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Œuvres d’histoire naturelle de Goethe/Problèmes

La bibliothèque libre.
Traduction par Charles Martins.
A. Cherbuliez et Cie (p. 334-336).

PROBLÈMES

(mars 1823.)

Système naturel, mots qui se contredisent mutuellement. La nature n’a point de système ; elle est vivante et renferme la vie, elle est la transition d’un centre inconnu à une circonférence qu’on n’atteindra jamais. L’étude de la nature est donc sans limites, soit qu’on analyse les détails ou qu’on cherche à embrasser le tout en poursuivant une trace dans toutes les directions.


L’idée de la métamorphose est un don d’en haut, sublime, mais dangereux. Elle mène à l’amorphe, détruit, dissout la science. Semblable à la force centrifuge, elle se perdrait à l’infini si elle n’avait pas un contre-poids ; ce contre-poids c’est le besoin de spécifier, la persistance tenace de tout ce qui est une fois arrivé à la réalité, force centripète à laquelle aucune condition extérieure ne saurait rien changer : le genre Erica en est la preuve.

Mais comme les deux forces agissent simultanément, il faudrait dans l’enseignement exposer simultanément leur action, ce qui paraît devoir être impossible.

Peut-être sortirons-nous d’embarras par un système artificiel qu’on pourrait comparer ou à une série successive de tons, avec les altérations qu’ils subissent dans l’intervalle des octaves. Il en résulte une musique transcendante existante par elle-même et qui semble braver la nature.

Il faudrait avoir recours à un mode d’exposition artificiel, fonder une symbolique. Quel est l’homme capable d’un semblable travail ! quels sont ceux qui sauraient l’apprécier !


Quand je considère les assemblages qu’on nomme des genres en botanique, je les admets tels qu’ils sont, mais il me semble toujours qu’un groupe ne saurait être traité comme l’autre. Il est des groupes dont les caractères se retrouvent dans toutes leurs espèces ; on peut les reconnaître en suivant une méthode rationnelle, elles ne se perdent pas en variétés infinies et doivent être traitées avec ménagement. Je ne citerai que les Gentianes ; un botaniste instruit se rappellerait d’autres exemples.

Il est au contraire des groupes mal caractérisés dans lesquels on ne saurait admettre d’espèces, et qui se perdent dans un nombre infini de variétés. Si on veut les traiter scientifiquement, on n’en vient pas à bout, on s’embrouille de plus en plus, parce qu’elles échappent à toute loi, à toute détermination. J’ai désigné quelquefois ces genres sous le nom de libertins, et j’ai osé donner cette épithète à la rose, ce qui ne saurait en rien amoindrir son charme ; c’est surtout à la Rosa canina que je serais tenté de faire ce reproche.

L’homme, dès qu’il joue un rôle, devient législateur, d’abord dans la morale, en admettant le devoir ; dans la religion, en se pénétrant de l’existence de Dieu et des choses divines, et en basant sur sa conviction certaines cérémonies extérieures : dans l’administration civile ou militaire, une action ou un fait ne sont importants que lorsqu’il les impose à d’autres : dans les arts c’est exactement la même chose ; nous avons vu comment l’esprit humain s’empare de la musique ; mais la cause de l’influence que certains hommes et certaines époques ont exercée sur les arts plastiques est encore un mystère. Dans la science, les essais de systématisation sans nombre qui ont été faits témoignent de cette action. Nous devons donc mettre tous nos soins à dérober à la nature son secret afin de ne pas la rendre rebelle par des lois tyranniques et ne pas nous laisser, d’un autre côté, détourner de notre but par ses caprices.