Œuvres de Albert Glatigny/Chanson d’hiver

La bibliothèque libre.
Œuvres de Albert GlatignyAlphonse Lemerre, éditeur (p. 118-120).

Chanson d’Hiver.



C’est l’hiver, sais-tu ? l’hiver triste et sombre,
La morne saison où le ciel est gris.
Les vents orageux soufflent en grand nombre
Par un long repos de six mois aigris.

Vois le noir aspect de chaque fenêtre ;
Les hommes prudents ont, depuis un mois,
Sachant que l’hiver allait bientôt naître,
Fait provision de coke et de bois.

Oh ! la froide bise ! oh ! le temps morose !
Donne-moi tes mains d’enfant. Le grand air
Fait plus rose encor ton petit nez rose,
Et fouette le sang qui court dans ta chair.

L’an passé, j’avais une chatte blanche
Frileuse à l’excès, qui sur mes genoux
Venait ronronner, lustrant sur ma manche,
Avec un grand soin, ses poils longs et doux.


Je retrouve en toi ses poses charmantes,
Sa câlinerie exquise, ses airs
De pencher le cou, ses grâces dormantes,
Tout, jusqu’aux reflets de ses deux yeux pers.

Venez donc plus près, venez donc, Minette,
Que nous admirions ce joli museau
Si frais et surtout, surtout, blondinette,
Ces cheveux captifs sous un fin réseau.

Ainsi que dans l’or l’avare promené
Ses doigts amaigris et crispés, je veux
Tout le jour, et puis toute la semaine,
Promener mes doigts dans tes beaux cheveux ;

Dans tes cheveux blonds plus doux que la soie,
Diadème ambré plus étincelant
Que le clair rayon qui verse la joie
Au pré jaune et vert dans l’aube tremblant

Laisse gazouiller ta voix enfantine,
Je ne clorai pas d’un rire moqueur
Ta lèvre pareille aux fleurs d’églantine ;
Laisse bavarder ta tête et ton cœur !

Je mourrais d’ennui près d’une savante
Qui parle phébus comme les romans,
Et j’aime bien mieux les mots qu’on invente
Tous les deux, auprès des tisons fumants,


Ces mille propos, ces chères bêtises
Où les cœurs glacés ne comprennent rien,
Et qui défieraient toutes analyses,
Mais où je sais voir que tu m’aimes bien.

Viens, petite, viens plus près, abandonne
Ta main à ma main ; faisons plus étroit
L’espace entre nous. — Mais qui donc, mignonne,
Dirait qu’en la rue il fait aussi froid ?