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Œuvres d’histoire naturelle de Goethe/Introduction générale à l’anatomie comparée basée sur l’ostéologie

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INTRODUCTION GÉNÉRALE
À
L’ANATOMIE COMPARÉE,
BASÉE SUR L’OSTÉOLOGIE.

(janvier 1795.)
Séparateur

I.

De l’utilité de l’anatomie comparée et des obstacles qui s’opposent à ses progrès.

L’histoire naturelle se fonde, en général, sur la comparaison des objets.

Les caractères extérieurs sont essentiels, mais non pas suffisants pour différencier ou réunir les êtres organisés.

L’anatomie est aux corps organisés ce que la chimie est aux substances inorganiques.

L’anatomie comparée fournit matière aux considérations les plus variées, et nous force à examiner les êtres organisés sous une foule de points de vue.

La zootomie doit toujours marcher de front avec l’étude de l’homme.

La structure et la physiologie du corps humain ont été singulièrement avancées par les découvertes qu’on a faites sur les animaux.

La nature a doué les animaux de qualités diverses : leur destination n’est pas la même, et chacun d’eux présente un caractère tranché.

Leur organisation est simple, réduite au stricte nécessaire, quoique leur corps soit souvent d’un volume exagéré.

L’homme nous présente sous un petit volume une structure compliquée ; ses organes importants occupent peu d’espace, et leurs divisions sont plus nombreuses ; ceux qui sont distincts sont rattachés ensemble par des anastomoses.

Dans l’animal, l’animalité avec tous ses besoins et ses rapports immédiats est évidente aux yeux de l’observateur.

Dans l’homme, l’animalité semble appelée à de plus hautes destinées, et reste dans l’ombre pour les yeux du corps comme pour ceux de l’esprit.

Les obstacles qui s’opposent aux progrès de l’anatomie comparée sont nombreux ; c’est une science sans bornes, et l’esprit se lasse d’étudier empiriquement un sujet aussi vaste et aussi varié. Jusqu’ici les observations sont restées isolées comme on les avait faites.

On ne pouvait s’entendre sur la terminologie ; les savants, les écuyers, les chasseurs, les bouchers, etc., se servaient de dénominations différentes.

Personne ne croyait à la possibilité d’un point de ralliement autour duquel on aurait groupé ces objets, ou d’un point de vue commun sous lequel on aurait pu les envisager.

Dans cette science, comme dans les autres, les explications n’avaient pas été soumises à une critique suffisamment éclairée. Tantôt on s’attachait servilement au fait matériel, tantôt on s’éloignait de plus en plus de l’idée vraie d’un être vivant en ayant recours aux causes finales. Les idées religieuses étaient un obstacle du même genre, parce que l’on voulait que chaque chose tournât à la plus grande gloire de Dieu. On se perdait en spéculations vides de sens sur l’âme des animaux, etc.

Il faut déjà un travail immense pour étudier l’anatomie de l’homme jusque dans ses plus petits détails ; d’ailleurs cette étude rentrait dans celle de la médecine, et peu de savants s’y livraient exclusivement. Un plus petit nombre encore avaient assez d’ardeur, de temps, de fortune et de moyens matériels pour entreprendre des travaux importants et suivis en anatomie comparée.

II.

De la nécessité d’établir un type pour faciliter l’étude de l’anatomie comparée.

L’analogie des animaux entre eux et des animaux avec l’homme est d’une évidence telle, qu’elle a été universellement reconnue ; mais dans certains cas particuliers il est difficile de la saisir, et souvent on l’a méconnue et même niée formellement. Aussi serait-il difficile de concilier les opinions souvent divergentes des observateurs ; car on n’a pas de règle fixe (Norm) pour estimer les différentes parties, ni une série de principes pour le guider dans ce labyrinthe.

On comparait les animaux avec l’homme et les animaux entre eux, et, après beaucoup de labeur, on n’avait que des résultats partiels, qui, multipliés indéfiniment, mettaient l’observateur dans l’impossibilité absolue d’embrasser l’ensemble des choses. Dans Buffon on trouve de nombreux exemples à l’appui de cette assertion, dont les Essais de Josephi[1], et de plusieurs autres, sont venus confirmer la vérité ; car il aurait fallu comparer chaque animal avec tous les autres, et tous les animaux entre eux. On voit que cette voie n’aurait jamais conduit à une solution satisfaisante (1).

Je propose donc d’établir un type anatomique, un modèle universel contenant, autant que possible, les os de tous les animaux, pour servir de règle en les décrivant d’après un ordre établi d’avance. Ce type devrait être établi, en ayant égard, autant que possible, aux fonctions physiologiques. L’idée d’un type universel emporte nécessairement avec elle une autre idée ; savoir, celle de la non-existence de ce type de comparaison comme être vivant, car la partie ne peut être l’image du tout.

L’homme, dont l’organisation est si parfaite, ne saurait, à cause de cette perfection même, servir de point de comparaison aux animaux inférieurs. Il faut au contraire procéder de la manière suivante :

L’observation nous apprend quelles sont les parties communes à tous les animaux, et en quoi ces parties diffèrent entre elles ; l’esprit doit embrasser cet ensemble, et en déduire par abstraction un type général dont la création lui appartienne. Après avoir établi ce type, on peut le considérer comme provisoire, et l’essayer au moyen des méthodes de comparaison ordinaires. En effet, on a toujours comparé les animaux entre eux, les animaux avec l’homme, les races humaines entre elles, les deux sexes, les extrémités supérieures avec les extrémités inférieures, ou bien des organes secondaires entre eux ; par exemple, une vertèbre avec une autre.

Le type une fois construit, ces comparaisons toujours possibles n’en seront que plus logiques, et exerceront une influence heureuse sur l’ensemble de la science, en servant de contrôle aux observations déjà faites, et en leur assignant leur véritable place.

Le type existant, on procède par voie de double comparaison. D’abord on décrit des espèces isolées d’après le type ; cela fait, ou n’a plus besoin de comparer un animal à un autre, il suffit de mettre les deux descriptions en regard pour que le parallèle s’établisse de lui-même. On peut encore suivre les modifications d’un même organe dans les principaux genres, étude des plus fertiles en conséquences importantes. La plus scrupuleuse exactitude est indispensable dans ces monographies, et pour celle de ce dernier genre, il serait nécessaire que plusieurs observateurs missent leurs travaux en commun. Tous s’entendraient pour suivre un ordre établi, et un tableau synoptique faciliterait la partie pour ainsi dire mécanique du travail ; alors l’étude approfondie des plus insignifiants organes, profiterait à tout le monde. Dans l’état actuel des choses, chacun est obligé de recommencer les choses ab ovo.

III.

Du type en général.

Dans tout ce qui précède, nous n’avons guère parié que de l’anatomie des mammifères, et des moyens de la faire avancer ; mais il faut, si nous voulons établir un type animal, porter nos regards plus loin dans le monde organisé, car sans cela nous ne pourrions pas même établir le type général des mammifères ; et d’ailleurs si nous voulons en déduire plus tard, par des modifications rétrogrades, la forme des animaux inférieurs, il faut bien avoir en vue la nature tout entière.

Tous les êtres qui présentent un certain degré de développement sont divisés en trois parties : voyez les insectes ; leur corps présente trois sections qui exercent des fonctions différentes, mais réagissent les unes sur les autres parce qu’elles sont liées entre elles, et représentent un organisme placé assez haut dans l’échelle des êtres. Ces trois parties sont : la tête, le thorax et l’abdomen ; les organes appendiculaires paraissent disposés sur elles d’une manière variée.

La tête occupe la partie antérieure : c’est le point de concours des organes des sens ; le cerveau, formé par la réunion de plusieurs ganglions nerveux, règle et concentre ces moteurs tout-puissants. La partie moyenne, le thorax, contient les organes de la vie intérieure (intern lebensantriebes) qui agissent sans cesse de dedans en dehors ; ceux de la vie végétative (innern lebensanstosses) sont moins développés parce que, dans ces animaux, chaque section est évidemment douée d’une vie qui lui est propre. La partie postérieure ou l’abdomen est occupé par les organes de la nutrition, de la reproduction, et de la sécrétion des liquides peu élaborés.

La séparation des trois parties ou leur réunion par des tubes filiformes, est l’indice d’une organisation très compliquée ; aussi la métamorphose de la chenille en insecte parfait consiste-t-elle principalement dans la séparation successive des systèmes qui, renfermés dans la chenille sous une enveloppe commune, étaient inactifs et nullement accusés au dehors ; mais lorsque le développement est achevé, lorsque les fonctions s’accomplissent parfaitement chacune dans leur sphère, alors l’être est véritablement vivant et actif, car la destination diverse, les sécrétions variées de ces systèmes organiques, les rendent enfin capables de se reproduire.

Dans les animaux parfaits, la tête est séparée du thorax d’une manière plus ou moins apparente ; mais la seconde section est réunie à la dernière par la colonne vertébrale et une enveloppe commune ; l’anatomie nous fait voir qu’il existe de plus un diaphragme entre elles.

La tête est munie d’organes appendiculaires nécessaires à la préhension des aliments ; ce sont tantôt des pinces séparées, tantôt une paire de mâchoires plus ou moins parfaitement soudées. La partie moyenne porte, dans les animaux inférieurs, un grand nombre d’organes accessoires tels que des pattes, des ailes et des élytres ; dans les animaux plus parfaits des bras ou des membres antérieurs, la partie postérieure est privée d’organes appendiculaires dans les insectes, mais dans les animaux supérieurs où les deux systèmes sont rapprochés et confondus, les derniers appendices appelés jambes, se trouvent à la partie postérieure de la dernière brisure ; cette disposition s’observe dans tous les mammifères : tout-à-fait en arrière on observe aussi un prolongement, la queue, indice évident qu’un système organique pourrait se continuer pour ainsi dire à l’infini.

IV.

Application du type général à des êtres individuels.

Les organes d’un animal, leurs rapports entre eux, leurs propriétés spéciales, déterminent ses conditions d’existence. De là, les mœurs tranchées mais invariablement limitées des genres et des espèces.

En considérant avec la notion d’un type, ne fût-il qu’ébauché, les animaux supérieurs appelés mammifères, on trouve que la nature est circonscrite dans son pouvoir créateur, quoique les variétés de formes soient à l’infini à cause du grand nombre des parties et de leur extrême modificabilité.

Si nous examinons attentivement un animal, nous verrons que la diversité de formes qui le caractérise, provient uniquement de ce que l’une de ses parties devient prédominante sur l’autre. Ainsi, dans la giraffe, le cou et les extrémités sont favorisés aux dépens du corps, tandis que le contraire a lieu dans la taupe. Il existe donc une loi en vertu de laquelle une partie ne saurait augmenter de volume qu’aux dépens d’une autre, et vice versâ. Telles sont les barrières dans l’enceinte desquelles la force plastique se joue de la manière la plus bizarre et la plus arbitraire sans pouvoir jamais les dépasser ; cette force plastique règne en souveraine dans ces limites, peu étendues, mais suffisantes à son développement. Le total général au budget de la nature est fixé ; mais elle est libre d’affecter les sommes partielles à telle dépense qu’il lui plaît. Pour dépenser d’un côté, elle est forcée d’économiser de l’autre, c’est pourquoi la nature ne peut jamais ni s’endetter ni faire faillite (2).

Essayons de nous guider, au moyen de ce fil conducteur, dans le labyrinthe de l’organisation animale, et nous verrons qu’il nous conduira jusqu’aux êtres organisés les plus amorphes. Appliquons-le d’abord à la forme, en manière d’essai, pour nous en servir plus tard dans l’étude des fonctions.

L’animal, pris isolément, est à nos yeux un petit monde, qui existe par lui-même et pour lui-même. Chaque être renferme en lui la raison de son existence ; toutes les parties réagissant les unes sur les autres, il résulte de cette action réciproque que le cercle de la vie se renouvelle sans cesse ; aussi chaque animal est-il physiologiquement parfait.

Aucun organe considéré en se plaçant au centre de l’animal, n’est inutile, ou bien, comme on se l’imagine souvent, le produit accidentel de la force plastique ; à l’extérieur, certaines parties peuvent paraître superflues parce qu’elles ne sont en rapport qu’avec l’organisation intérieure, et que la nature s’est peu inquiétée de les mettre en harmonie avec les parties périphériques. Désormais on ne se demandera plus à propos de ces parties, les canines du Sus babirussa[2], par exemple, à quoi servent-elles ? mais d’où proviennent-elles ? On ne soutiendra plus que le taureau a des cornes pour pousser, mais on recherchera pourquoi il a les cornes dont il se sert pour pousser. Le type que nous allons construire et analyser dans tous ses détails, est invariable dans son ensemble, et les classes supérieures des animaux, les mammifères, par exemple, montrent, malgré la diversité de leurs formes, un accord parfait dans leurs différentes parties.

Mais tout en nous attachant constamment à ce qui est constant, nous devons faire varier nos idées quand il s’agit d’organes variables, afin de pouvoir suivre habilement le type dans toutes ses métamorphoses, et ne jamais laisser échapper ce protée toujours changeant.

Si l’on demande quelles sont les circonstances qui déterminent une destination si variable, nous répondrons que les modificateurs ambians agissent sur l’organisme, qui s’accommode à leur influence. De là sa perfection intérieure, et l’harmonie que présente l’extérieur avec le monde objectif.

Pour rendre palpable en quelque sorte l’idée de la balance parfaite qui existe entre les additions et les soustractions de la nature, nous rapporterons quelques exemples. Les serpents occupent une place très élevée parmi les êtres organisés ; ils ont une tête distincte, munie d’un organe appendiculaire parfait, c’est-à-dire d’une mâchoire réunie sur la ligne médiane ; mais leur corps se prolonge pour ainsi dire à l’infini, parce qu’il n’y a ni matière, ni force employée pour les organes accessoires. Du moment que ceux-ci apparaissent dans le lézard, qui n’a que des jambes et des bras très courts, ce prolongement indéfini du tronc s’arrête, et le corps se raccourcit. Le développement des membres postérieurs de la grenouille réduit son corps à une longueur proportionnelle très petite, et celui du crapaud difforme s’élargit en vertu de la même loi.

Il s’agit de savoir maintenant jusqu’à quel point on peut poursuivre ce principe à travers toute la série des classes, des genres et des espèces, afin de s’assurer de sa généralité, et de l’appliquer ensuite à l’étude exacte et minutieuse des détails.

Mais d’abord il faudrait déterminer comment les différentes forces élémentaires de la nature agissent sur le type, et jusqu’à quel point il s’accommode pour ainsi dire aux circonstances extérieures.

L’eau gonfle les corps qu’elle touche, qu’elle entoure, ou dans lesquels elle pénètre ; ainsi le tronc du poisson et en particulier sa chair sont tuméfiés, parce qu’il vit dans cet élément. Aussi, d’après les lois du type organique, les extrémités ou les organes appendiculaires sont-ils forcés de se contracter en même temps que le corps se dilate ; sans parler des modifications que doivent subir par la suite les autres organes.

L’air dessèche, puisqu’il s’empare de l’eau, et le type qui s’y développe doit être d’autant plus sec, que l’air ambiant est lui-même plus sec et plus pur ; nous aurons alors un oiseau plus ou moins maigre, et il reste à la force plastique assez de substance et de force pour recouvrir le squelette de muscles vigoureux, et donner aux organes appendiculaires un vaste développement ; ce qui, dans le poisson, est employé pour la chair, reste ici pour les plumes. C’est ainsi que l’aigle est formé par l’air pour l’air, par les montagnes pour les montagnes. Le cygne, le canard, qui sont des espèces d’amphibies, trahissent leur affinité pour l’eau déjà par leur forme. C’est un sujet digne de méditation de voir combien la cigogne, le héron, montrent tout à la fois leur double vocation pour les deux éléments.

L’influence du climat, de la hauteur, de la chaleur et du froid, jointe à celle de l’eau et de l’air, est très puissante sur la formation des mammifères. La chaleur et l’humidité enflent les corps et produisent dans les limites mêmes du type les monstres les plus inexplicables en apparence, tandis que la chaleur et la sécheresse engendrent les êtres les plus parfaits, les plus accomplis, quoiqu’ils soient fort différents de l’homme ; tels sont les lions et les tigres. On peut même dire qu’un climat chaud suffit pour communiquer quelque chose d’humain aux organisations imparfaites, témoin les singes et les perroquets.

Le type est comparable avec lui-même dans ses diverses parties, l’on peut comparer les parties molles aux parties dures ; ainsi, par exemple, les organes de la nutrition et de la génération paraissent nécessiter une plus grande dépense de force que ceux du mouvement et du sentiment. Le cœur et le poumon sont fixés dans une cage osseuse, tandis que l’estomac, les intestins et la matrice flottent dans une enveloppe de parties molles. On voit clairement l’indication d’une colonne sternale opposée à la colonne vertébrale ; mais le sternum, qui est antérieur chez l’homme et inférieur dans les animaux, est faible et court comparé à la colonne épinière. Les vertèbres sont allongées, minces et aplaties, et tandis que la colonne vertébrale porte des côtes vraies ou fausses, la colonne sternale n’est en rapport qu’avec des cartilages. Elle semble donc avoir sacrifié une partie de sa solidité aux organes splanchniques supérieurs, et disparaître en face des viscères abdominaux, de même que la colonne vertébrale immole les fausses côtes des vertèbres lombaires au développement des viscères voisins, dont l’importance est si grande.

Si nous appliquons cette loi à des phénomènes analogues, nous verrons qu’elle en expliquera plusieurs d’une manière satisfaisante. La matrice est l’organe capital chez la femelle, qui n’existe que pour lui. Elle occupe une place considérable au milieu des intestins, et a les propriétés d’extension, de contraction et d’attraction les plus énergiques. Aussi la force plastique semble-t-elle, dans les animaux supérieurs, avoir tout dépensé pour cet organe, de façon qu’elle est obligée de procéder avec parcimonie quand il s’agit des autres. C’est ainsi que je m’explique la beauté moins parfaite des femelles dans les animaux ; les ovaires avaient tant absorbé de substance, qu’il ne restait plus rien pour l’apparence extérieure. Dans la suite de ce travail nous rencontrerons beaucoup de ces faits, que nous ne faisons qu’indiquer ici d’une manière générale.

Enfin, de proche en proche, nous nous élevons jusqu’à l’homme, et il s’agit de savoir s’il est sur le degré le plus élevé de l’échelle animale, et à quelle époque il s’y est trouvé placé. Espérons que notre fil conducteur ne nous abandonnera pas dans ce labyrinthe, et qu’il nous dévoilera les motifs des déviations et des perfections de la forme humaine (3).

V.

Du type ostéologique en particulier.

On ne pourra décider si toutes ces idées s’appliquent à l’étude de l’anatomie qu’après avoir considéré d’abord isolément les différents organes des animaux pour les comparer ensuite entre eux. C’est aussi à l’expérience qu’il appartient de prononcer sur la méthode suivant laquelle nous disposons ces parties.

Le squelette est évidemment la charpente qui détermine la forme des animaux. Sa connaissance facilite celle de toutes les autres parties ; il y aurait sans doute ici bien des points à discuter, il faudrait se demander comment on a étudié jusqu’à présent l’ostéologie humaine ; nous aurions aussi quelque chose à dire sur les partes proprias et improprias, mais nous nous bornerons pour cette fois à de laconiques aphorismes.

Nous soutiendrons d’abord, sans crainte d’être démentis, que les divisions du squelette humain sont purement arbitraires. Dans leurs descriptions les auteurs ne sont pas d’accord sur le nombre des os qui composent chaque région, et chacun d’eux les a décrits et classés à sa manière.

Il faudrait établir ensuite jusqu’à quel point les travaux multipliés des anatomistes ont avancé l’ostéologie générale des mammifères. Le jugement de Camper sur les principaux écrits d’ostéologie comparée, faciliterait singulièrement ces recherches.

En général, on acquerra la conviction que l’absence d’un type et de ses divisions a jeté la plus grande confusion dans l’ostéologie comparée. Coiter, Duverney, Daubenton et d’autres, ont souvent pris un organe pour un autre ; erreur inévitable dans toutes les sciences et très pardonnable dans celle-ci.

Des idées rétrécies avaient jeté de profondes racines ; on ne voulait pas que l’homme eût un os intermaxillaire supérieur, afin d’avoir un caractère différentiel de plus entre lui et le singe. On ne s’apercevait point qu’en niant d’une manière indirecte l’existence d’un type, on descendait du point de vue élevé l’on aurait pu se placer. On prétendit aussi, pendant quelque temps que la défense de l’éléphant était implantée dans l’intermaxillaire, tandis qu’elle appartient invariablement à la mâchoire supérieure. Un observateur attentif verra très bien qu’une lamelle qui se détache de l’os maxillaire contourne cette énorme canine, et que tout est disposé suivant la règle invariable établie par la nature.

Nous avons dit que l’homme ne pouvait être le type de l’animal, ni l’animal celui de l’homme ; il s’agit donc de construire cet intermédiaire que nous établissons entre eux et de motiver peu à peu notre manière de procéder.

Il est d’abord indispensable de rechercher et de noter tous les os qui peuvent s’offrir à nous ; nous y arriverons en examinant les espèces d’animaux les plus diverses, d’abord à l’état de fœtus, puis dans leurs développements successifs.

Considérons le quadrupède comme il se présente à nous, la tête en avant ; commençons par construire le crâne, puis les autres parties. Nous donnerons à fur et à mesure les motifs, les considérations, les observations qui nous ont dirigé ; ou bien nous les laisserons deviner à la sagacité du lecteur pour les développer par la suite. Passons donc immédiatement à l’établissement du type en général.

VI.

Composition et divisions du type ostéologique.

A. La tête.
a. Ossa intermaxillaria.

b. Ossa maxillæ superioris.

c. Ossa palatina.
Ces os peuvent se comparer entre eux sous plus d’un point de vue ; ils constituent le squelette de la face de la partie antérieure de la tête, et de la voûte palatine. On observe une certaine analogie dans leurs formes ; ce sont les premiers os qui se présentent à l’observateur lorsqu’il examine un quadrupède d’avant en arrière ; de plus, les os maxillaires et intermaxillaires dévoilent à eux seuls les mœurs de l’animal, puisque leur configuration détermine la nature de ses aliments.
d. Ossa zygomatica.
e. Ossa lacrymalia.
Ils sont placés sur les précédents, achèvent la face et complètent le bord inférieur de la cavité orbitaire.
f. Ossa nasi.
g. Ossa frontis.
Ces os forment un toit qui recouvre les autres, ainsi que la voûte de la cavité orbitaire ; ils entourent les fosses nasales, et protègent les lobes cérébraux antérieurs.

h. Os sphenoideum anterius.

En arrière et en bas, il est la clef de tout l’édifice que nous venons de construire ; c’est sur lui que repose la base des lobes antérieurs du cerveau, et il donne issue à plusieurs nerfs importants. Dans l’homme, le corps de cet os est toujours intimement soudé avec le corps du sphénoïde postérieur.
i. Os ethmoideum,

k. Conchæ,

l. Vomer,
sont les organes spéciaux de l’odorat.

m. Os sphenoideum posterius.

Il s’accole au sphénoïde antérieur. On voit que la base du crâne est presque complétée.

n. Ossa temporum,

sont les parois du crâne, et se soudent antérieurement avec les ailes du sphénoïde.

o. Ossa bregmatis, sive parietalia,

forment la partie supérieure de la voûte.

p. Basis ossis occipitis,

est l’analogue des sphénoïdaux.

q. Ossa lateralia,

constituent des parois, comme les temporaux.

r. Os lambdoideum.

Il complète la boîte osseuse du crâne et peut être assimilé aux pariétaux.

s. Ossa petrosa.

Ces os renferment les organes de l’audition, et s’enchâssent dans l’espace vide laissé par les autres os.

Ici se termine l’énumération des parties osseuses qui forment le crâne et dont aucune n’est mobile.

t. Ossicula auris.

Si je voulais développer ce sujet, je ferais voir que ces divisions existent réellement, et qu’il y a même des subdivisions ; j’insisterais sur les proportions relatives des os, leurs rapports mutuels et leur influence réciproque, ainsi que celle des organes internes et externes ; c’est ainsi que, tout en construisant le type, je prouverais sa réalité par des exemples.

B. Le tronc.

I. Spina dorsalis.

a. Vertebræ colli.
Le voisinage de la tête agit sur les vertèbres du cou, surtout sur les premières.
b. Dorsi.
Elles portent des côtes, et sont plus petites que celles des
c. Lumborum,
qui sont libres, tandis que celles du
d. Pelvis,
sont modifiées par leur enclavement dans le bassin.
e. Caudæ.
Leur nombre est variable.
Costæ.
veræ.
spuriæ.

II. Spina pectoralis,

Sternum,
Cartilagines.
La comparaison de la colonne vertébrale et du sternum, des côtes et des cartilages, donne lieu à des considérations intéressantes.

C. Organes appendiculaires.

1. Maxilla inferior.
2. Brachia,
affixa sursum vel retrorsum.
Scapula,
deorsum vel antrorsum.
Clavicula.
Humerus.
Ulna, radius.
Carpus.
Metacarpus.
Digiti.
Formes, proportions, nombres.
3. Pedes,
affixi sursum vel adversum.
Ossa ilium.
Ossa ischii,
deorsum vel antrorsum.
Ossa pubis.
Femur, patella.
Tibia, fibula.
Tarsus.
Metatarsus.
Digiti.
Ossa interiora :
Os hyoïdes.
Cartilagines, plus vel minus ossificatæ.

VII.

De la méthode suivant laquelle il faut décrire les os isolés.

Réponse à deux questions.

1o Trouvons-nous dans tous les animaux les os que nous avons signalés dans le type ?

2o Comment reconnaître leur identité ?

Difficultés.

L’ostéogénie varie,

a. par extension ou resserrement,
b. par la soudure des os,
c. dans les limites de chaque os,
d. dans leur nombre,
e. dans leur grandeur,
f. dans leur forme, qui est
simple ou composée,
ramassée ou développée,
strictement suffisante ou exubérante,
parfaite, mais isolée, ou soudée et atrophiée.
Avantages.

L’ostéogénie est constante,

a. en ce qu’un même os est toujours à la même place,
b. en ce qu’il a toujours la même destination.

La première question peut donc se résoudre affirmativement, en tenant compte des difficultés et des conditions énoncées ci-dessus.

La seconde question est susceptible de solution, si nous savons user de nos avantages. Aussi faut-il procéder de la manière suivante :

1o Chercher chaque os à la place qu’il doit occuper.

2o Sa position nous apprendra quelle est sa destination.

3o Déterminer la forme qu’il peut et doit avoir en général pour remplir cette destination.

4o Déduire les déviations de forme possibles de l’observation et de l’idée que nous avons conçue.

5o Présenter pour chaque os le tableau synoptique de ces déviations, rangées suivant un ordre qui sera toujours le même.

C’est ainsi qu’après avoir retrouvé les os qui se dérobent à notre vue, nous pourrons établir la loi qui préside à leur variation de forme, et faciliter leur examen comparatif.

A. Développement et délimitation du système osseux en général.

Nous venons de tracer l’esquisse du type ostéologique, et de déterminer l’ordre suivant lequel nous allons examiner les parties dont il se compose. Mais avant de passer aux détails, avant de nous prononcer sur la destination de chacun des os en particulier, nous ne nous dissimulerons pas les obstacles qui nous attendent.

La construction d’un type normal, que nous ne perdrons jamais de vue en décrivant ou appréciant les os des mammifères, suppose nécessairement que la nature est conséquente avec elle-même, et que dans les cas particuliers elle procède suivant certaines règles préétablies. Cette vérité est incontestable ; car un coup d’œil rapide jeté sur le règne animal nous a convaincu qu’il existe un dessin primitif qu’on retrouve dans toutes ces formes si diverses.

Mais la nature n’aurait pas pu les diversifier ainsi à l’infini, si elle n’avait pas un espace suffisant dans lequel elle puisse se jouer, pour ainsi dire, sans sortir des limites de la loi. Il s’agit donc de déterminer, avant tout, en quoi la nature se montre variable dans la formation des os, et en quoi elle est constante ; ceci une fois bien établi, nous pourrons tracer les caractères généraux auxquels nous reconnaîtrons un os dans toute la série animale.

La nature varie dans l’extension qu’elle donne au système osseux et dans les limites qu’elle lui assigne.

On ne peut pas considérer le système osseux isolément, car il fait partie d’un système organique complet. Il est en connexion avec les parties molles ou presque molles, telles que les cartilages, par exemple. Les autres tissus ont plus ou moins d’affinité avec ce système, et quelques uns même peuvent se solidifier. Ceci devient évident par l’étude de l’ostéogénie, qui fait voir que dans le fœtus ou l’animal qui vient de naître, on aperçoit d’abord des membranes, puis des cartilages, puis enfin des os. Chez les vieillards, certains organes, qui n’appartiennent pas au squelette, s’ossifient, et il en résulte une espèce d’extension du système osseux.

La nature s’est, pour ainsi dire, réservé la même licence dans la formation de certains animaux ; elle dépose des masses osseuses là, où chez les autres il n’existe que des tendons et des muscles. Ainsi, dans quelques mammifères, le cheval et le chien, par exemple, la portion cartilagineuse de l’apophyse styloïde du temporal est en connexion avec un os qui ressemble à une petite côte, et dont la signification est encore à déterminer. L’ours, les chauves-souris, ont un os qui occupe le milieu du membre viril. On pourrait citer beaucoup de faits analogues.

Quelquefois la nature semble aussi imposer au système osseux des limites plus étroites ; ainsi la clavicule manque chez beaucoup d’animaux (4). À cette occasion, l’esprit a peine à suffire au nombre immense de considérations dont il est accablé, et qu’il serait hors de propos de rappeler ici. On se demanderait pourquoi l’ossification est arrêtée par certaines limites fixes qu’elle ne dépasse jamais, comme on le voit dans les os, les cartilages et les membranes du larynx. C’est avec intérêt que nous examinerons par la suite ces animaux où la nature a jeté des masses osseuses à la périphérie, comme dans certains poissons et certains amphibies, dans les tortues, par exemple, où les parties molles de l’extérieur deviennent dures et osseuses.

Mais nous ne devons pas abandonner notre sujet dans ce moment, ni oublier que les parties liquides, molles et dures de l’économie doivent être considérées comme un seul tout, et que la nature peut à son gré les modifier dans un sens ou dans l’autre.

B. Différences dans les soudures.

Si l’on cherche à retrouver dans les différents animaux tous les os dont nous avons parlé, on voit qu’ils sont quelquefois réunis, d’autres fois séparés ; ces différences s’observent, non seulement de genre à genre, mais encore d’espèce à espèce, d’individu à individu, et même dans les différents âges d’un même individu. On ne s’est pas encore rendu compte de toutes ces différences. Ce sujet n’ayant pas été, que je sache, suffisamment approfondi, il en est résulté que les descriptions du corps humain ne s’accordent pas. Ces différences sont peu importantes et peu préjudiciables, à cause de l’étroitesse du cadre ; mais si nous voulons appliquer nos études ostéologiques à tous les mammifères, les étendre ensuite aux autres classes, telles que les oiseaux et les reptiles, et même les suivre dans toute la série animale ; alors il nous faut procéder autrement, et, comme dit le proverbe, bien distinguer pour bien enseigner.

Il est généralement connu que l’on trouve un plus grand nombre d’os chez l’enfant nouveau-né que chez l’adulte, et que celui-ci en présente plus aussi que le vieillard. Si l’habitude ne nous avait familiarisés avec une méthode vicieuse, nous serions étonnés de voir quel empirisme aveugle a jusqu’ici présidé à la description des os du squelette humain en général, et de la tête en particulier. On choisit une tête dont l’âge n’est pas déterminé, on disjoint ses os par des moyens mécaniques ; et tout ce qui peut se séparer ainsi est considéré comme une des parties dont la réunion constitue l’ensemble céphalique. Tandis que dans les autres systèmes, tels que le musculaire, le nerveux, le vasculaire, on poursuivait les organes dans leurs dernières subdivisions, on s’est contenté pour les os d’un coup d’œil superficiel. Quoi de plus contraire au bon sens et à la connaissance que nous avons des usages de l’os temporal et de l’os pétreux, que de les décrire ensemble ! Et cependant cela se fait encore tous les jours ; tandis que l’ostéologie comparée prouve que non seulement on doit décrire l’os pétreux séparément, si l’on veut se faire une idée juste de l’organe de l’ouïe, mais encore que l’os temporal doit être considéré comme composé de deux portions distinctes.

Ces soudures des os, comme nous le verrons par la suite, ne sont pas le produit du hasard, car le hasard n’a aucune part à la formation des êtres organisés ; elles sont au contraire soumises à des lois, difficiles, il est vrai, à découvrir, plus difficiles encore à appliquer. Le type nous ayant fait connaître tous les os, il nous reste à indiquer, dans la description des squelettes de chaque genre, de chaque espèce et de chaque individu, toutes les soudures que nous trouverons visibles ou effacées. Nous reconnaîtrons ainsi les parties qui doivent être isolées quand même elles seraient confondues avec celles qui les avoisinent. Le règne animal se présentera à nous sous la forme d’une grande image, et nous ne dirons pas que tel organe manque dans telle espèce ou dans tel individu, parce que nous n’aurons pas su l’y découvrir. Nous apprendrons à voir avec les yeux de l’esprit, sans lesquels on tâtonne en aveugle dans les sciences naturelles comme dans les autres.

De même que chez les fœtus l’occipital se compose de plusieurs portions dont la disposition rend compte de la forme de l’os arrivé à l’état parfait ; de même, l’observation de subdivisions osseuses qui existent dans plusieurs animaux, explique les formes, souvent bizarres, difficiles à comprendre, et impossibles à décrire, que l’on trouve chez l’homme et chez d’autres animaux. Il y a plus : nous descendrons souvent jusqu’aux reptiles, aux poissons, aux mollusques même, pour expliquer l’organisation très compliquée des mammifères, et trouver des solutions à nos doutes. La mâchoire inférieure sera une preuve bien frappante de cette vérité.

C. Différences dans les limites.

Une autre circonstance assez rare peut ajouter des difficultés à la recherche et à la détermination des os ; quelquefois, en effet, leurs limites ne sont pas les mêmes, et ils semblent avoir des connexions avec des os qui n’ont ordinairement aucun rapport avec eux. C’est ainsi que, dans le genre chat, l’apophyse latérale de l’intermaxillaire va s’articuler avec le coronal, et sépare complétement la mâchoire supérieure de l’os nasal ; dans le bœuf, la mâchoire supérieure est séparée du nasal par l’os lacrymal ; chez le singe les pariétaux se soudent avec le sphénoïde et éloignent le coronal des temporaux (5).

Ces cas seront examinés avec détail, car ils peuvent n’être qu’apparents, comme nous le ferons voir dans la description des os en particulier.

D. Différences dans le nombre.

Le nombre des parties qui terminent les membres étant variable, il s’ensuit que celui des os qui les composent doit l’être aussi. Ainsi, le nombre des os du carpe et du tarse, du métacarpe et du métatarse, comme celui des phalanges, n’est pas toujours le même ; lorsque les uns diminuent en nombre, les autres sont soumis à la même loi.

On voit aussi le nombre des vertèbres du dos, des lombes, du bassin et de la queue, celui des côtes, des pièces du sternum, des dents, aller en augmentant ou en diminuant ; cette dernière circonstance paraît même avoir une grande influence sur la structure des autres parties du corps.

Mais ces variations de nombre nous embarrasseront peu, ce sont les plus faciles à constater et celles qui doivent le moins nous surprendre.

E. Différences de grandeur.

La taille des animaux étant très diverse, leurs parties osseuses doivent offrir les mêmes différences. Celles-ci peuvent être appréciées par des mesures exactes, et plusieurs anatomistes, entre autres Daubenton, en ont fait beaucoup. Si la forme ne variait pas en même temps que les proportions, le parallèle serait facile à établir entre le fémur, par exemple, d’un petit animal et celui d’un grand mammifère.

À cette occasion je poserai une question, dont la solution définitive intéresse l’histoire naturelle en général. Je demanderai si la grandeur a une influence sur la forme, et jusqu’à quel point cette influence est puissante ?

Nous savons que les animaux très grands sont en général disgracieux, soit que la masse domine la forme, ou bien que les proportions des membres comparés entre eux ne soient pas heureuses.

Il semble au premier coup d’œil qu’un lion de vingt pieds de haut pourrait tout aussi bien exister qu’un éléphant de la même taille, et que cet animal, s’il était bien proportionné, serait aussi agile que les lions ordinaires. Mais l’observation démontre que les mammifères, parfaitement développés, ne dépassent pas un certain volume ; à mesure que la masse va en augmentant, la forme s’appauvrit et la difformité commence. On a même cru remarquer, parmi les hommes, que ceux qui sont trop grands, sont moins intelligents que ceux d’une petite taille. On a dit aussi qu’une figure grossie par un miroir concave n’avait plus de physionomie. Il semble, en effet, que la masse seule soit accrue et non point en même temps la puissance de l’esprit qui la vivifie.

F. Différences de forme.

Nous abordons maintenant la plus grande de toutes les difficultés, elle résulte de ce que les animaux dissemblables ont aussi des os dont la forme diffère. Aussi l’observateur est-il souvent embarrassé, soit qu’il examine un squelette dans son ensemble, ou des parties osseuses isolées. Si celles-ci n’ont pas leurs connexions habituelles, il ne sait comment les nommer, et s’il les a déterminées, il ne sait comment les décrire, comment les comparer, parce qu’il lui manque un troisième terme de comparaison. Qui prendrait, en effet, le bras de la taupe et celui du lièvre pour des parties analogues ? La forme d’un argane peut varier de différentes manières ; notons d’abord les principales.

L’os peut être simple, et même seulement à l’état rudimentaire dans un animal, tandis que dans un autre il se trouvera complétement développé et aussi parfait que possible. Ainsi l’intermaxillaire de la biche diffère tellement de celui du lion, qu’il semble, au premier coup d’œil, qu’on ne puisse nullement les comparer entre eux.

Un os peut être développé sous un certain point de vue, tandis que les organes voisins, en le comprimant de tous les côtés, le rendent difforme et méconnaissable. Ex. les pariétaux, dans les mammifères pourvus de cornes ou de bois, comparés à ceux de l’homme ; l’intermaxillaire du morse mis en parallèle avec celui d’un animal carnassier.

Un os qui remplit tout juste sa destination a constamment une forme plus arrêtée, plus facile à saisir que celui qui semble avoir plus de masse que cela n’est strictement nécessaire. Ce dernier se trouve, par conséquent, singulièrement modifié dans sa forme, et pour ainsi dire boursouflé. Ainsi les os plats renferment, dans le bœuf et le cochon, des sinus qui les rendent méconnaissables, tandis qu’ils sont très bien dessinés et parfaitement caractérisés dans le genre chat.

Une autre circonstance dérobe quelquefois entièrement un os à nos yeux : c’est quand il est soudé avec un autre : celui-ci attire à lui une plus grande quantité de matière osseuse que la nature ne lui en a dévolu, et il en résulte que celui auquel il se trouve uni est tellement appauvri, qu’il disparaît presque tout-à-fait. Dans la baleine, les sept vertèbres cervicales sont tellement confondues, qu’on ne croit avoir sous les yeux qu’un atlas muni d’un appendice.

Ce qui est constant, c’est la place qu’un os occupe dans l’économie et le rôle qu’il y joue ; aussi dans nos études ostéologiques chercherons-nous toujours chaque os en son lieu ; nous le trouverons toujours, mais souvent repoussé dans un sens ou dans l’autre, comprimé, atrophié, et quelquefois aussi hypertrophié. Par la place qu’il occupe nous devinerons ses usages, lesquels doivent déterminer une forme primitive dont il ne s’éloigne jamais que dans certaines limites fixées d’avance.

Les déviations de formes possibles se déduisent, soit par le raisonnement, soit par l’expérience ; elles devront être présentées dans un tableau synoptique, en procédant du simple au composé, de l’état rudimentaire à l’état parfait, et vice versâ, suivant que l’une ou l’autre méthode paraîtra plus claire.

Il est facile de voir combien la monographie complète d’un os suivi dans toute la classe des mammifères serait utile, combien elle faciliterait la construction du type idéal.

Cherchons maintenant s’il n’existe pas un point central autour duquel nous puissions réunir dans un cercle commun les observations faites ou à faire, afin de les embrasser d’un seul coup-d’œil.

VIII.

De l’ordre qu’on doit suivre dans l’étude du squelette, et des observations à faire sur chaque partie.

Avant d’aborder ce sujet, l’observateur doit avoir sous les yeux un tableau général des remarques à faire et de la méthode à suivre ; en effet, dans la description dont nous allons donner le modèle, rien de ce qui est commun à tous les animaux ne doit trouver place ; il y sera question seulement des caractères qui les différencient. Dans la description générale des os de la tête, par exemple, on a déjà dit quels étaient ceux qui se trouvent rapprochés et quelle est la nature de leurs connexions. Dans la description particulière, on ne parlera de ces connexions que dans le cas où elles se trouveraient changées.

Ainsi, l’observateur fera bien d’indiquer si tel os de la tête présente ou non des sinus, et d’ajouter cette circonstance dans la description générale. Nous en examinerons plusieurs dans le cours de nos études.

CAPUT.
Os intermaxillare.
Pars horizontalis seu palatina.
Pars lateralis seu facialis.
Margo anterior.

N. B. Il sera bon de donner un aperçu général sur la configuration de cet os et de tous ceux qui sont sujets à varier de forme, avant d’entrer dans le détail de leurs parties ; l’intelligence de ces détails n’en sera que plus facile.

Dentes :
pointues ;
mousses ;
plates ;
plates et couronnées.
Canales incisivi.
Indiquer si l’intervalle qui sépare tes deux moitiés symétriques de l’intermaxillaire est considérable.
Maxilla superior.
Pars palatina seu horizontalis.
Pars lateralis seu perpendicularis.
Margo seu pars alveolaris.
Dentes.
Canines :
proportionnellement grandes ou petites.
pointues.
mousses.
recourbées.
dirigées en haut ou en bas.
Molaires :
simples et pointues.
couronnées et larges.
avec des couronnes dont les feuillets internes ont la même direction que les externes.
dont les feuillets sont formés de lames très contournées.
dont les lames contournées sont très serrées.
tricuspidées.
plates.
Foramen infraorbitale.
simple trou ;
Canal plus ou moins long dont l’orifice externe est visible à la face, et quelquefois double.
Os palatinum.
Pars horizontalis seu palatina.
Pars lateralis.
Pars posterior.
Processus hamatus.
Canalis palatinus.
Si l’on veut donner des mesures comparatives, il faut mesurer chacun de ces os dont la réunion forme la voûte palatine et comparer leur largeur, leur longueur et leur hauteur relatives aux dimensions de l’ensemble.
Os zygomaticum.

Sa forme plus ou moins comprimée.

Ses rapports avec les os voisins ne sont pas toujours les mêmes ; il renferme quelquefois des sinus. — Indiquer leurs communications.

Os lacrymale.
Pars facialis.
Pars orbitalis.
Canalis.
Os nasi.

Longueur et largeur. — Noter s’il a la forme d’un quadrilatère allongé ou une autre configuration ; — Indiquer ses connexions qui ne sont pas toujours les mêmes.

La membrane qui ferme la grande fontanelle l’unit au coronal.

Os frontis.

Les deux tables de l’os seront décrites avec soin à cause des sinus qui les séparent. La table externe, plane ou convexe, forme la partie externe et supérieure du front. La table interne se sépare de l’externe pour s’unir à l’ethmoïde : de là l’existence des sinus frontaux. On parlera des apophyses et des autres sinus qui communiquent avec les premiers.

Les cornes sont des prolongements des sinus, et tantôt droites, tantôt courbées. Il y a des cornes qui ne sont pas creuses et ne reposent pas sur les sinus.

Le processus zygomaticus est osseux ou fibreux.

Faire voir comment le voisinage du globe oculaire agit sur la forme du cerveau et comprime ou élargit l’ethmoïde.

Os ethmoideum.
Comprimé ;
développé.

Noter sa largeur proportionnelle comparée à celle de la base du crâne.

Disposition des lamelles de l’ethmoïde.

Vomer.
Conchæ.

Simples, contournées, ou excessivement contournées.

Os sphenoideum anterius.
Corpus.
Les sinus sont remarquables comparés à ceux de l’ethmoïde.
Alæ.
Observer si elles ne sont pas séparées comme dans le fœtus humain.
Os sphenoideum posterius.
Corpus.
Alæ.
Sinuositates.

Comparaison des deux os et de leurs ailes ; insister sur leur développement relatif.

Os temporum.
Forme de la partie écailleuse.
Processus zygomaticus plus ou moins long ; — Courbure remarquable de cet os.
Os bregmatis.

Ses différentes formes ; sa grandeur comparée à celle du coronal.

Os occipitis.
Basis.
Doit être comparée avec celle des deux sphénoïdes et de l’os ethmoïde.
Partes laterales.
Processus styloîdei.
Quelquefois droits, d’autres fois courbes.
Pars lambdoïdea.
Bulla.
Collum.

La bulla sive marsupium prend quelquefois la forme d’une apophyse mastoïde, mais ces parties ne doivent pas être confondues entre elles.

Os petrosum.

La partie externe est souvent spongieuse, quelquefois creusée par des sinus ; elle s’intercale entre le temporal et l’occipital.

La portion interne renferme le nerf de l’ouïe, le limaçon, etc. ; c’est un os dur et éburné.

Ossicula auris.
TRUNCUS.
Vertebræ colli.

Il faut noter leur longueur, leur largeur et leur hauteur.

Atlas.
Il est surtout développé en largeur ; ce qui indique son affinité avec les os du crâne.
Axis seu epistropheus.
La forme de ses parties latérales et de ses apophyses épineuses est très remarquable.
Vertebra tertia,
S’éloigne de cette forme.
Vertebra quinta,
S’en éloigne encore davantage.
Vertebra sexta.
Elle porte les apophyses transverses dont l’apparition n’était qu’indiquée dans les vertèbres précédentes.
Vertebra septima.
Elle est munie d’un appendice latéral et présente des facettes articulaires pour recevoir la première côte.
Vertebræ dorsi.

Leur nombre.

Je ne suis pas encore bien fixé sur ce qu’il faut surtout observer en elles et en quoi elles diffèrent.

Indiquer la longueur et la direction des apophyses épineuses.

Vertebræ lumborum.

Leur nombre.

Indiquer la forme et la direction des apophyses épineuses et transverses.

Insister avec détail sur la modification normale qu’elles éprouvent.

N. B. Nous conserverons l’ancienne division qui appelle vertebræ dorsi celles qui portent des côtes, vertebræ lumborum celles qui en sont dépourvues. Mais dans les animaux il existe une autre division. Le dos offre un point médian à partir duquel les apophyses épineuses s’inclinent en arrière, les apophyses transverses en avant. Ce point correspond ordinairement à la troisième fausse côte.

Il faut donc compter les vertèbres jusqu’à ce point médian, et de là jusqu’au coccyx, et noter toutes les circonstances remarquables.

Vertebræ pelvis.

Observer leur soudure, qui est plus ou moins complète.

Les compter.

Vertebræ caudæ.
Leur nombre.
Leur forme.

Elles ont souvent des apophyses latérales aliformes qui vont en diminuant jusqu’au point où la vertèbre prend la forme d’une phalange.

Costæ.
Veræ.
Leur nombre.
Leur longueur et leur force.
Leur courbure qui est plus ou moins prononcée.

Il faut mesurer l’angle qu’elles forment à leur courbure supérieure ; en effet, leur col va toujours en se raccourcissant, tandis que la tubérosité devient plus grosse et se rapproche de la forme d’une petite tête articulaire.

Spuriæ.
Mêmes observations.
Sternum.
Vertebræ sterni.
Leur nombre.
Elles ont une forme analogue à celle des phalanges.
Leur aplatissement.

La forme du sternum en général, s’il est court ou allongé, si les vertèbres sont toutes semblables, ou si elles vont en se modifiant d’avant en arrière.

Indiquer si elles sont compactes ou poreuses.

ADMINICULA.
Anteriora.
Maxilla inferior.

On prendra une idée de sa structure en l’examinant chez les poissons et les reptiles, et l’on remarquera les sutures harmoniques et autres qu’elle présente chez les animaux. Dans les mammifères, elle se compose toujours de deux parties, qui sont le plus souvent soudées au milieu.

C’est un sujet à méditer que de savoir jusqu’à quel point il est nécessaire de s’écarter des divisions et de la terminologie usitées pour l’homme.

Dentes.
Elles manquent ou existent.
Incisives.
Canine ; sa grandeur.
Molaires.

Voyez ce qui a été dit à propos de la mâchoire supérieure.

Media.
Scapula.
Conserver les divisions établies pour l’omoplate humain.
Forme.
Rapport de la longueur à la largeur.
Clavicula.
Noter si elle existe ou si elle manque.
Ses rapports de grandeur.
Humerus.
Observer dans cet os et dans tous les os longs si les épiphyses sont soudées ; et dans l’humérus, en particulier, s’il présente une tendance à s’allonger.
Longueur.
Raccourcissement et autres circonstances notables.
Cubitus.
L’extrémité supérieure est la plus grosse, l’inférieure la plus grêle. Remarquer jusqu’à quel point il égale le radius en force et en grosseur, ou s’il s’accole et se soude avec lui à la manière dont le péroné s’unit au tibia.
Radius.
Son extrémité inférieure est plus grosse que la supérieure ; il domine le cubitus et lui sert d’appui. En même temps la supination se perd et l’animal reste dans une pronation constante.
Carpus.
Le nombre des os qui le composent et leur mode d’union. Distinguer, si cela est possible, quels sont les os qui restent et ceux qui disparaissent. Les os qui sont en rapport avec le radius et le cubitus sont probablement constants, tandis que ceux qui s’articulent avec le métacarpe ne le sont pas.
Ossa metacarpi.
Nombre.
Longueur relative.
Digiti.
Nombre des phalanges ; il en existe probablement trois. Chercher à les suivre dans les animaux à sabot et à pied fourchu.
Ungues ; ungulæ.
Postica.

Se réunissent au tronc par les os suivants :

Os ilium,
Os ischii,
Os pubis.
Leur forme.
Leur longueur et leur largeur proportionnelles.
Ces parties peuvent être décrites en prenant, jusqu’à un certain point, le squelette humain pour point de départ. Il faut voir si les symphyses sont cartilagineuses ou ossifiées.
Femur.
Cet os est tantôt droit, tantôt courbé, tantôt tordu sur lui-même. — Noter si ses épiphyses sont soudées ou non. — Chez quelques animaux il existe un troisième trochanter. — Du reste le fémur humain pourra servir de modèle à la description de cet os dans les animaux.
Patella (rotule).
Tibia.
Il est rarement de la même grosseur que le péroné.
Dans les animaux qui rament, le tibia est très épaissi et l’emporte de beaucoup en volume sur le péroné.
Parler des épiphyses.
Fibula.
Le péroné est dirigé de dehors en dedans ; il s’atrophie dans la plupart des animaux et finit par se confondre tout-à-fait avec le tibia.
Observer ses dégradations successives, et dire, par exemple, s’il est appliqué exactement contre le tibia ou s’il existe entre eux une échancrure ou un espace arrondi.
Tarsus.
Compter ses os, et noter, comme pour le carpe, ceux qui existent et ceux qui manquent. On retrouvera probablement toujours le calcaneum et l’astragale qui sont unis au tibia et au péroné.
Metatarsus.
Nombre des os ; leur longueur.
Digiti.
Nombre.
Remarquer surtout quel est le doigt qui manque, et voir si l’on ne pourrait pas arriver à une loi générale. C’est probablement le pouce qui disparaît le premier. Je pense aussi que l’annulaire et le médius doivent souvent avorter. Indiquer le rapport du nombre des doigts à celui des orteils.
Phalangæ.
Vraisemblablement il en existe toujours trois.
Ungues ; Ungulæ.
Le caractère principal et saillant d’un os quelconque, dans toute la série animale, étant le résultat de l’observation directe, il est préférable de commencer par décrire ce que l’on a sous les yeux. En rapprochant ces descriptions, on trouve d’abord le caractère commun ; puis, si le travail embrasse un grand nombre d’animaux, on en déduira facilement le caractère général.

  1. Matériaux pour servir à l’Anatomie des Mammifères, par le docteur W. Josephi, professeur à l’université de Rostock, 1792.
  2. Voy. pl. I, fig. 3.