Œuvres de Camille Desmoulins/Tome III/Le Vieux Cordelier, n° VIII
No VIII
Libres ! vous voulez l’être ; soyez-le donc tout à fait ; ne vous contentez pas d’une liberté d’un moment, cherchez aussi quelle sera votre liberté dans l’avenir. Vous avez chassé votre Tarquin, vous avez fait plus, son supplice a effrayé tous les rois, ces prétendus maîtres du monde qui n’en sont que les tyrans et les spoliateurs. Mais pourquoi le pouvoir de Brutus dure-t-il plus d’une année ? Pourquoi pendant trois jours entiers, un homme, deux hommes, trois hommes, peuvent-ils distribuer des grades, des faveurs et des grâces ? Pourquoi est-ce à eux qu’on en doit la conservation et non à la République ?
Rome voulut dix législateurs ; ils pensaient n’être élus que pour un temps, ils restèrent bons sans-culottes ; une première prolongation leur donna l’espoir d’une souveraineté durable, ils devinrent tyrans.
Camille exilé par la voix publique ne se voyant aucun partisan, fait en partant des vœux pour une ingrate patrie ; Coriolan y laisse des amis qui ont osé le défendre. On a souffert qu’un parti dans l’État s’élevât en sa faveur, et il amène contre Rome les ennemis de sa gloire naissante.
La puissance d’un dictateur était bornée à six mois. Quiconque après avoir rempli sa mission aurait exercé un jour de plus cette autorité suprême eût été accusé par tous les bons jacobins de Rome. Après avoir été six fois consul, un aristocrate est élevé à ce rang suprême ; il croit pouvoir le conserver suivant la loi, mais contre l’usage ; de ce premier empiétement au titre de dictateur perpétuel, il n’y a qu’un pas, et s’il dédaigna de se maintenir tyran lui-même, le dictateur perpétuel rendit la route facile aux ancêtres des Caligula et des Néron.
Que devait faire la Convention ! finir l’affaire ; donner une constitution à la France ! tout cela n’est-il pas déjà fait ? Que l’on proclame donc cette constitution et que tout le monde s’y soumette ! Si c’est la majorité de l’Assemblée qui veut retenir les pouvoirs, fesons encore une révolution contre la majorité de l’Assemblée.
- ↑ Le Credo politique que l’on vient de lire, et le fragment du no VIII, furent retranchés par Desenne dans l’édition originale, et publiés seulement en 1883 par M. Matton.