Œuvres de Lagrange/Pièces diverses/Sur le principe des vitesses virtuelles

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SUR LE
PRINCIPE DES VITESSES VIRTUELLES.


(Journal de l’École Polytechnique, Ve Cahier, t. II, prairial an VI.)


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Dans les démonstrations que l’on a données du principe des vitesses virtuelles, on l’a fait dépendre du principe de la composition des forces ou de celui de l’équilibre du levier. Ces deux principes sont en effet les fondements ordinaires de la Statique ; mais on sait qu’ils ne sont pas assez évidents pour n’avoir pas besoin eux-mêmes de démonstration. Il y a un autre principe qui peut également servir de base à la science de l’équilibre, et qui joint à l’avantage d’être évident par lui-même celui de conduire directement au principe des vitesses virtuelles : c’est le principe de l’équilibre des moufles.

Si plusieurs poulies sont jointes ensemble sur une même chape, on appelle cet assemblage moufle, et la combinaison de deux moufles, l’une fixe et l’autre mobile, embrassées par une corde dont l’une des extrémités est fixement attachée et l’autre est tirée par une puissance, forme une machine dans laquelle la puissance est au poids porté par la moufle mobile, comme l’unité est au nombre des cordons qui aboutissent à cette moufle, en les supposant tous parallèles et en faisant abstraction du frottement et de la roideur de la corde ; car il est visible qu’à cause de la tension uniforme de la corde dans toute sa longueur le poids est soutenu par autant de puissances égales à celle qui tend la corde, qu’il y a de cordons qui soutiennent la moufle mobile, puisque ces cordons sont tous supposés parallèles.

Maintenant, soit un système de corps ou plutôt de points disposés entre eux d’une manière quelconque, et tirés chacun par une ou plusieurs puissances, suivant des directions données ; on demande la loi générale de l’équilibre de ce système.

Nous supposerons d’abord que toutes les puissances qui se font équilibre soient commensurables entre elles, en sorte que, étant leur commune mesure, aussi petite qu’on voudra, ces puissances soient exprimées par étant des nombres entiers. Il est clair qu’on peut représenter chaque puissance comme ou plutôt son action, par celle d’une corde, fixe par une de ses extrémités et tendue à l’autre extrémité par un poids laquelle embrasserait deux moufles, l’une mobile, attachée au point du système sur lequel la puissance agit, et l’autre fixe dans un point quelconque de la direction de cette puissance, la moufle mobile étant composée de poulies, de manière qu’il y ait cordons qui y aboutissent ; car alors le poids produira sur cette moufle, et par conséquent sur le point du système auquel elle est supposée attachée, une force multipliée par le nombre des cordons, c’est-à-dire une force égale à

De plus il est visible qu’on peut produire toutes les différentes puissances par le même poids attaché à une des extrémités d’une corde dont l’autre extrémité serait fixe, et qui passerait successivement sur toutes les moufles appartenant à chaque point du système, au moyen de poulies de renvoi fixées aux moufles fixes. Dans cette disposition, il est évident que l’équilibre du système n’aura lieu, généralement parlant, que lorsque la position du système sera telle que le poids ne pourra plus descendre ; car, s’il pouvait encore descendre par un changement dans la position du système, comme ce changement est supposé entièrement libre, le poids descendrait nécessairement. Je dis généralement parlant ; car on sait qu’il y a des cas particuliers d’équilibre ou la descente du poids serait la plus petite au lieu d’être la plus grande. Sur quoi voyez la Mécanique analytique.

Cela posé, supposons, pour plus de simplicité, que l’extrémité fixe de la corde soit attachée à la première moufle fixe, et que l’autre bout de la corde porte le poids, après avoir passé sur la poulie de renvoi fixée à la dernière moufle fixe. Soient la distance entre les deux premières moufles, l’une fixe et l’autre mobile, d’où résulte la force la distance entre les deux autres moufles qui produisent la force la distance entre les moufles qui produisent la force et ainsi de suite. Soient de plus la distance entre les deux premières poulies de renvoi, la distance entre la seconde et la troisième, la distance entre la troisième et la quatrième, et ainsi de suite ; enfin soit la portion de la corde interceptée entre la dernière poulie de renvoi et le poids attaché à son extrémité. Il est facile de voir que, comme il y a cordons qui joignent les deux premières cnoufles ; la longueur totale de la corde qui embrasse ces moufles sera de même la longueur totale de la portion de la corde qui embrasse les deux moufles suivantes sera et ainsi de suite ; nous faisons abstraction ici du diamètre des poulies, qu’on peut supposer aussi petit qu’on voudra. De plus les portions de la corde qui se trouvent entre les poulies de renvoi seront donc, ajoutant à toutes ces parties la dernière portion de la corde, on aura

pour la longueur totale de la corde, que nous désignerons par De là nous tirons

Dans cette équation, les quantités sont constantes et données, ainsi que les nombres par la nature du système ; les distances sont des variables qui dépendent de la position du système, et la quantité détermine la descente du poids laquelle devant être la plus grande dans l’état d’équilibre du système, il faudra que soit alors un maximum.

Ainsi l’on aura en général, pour l’équilibre du système, soit que la quantité soit un maximum ou un minimum, la condition

les fonctions primes se rapportant à chacune des variables d’où dépendent les quantités

L’équation précédente, étant multipliée par devient

équation générale du principe des vitesses virtuelles pour un système de points tirés par les forces suivant les directions des lignes puisque les fonctions primes ne sont autre chose que les vitesses que les points du système pourraient recevoir, suivant la direction de ces mêmes lignes, par un changement quelconque de position du système. [Voir le no 210[1] de la Théorie des fonctions, auquel ce que nous venons de démontrer peut servir de supplément.]

Quoique la démonstration précédente suppose la commensurabilité des puissances, elle n’en est pas moins générale pour des puissances quelconques, et il ne serait pas difficile de l’appliquer aux puissances incommensurables par les raisonnements connus ; mais nous ne nous y arrêterons pas.

J’ajouterai seulement, par rapport aux cas d’équilibre où la descente du poids serait un minimum, que ces sortes d’équilibres peuvent toujours se ramener à l’équilibre du maximum, en prenant les forces dans des directions contraires à leurs directions propres ; car on sait que, si des forces se font équilibre dans un système quelconque, l’équilibre subsistera encore en donnant aux mêmes forces des directions opposées, pourvu qu’il n’en résulte aucun dérangement dans le système, c’est-à-dire que les corps ou points, qui par la nature du système doivent être contigus ou à des distances données, soient obligés de conserver leur position respective après le changement de direction des forces ; et il est facile de prouver que, si la descente du poids était un maximum dans le premier état, elle ne sera plus qu’un minimum après ce changement, et, réciproquement, qu’elle deviendra un maximum si elle était un minimum.


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  1. Il s’agit ici de la première édition de la Théorie des fonctions. (Voir le no 30 du Chapitre V de la troisième Partie de l’Ouvrage, pour la deuxième édition.)
    (Note de l’Éditeur.)