Œuvres de Du Marsais/Tomme III/Des Tropes/Avertissement de l'auteur.

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Œuvres de Du Marsais
Pougin (3p. vii-xii).


AVERTISSEMENT


De l’auteur.



Peu de tems après que ce livre parut pour la première fois, je rencontrai par hazard un homme riche qui sortoit d’une maison pour entrer dans son carosse. Je viens, me dit-il en passant, d’entendre dire beaucoup de bien de votre Histoire des Tropes. Il crut que les Tropes étoient un peuple. Cette aventure me fit faire réflexion à ce que bien d’autres persones m’avoient déjà dit, que le titre de ce livre n’étoit pas entendu de tout le monde ; mais après y avoir bien pensé, j’ai vu qu’on en pouvoit dire autant d’un grand nombre d’ouvrages auxquels les auteurs ont conservé le nom propre de la science ou de l’art dont ils ont traité.

D’ailleurs, le mot de Tropes n’est pas un terme que j’aie inventé, c’est un mot conu de toutes les persones qui ont fait le cours ordinaire des études, et les autres qui étudient les belles-lettres françoises trouvent ce mot dans toutes nos rhétoriques.

Il n’y a point de science ni d’art qui ne soit désigné par un nom particulier, et qui n’ait des termes consacrés, inconus aux persones à qui ces sciences et ces arts sont étrangers. Les termes servent à abréger, à mettre de l’ordre et de la précision, quand une fois ils sont expliqués et entendus. Seulement la bienséance, et ce qu’on apèle l’apropos, exigent qu’on ne fasse usage de ces termes qu’avec des persones qui sont en état de les entendre, ou qui veulent s’en instruire, ou enfin, quand il s’agit de la doctrine à laquelle ils apartiènent.

J’ai ajouté dans cette nouvelle édition, l’explication des noms que les grammairiens donent aux autres figures, tant à celles qu’ils apèlent figures de dictions, dictionum figurœ, qu’à celles qu’ils noment figures de pensées, figurœ sententiarium.

Cète addition ne sera pas inutile, du moins à une sorte de persones ; et pour le prouver, je vais raconter en peu de mots ce qui y a doné lieu.

J’alai voir, il y a quelque tems, un jeune home qui a bon esprit, et qui a aquis avec l’âge assez de lumières et d’expérience pour seniir qu’il lui seroit utile de revenir sur ses pas, et de relire les auteurs classiques. Les jeunes gens qui comencent leurs études, et qui en fournissent la carrière, n’ont pas encore assez de consistance, du moins comunément, pour etre touchés des beautés des auteurs qu’on leur fait lire, ni même pour en saisir le sens. Il seroit à souhaiter que le goût des plaisirs et les ocupations de leur état leur laissassent le loisir d’imiter le jeune home dont je parle.

Je le trouvai sur Horace. Il avoit sur son bureau l’Horace de M. Dacier, celui du P. Sanadon, et celui des Variorum avec les notes de Jean Bon. Il en étoit à l’Ode XIII. du Ve. Livre Horrida tempestas. Horace au troisième vers nunc mare, nunc syluœ ; fait ce dernier mot de trois syllabes sy-lu-æ. M. Dacier ne fait aucune remarque sur ce vers ; le P. Sanadon se contente de dire qu’Horace a fait ici ce mot de trois syllabes, et que ce n’est pas la première fois que ce Poète l’a employé ainsi. Jean Bon ajoute qu’Horace a fait ce mot de trois syllabes par Diérèse, per Diœresin. Mais qu’est-ce que faire un mot de trois syllabes par Diérèse ? c’est ce que Jean Bon n’explique pas, me dit ce jeune home. Y a-t-il là quelque mystère ? Ne vous en dit-il pas assez, lui répliquai-je, quand il vous dit que le mot est ici de trois syllabes ? Oui, me répondit-il, si le comentateur en demeuroit-là, mais il ajoute que c’est par Diérèse, et voilà ce que je n’entends point. Dans un autre endroit il dit que c’est par Aphérèse, ailleurs par Epenthèse, etc.

Je voudrois bien, ajouta le jeune home, que puisque ces termes sont en usage chez les grammairiens, ils fussent expliqués dans quelque recueil où je puisse avoir recours au besoin. Ce fut ce qui me fit venir la pensée d’ajouter l’explication de ces termes à celle des Tropes.

Come les géomètres ont doné des noms particuliers aux diférentes sortes d’angles, de triangles et de figures géométriques, angle obtus, angle adjacent, angles verticaux, triangle îsoscèle, triangle oxygone, triangle scalène, triangle amblygone, etc., de même les grammairiens ont doné des noms particuliers aux divers changemens qui arivent aux lettres et aux syllabes des mots. Le mot ne paroit pas alors sous sa forme ordinaire ; il prend, pour ainsi dire, une nouvelle figure à laquelle les grammairiens donent un nom particulier. J’ai cru qu’il ne seroit pas inutile d’expliquer ici ces diférentes figures, en faveur des jeunes gens, qui en trouvent souvent les noms dans leurs lectures, sans y trouver l’explication de ces noms.

On me dira peut-être que je m’arrête ici quelquefois à des choses trop aisées et trop comunes. Mais les jeunes gens, pour qui principalement ce livre a été fait, ne viènent pas dans le monde avec la conoissance des choses comunes, ils ont besoin de les aprendre, et l’on doit les leur montrer avec soin, si l’on veut les passer à la conoissance de celles qui sont plus dificiles et plus élevées, parce que celles-ci suposent nécessairement celles-là. C’est dans le discernement de la liaison, de la dépendance, de l’enchainement et de la subordination des conoissances, que consiste le talent du maître.

D’autres, au contraire, trouveront que ce traité contient des réflexions qui sont au-dessus de hi portée des jeunes gens, mais je les suplie d’observer que je supose toujours que les jeunes gens ont des maîtres. Mon objet est que les maîtres trouvent dans cet ouvrage les réflexions et les exemples dont ils peuvent avoir besoin, si ce n’est pour eux-mêmes, au moins pour leurs élèves. C’est ensuite aux maîtres cl régler l’usage de ces réflexions et de ces exemples, selon les lumières, les talens et la portée de l’esprit de leurs disciples. C’est cète conduite qui écarte les épines, qui done le goût des lettres ; de là l’amour de la lecture, d’où naît nécessairement l’instruction, et l’instruction fait le bon citoyen, quand un intérêt sordide et mal entendu n’y forme pas d’opposition.