Œuvres de Lagrange/Pièces diverses/Note sur un paradoxe qu’on rencontre dans les formules de l’attraction d’un point vers une surface sphérique quelconque
NOTE
SUR UN PARADOXE
QU’ON RENCONTRE DANS LES FORMULES DE L’ATTRACTION D’UN POINT
VERS UNE SURFACE SPHÉRIQUE QUELCONQUE[1].
Dans l’article Gravitation de l’Encyclopédie et dans le troisième tome des Recherches sur le Système du Monde (p. 198), il est parlé d’un certain paradoxe qu’on rencontre dans les formules de l’attraction d’un point vers une surface sphérique quelconque. Comme l’explication que j’en ai trouvée, et que j’ai même communiquée à l’Auteur, dans une lettre particulière, me paraît fondée, et que d’ailleurs elle tient immédiatement aux principes établis ci-dessus, je crois qu’on voudra me permettre d’ajouter ici deux mots sur ce point. Voici en quoi consiste le paradoxe. Soit cherchée l’attraction d’une surface sphérique sur un point placé sur la surface même, dans le cas des forces en raison inverse des carrés des distances. Si l’on commence par considérer le point au delà de la surface, et que, ayant trouvé l’expression générale de son attraction, on fasse ensuite évanouir la distance de ce point à la surface, on aura pour l’attraction. Au contraire, si le point est d’abord supposé au dedans de la surface, son attraction se trouve toujours égale à zéro, d’où elle reste encore nulle quand le point vient toucher la surface même. Que si l’on veut d’abord regarder le point comme placé sur la surface, on obtient pour lors la formule de son attraction On a donc trois valeurs différentes qui semblent appartenir au même cas, ce qui doit paraître, au premier aspect, absurde et contradictoire. Pour trouver le dénouement de cette difficulté, il faut rechercher avec soin ce que ces trois manières de considérer le même cas peuvent avoir de différent entre elles. Or je dis que cette différence dépend du point de la surface qui exerce une force finie, et sur le point lorsqu’on fait évanouir leur distance Pour s’en convaincre on n’a qu’à réfléchir qu’un point de surface est nécessairement un infiniment petit du second ordre, et que la fonction de la distance évanouissante devient, aussi infiniment petite du même ordre ; d’où il s’ensuit que l’attraction du point qui est proportionnelle à ce point, divisée par là fonction donnée, deviendra finie, et l’on peut s’assurer d’ailleurs que cette attraction sera précisément Cela posé, quand on fait venir le point à la surface, de dehors, on a l’attraction qui est composée de l’attraction du point et de l’autre partie qui doit nécessairement exprimer l’attraction du reste de la surface. Mais, si l’on fait que le point vienne toucher la surface au dedans, alors l’attraction du point devra agir en sens contraire, et, jointe avec l’autre partie qui agit dans le même sens qu’auparavant, donnera pour l’attraction dans ce cas ; enfin, si le point est d’abord placé sur la surface en on exclut dans ce cas l’attraction du point de la surface et l’on a seulement pour l’attraction totale, tout de même comme nous le donne le calcul. Pour sentir mieux la raison de ces différences, il faut faire le calcul en entier on verra aisément que la différentielle est composée de deux parties, dont l’une est toute multipliée par la distance du point à la surface, et devient par conséquent égale à zéro lorsque cette distance s’évanouit, l’autre partie donnant pour intégrale. C’est le cas où le point est d’abord placé sur la surface ; mais, si l’on achève l’intégration avant de faire évanouir cette distance, on trouve, pour l’intégrale de la première partie, une expression finie, qui se réduit au contact à si le point a été supposé dehors, et à si on l’a supposé dedans, d’où l’on tire, pour le premier cas, et pour l’autre. Voilà donc pourquoi la même formule ne peut pas servir pour tous les cas possibles ; car dans le passage du point de dehors en dedans, il faudrait que l’attraction devînt tout d’un coup et puis ce qui choque directement la loi de continuité généralement admise dans les formules algébriques. M. Daniel Bernoulli avait déjà senti l’incompatibilité de ces cas dans une même formule, comme il paraît dans l’Article 4 du Chapitre II de la Pièce Sur le flux et reflux de la mer. Au reste, il ne doit pas paraître étonnant qu’un point qui, par rapport à une surface, doit être regardé comme zéro, puisse dans certains cas exercer une force finie, car il est clair qu’il suffit pour cela que la fonction qui exprime la force devienne infinie, et infinie du même ordre que le point est infiniment petit. Nous avons vu comment une formule qui est toujours égale à zéro peut recevoir une valeur tinie dans certains cas particuliers (Chapitre VI de ma Dissertation sur le son) ; c’est la même chose qui arrive ici. Au reste les Géomètres ne sont plus étrangers à ces sortes de paradoxes, si on les peut nommer ainsi (car je n’y vois que des conséquences toutes naturelles des suppositions qu’on a faites dans le calcul). M. Clairaut a fait voir un semblable cas dans sa Théorie sur la figure de la Terre, Article 45 de la première Partie, et le P. Boscovich dans un Mémoire Sur l’attraction des corps vers un centre fixe, imprimé dans la troisième partie du second tome des Commentaires de l’Académie de Bologne, et l’on voit dans la dissertation présente que le dénouement des difficultés sur le passage des logarithmes des nombres positifs à ceux des nombres négatifs dépend d’un pareil principe.
M. d’Alembert apporte encore pour objection à la loi de continuité l’exemple de la courbe que M. Euler avait déjà proposé dans son Mémoire sur les logarithmes. Cette équation dégagée des radicaux monte au huitième degré, et a généralement un diamètre ; cependant, dans le cas où elle ne monte plus qu’au quatrième, et perd tout d’un coup son diamètre ; mais il faut remarquer que cela n’arrive que parce que la courbe dans ce cas devient un système de deux, qui sont exprimées par
dont chacune en particulier est, à la vérité, destituée de diamètre ; mais leur système le conserve toujours. Tous les ordres des courbes algébriques contiennent des exemples de cas semblables.
- ↑ Cette Note de Lagrange se trouve placée au bas des pages 142 à 145 d’un Mémoire du chevalier Daviet De Foncenex, inséré dans le tome I des Miscellanea Taurinensia, et ayant pour titre Réflexions sur les quantités imaginaires. (Note de l’Éditeur.)