Œuvres de Champlain/Tome II/Chapitre XII

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Texte établi par Charles-Honoré Laverdière Voir et modifier les données sur WikidataG. E. Débarats (IIp. 56-61).

CHAPITRE XII.


Les ceremonies que font les Sauuages deuant que d’aller à la guerre. Des ſauuages Almouchicois & de leur monſrueuſe forme. Diſcours du ſieur de Preuert de Sainct-Malo ſur la deſcouuerture de la coſte d’Arcadie ; quelles mines il y a, de la bonté & fertilité du pays.



ARriuant à Tadouſac, nous trouuaſmes les ſauuages que nous auions rencontrez en la riuiere des Irocois, qui auoient faict rencontre au premier lac, de trois canots irocois, leſquels ſe battirent contre dix autres de Montaignez, & apportèrent les teſtes des Irocois à Tadouſac, & n’y eut qu’vn Montaignez bleſſé au bras d’vn coup de flèche, lequel ſongeant quelque choſe, il falloit que tous les 10. autres le meiſſent à execution pour le rendre content, croyant auſſi que ſa playe s’en doit mieux porter. Si ce dicft ſauuage meurt, ſes parents vengeront ſa mort ſoit ſur leur nation, ou ſur d’autres, ou bien il faut que les capitaines facent des preſents aux parents du deffunct, affin qu’ils ſoyent contens, ou autrement, comme i’ay dict, ils vſeroient de vengeance, qui eſt vne grande meſchanceté entre eux. Premier que leſdicts Montaignez partiſſent pour aller à la guerre, ils s’aſſemblerent tous, auec leurs plus riches habits de fourrures, caſtors & autres peaux, parez de patenoſtres & cordons de diuerſes couleurs, & s’aſſemblerent dedans vne grand’place publique, où il y auoit au deuant d’eux vn Sagamo qui s’appeloit Begourat, qui les menoit à la guerre ; & eſtoient les vns derrière les autres, auec leurs arcs & fleſches, maſſues & rondelles, de quoi ils ſe parent pour ſe battre ; & alloient ſautant les vns après les autres, en faiſant pluſieurs geſtes de leurs corps, ils faiſoient maints tours de limaçon. Après, ils commencèrent à danſer à la façon accouſtumée, comme i’ay dict cy-deſſus ; puis ils firent leur tabagie, & après l’auoir faict, les femmes ſe deſpouillerent toutes nuës, parées de leurs plus beaux matachias, & ſe meirent dedans leurs canots ainſi nuës en danſant, & puis elles ſe vindrent mettre à l’eau en ſe battant à coups de leurs auirons, ſe iettant quantité d’eau les vnes ſur les autres. Toutesfois elles ne ſe faiſoient point de mal, car elles ſe paroient des coups qu’elles s’entre-ruoient. Après auoir faict toutes ces ceremonies, elles ſe retirèrent en leurs cabanes, & les ſauuages s’en allèrent à la guerre contre les Irocois.

Le ſeizieſme iour d’aouſt, nous partiſmes de Tadouſac, & le 18. dudict mois arriuaſmes à l’iſle Percée, où nous trouuaſmes le ſieur Preuert, de Sainct Malo, qui venoit de la mine où il auoit eſté[1] auec beaucoup de peine, pour la crainte que les ſauuages auoient de faire rencontre de leurs ennemis, qui ſont les Armouchicois, leſquels ſont hommes ſauuages du tout monſtrueux pour la forme qu’ils ont[2] ; car leur teſte eſt petite, & le corps court, les bras menus comme d’vn ſchelet, & les cuiſſes ſemblablement, les iambes groſſes & longues, qui ſont toutes d’vne venue ; & quand ils ſont aſſis ſur leurs talons, les genoux leur paſſent plus d’vn demy pied par deſſus la teſte, qui eſt choſe eſtrange, & ſemblent eſtre hors de nature. Ils ſont neantmoins ſort diſpos & determinez, & ſont aux meilleures terres de toute la coſte d’Arcadie[3] : auſſi les Souricois les craignent fort. Mais, auec l’aſſeurance que ledict ſieur de Preuert leur donna, il les mena iuſqu’à laditte mine, où les ſauuages le guiderent[4]. C’eſt vne fort haute montaigne aduançant quelque peu ſur la mer, qui eſt fort reluiſante au ſoleil, où il y a quantité de verd de gris, qui procede de laditte mine de cuiure ; Au pied de laditte montaigne, il dit que de baſſe eau il y auoit en quantité de morceaux de cuiure, comme il nous en a monſtré, lequel tombe du hault de la montaigne. Paſſant trois ou quatre lieuës plus outre, tirant à la coſte d’Arcadie, il y a vne autre mine, & vne petite riuiere qui va quelque peu dans les terres, tirant au Su, où il y a vne montaigne qui eſt d’vne peinture noire, de quoy ſe peignent les ſauuages. Puis, à quelques ſix lieuës de la ſeconde mine, en tirant à la mer enuiron vne lieuë proche de la coſte d’Arcadie, il y a vne iſle où ſe trouue vne maniere de metail qui eſt comme brun obſcur, le coupant il eſt blanc, dont anciennement ils vſoient pour leurs fleſches & couſteaux, qu’ils battaient auec des pierres ; ce qui me fait croire que ce n’eſt eſtain ny plomb, eſtant ſi dur comme il eft ; & leur ayant monſtré de l’argent, ils dirent que celuy de ladicte iſle eſt ſemblable ; lequel ils trouuent dedans la terre comme à vn pied ou deux. Ledict ſieur Preuert a donné aux ſauuages des coins & ciſeaux, & d’autres choſes neceſſaires pour tirer de ladicte mine, ce qu’ils ont promis de faire, & l’année qu’il vient d’en apporter, & le donner audict ſieur Preuert.

Ils diſent auſſi qu’à quelques cent ou 120. lieuës il y a d’autres mines, mais ils n’oſent y aller, s’il n’y a des françois parmy eux pour faire la guerre à leurs ennemis, qui les tiennent en leur poſſeſſion.

Cedict lieu où eſt la mine, qui eſt par les 44. degrez & quelques minutes[5] proche de ladicte coſte de l’Arcadie comme de cinq ou ſix lieuës, c’eſt vne maniere de baye qui en ſon entrée peut tenir quelques lieuës de large, & quelque peu dauantage de long, où il y a trois riuieres qui viennent tomber en la grand’Baye proche de l’iſle de Sainct Iean[6], qui a quelque trente ou trente-cinq lieuës de long, & à quelque ſix lieuës de la terre du Su. Il y a auſſi vne autre petite riuiere qui va tomber comme à moitié chemin de celle par où reuint ledict ſieur Preuert, où ſont comme deux manieres de lacs en cette dicte riuiere. Plus y a auſſi vne autre petite riuiere qui va à la painture. Toutes ces riuieres tombent en laditte Baye au Su-Eſt enuiron de laditte iſle que leſdicts ſauuages diſent y auoir ceſte mine blanche. Au coſté du Nort de laditte Baye[7] ſont les mines de cuiure, où il y a bon port pour des vaiſſeaux, & vne petite iſle à l’entrée du port. Le fonds eſt vaſe & ſable, où l’on peut eſchouer les vaiſſeaux.

De ladicte mine iuſques au commencement de l’entrée deſdittes riuieres, il y a quelques 60. ou 80. lieuës par terre. Mais du coſté de la mer, ſelon mon iugement, depuis la ſortie de l’iſle de Sainct Laurent & terre ferme[8], il peut y auoir plus de 50. ou 60. lieuës iuſques à la ditte mine.

Tout ce païs eſt très beau & plat, où il y a de toutes les ſortes d’arbres que nous auons veus allant au premier ſault de la grande riuiere de Canadas, fort peu de ſapins & cyprez.

Voylà au certain ce que i’ay apprins & ouy dire audict ſieur Preuert.



  1. Le sieur Prévert n’avait point vu par lui-même ce qu’il rapporte ici à Champlain ; il s’était contenté d’envoyer deux ou trois de ses hommes, avec quelques sauvages, à la recherche des mines. Il ne faut donc pas s’attendre à trouver beaucoup d’exactitude dans tout ce récit. « Il nous faut, » dit Lescarbot, liv. III, ch. XXXIII, « retourner quérir Samuel Champlein… afin qu’il nous diſe quelques nouvelles de ce qu’il aura veu & ouï parmi les ſauvages… Et afin qu’il ait vn plus beau champ pour réjouir ſes auditeurs, ie voy le ſieur Prevert de Sainct Malo qui l’attend à l’iſle Percée, en intention de lui en bailler d’vne ; & s’il ne ſe contente de cela, lui bailler encore avec la fable des Armouchiquois la plaiſante hiſtoire du Gougou, qui fait peur aux petits enfans, afin que par après l’Hiſtoriographe Cayet ſoit auſſi de la partie en prenant cette monnoye pour bon aloy. » Il n’y a là-dessus qu’une remarque à faire : il était beaucoup plus facile à Lescarbot, cinq ou six ans plus tard, de tourner en ridicule la crédulité de Champlain, qu’à celui-ci de bien discerner du premier coup ce qu’il pouvait y avoir de vrai ou de faux dans les récits d’un homme dont il n’avait peut-être pas de raison alors de soupçonner la véracité.
  2. Les Souriquois étaient sans doute intéressés à donner au sieur Prévert une aussi mauvaise idée que possible de leurs ennemis ; et, d’ailleurs, le sieur Prévert était assez disposé à en inventer au besoin, comme Champlain put bientôt le constater par lui-même. « Les Armouchicois, » dit Lescarbot, « ſont auſſi beaux hommes (ſouz ce mot « ie comprens auſſi les femmes) que nous, bien compoſés & diſpos… » (Liv. III, ch. XXIX.)
  3. Ce passage donnerait à entendre que, dans l’origine, on comprenait sous ce nom d’Acadie une bien plus grande étendue de côtes, puisque le pays des Armouchiquois ne commençait qu’au-delà du Kénébec ; c’est du moins ce que nous assurent Champlain et le P. Biard, qui tous deux visitèrent les lieux. (Voir 1613, p. 39.)
  4. Champlain parle ici sur le rapport de Prévert.
  5. Si la description faite par le sieur Prévert, ou plutôt par ses hommes, se rapporte au bassin des Mines, comme le comprit Champlain lui-même (voir édit. 1613, ch. III), cette latitude est beaucoup trop faible ; le bassin des Mines est tout entier au-delà du quarante-cinquième degré.
  6. Aujourd’hui l’île du Prince-Édouard.
  7. On croit reconnaître ici, avec Champlain (édit. 1613, ch. III), l’entrée ou le canal du bassin des Mines, l’île Haute, et le port ou havre à L’Avocat, où « le fonds eſt vaſeux & ſablonneux, & les vaiſſeaux y peuuent eſchouer. »
  8. De cette sortie, qui est évidemment le détroit de Canseau, jusqu’au bassin des Mines, il y a, par mer, environ cent soixante lieues.