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Œuvres d’histoire naturelle de Goethe/De la tendance spirale

La bibliothèque libre.
Traduction par Charles Martins.
A. Cherbuliez et Cie (p. 329-333).

DE LA TENDANCE SPIRALE.

(1831.)

Dans la dernière réunion des naturalistes allemands à Munich et à Berlin, le savant et ingénieux professeur Martius a présenté, dans quelques conférences, un résumé complet de tout ce qui a été fait jusqu’ici sur la Morphologie des plantes ; en appelant l’attention sur cette tendance des végétaux à produire des fleurs et des fruits, tendance que nous serions tentés d’appeler tendance spirale. Voici comme l’Isis de 1827 et 1828 a rapporté ses expressions :

« Ce progrès dans la physiologie végétale est le résultat de ce point de vue morphologique qu’on désigne sous le nom de métamorphose des plantes. Tous les organes de la fleur, le calice, la corolle, les étamines et le pistil, sont des feuilles métamorphosées. Ce sont donc des parties analogues, et différant seulement par leur degré de métamorphose.

» La structure d’une fleur repose sur une position relative et un arrangement particulier dans chaque genre de feuilles métamorphosées.

» Celles-ci, identiques en réalité, polymorphes en apparence, se groupent à l’extrémité d’une branche ou d’un pédoncule, autour d’un axe commun, jusqu’à ce que leur réunion et leur liaison réciproque déterminent un point d’arrêt. »

Tel est l’exposé littéral de Martius, et nous espérons que ces mots rendent bien la pensée de l’illustre auteur. Ajoutons seulement que le célèbre professeur a osé, après avoir approfondi la matière, désigner sous le nom de révolutions (Umlaeufe) organiques, ces mouvements d’un organe identique en soi, différant à l’extérieur, et soumis à des lois numériques et à des limites fixes.

Il détermine exactement les dispositions normales et anormales, emploie des chiffres symboliques pour indiquer les détails, et élève sur ces bases un nouveau système des familles naturelles.

L’étude de ces mémoires, une longue conversation que nous avons eue avec l’auteur, et un modèle imaginé pour rendre sensible aux yeux cet effet problématique de la nature, nous ont mis en état de poursuivre ces idées et d’acquérir une conviction que nous ferons partager au lecteur, si nous sommes clairs dans l’exposition de ce qui va suivre.

Les botanistes en général et les anatomistes en particulier, connaissent très bien les vaisseaux spiraux ; si l’on n’est pas d’accord sur leurs usages, on a du moins observé avec soin, distingué et nommé les différentes variétés qu’ils présentent. Nous les considérons comme des petites parties qui ressemblent au tout ; ce sont des corps homoiomères[1] auxquels le tout doit ses propriétés, et qui sont à leur tour influencés par lui. Ils ont une vie propre, la propriété de se mouvoir par eux-mêmes, et d’affecter certaines directions ; le savant Dutrochet appelle cela une incurvation vitale[2].

Laissons de côté la considération de ces parties constituantes pour revenir à notre sujet.

On est forcé d’admettre que tout organe, toute formation nouvelle se développe dans les plantes en vertu des lois de la métamorphose et suivant une tendance spirale combinée avec la tendance verticale.

Les deux tendances principales, ou, si l’on veut, les deux modes de vitalité par lesquels la plante s’achève en grandissant, sont le système vertical et le système spiral. L’un ne saurait être isolé de l’autre parce qu’ils ne sont puissants qu’en vertu de leur influence réciproque. Mais pour mieux saisir et surtout pour faire mieux comprendre leur action, il est nécessaire de les considérer et de les analyser séparément. On verra comment l’un d’eux l’emporte quelquefois sur son antagoniste ou est dominé par lui, tandis qu’ils sont d’autres fois dans un équilibre parfait. Toutes ces considérations font ressortir les propriétés de ce couple inséparable.

La tendance verticale se manifeste dans les premiers instants de la germination ; c’est elle qui fait que la plante s’enfonce dans la terre en même temps qu’elle s’élève verticalement. Elle persiste jusqu’à la fin de la vie du végétal, et se montre en même temps solidifiante, soit qu’elle détermine la formation des fibres allongées ou celle de la masse inflexible et verticale du corps ligneux. C’est la même force qui pousse les organes de mérithalle en mérithalle, entraîne avec elle les vaisseaux spiraux, et produit, en accroissant successivement la vitalité des parties, un tout continu et conséquent, même dans les végétaux grimpants et rampants.

Mais c’est surtout dans la fleur qu’elle se manifeste de la manière la plus évidente en produisant l’axe floral, ou lorsqu’à l’état de spadice et de spathe elle est le soutien, la colonne terminale autour de laquelle viennent se grouper les organes fructifères. Dans ces idées nouvelles, on ne doit jamais perdre de vue la tendance verticale ; mais la considérer comme le principe viril, soutien de tout l’édifice,

La tendance spirale, au contraire, est le principe vital et créateur ; il est intimement lié au précédent ; mais son action s’exerce surtout à la périphérie. Il se manifeste souvent à partir du moment de la germination, ainsi qu’on l’observe dans certaines plantes volubiles.

C’est dans les organes terminaux et achevés qu’il se montre de la manière la plus évidente. Ainsi l’on voit des feuilles composées se contourner en vrilles ; les petites branches, dans lesquelles la solidification n’a pas eu lieu, et qui se remplissent de suc, forment des fourches, des tubérosités, et se courbent plus ou moins complètement.

Cette tendance est moins frappante dans le cours de l’accroissement des monocotylédones. Chez eux, la force verticale ou longitudinale semble prédominante ; les tiges et les feuilles se composent de longues fibres parallèles, et dans cette grande section du règne végétal, je n’ai jamais observé de vrilles (39).

Que la tendance soit évidente ou dissimulée dans le cours de la végétation, elle se montre toujours dans la disposition des parties de la fleur et du fruit. En s’enroulant autour d’un axe commun, elle produit le miracle d’une fleur unique qui puise en elle-même les éléments d’une reproduction indéfinie.

Ceci nous ramène à notre point de départ, et nous force à rappeler les paroles qui nous ont conduit à ces considérations. Non seulement elles expliquent la structure de la plante à l’état normal, mais encore l’observateur philosophe y trouvera des principes à l’aide desquels il se rendra compte de ces anomalies si variées qui semblent se jouer des lois de formation.

Des recherches plus approfondies mèneront certainement à des connaissances plus solides et plus positives, puisque Martius se propose de poursuivre ce sujet, et que des jeunes gens pleins d’énergie et d’activité s’efforcent de déterminer par le calcul les lois de ces spirales. Contentons-nous de mentionner avec admiration un mémoire inséré dans la première partie du quinzième volume de l’Académie des curieux de la nature, et intitulé : Examen comparatif de la disposition de écailles dans le cône des Pins et des Sapins, par le docteur Alexandre Braun.

Nous n’avons plus qu’un vœu à former, c’est de voir un jour converger vers un point commun les innombrables rayons épars et isolés qui pourraient éclairer ce sujet, afin que les résultats généraux de ces observations puissent être embrassés d’un seul coup d’œil et constituer une science compréhensible pour tout le monde, et transmissible à la postérité.


  1. Ὅμοιος semblable, μερίς partie.
  2. Voyez aussi Henry Johnson sur la divergence. Annales des sciences naturelles. Décembre 1835.