Œuvres complètes de Frédéric Ozanam, 3e édition/Volume 10/037

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Lecoffre (Œuvres complètes volume 10, 1873p. 204-205).

XXXVII
À M. DE LA NOUE.
Paris, 11 juin 1836.


Mon cher ami,

Je suis bien reconnaissant de la confidence poétique que vous voulez bien me faire. Votre idée me paraît fort belle, et je crois que vous avez tout ce qu’il faut pour la développer d’une manière puissante. Quant à moi, je ne pourrai vous donner des lumières sur le point obscur que vous me désignez. Outre ma propre insuffisance, il y a là des ténèbres que nul œil n’a jamais sondées. On ne sait rien, je crois, sur le monde antédiluvien, hormis ce que révèle la Genèse. Les deux races de Caïn et de Seth, leurs luttes primitives, leurs unions fatales, une nature plus vigoureuse et plus grande, des vies de plusieurs siècles, l’alliance de la force, de la science et du péché, tous trois à un état gigantesque :voilà les images qui se pressent imposantes entre la porte fermée de l’Éden et les cataractes ouvertes du déluge. Évoquez ces images, poëte, et elles vous obéiront ; elles se poseront lumineuses sur la scène que vous leur avez préparée. Le silence de l’histoire est la liberté de la poésie. J’irai vous voir dans quelques jours ; mais demain dimanche, à une lieue et demie de chez vous, une foule toute composée de vos amis se trouvera réunie pour faire cortège à la procession de Nanterre. Venez les rejoindre, mon cher de la Noue, venez passer avec nous ces quelques instants de foi et d’amour ; venez jeter les fleurs et t’encens de vos pensées sur le passage du Dieu Sauveur. Ensuite, nous aurons le temps de converser ensemble, cette journée se passera fraternellement, elle nous sera douce, elle ne sera point inutile même à vos travaux : vous trouverez des inspirations à ce rendezvous de la charité.