on a pu faire des observations exactes. »

Dans cette esquisse, aussi remarquable par l’ampleur du trait que par la richesse du coloris, l’illustre naturaliste ne s’est pas seulement attaché à réunir les beautés de la forme, il a aussi entassé tous les faits sur lesquels il se propose d’étayer son histoire de l’évolution de la terre.

Les monuments de l’histoire de la terre. L’ayant terminée[46], « tout cela posé, raisonnons, » dit-il, et il reprend, l’un après l’autre, tous les faits qu’il a exposés pour en déduire les causes et l’enchaînement historique.

Dans ses Époques de la nature, il commence aussi par citer un certain nombre de faits dont il s’efforce ensuite de déduire les conséquences. Comme ces deux ouvrages se complètent l’un l’autre, nous devons rapporter ici les faits qui servent de base aux idées exposées dans le second[47] : « 1o La terre est élevée sur l’équateur et abaissée sous les pôles, dans la proportion qu’exigent les lois de la pesanteur et de la force centrifuge ; 2o le globe terrestre a une chaleur intérieure qui lui est propre, et qui est indépendante de celle que les rayons du soleil peuvent lui communiquer ; 3o la chaleur que le soleil envoie à la terre est assez petite, en comparaison de la chaleur propre du globe terrestre ; et cette chaleur envoyée par le soleil ne serait pas seule suffisante pour maintenir la nature vivante[48] ; 4o les matières qui composent le globe de la terre sont en général de la nature du verre, et peuvent être toutes réduites en verre ; 5o on trouve sur toute la surface de la terre, et même sur les montagnes, jusqu’à 1 500 et 2 000 toises de hauteur, une immense quantité de coquilles et d’autres débris des productions de la mer. »

Parmi les faits qui servent de base à l’histoire de la terre tracée par Buffon, je dois encore citer ce qu’il appelle, d’un mot très juste, les « monuments » de cette histoire. Les voici[49] : « 1o On trouve à la surface et à l’intérieur de la terre des coquilles et autres productions de la mer ; et toutes les matières qu’on appelle calcaires sont composées de leurs détriments. 2o En examinant ces coquilles et autres productions marines que l’on tire de la terre, en France, en Angleterre, en Allemagne et dans le reste de l’Europe, on reconnaît qu’une grande partie des espèces d’animaux auxquels ces dépouilles ont appartenu, ne se trouvent pas dans les mers adjacentes, et que ces espèces, ou ne subsistent plus, ou ne se trouvent que dans les mers méridionales. De même, on voit dans les ardoises et dans d’autres matières, à de grandes profondeurs, des impressions de poissons et de plantes, dont aucune espèce n’appartient à notre climat, et lesquelles n’existent plus, ou ne se trouvent subsistantes que dans les climats méridionaux. 3o On trouve en Sibérie et dans les autres contrées septentrionales de l’Europe et de l’Asie, des squelettes, des défenses, des ossements d’éléphants, d’hippopotames et de rhinocéros, en assez grande quantité pour être assuré que les espèces de ces animaux, qui ne peuvent se propager aujourd’hui que dans les terres du Midi, existaient et se propageaient autrefois dans les terres du Nord, et l’on a observé que ces dépouilles d’éléphants et d’autres animaux terrestres se présentent à une assez petite profondeur, au lieu que les coquilles et les autres débris des productions de la mer se trouvent enfouies à de plus grandes profondeurs dans l’intérieur de la terre. 4o On trouve des défenses et des ossements d’éléphants, ainsi que des dents d’hippopotames, non seulement dans les terres du nord de notre continent, mais aussi dans celles du nord de l’Amérique, quoique les espèces de l’éléphant et de l’hippopotame n’existent point dans ce continent du nouveau monde. 5o On trouve dans le milieu des continents, dans les lieux les plus éloignés des mers, un nombre infini de coquilles, dont la plupart appartiennent aux animaux de ce genre actuellement existants dans les mers méridionales, et dont plusieurs autres n’ont aucun analogue vivant, en sorte que les espèces en paraissent perdues et détruites par des causes jusqu’à présent inconnues. »

À l’exemple et à la suite de Buffon, examinons ces faits et ces monuments, contrôlons leur exactitude et recherchons l’usage qu’on en peut faire pour la rédaction de l’histoire de la terre.

Nous avons déjà eu l’occasion de parler de quelques-uns de ces faits. Nous n’y reviendrons pas. Ce serait nous livrer à des répétitions inutiles que de reparler ici de la forme sphéroïdale de la terre, de sa chaleur propre et de celle qu’elle reçoit du soleil. Nous laissons donc ces faits de côté.

Les fossiles. Parmi les autres faits, le plus important, celui dont nous devons nous occuper en premier lieu, est la présence des coquilles et autres débris d’animaux marins « dans l’intérieur de la terre, sur la cime des monts et dans les lieux les plus éloignés de la mer, » jusque « dans l’intérieur des roches et des autres masses de marbre et de pierre dure, aussi bien dans les craies que dans les terres, » et cette circonstance que les coquilles, les squelettes, etc., fossiles, « non seulement sont renfermés dans toutes ces matières, mais qu’ils y sont incorporés, pétrifiés et remplis de la substance même qui les environne. »

Buffon n’est pas le premier qui ait été frappé de la présence des débris d’animaux marins dans des lieux fort éloignés de la mer et jusque sur les plus hautes montagnes. D’autres avaient déjà observé ce fait et s’étaient préoccupés d’en chercher l’explication. C’est lui probablement qui avait servi de base à la légende des déluges partiels admis par les Grecs et les Romains et à celle du déluge universel décrit dans les livres sacrés du peuple juif. C’est aussi par le déluge que la plupart des savants l’expliquaient à l’époque de Buffon.

Bernard Palissy et les fossiles. Cependant, à la fin du xvie siècle, Bernard Palissy avait été conduit par une longue série d’observations à formuler la cause véritable de la présence des fossiles marins dans des points très éloignés de la mer. S’appuyant sur ce que les coquilles et autres débris d’organismes marins se trouvent parfois à des profondeurs considérables et dans des roches dont la formation a dû être très lente, il émit l’opinion que la mer avait autrefois recouvert les terres dans lesquelles se trouvent ces fossiles, et qu’elle avait dû y séjourner pendant une durée bien supérieure à celle qu’on attribue au déluge. Il avait recueilli un véritable musée de fossiles de toutes sortes, récoltés particulièrement dans son pays, la Saintonge, et dans les montagnes des Ardennes. Il montrait ce musée, il fournissait aux visiteurs des explications sur l’origine des différentes pièces et présentait ces dernières comme des preuves à l’appui de sa doctrine. « Il lui tomba entre les mains, dit un de ses panégyristes du xviiie siècle[50], un livre de Cardan qu’on avait traduit en français, et qui attribuait au déluge les coquillages fossiles. Il rejeta hautement ce système, fondé sur un raisonnement bien simple : c’est que ce qu’on nous dit du déluge donne l’idée d’un événement subit, et, pour ainsi dire, momentané, au lieu que ce qu’on remarque dans la terre est l’ouvrage d’un grand nombre de siècles. » Mais les idées de Palissy n’eurent aucun succès ; on persévéra dans les errements du passé et à l’époque de Buffon presque tous les systèmes scientifiques relatifs à l’histoire de la terre attribuaient la distribution générale des fossiles au déluge. Quand on objectait la profondeur à laquelle un grand nombre se trouvent dans les entrailles de la terre, les partisans de la doctrine diluvienne répondaient qu’ils avaient été transportés en ces points par des canaux souterrains aujourd’hui comblés, mais qui, autrefois, faisaient communiquer diverses parties de la terre ferme avec la mer. Si on leur parlait des fossiles qui se trouvent au sommet des montagnes, où nul canal souterrain n’avait pu les conduire, les mêmes gens répondaient que des semences d’animaux marins avaient filtré avec les eaux à travers les terres jusqu’aux plus grandes hauteurs où elles avaient été fécondées par les neiges. Quant aux esprits plus éclairés, qui auraient été tentés d’adopter les idées de Palissy ou qui même en étaient les partisans, ils cachaient leurs pensées au fond de leur conscience. « Quoique sûrs de leurs principes, dit Malesherbes, ils craignaient l’abus qu’on en pourrait faire ; » ils redoutaient « de s’annoncer pour les défenseurs d’un système qui aurait pu rendre leur religion suspecte[51]. » C’est qui advint à Buffon après la publication de sa Théorie de la terre ; la censure énergique dont il fut l’objet de la part de la Sorbonne, la soumission à laquelle il dut se résigner afin d’éviter l’interdiction de son œuvre, témoignent du peu de sécurité qu’il y avait, en plein xviiie siècle, pour les savants qui osaient chercher ailleurs que dans le déluge biblique la cause de la présence des fossiles marins dans les lieux les plus éloignés de la mer et les plus élevés au-dessus de son niveau actuel. Avant Buffon cependant, ou plutôt à peu près en même temps que lui, un voyageur français, Dumaillet, s’était prononcé en faveur de la doctrine de Palissy, dans un ouvrage qui resta longtemps manuscrit et qui finit par être imprimé, après avoir subi de regrettables modifications, soustractions et additions, sous le titre de Telliamed (anagramme de Dumaillet)[52]. La terre y était représentée comme ayant été entièrement recouverte par les eaux de la mer pendant une très longue période de temps, et tous les animaux terrestres, sans en excepter l’homme, y étaient considérés comme des organismes aquatiques graduellement transformés par le changement du milieu.

Explication des fossiles. Si Buffon n’est pas le premier[53] qui ait compris l’importance des fossiles, en tant que monuments de l’histoire de la terre, s’il n’est pas le premier qui ait donné de leur présence une explication scientifique, c’est du moins à lui qu’appartient l’honneur d’avoir rassemblé tous les faits découverts aux époques antérieures, et d’en avoir tiré les éléments d’une histoire de la terre assez exacte pour que ses successeurs n’aient eu qu’à la compléter, en en rectifiant quelques traits.

Comme on avait trouvé des fossiles marins dans une foule de points très éloignés les uns des autres, sous toutes les latitudes et longitudes, et à toutes les altitudes et profondeurs, il se crut autorisé à affirmer qu’ils existent réellement partout et dans tous les terrains, et, point capital de sa théorie, jusque sur le sommet des plus hautes montagnes. « Il paraît certain, dit-il dans son Histoire et théorie de la terre[54], que la terre actuellement sèche et habitée a été autrefois sous les eaux de la mer, et que ces eaux étaient supérieures aux sommets des plus hautes montagnes, puisqu’on trouve sur ces montagnes et jusque sur leurs sommets des productions marines et des coquilles qui, comparées avec les coquillages vivants, sont les mêmes, et qu’on ne peut douter de leur parfaite ressemblance, ni de l’identité de leurs espèces. » Plus tard, il est vrai, son opinion se modifia quelque peu. Il admit qu’au-dessus d’une certaine hauteur les montagnes pouvaient être dépourvues de fossiles, mais il n’en persista pas moins à penser que l’eau avait autrefois recouvert tous les sommets. Il écrit sur ce sujet, dans ses Notes justificatives des Époques de la nature[55] : « J’ai avancé, d’après l’autorité de Woodward, qui le premier a recueilli ces observations, qu’on trouvait des coquilles jusque sur les sommets des plus hautes montagnes ; d’autant que j’étais assuré par moi-même, et par d’autres observations assez récentes, qu’il y en a dans les Pyrénées et les Alpes à 900, 1 000, 1 200 et 1 500 toises de hauteur au-dessus du niveau de la mer, qu’il s’en trouve de même dans les montagnes de l’Asie, et qu’enfin dans les Cordillères, en Amérique, on en a nouvellement découvert un banc à plus de 2 000 toises au-dessus du niveau de la mer.

» On ne peut donc pas douter que, dans toutes les différentes parties du monde, et jusqu’à la hauteur de 1 500 ou 2 000 toises au-dessus du niveau des mers actuelles, la surface du globe n’ait été couverte des eaux, et pendant un temps assez long pour y produire ces coquillages et les laisser multiplier, car leur quantité est si considérable que leurs débris forment des bancs de plusieurs lieues d’étendue, souvent de plusieurs toises d’épaisseur sur une largeur indéfinie ; en sorte qu’ils composent une partie assez considérable des couches extérieures de la surface du globe, c’est-à-dire toute la matière calcaire qui, comme l’on sait, est très commune et très abondante en plusieurs contrées. Mais au-dessus des plus hauts points d’élévation, c’est-à-dire au-dessus de 1 500 ou 2 000 toises de hauteur, et souvent plus bas, on a remarqué que les sommets de plusieurs montagnes sont composés de roc vif, de granit et d’autres matières vitrescibles produites par le feu primitif, lesquelles ne contiennent en effet ni coquilles, ni madrépores, ni rien qui ait rapport aux matières calcaires. On peut donc en inférer que la mer n’a pas atteint, ou du moins n’a surmonté que pendant un petit temps, ces parties les plus élevées, et ces pointes les plus avancées de la surface de la terre. »

Parlant, un peu plus bas, des Cordillères, dans lesquelles certains auteurs avaient nié l’existence des coquilles fossiles, il cite le témoignage de don Ulloa, qui avait signalé des coquilles sur ces montagnes. Il émet l’opinion que s’il existe quelques montagnes sur lesquelles ces débris d’animaux marins font réellement défaut, il faut l’attribuer, ou bien à ce que les eaux n’y ont séjourné que pendant trop peu de temps pour que les animaux s’y soient habitués, ou bien à ce que les volcans ont détruit les coquilles qu’elles pouvaient contenir. « Si, dit-il[56], les premiers observateurs ont cru qu’on ne trouvait point de coquilles sur les montagnes des Cordillères, c’est que ces montagnes, les plus élevées de la terre, sont pour la plupart des volcans actuellement agissants ou des volcans éteints, lesquels, par leurs éruptions, ont recouvert de matières brûlées toutes les terres adjacentes ; ce qui a non seulement enfoui, mais détruit toutes les coquilles qui pouvaient s’y trouver. Il ne serait donc pas étonnant qu’on ne rencontrât point de productions marines autour de ces montagnes, qui sont aujourd’hui ou qui ont été autrefois embrasées, car le terrain qui les enveloppe ne doit être qu’un composé de cendres, de scories, de verre, de lave et d’autres matières brûlées ou vitrifiées : ainsi, il n’y a d’autre fondement à l’opinion de ceux qui prétendent que la mer n’a pas couvert les montagnes, si ce n’est qu’il y a plusieurs de leurs sommets où l’on ne voit aucune coquille ni autres productions marines. Mais, comme on trouve en une infinité d’endroits, et jusqu’à 1 500 et 2 000 toises de hauteur, des coquilles et d’autres productions de la mer, il est évident qu’il y a eu peu de pointes ou crêtes de montagnes qui n’aient été surmontées par les eaux, et que les endroits où on ne trouve point de coquilles indiquent seulement que les animaux qui les ont produites ne s’y sont pas habitués, et que les mouvements de la mer n’y ont point amené les débris de ses productions, comme elle en a amené sur tout le reste de la surface du globe. »

Ainsi que nous l’avons dit plus haut, Buffon n’ignorait pas que plusieurs interprétations de la dispersion des coquilles marines sur les continents avaient déjà été émises. À ceux qui attribuaient ce fait à un simple hasard, il dit[57] : « Il ne faut pas croire, comme se l’imaginent tous les gens qui veulent raisonner sur cela sans avoir rien vu, qu’on ne trouve ces coquilles que par hasard, qu’elles sont dispersées çà et là, ou tout au plus par petits tas, comme des coquilles d’huîtres jetées à la porte ; c’est par montagnes qu’on les trouve, c’est par bancs de 100 et de 200 lieues de longueur ; c’est par collines et par provinces qu’il faut les toiser, souvent dans une épaisseur de 50 ou 60 pieds, et c’est d’après cela qu’il faut raisonner. » Il cite toutes les roches, tous les terrains, toutes les localités dans lesquels on a découvert, en immenses quantités, les dépouilles des habitants des anciennes mers. Il raille doucement Voltaire, qui, dans un opuscule anonyme paru à la suite de la publication de l’Histoire de la terre, avait attribué la présence de coquilles marines sur le sommet des montagnes au passage de pèlerins revenant de Syrie[58].

Théorie diluvienne. Quant à ceux qui mettaient sur le compte du déluge biblique la dispersion des coquilles marines sur nos continents, il leur répond[59] : « Cependant cette supposition que c’est le déluge universel qui a transporté les coquilles de la mer dans tous les climats de la terre est devenue l’opinion, ou plutôt la superstition de la plupart des naturalistes, Woodward, Scheuchzer et quelques autres, appellent ces coquilles pétrifiées les restes du déluge : ils les regardent comme les médailles et les monuments que Dieu nous a laissés de ce terrible événement, afin qu’il ne s’effaçât jamais de la mémoire du genre humain ; enfin ils ont adopté cette hypothèse avec tant de respect, pour ne pas dire d’aveuglement, qu’ils ne paraissent s’être occupés qu’à chercher les moyens de concilier l’Écriture sainte avec leur opinion, et qu’au lieu de se servir de leurs observations et d’en tirer des lumières, ils se sont enveloppés dans les nuages d’une théologie physique, dont l’obscurité et la petitesse dérogent à la clarté et à la dignité de la religion, et ne laissent apercevoir aux incrédules qu’un mélange ridicule d’idées humaines et de faits divins. Prétendre, en effet, expliquer le déluge universel et ses causes physiques, vouloir nous apprendre le détail de ce qui s’est passé dans le temps de cette grande révolution, deviner quels en ont été les effets, ajouter des faits à ceux du livre sacré, tirer des conséquences de ces faits, n’est-ce pas vouloir mesurer la puissance du Très-Haut ? Les merveilles, que sa main bienfaisante opère dans la nature d’une manière uniforme et régulière, sont incompréhensibles, à plus forte raison les coups d’éclat, les miracles doivent nous tenir dans le saisissement et dans le silence.

» Cette immense quantité de fossiles marins, que l’on trouve en tant d’endroits, prouve qu’ils n’ont pas été transportés par un déluge ; car on observe plusieurs milliers de gros rochers et des carrières dans tous les pays où il y a des marbres et de la pierre à chaux, qui sont toutes remplies de vertèbres d’étoiles de mer, de pointes d’oursins, de coquillages et d’autres débris de productions marines. Or, si ces coquilles, qu’on trouve partout, eussent été amenées sur la terre sèche par un déluge ou par une inondation, la plus grande partie seraient demeurées sur la surface de la terre, ou du moins elles ne seraient pas enterrées à une grande profondeur, et on ne les trouverait pas dans les marbres les plus solides à sept ou huit cents pieds de profondeur.

» Dans toutes les carrières, ces coquilles font partie de la pierre à l’intérieur, et on en voit quelquefois à l’extérieur qui sont recouvertes de stalactites qui, comme l’on sait, ne sont pas des matières aussi anciennes que la pierre qui contient les coquilles ; une seconde preuve que cela n’est point arrivé par un déluge, c’est que les os, les cornes, les ergots, les ongles, etc., ne se trouvent que très rarement, et peut-être point du tout, renfermés dans les marbres et dans les autres pierres dures, tandis que, si c’était l’effet d’un déluge où tout aurait péri, on y devrait trouver les restes des animaux de la terre aussi bien que ceux des mers. (Voyez Ray’s Discourses, p. 178 et suiv.)

» C’est, comme nous l’avons dit, une supposition bien gratuite que de prétendre que toute la terre a été dissoute dans l’eau au temps du déluge ; et on ne peut donner quelque fondement à cette idée qu’en supposant un second miracle qui aurait donné à l’eau la propriété d’un dissolvant universel, miracle dont il n’est fait aucune mention dans l’Écriture sainte ; d’ailleurs, ce qui anéantit la supposition et la rend même contradictoire, c’est que toutes ces matières, ayant été dissoutes dans l’eau, les coquilles ne l’ont pas été, puisque nous les trouvons entières et bien conservées dans toutes les masses qu’on prétend avoir été dissoutes ; cela prouve évidemment qu’il n’y a jamais eu de telle dissolution, et que l’arrangement des couches horizontales et parallèles ne s’est pas fait en un instant, mais par les sédiments qui se sont amoncelés peu à peu, et qui ont enfin produit des hauteurs considérables par la succession des temps ; car il est évident, pour tous les gens qui se donneront la peine d’observer, que l’arrangement de toutes les matières qui composent le globe est l’ouvrage des eaux ; il n’est donc question que de savoir si cet arrangement a été fait dans le même temps ; or, nous avons prouvé qu’il n’a pas pu se faire dans le même temps, puisque les matières ne gardent pas l’ordre de la pesanteur spécifique et qu’il n’y a pas eu dissolution générale de toutes les matières ; donc cet arrangement a été produit par les eaux ou plutôt par les sédiments qu’elles ont déposés dans la succession des temps ; toute autre révolution, tout autre mouvement, toute autre cause aurait produit un arrangement très différent ; d’ailleurs, un accident particulier, une révolution ou un bouleversement, n’aurait pas produit un pareil effet dans le globe tout entier, et, si l’arrangement des terres et des couches avait pour cause des révolutions particulières et accidentelles, on trouverait les pierres et les terres disposées différemment en différents pays, au lieu qu’on les trouve partout disposées de même par couches parallèles, horizontales ou légèrement inclinées. »

Buffon n’ignorait pas d’ailleurs que certaines roches ne contiennent jamais de fossiles. « On ne trouve jamais, dit-il dans la première de ses œuvres qui traite de ce sujet[60], de coquilles ni dans le roc vit ou granit, ni dans le grès ; au moins, je n’y en ai jamais vu, quoiqu’on en trouve, et même assez souvent, dans le sable vitrifiable duquel ces matières tirent leur origine. »

Il me paraît inutile de m’étendre davantage sur ce premier fait. C’est avec raison que Buffon a insisté sur son importance ; mais si cela était nécessaire à son époque, à cause des erreurs d’interprétation dont il était l’objet, il n’en est heureusement plus ainsi de nos jours. Le dernier enfant de nos écoles rirait également, et de ceux qui mettaient jadis la dispersion des fossiles sur le compte du déluge biblique, et de Voltaire qui, pour railler ces croyants, tombait dans une erreur plus grossière encore et beaucoup moins excusable.

Différences d’âges des fossiles. Je me borne à remarquer qu’il est un fait important dont Buffon ne paraît pas avoir eu connaissance, ou, du moins, dont il n’a pas su tirer les conséquences : je veux parler des différences considérables d’âges qui existent entre les espèces fossiles. Buffon a bien vu qu’elles étaient superposées, dans un certain ordre, dans des couches de terrains qui n’avaient été déposées que très lentement ; mais l’étude de ces débris d’organismes anciens et celle des roches dans lesquelles ils sont contenus n’était pas encore assez avancée pour qu’il put se rendre compte de ce fait, que les débris des animaux les plus simples se trouvent dans les couches les plus anciennes, tandis que ceux des organismes les plus parfaits ne gisent que dans les couches les plus récentes. Buffon pensait que les animaux les plus anciens sont ceux dont on trouve les restes au sommet des montagnes les plus hautes, mais il n’indique pas le motif de cette opinion. Je la relève simplement pour montrer qu’il avait eu quelque idée de la différence d’âge des fossiles. « On doit présumer, dit-il[61], que les coquilles et les autres productions marines que l’on trouve à de grandes hauteurs au-dessus du niveau actuel des mers sont les espèces les plus anciennes de la nature. »

Il ne vit pas non plus ce fait que les couches contenant des restes d’animaux marins alternent, dans certaines localités, avec d’autres couches ne renfermant que des débris d’animaux propres aux eaux douces.

Ces deux lacunes eurent nécessairement une influence considérable sur la façon dont il expliqua la présence des fossiles marins sur les continents.

Analogies des espèces fossiles avec les espèces actuelles. Le deuxième fait auquel Buffon attache la valeur d’un « monument de la nature » est la ressemblance des animaux et des végétaux fossiles avec ceux qui existent actuellement. Buffon n’avait pas étudié les animaux inférieurs ; il ne connaissait pas non plus beaucoup l’anatomie des animaux supérieurs ; du reste, l’anatomie comparée en était alors à la première phase de son développement. Ni Buffon ni ses contemporains ne se donnèrent donc le souci d’étudier les fossiles minutieusement, en les comparant aux animaux actuels. Il leur suffisait de constater certaines analogies de formes pour conclure à l’identité des uns avec les autres. L’opinion de Buffon sur ce sujet se modifia cependant dans une certaine mesure avec le temps. On a vu plus haut que dans son Histoire et théorie de la terre, il admet l’identité absolue des animaux fossiles avec ceux qui vivent de nos jours : « Je vois de plus, écrit-il alors[62], que dans l’intérieur de la terre, sur la cime des monts et dans les lieux les plus éloignés de la mer, on trouve des coquilles, des squelettes de poissons de mer, des plantes marines, etc., qui sont entièrement semblables aux coquilles, aux poissons, aux plantes actuellement vivantes dans la mer, et qui, en effet, sont absolument les mêmes. » Il ne tarde pas cependant à admettre qu’il peut y avoir des espèces fossiles qui ont disparu. « Il peut aussi se faire, dit-il dans ses suppléments à l’Histoire de la terre[63], qu’il y ait eu de certains animaux dont l’espèce a péri ; ces coquillages (les cornes d’Ammon ou Ammonites) pourraient être du nombre : les os fossiles extraordinaires qu’on trouve en Sibérie, au Canada, en Irlande et dans plusieurs autres endroits, semblent confirmer cette conjecture, car jusqu’ici on ne connaît pas d’animal à qui on puisse attribuer ces os qui, pour la plupart, sont d’une grandeur et d’une grosseur démesurées. » Sa première opinion est cependant celle qui a ses préférences, car, trente ans plus tard, dans les Époques de la nature, il répète que « la plupart des coquilles appartiennent aux animaux de ce genre actuellement existants. »

Buffon commettait en cela une erreur grave ; son génie en fut entravé ; il se trouva hors d’état de tirer de ses études et de ses méditations les fruits qu’elles auraient pu produire s’il avait eu connaissance du nombre extrêmement considérable d’espèces disparues qui figurent parmi les animaux et les végétaux fossiles. À Cuvier était réservé l’honneur de cette découverte, ainsi que nous aurons l’occasion de le dire plus tard, en même temps que nous devrons montrer la fausseté des idées qu’il en tira.

Buffon fait figurer, avec raison, parmi ses « monuments de la nature », le fait que les animaux fossiles trouvés dans les régions septentrionales de nos continents sont presque tous des organismes actuellement propres aux mers des régions méridionales. On a découvert, en effet, dans les parties les plus froides du globe des animaux et des végétaux fossiles dont les genres ne vivent actuellement que dans des contrées plus ou moins chaudes, tandis qu’on ne trouve dans le voisinage des pôles aucun fossile attestant que ces contrées aient joui, dans les périodes anciennes de l’évolution de la terre, d’une température inférieure à celle que nous connaissons actuellement. Il est vrai qu’on rencontre dans certaines régions tempérées des animaux propres aux régions froides. Nous aurons à revenir plus tard sur l’interprétation qu’il importe de donner à ces faits.

Horizontalité des couches terrestres. Parmi les faits auxquels Buffon attache une très grande importance et sur lesquels il fonda sa doctrine, nous avons indiqué plus haut l’horizontalité des couches qui forment la portion superficielle de la terre. Ayant constaté, soit par lui-même, soit d’après les observations d’autres savants que, dans un grand nombre de points du globe, les couches sont superposées régulièrement les unes aux autres, il en déduisit, par une généralisation plus hardie que juste, qu’il en était partout ainsi. « Je vois, dit-il dans son Histoire et théorie de la terre[64], des couches de sable, de pierres à chaux, d’argile, de coquillages, de marbres, de gravier, de craie, de plâtre, etc., et je remarque que ces couches sont toujours posées parallèlement les unes sur les autres, et que chaque couche a la même épaisseur dans toute son étendue : je vois que dans les collines voisines les mêmes matières se trouvent au même niveau, quoique les collines soient séparées par des intervalles profonds et considérables. » Revenant sur ce sujet, dans les pièces justificatives de ce mémoire, il dit encore[65] : « Non seulement la terre est composée de couches parallèles et horizontales dans les plaines et dans les collines, mais les montagnes même sont en général composées de la même façon ; on peut dire que ces couches y sont plus apparentes que dans les plaines, parce que les plaines sont ordinairement recouvertes d’une quantité assez considérable de sable et de terre que les eaux ont amenés, et, pour trouver les anciennes couches, il faut creuser plus profondément dans les plaines que dans les montagnes. »

En ce qui concerne les montagnes, il ajoute[66] : « J’ai souvent observé que lorsqu’une montagne est égale et que son sommet est de niveau, les couches ou lits de pierre qui la composent sont aussi de niveau ; mais si le sommet de la montagne n’est pas posé horizontalement, et s’il penche vers l’orient ou vers tout autre côté, les couches de pierre penchent aussi du même côté. »

Il admet encore que chaque couche a la même épaisseur dans toute son étendue. « Au reste chaque couche, soit qu’elle soit horizontale ou inclinée, a dans toute son étendue une épaisseur égale, c’est-à-dire chaque lit d’une matière quelconque, pris à part, a une épaisseur égale dans toute son étendue ; par exemple, lorsque, dans une carrière, le lit de pierre dure a 3 pieds d’épaisseur en un endroit, il a ces 3 pieds d’épaisseur partout ; s’il a 6 pieds d’épaisseur en un endroit, il en a 6 partout. Dans les carrières autour de Paris, le lit de bonne pierre n’est pas épais, et il n’a guère que 18 à 20 pouces d’épaisseur partout ; dans d’autres carrières, comme en Bourgogne, la pierre a beaucoup plus d’épaisseur ; il en est de même des marbres ; ceux dont le lit est le plus épais sont les marbres blancs et noirs, ceux de couleur sont ordinairement plus minces, et je connais des lits d’une pierre fort dure et dont les paysans se servent en Bourgogne pour couvrir leurs maisons, qui n’ont qu’un pouce d’épaisseur ; les épaisseurs des différents lits sont donc différentes, mais chaque lit conserve la même épaisseur dans toute son étendue. »

Il admet aussi que toujours les couches d’une colline correspondent exactement à celles de la colline située de l’autre côté des vallons et que les deux collines ont la même hauteur.

« Ces couches parallèles, dit-il[67], ces lits de terre ou de pierre, qui ont été formés par les sédiments des eaux de la mer, s’étendent souvent à des distances très considérables, et même on trouve dans les collines séparées par un vallon les mêmes lits, les mêmes matières, au même niveau. Cette observation, que j’ai faite, s’accorde parfaitement avec celle de l’égalité de la hauteur des collines opposées dont je parlerai tout à l’heure ; on pourra s’assurer aisément de la vérité de ces faits, car, dans tous les vallons étroits, où l’on découvre des rochers, on verra que les mêmes lits de pierre ou de marbre se trouvent des deux côtés à la même hauteur. Dans une campagne que j’habite souvent et où j’ai beaucoup examiné les rochers et les carrières, j’ai trouvé une carrière de marbre qui s’étend à plus de douze lieues en longueur et dont la largeur est fort considérable, quoique je n’aie pas pu m’assurer précisément de cette étendue en largeur. J’ai souvent observé que ce lit de marbre a la même épaisseur partout ; et dans des collines, séparées de cette carrière par un vallon de 100 pieds de profondeur et d’un quart de lieue de largeur, j’ai trouvé le même lit de marbre à la même hauteur ; je suis persuadé qu’il en est de même de toutes les carrières de pierre ou de marbre où l’on trouve des coquilles, car cette observation n’a pas lieu dans les carrières de grès. »

Il applique les mêmes considérations aux couches situées de chaque côté d’un détroit. « On a même observé, dit-il[68], que les lits de terre sont les mêmes des deux côtés des détroits de la mer, et cette observation, qui est importante, peut nous conduire à reconnaître les terres et les îles qui ont été séparées du continent ; elle prouve, par exemple, que l’Angleterre a été séparée de la France, l’Espagne de l’Afrique, la Sicile de l’Italie, et il serait à souhaiter qu’on eût fait la même observation dans tous les détroits ; je suis persuadé qu’on la trouverait vraie presque partout. »

Il insiste sur le fait que les collines situées de chaque côté d’un vallon ont à peu près la même hauteur, et que les angles rentrants des unes correspondent aux angles saillants des autres. « Si l’on considère en voyageant, dit-il[69], la forme des terrains, la position des montagnes et les sinuosités des rivières, on s’apercevra qu’ordinairement les collines opposées sont non seulement composées des mêmes matières, au même niveau, mais même qu’elles sont à peu près également élevées ; j’ai observé cette égalité de hauteur dans les endroits où j’ai voyagé, et je l’ai toujours trouvée la même à très peu près des deux côtés, surtout dans les vallons serrés, et qui n’ont tout au plus qu’un quart ou un tiers de lieue de largeur ; car, dans les grandes vallées qui ont beaucoup plus de largeur, il est assez difficile de juger exactement de la hauteur des collines et de leur égalité. »

Il cite à l’appui de ses assertions les collines d’une partie de la Bourgogne[70] : « Cette partie de la Bourgogne qui est comprise entre Auxerre, Dijon, Autun et Bar-sur-Seine, et dont une étendue considérable s’appelle le bailliage de la Montagne, est un des endroits les plus élevés de la France ; d’un côté de la plupart de ces montagnes, qui ne sont que du second ordre et qu’on ne doit regarder que comme des collines élevées, les eaux coulent vers l’Océan, et de l’autre vers la Méditerranée ; il y a des points de partage, comme à Sombernon, Pouilly-en-Auxois, etc., où on peut tourner les eaux indifféremment vers l’Océan ou vers la Méditerranée : ce pays élevé est entrecoupé de plusieurs petits vallons assez serrés et presque tous arrosés de gros ruisseaux ou de petites rivières. J’ai mille et mille fois observé la correspondance des angles de ces collines et leur égalité de hauteur, et je puis assurer que j’ai trouvé partout les angles saillants opposés aux angles rentrants, et les hauteurs à peu près égales des deux côtés. Plus on avance dans le pays élevé où sont les points de partage dont nous venons de parler, plus les montagnes ont de hauteur ; mais cette hauteur est toujours la même des deux côtés des vallons, et les collines s’élèvent ou s’abaissent également : en se plaçant à l’extrémité des vallons dans le milieu de la largeur, j’ai toujours vu que le bassin du vallon était environné et surmonté de collines dont la hauteur était égale ; j’ai fait la même observation dans plusieurs autres provinces de France. C’est cette égalité de hauteur dans les collines qui fait les plaines en montagnes ; ces plaines forment, pour ainsi dire, des pays élevés au-dessus d’autres pays ; mais les hautes montagnes ne paraissent pas si égales en hauteur ; elles se terminent la plupart en pointes et en pics irréguliers, et j’ai vu, en traversant plusieurs fois les Alpes et l’Apennin, que les angles sont en effet correspondants, mais qu’il est presque impossible de juger à l’œil de l’égalité ou de l’inégalité de hauteur des montagnes opposées, parce que leur sommet se perd dans les brouillards et dans les nues. »

Enfin, il met en relief ce fait que les couches de la surface de la terre ne sont pas disposées les unes au-dessus des autres dans l’ordre de leur pesanteur spécifique, comme cela aurait dû se produire si elles s’étaient toutes déposées en même temps ; mais que des couches plus légères se trouvent souvent situées au-dessous de couches beaucoup plus pesantes. Il dit à ce sujet[71] : « Les différentes couches dont la terre est composée ne sont pas disposées suivant l’ordre de leur pesanteur spécifique ; souvent on trouve des couches de matières pesantes posées sur des couches de matières plus légères ; pour s’en assurer, il ne faut qu’examiner la nature des terres sur lesquelles portent les rochers, et on verra que c’est ordinairement sur des glaises ou sur des sables qui sont spécifiquement moins pesants que la matière du rocher ; dans les collines et dans les autres petites élévations on reconnaît facilement la base sur laquelle portent les rochers ; mais il n’en est pas de même des grandes montagnes : non seulement le sommet est de rocher, mais ces rochers portent sur d’autres rochers, il y a montagnes sur montagnes et rochers sur rochers, à des hauteurs si considérables et dans une si grande étendue de terrain, qu’on ne peut guère s’assurer s’il y a de la terre dessous, et de quelle nature est cette terre : on voit des rochers coupés à pic qui ont plusieurs centaines de pieds de hauteur ; ces rochers portent sur d’autres, qui peut-être n’en ont pas moins ; cependant, ne peut-on pas conclure du petit au grand ? et puisque les rochers des petites montagnes dont on voit la base portent sur des terres moins pesantes et moins solides que la pierre, ne peut-on pas croire que la base des hautes montagnes est aussi de terre ? »

Je rappelle, en terminant, que Buffon avait connaissance de l’irrégularité de position affectée presque constamment par certaines roches. Nous avons vu plus haut qu’il cite parmi elles les grès ; il parle ailleurs des granits comme étant dans le même cas. Nous verrons plus bas ce qu’il faut penser de ces exceptions.

J’ai insisté sur l’opinion émise par Buffon relativement à ces différentes questions, parce que de cette opinion découle toute sa théorie de la formation des couches superficielles de notre globe, et parce que, malgré les erreurs qu’elle contient, cette théorie se rapproche assez exactement de la vérité pour faire le plus grand honneur à l’illustre naturaliste, enfin parce que j’aurai à signaler les attaques vigoureuses dont elle a été l’objet et auxquelles elle à résisté dans son ensemble.

Voyons maintenant quelle est la part de vérité et la part d’erreur contenues dans les idées émises par Buffon relativement à la disposition des couches superficielles de la terre.

Variétés de stratification. Si l’on devait prendre à la lettre les termes « couches horizontales » et « couches parallèles » dont fait usage Buffon, il serait facile de montrer qu’il commettait une grave erreur en affirmant à la suite de Woodward et d’autres savants que toutes les couches composant la surface de la terre sont horizontales et parallèles. Mais il me paraît évident qu’en se servant de ces expressions, Buffon et ses prédécesseurs entendaient seulement dire que les terrains ne forment pas des masses informes, mais des couches régulièrement disposées les unes au-dessus des autres. L’observation la plus superficielle suffit, en effet, pour permettre de se convaincre que l’horizontalité absolue des couches, quoique fréquente, est loin d’être constante, et qu’une obliquité plus ou moins prononcée se présente beaucoup plus souvent. Il ne me paraît pas permis de croire que ce fait ait pu échapper à la sagacité de Palissy, de Woodward, de Buffon. Rappelons-nous qu’en parlant des montagnes, Buffon note l’inclinaison fréquente des couches qui tapissent leurs flancs[72]. Il paraît néanmoins bien certain que ni lui ni ses prédécesseurs et ses contemporains n’ont eu connaissance des irrégularités considérables de position et de direction qui ont été déterminées dans les couches par des phénomènes ultérieurs à leur dépôt. Ils ont vu la loi générale qui préside à l’arrangement des terrains que l’on a nommés stratifiés, à cause de leur disposition en couches superposées, mais ils n’ont pas saisi les perturbations qui, dans la plupart des cas, sont introduites dans cette loi. Ajoutons que son ignorance des troubles apportés à la stratification régulière de notre sol n’a pas empêché Buffon de découvrir l’explication du phénomène principal, que peut-être même elle a servi son esprit de généralisation, en ne le détournant pas de la voie où le poussait la vue d’ensemble de la loi. J’irais volontiers jusqu’à soupçonner qu’il a volontairement fermé les yeux sur les irrégularités de la stratification, afin de donner plus de poids à l’explication qu’il fournit de ce phénomène.

Cela dit, il est utile de passer rapidement en revue les principales modifications de direction et de position que les terrains stratifiés sont susceptibles de présenter. La modification la plus ordinaire et la plus simple consiste dans le redressement des couches qui, d’horizontales, deviennent plus ou moins obliques, souvent tout à fait perpendiculaires à l’horizon, et même, dans quelques cas, sont renversées au point de diriger vers le bas celle de leurs faces qui primitivement était supérieure. Ces redressements peuvent être accompagnés d’un phénomène propre à quelques couches. S’il existe entre deux couches solides, calcaires, par exemple, une couche encore molle et plastique, formée d’argile à éléments fins, cette dernière peut se plisser par suite du glissement des couches qui lui sont supérieures sur celles qui la supportent. Ces glissements et ces plissements de couches accompagnent fréquemment l’obliquité de direction produite par le redressement. La direction des couches est encore souvent modifiée par l’affaissement de leur partie médiane, ou, ce qui revient au même, par le soulèvement de leurs extrémités ; ou bien encore par le relèvement de leur partie médiane ou l’affaissement de leurs extrémités. Dans le premier cas, les couches deviennent concaves ; dans le second, elles deviennent convexes. Dans quelques circonstances, la même couche peut subir alternativement les deux effets ; elle est alors convexe dans une de ses parties et concave dans la portion suivante, et peut même affecter une disposition en éventail très remarquable si ces alternatives de soulèvement et d’affaissement se reproduisent un certain nombre de fois dans sa longueur. Sur ces couches diversement contournées, il n’est pas rare d’en voir d’autres disposées dans une horizontalité plus ou moins parfaite ; ce qui permet d’admettre que les secondes se sont déposées après que les premières avaient subi les bouleversements dont elles portent les marques indélébiles. On dit alors qu’il y a discordance de stratification, tandis qu’on désigne sous le nom de stratification concordante celle dans laquelle des couches de différentes natures et de différents âges sont disposées parallèlement et sans qu’on puisse les distinguer autrement que par leur nature ou par celle des fossiles qu’elles contiennent. Enfin, dans un grand nombre de localités, des couches horizontales, inclinées ou contournées se montrent coupées perpendiculairement à leur surface par des fentes ou failles, remplies d’une substance différente de celle qui les compose. Ces fentes peuvent avoir depuis quelques centimètres jusqu’à 10 et 15 mètres de largeur. Dans la plupart de ces cas, les couches brisées ne correspondent plus les unes aux autres dans le sens horizontal ; l’une des parties de la couche a été fortement relevée par rapport à l’autre.

Je n’insiste pas davantage sur ces faits, dont j’aurai à exposer plus bas la signification. Je reviens à Buffon.

Concordance des angles des montagnes. Parmi les faits qui ont attiré son attention et sur lesquels il a fondé sa théorie de l’évolution de la terre, nous avons vu figurer plus haut, à diverses reprises, celui de la correspondance des angles rentrants et des angles saillants des collines et des montagnes situées des deux côtés d’une vallée. Nous avons déjà reproduit[73] l’observation de ce phénomène faite par lui-même dans la vallée de Bar-le-Duc. Il ne fut pas le premier à attirer sur cette remarquable disposition des montagnes l’attention des savants. Avant lui, Bourguet en avait réuni un certain nombre d’exemples. « Personne, dit Buffon[74], n’avait découvert, avant M. Bourguet, la surprenante régularité de la structure de ces grandes masses : il a trouvé, après avoir passé trente fois les Alpes en quatorze endroits différents, deux fois l’Apennin, et fait plusieurs tours dans les environs de ces montagnes et dans le mont Jura, que toutes les montagnes sont formées dans leurs contours à peu près comme les ouvrages de fortification. Lorsque le corps d’une montagne va d’occident en orient, elle forme des avances qui regardent, autant qu’il est possible, le nord et le midi : cette régularité admirable est si sensible dans les vallons, qu’il semble qu’on y marche dans un chemin couvert fort régulier ; car si, par exemple, on voyage dans un vallon du nord au sud, on remarque que la montagne qui est à droite forme des avances, ou des angles qui regardent l’orient, et ceux de la montagne du côté gauche regardent l’occident, de sorte que néanmoins les angles saillants de chaque côté répondent réciproquement aux angles rentrants qui leur sont toujours alternativement opposés. Les angles que les montagnes forment dans les grandes vallées sont moins aigus, parce que la pente est moins raide et qu’ils sont plus éloignés les uns des autres ; et, dans les plaines, ils ne sont sensibles que dans le cours des rivières, qui en occupent ordinairement le milieu ; leurs coudes naturels répondent aux avances les plus marquées, ou aux angles les plus avancés des montagnes auxquelles le terrain, où les rivières coulent, va aboutir. Il est étonnant qu’on n’ait pas aperçu une chose si visible ; et lorsque, dans une vallée, la pente de l’une des montagnes qui la bordent est moins rapide que celle de l’autre, la rivière prend son cours beaucoup plus près de la montagne la plus rapide, et elle ne coule que dans le milieu. »

Un peu plus loin, il ajoute : « M. Bourguet, à qui on doit cette belle observation de la correspondance des angles des montagnes, l’appelle, avec raison, la clef de la théorie de la terre ; cependant il me paraît que, s’il en eût senti toute l’importance, il l’aurait employée plus heureusement en la liant avec des faits convenables, et qu’il aurait donné une théorie de la terre plus vraisemblable, au lieu que, dans son mémoire, il ne présente que le projet d’un système hypothétique dont la plupart des conséquences sont fausses ou précaires. »

Résumé de l’histoire de la terre d’après Buffon. En rapprochant tous ces faits, Buffon établit une histoire de la terre que je puis résumer de la façon suivante, à partir de la seconde phase, la première, déjà étudiée, répondant au refroidissement de la planète : Pendant que la surface de la terre se solidifie, l’eau et l’air s’en séparent ; l’eau est d’abord à l’état de vapeur suspendue en immense quantité dans l’atmosphère ; puis elle se précipite sur la terre et la recouvre d’un océan universel, dans lequel se développent d’innombrables organismes vivants. Ceux-ci se construisent, à l’aide des matériaux dissous dans l’eau, des coquilles calcaires qui tombent après leur mort dans le fond de la mer, s’y déposent en couches parallèlement superposées, très régulières, et forment, par leurs détritus, toutes les roches calcaires. Quant aux matières « vitrifiables », c’est-à-dire fusibles qui constituaient la surface primitive du globe, elles ont été délayées par l’eau de l’océan universel, entraînées par les courants, accumulées en certains points où elles ont formé des montagnes, tandis que des vallées étaient creusées dans ceux d’où elles étaient enlevées en plus grande quantité. C’est donc sous les eaux de l’océan primitif que se sont formées toutes les chaînes de montagnes, par accumulation des sédiments entraînés par les eaux et des débris des tests des animaux marins. C’est aussi sous les eaux de cet océan qu’ont été creusées les vallées qui séparent les montagnes, et ce creusement a été effectué par les courants sous-marins. Plus tard, des crevasses s’étant formées dans le fond de la mer, une grande partie des eaux de l’océan universel ont pénétré dans les cavernes dont est creusée la terre au-dessous de sa surface, cavernes produites pendant le refroidissement du globe, de la même façon que se forment des cavités dans une masse de fer que l’on fait fondre, bouillonner et refroidir au contact de l’air. Par l’abaissement consécutif du niveau des eaux, la surface de la terre s’est trouvée divisée en continents et en mers, mais son relief n’a pas cessé d’être modifié. Les courants sous-marins agissent sans cesse sur le fond des mers et le transforment, tandis que les pluies, les torrents, les ruisseaux, les rivières et les fleuves attaquent les continents, en minent la surface et en transportent les matériaux dans la mer.

Les sept périodes de Buffon. Telle est, en résumé, l’histoire de la terre écrite par Buffon dans ses deux remarquables œuvres : l’Histoire et théorie de la terre et les Époques de la nature. Dans le second de ces ouvrages, il divise l’histoire de la terre en sept périodes :

Pendant la première, la terre et les planètes ont pris la forme qu’elles ont aujourd’hui.

Pendant la seconde, la terre s’est consolidée et refroidie ; les matériaux qui entrent dans sa composition se sont agencés pour former « la roche intérieure du globe et les grandes masses vitrescibles de sa surface. » C’est pendant cette période que s’est formé le noyau des plus hautes montagnes.

La troisième époque répond à l’océan universel.

Pendant la quatrième, les eaux se sont abaissées, les continents ont apparu et les volcans ont commencé à agir.

Pendant la cinquième époque, les régions voisines des pôles sont suffisamment refroidies, quoique encore très chaudes, pour que les animaux y vivent en grand nombre, tandis qu’ils n’existent pas près de l’équateur, où règne une chaleur encore incompatible avec la vie.

La sixième époque répond à la séparation des continents ; d’abord tous unis, ils s’isolent alors les uns des autres pour affecter la disposition qu’ils ont aujourd’hui.

Pendant la septième époque, les hommes, jusqu’alors réduits à l’impuissance par la faiblesse de leur intelligence, s’unissent en sociétés, et contribuent, par une action continue et sans cesse plus énergique, à modifier la surface de la terre.




  1. Époques de la nature, t. II, p. 32
  2. Herschel, Astronomie, ch. iii.
  3. Principes de géologie, t. II, p. 259.
  4. De la formation des planètes, t. Ier, p. 80
  5. À l’époque de Buffon, on avait émis l’idée que la lumière zodiacale était due à l’atmosphère du soleil.
  6. J’ai déjà eu l’occasion de rappeler (p. 67) que, d’après les recherches spectroscopiques faites pendant ces dernières années, la chromosphère et la couronne du soleil sont formées de gaz incandescents, particulièrement d’hydrogène, et non de matières aqueuses comme le dit Buffon. Mais rien n’empêche d’admettre que l’hydrogène et l’oxygène qui, sans doute, existaient dans l’atmosphère des planètes, se soient combinés pour former de l’eau à la surface de ces astres, quand ceux-ci ont été suffisamment refroidis.
  7. On doit remarquer la façon dont Buffon explique ici l’origine de l’atmosphère et de l’eau qui enveloppent la terre. Il suppose que l’air et l’eau ont été enlevés au soleil autour duquel ils préexistaient avant la séparation des planètes. Cette opinion n’est pas admissible. La température du soleil, même actuellement, est trop élevée pour qu’on puisse supposer la présence de vapeurs d’eau et d’air dans la couronne ou dans la chromosphère. Ces corps n’ont pu se former à la surface de la terre qu’après son refroidissement. Nous reviendrons plus bas sur cette question.
  8. Voyez t. II, p. 40.
  9. Époques de la nature, t. II, p. 5.
  10. Buffon était convaincu que la chaleur du soleil n’exerce, à la surface de la terre, qu’une influence peu considérable relativement à celle de la chaleur intérieure du globe. C’est pour cela qu’il attribue les saisons à cette dernière. Il commettait en cela une erreur sur laquelle nous aurons à revenir plus bas.
  11. Époques de la nature, t. II, p. 6.
  12. Mémoires de l’Institut, t. VII.
  13. Principes de géologie, t. II, p. 263.
  14. T. Ier, p. 79.
  15. Nous reviendrons plus bas sur la densité comparée du centre et de la surface de la terre. Buffon la croyait égale dans les deux points ; il n’en est, en réalité, pas ainsi : le centre de la terre est plus dense que la surface.
  16. Époques de la nature, t. II, p. 75.
  17. T. Ier, p. 58.
  18. Revenant sur cette question, dans les Époques de la nature (t. II, p. 73), Buffon écrit : « Il est vrai que nous ne voyons pas d’assez près la composition intérieure de ces terribles bouches à feu pour pouvoir prononcer sur leurs effets en parfaite connaissance de cause ; nous savons que souvent il y a des communications souterraines de volcan à volcan ; nous savons seulement aussi que, quoique le foyer de leur embrasement ne soit peut-être pas à une grande distance de leur sommet, il y a néanmoins des cavités qui descendent beaucoup plus bas, et que ces cavités, dont la profondeur et l’étendue nous sont inconnues, peuvent être en tout on en partie remplies des mêmes matières que celles qui sont actuellement embrasées. »
  19. Histoire et théorie de la terre, t. Ier, p. 60.
  20. Époques de la nature, t. II, p. 73.
  21. Époques de la nature, t. II, p. 71.
  22. Principes de géologie, t. II, p. 234.
  23. Traité de géologie et de paléontologie, p. 142.
  24. Voyez plus haut, p. 97.
  25. Traité de géologie et de paléontologie, p. 185.
  26. Voyez une liste de ces actions dans Credner, Traité de géologie et de paléontologie, p. 190 et suiv.
  27. Principes de géologie, t. II, p. 301.
  28. Principes de géologie, t. II, p. 206
  29. Ibid., p. 298.
  30. Credner, Traité de géologie et de paléontologie, p. 156.
  31. Les passages que j’ai soulignés le sont aussi dans l’original.
  32. Ajoutons que Buffon croyait au parallélisme constant des couches de roches qui forment la surface de notre globe. Nous verrons plus bas que cette opinion est erronée.
  33. Histoire et théorie de la terre, t. Ier, p. 43.
  34. Histoire et théorie de la terre, t. Ier, p. 44.
  35. Époques de la nature, t. II, p. 39.
  36. Ibid., p. 40.
  37. Époques de la nature, t. II, p. 45.
  38. Ibid., p. 47.
  39. Poisson, Théorie mécanique de la chaleur.
  40. Voyez Lyell, Principes de géologie, t. II, p. 260.
  41. Époques de la nature, t. II, p. 4.
  42. Guillemin, Le Ciel, p. 180.
  43. Principes de géologie, t. II, p. 314.
  44. Époques de la nature, t. II, p. 29.
  45. Histoire et théorie de la terre, t. Ier, p. 35.
  46. Histoire et théorie de la terre, t. Ier, p. 40.
  47. Époques de la nature, t. II, p. 3.
  48. J’ai déjà insisté plus haut sur l’erreur commise par Buffon en ce qui concerne l’importance relative de la chaleur solaire et de la chaleur propre du globe, par rapport aux phénomènes qui se produisent à la surface du globe.
  49. Époques de la nature, t. II, p. 10.
  50. Observations de Lamoignon Malesherbes sur l’Histoire naturelle générale et particulière de Buffon et Daubenton, t. Ier, p. 135.
  51. Loc. cit., t. Ier, p. 260.
  52. Le titre exact est Telliamed, ou entretiens d’un philosophe indien avec un missionnaire français, mis en ordre sur les mémoires de feu M. Demaillet par J.-A. G***
  53. Buffon n’ignore ni ne tait le rôle joué par Palissy dans l’histoire des fossiles. Il cite (t. Ier, p. 119) le passage suivant de l’Histoire de l’Académie de Fontenelle, dans lequel se trouve dignement consignée la découverte de Bernard Palissy, et où pleine justice est rendue au mérite de ce savant aussi grand que modeste. Voici ce passage : « Un potier de terre, qui ne savait ni latin ni grec, fut le premier, vers la fin du xvie siècle, qui osa dire dans Paris et à la face de tous les docteurs, que les coquilles fossiles étaient de véritables coquilles déposées autrefois par la mer dans les lieux où elles se trouvaient alors ; que des animaux, et surtout des poissons, avaient donné aux pierres figurées toutes leurs différentes figures, etc., et il défia hardiment toute l’école d’Aristote d’attaquer ses preuves ; c’est Bernard Palissy, Saintongeois, aussi grand physicien que la nature seule en puisse former un : cependant son système a dormi près de cent ans, et le nom même de l’auteur est presque mort. Enfin, les idées de Palissy se sont réveillées dans l’esprit de plusieurs savants, elles ont fait la fortune qu’elles méritaient, on a profité de toutes les coquilles, de toutes les pierres figurées que la terre a fournies ; peut-être seulement sont-elles devenues aujourd’hui trop communes, et les conséquences qu’on en tire sont en danger d’être bientôt trop incontestables. »

    Les regrets introduits par Fontenelle dans cet éloge de Bernard Palissy, n’échapperont pas au lecteur.

    Buffon fait encore remarquer que l’opinion de Bernard Palissy avait déjà été émise par les anciens. « Je ne puis, dit-il, m’empêcher d’observer que le sentiment de Palissy avait été celle des anciens, notamment d’Hérodote, de Platon, de Sénèque, de Plutarque, d’Ovide, etc. »

  54. T. Ier, p. 40.
  55. T. II, p. 156.
  56. Ibid., t. II, p. 157.
  57. T. Ier, p. 119.
  58. Je ne puis me soustraire au désir de rappeler ici le passage relatif à Voltaire. Après avoir cité un grand nombre de localités, dans lesquelles se trouvent des coquilles fossiles en grand nombre, il ajoute : « En voilà assez pour prouver qu’en effet on trouve des coquilles de mer, des poissons pétrifiés et d’autres productions marines presque dans tous les lieux où on a voulu les chercher, et qu’elles y sont en prodigieuse quantité. « Il est vrai, dit-un auteur anglais (Tancred Robinson), qu’il y a eu quelques coquilles de mer dispersées çà et là sur la terre par les armées, par les habitants des villes et villages, et que La Loubère rapporte, dans son voyage de Siam, que les singes au cap de Bonne-Espérance s’amusent continuellement à transporter des coquilles du rivage de la mer au-dessus des montagnes, mais cela ne peut pas résoudre la question pourquoi ces coquilles sont dispersées dans tous les climats de la terre, et jusque dans l’intérieur des hautes montagnes, où elles sont posées par lits, comme elles le sont dans le fond de la mer. »

    « En lisant une lettre italienne sur les changements arrivés au globe terrestre, imprimée à Paris cette année (1746), je m’attendais à y trouver ce fait rapporté par La Loubère ; il s’accorde parfaitement avec les idées de l’auteur : les poissons pétrifiés ne sont, à son avis, que des poissons rares rejetés de la table des Romains, parce qu’ils n’étaient pas frais ; et à l’égard des coquilles ce sont, dit-il, les pèlerins de Syrie qui ont rapporté, dans le temps des croisades, celles des mers du Levant qu’on trouve actuellement pétrifiées en France, en Italie et dans les autres États de la chrétienneté ; pourquoi n’a-t-il pas ajouté que ce sont les singes qui ont transporté les coquilles au sommet des hautes montagnes et dans tous les lieux où les hommes ne peuvent habiter ? Cela n’eût rien gâté et eût rendu son explication encore plus vraisemblable ? Comment se peut-il que des personnes éclairées, et qui se piquent même de philosophie, aient encore des idées aussi fausses sur ce sujet ? Nous ne nous contenterons donc pas d’avoir dit qu’on trouve des coquilles pétrifiées dans presque tous les endroits de la terre où l’on a fouillé, et d’avoir rapporté les témoignages des auteurs d’histoire naturelle : comme on pourrait les soupçonner d’apercevoir, en vue de quelques systèmes, des coquilles où il n’y en a point, nous croyons devoir encore citer les voyageurs qui en ont remarqué par hasard, et dont les yeux moins exercés n’ont pu reconnaître que les coquilles entières et bien conservées : leur témoignage sera peut-être d’une plus grande autorité auprès des gens qui ne sont pas à portée de s’assurer par eux-mêmes de la vérité des faits, et de ceux qui ne connaissent ni les coquilles, ni les pétrifications, et qui, n’étant pas en état d’en faire la comparaison, pourraient douter que les pétrifications fussent en effet de vraies coquilles, et que ces coquilles se trouvassent entassées par millions dans tous les climats de la terre. »

  59. T. Ier, p. 132.
  60. T. Ier, p. 123.
  61. Époques de la nature, t. II, p. 33.
  62. Voyez plus haut, p. 128.
  63. T. Ier, p. 128.
  64. Voyez plus haut, p. 128.
  65. T. Ier, p. 112.
  66. Ibid., t. Ier, p. 112.
  67. Histoire et théorie de la terre, t. Ier, p. 114.
  68. Ibid., t. Ier, p. 114.
  69. Histoire et théorie de la terre, t. Ier, p. 114.
  70. Ibid., t. Ier, p. 115.
  71. Histoire et théorie de la terre, t. Ier, p. 115.
  72. Voyez plus haut, p. 129.
  73. Voyez plus haut, p. 141.
  74. Sur les inégalités de la surface de la terre, t. Ier, p. 139-140.