Œuvres de Albert Glatigny/Confession (Les Vignes folles)

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Œuvres de Albert GlatignyAlphonse Lemerre, éditeur (p. 39-42).



Confession.



Je n’avais pas encor de barbe dans ce temps,
Et j’emplissais les airs de rires éclatants ;
De blondes visions florissaient dans mon âme,
Et je rêvais d’amour à vos genoux, Madame.
Mais vous n’en saviez rien, et moi-même ?… J’avais
Le cœur à vos côtés tout joyeux ; je rêvais,
Mais sans but, animé d’une extase sereine.
Le page Chérubin que berce sa marraine
Et qui dit sa romance enfermant ses beaux yeux
Me paraissait alors un grand audacieux.
     Vous aimais-je ? À présent que votre voix m’enivre,
Que voire seul aspect m’enchante et me fait vivre,
Madame, je n’ose encore le penser.
Non, ce n’est pas à vous que pouvaient s’adresser
Ces aspirations étranges, ces vertiges
Sans fin, illusions, miraculeux prestiges,
Orages précurseurs des orages du soir !
     Non ! j’aimais à venir auprès de vous m’asseoir,
Sans me dire pourquoi, sans le pouvoir comprendre ;
À voir vos longs regards tout étoiles répandre
D’humides diamants où brillaient des clartés ;
À sentir doucement tous mes sens agités,
Quand votre voix chantait, pure comme les brises
Qui baisent, en jouant, la fleur et l’onde éprises !


Mais ce n’était pas vous qu’en vous-même j’aimais.
Comment dire ceci ? Ce n’était pas vous, mais
Vous étiez une femme, et ma future amante
Vivait dans votre corps, adorable et charmante !
     Oui, pensais-je, elle aura, celle que j’aimerai,
Le front par ces regards limpides éclairé,
Cette lèvre d’enfant où la rose sommeille,
Cette gorge flexible a la neige pareille,
Cette taille semblable au serpent engourdi
Qui se ranime et joue alors que vient midi,
Et surtout, et surtout cette crinière blonde,
Nid de parfums où l’or étincelant abonde !
     Vous me parliez alors, et, comme dans l’encens.
Mes rêves s’élevaient bercés par vos accents ;
Presque mort et noyé d’ineffables ivresses,
Je sentais sur mon front d’invisibles caresses,
Et mon âme, que rien ne pouvait contenir,
Vivait en toi d’avance, amoureux avenir !
     Tel l’arbre dont la nuit a rafraîchi la sève
Accueille avec bonheur le soleil qui se lève,
Sans penser que bientôt ses feuilles se tordront
Sous des feux dévorants, que l’écorce du tronc
S’écartera brûlée et qu’il restera sombre,
Désolé, sans verdure éclatante et sans ombre,
Ainsi je saluais cette aube de l’Amour
Qui se levait en vous, sans songer à ce jour
De sanglots effrayants et d’angoisses amères
Que vous deviez m’offrir, ô pâles victimaires ?
Euménides du cœur, amantes qui deviez


Faire pleurer pour moi les douloureux claviers !
Où donc est-il ce temps de candeur et d’aurore ?…
     Enfin, après trois ans, je vous revois encore,
Madame, et je comprends les souffrances qui font
Plonger dans l’infini votre regard profond.
Ô ma sœur en amour ! nos deux âmes blessées
L’une à l’autre pourront confier leurs pensées ;
De notre long manteau de douleur recouverts,
Aimons-nous, aimons-nous, pour tous les maux soufferts !
     Aujourdhui je comprends, ô femme jeune et douce,
Ce qui vous fait sourire et ce qui vous courrouce,
Je sais pourquoi je viens auprès de vous, pourquoi
Je vous vois frissonner souvent auprès de moi ;
Pourquoi vous retirez votre main de la mienne,
Et pourquoi, comme au jour de l’ignorance ancienne,
Je ne puis regarder, sans en être ébloui,
Votre beau front pareil au lis épanoui.
     Ô ma terre promise ! aujourdhui ce que j’aime
En vous, ce ne sont plus des ombres, mais vous-même.
Le passé dans mon cœur est tout enseveli ;
Jai courbé sous l’amour mon front déjà pâli ;
Je connais le néant de la première flamme ;
Je sais ce que je fais ; — je vous aime, Madame !
     Aimons-nous, aimons-nous, et ne songeons a rien ;
Aimons-nous maintenant, et les dieux pourront bien,
Au gré de leur caprice et de leur fantaisie,
À nos cœurs altérés arracher l’ambroisie,
Nous séparer encor : qu’importe ? N’eussions-nous
Respiré qu’un instant les parfums purs et doux


De la coupe céleste où fermente l’extase,
Cet instant suffira pour épuiser le vase,
Pour embaumer longtemps nos souvenirs, et pour
Nous faire au moins bénir toute une heure l’Amour.
     Madame, je vous parle, et c’est de la folie ;
Sans doute, vous allez me repousser ; j’oublie
Que vous m’avez aimé comme on aime un enfant,
Et qu’un tel souvenir peut-être, vous défend
À présent cet amour que de vous je réclame ;
L’amour impérieux et qui ravage rame.
     Mais pourtant cet enfant vous aime et n’a plus rien
De ses désirs confus, et vous le savez bien,
Puisque vous refusez vos lèvres a mes lèvres
Et que vous rougissez, et que les mêmes fièvres
Nous brûlent ; que toujours nos rêves hasardeux,
Ainsi que deux ramiers épris, vont deux à deux ;
Que mon regard se voile, et que tu t’es pâmée
L’autre jour dans mes bras, ô chère bien-aimée !




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