Œuvres complètes de Frédéric Ozanam, 3e édition/Volume 11/059
Monsieur et cher ami,
En nous présentant chez vous mardi matin, ma femme et moi, nous n’avions qu’une pensée c’était de dissiper des inquiétudes que de mauvaises nouvelles nous avaient fait concevoir. Hélas ! Dieu venait précisément de vous envoyer cette cruelle épreuve ! Pleurez, monsieur et cher ami, car Dieu le permet et vos amis comprennent votre douleur. Que de fois j’ai vu pleurer ainsi mon père et ma mère, puisque sur quatorze enfants, le ciel ne leur en a laissé que trois Mais combien de fois aussi ces trois survivants, dans leurs chagrins et leurs périls, n’ont-ils pas compté sur les frères et sœurs qu’ils avaient parmi les anges ! Ah ! ceux-là sont bien aussi de la famille ; ils se rappellent à nous tantôt.. par des lumières, tantôt par des secours inattendus. Heureuses les maisons qui ont ainsi la moitié des leurs là-haut, pour faire la chaîne et tendre la main à ceux d’ici-bas ! Courage donc, monsieur ! Si Dieu récompense un verre d’eau froide donné en son nom, comment ne payera-t-il pas une coupe de larmes, versées avec résignation, avec respect, avec amour, pour ses volontés saintes ? Au milieu d’un chagrin si cuisant, vous me confondez et me touchez plus que je ne puis dire en vous intéressant encore à mes misérables affaires. Une seule chose maintenant doit occuper votre pensée. C’est la santé de madame de Champagny. Croyez que les faibles prières de vos amis ne lui manqueront pas. Il y a des trésors de courage dans ’ le cœur des mères chrétiennes. Et puis n’y a-t-il pas pour elles quelque consolation à se dire qu’elles ont ajouté à cette couronne de petits innocents dont Notre-Seigneur a voulu s’entourer dans le ciel en mémoire de son enfance sur la terre ?
Grex immolatorum tener,
Aram sub ipsam simplices,
Palma et coronis luditis.
Adieu, adieu, monsieur, mon cœur et celui de ma femme sont bien pénétrés de vos peines.
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