Œuvres complètes de Frédéric Ozanam, 3e édition/Volume 11/033

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Lecoffre (Œuvres complètes volume 11, 1873p. 223-225).

XXXIII
A M. L’ABBÉ OZANAM.
Paris, 15 mars 1848.


Mon cher frère,

Nous nous plaisons à te supposer bien installé chez ce prêtre éclairé et charitable, auprès de qui tu trouves les égards dont tu as besoin, et la société attachante qui te console un peu de ton exil. Nous espérons même que, les forces revenant, tu pourras reprendre quelques-unes de tes occupations pieuses et trouver quelque douceur à évangéliser cette classe ouvrière qui doit être si nombreuse à Lille et pour laquelle tu as constamment eu une si juste prédilection. J’ai toujours approuvé et maintenant je suis heureux d’avoir partagé ton penchant pour ces hommes laborieux, pauvres, étrangers aux délicatesses et aux politesses de ce qu’on appelle les gens bien élevés. Si un plus grand nombre de chrétiens et surtout d’ecclésiastiques s’étaient occupés des ouvriers depuis dix ans, nous serions plus sûrs de l’avenir, et toutes nos espérances reposent sur le peu qui s’est fait jusqu’ici. J’entre tout à fait dans ta pensée pour ce qui concerne le dimanche. Je vais rédiger moi-même un petit écrit sur cette question que je ferai distribuer et afficher, et peut-être sera-ce un moyen d’engager les ouvriers à faire une pétition sur ce point.

D’un autre côté, je vais avoir tout à l’heure a la maison une réunion de professeurs où l’on s’occupera de fonder des cours publics et une sorte d’école du soir pour ces braves gens. Les ecclésiastiques des Carmes nous prêteront leur concours, et Monseigneur nous donne un local. De ton côté, fais-moi savoir ce qui se fait dans ce genre à Lille; et aussi quels sont les députés que. les catholiques du département du Nord veulent porter à l’assemblée nationale.

Le premier devoir pour des chrétiens, c’est de ne pas s’effrayer, et le second de ne pas effrayer autrui, de, rassurer au contraire les esprits troublés, de leur faire considérer la crise présente comme un orage qui ne peut pas durer. La Providence est là, et jamais on ne voit qu’elle ait laissé se prolonger plus de quelques mois ces secousses financières qui ébranleraient l’ordre matériel des sociétés. Ne nous tourmentons pas trop du lendemain et ne nous disons pas: « Que mangerons-nous et de quoi nous habillerons-nous ? » Ayons du courage, cherchons la justice de Dieu et le bien du pays, et le reste nous sera donne par surcroît. Mais voilà un bien long sermon à un sermonneur ; mille tendresses de la part de tous ceux qui t’aiment ici.