Œuvres diverses/Des Canaux de navigation dans l’état actuel de la France

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DES CANAUX DE NAVIGATION
DANS
L’ÉTAT ACTUEL DE LA FRANCE[1].


1818

Pour qui sait observer, jamais le patriotisme français n’a été plus prononcé qu’à l’époque où nous sommes. Non, ce patriotisme qui ressemble à l’esprit, de parti, ce patriotisme exclusivement occupé de faire triompher un système aux dépens d’un autre ; mais ce patriotisme pour qui le bien du pays est tout ; qui le cherche par tous les moyens compatibles avec le bon ordre ; qui voit par le bon côté les institutions existantes ; et qui pense que le plus sûr moyen de leur concilier l’opinion publique, est de les faire servir à la prospérité générale.

Les derniers progrès de l’économie politique ont été très-favorables au développement de cet utile patriotisme. La découverte des véritables sources des richesses, en montrant qu’on les trouve dans la culture de ses terres, dans l’emploi de ses capitaux, dans l’activité de son industrie, plus sûrement et plus abondamment que dans les dépouilles de l’ennemi, a détruit le fondement des jalousies nationales, et ce système de déprédations, héritage sanglant des nations de l’antiquité, que nous a trop fidèlement transmis la barbarie du moyen âge. On commence à s’apercevoir que la plus mauvaise paix est plus profitable que la guerre la plus glorieuse ; et à mesure que les gouvernements représentatifs prendront plus de consistance, la tendance aux communications pacifiques deviendra plus générale et plus décidée, parce qu’elle est dans l’intérêt des nations. Quel congrès, fût-ce celui de l’abbé de Saint Pierre, pourrait offrir de plus solides bases ?

J’en reviens au patriotisme des Français tel qu’il se manifeste à nos yeux. Je vois que tout ce qui présente des avantages sociaux évidents réveille le zèle de toutes les classes de la société. Les talents s’empressent de fournir des vues ; les grandes fortunes avancent des fonds ; l’Administration prête son appui et accorde de bonne grâce tous les encouragements qui dépendent d’elle. Les écoles pour l’instruction première se multiplient partout. Le plus beau pont de l’Europe se construit à Bordeaux, comme pour servir de couronnement au plus beau port de la France. De nouveaux bassins vont faire du Havre, de cette ville qui dans le dernier siècle n’était qu’une retraite de pêcheurs, un port de mer du premier ordre, le port de mer de Paris. Nulle part l’argent ne manque pour des entreprises utiles, du moment qu’on croit pouvoir les conduire avec sécurité.

Dans de telles circonstances, trouverait-on superflues quelques notions qui peuvent tendre à donner une bonne direction à de si louables efforts, et qui par conséquent doivent en assurer le succès ? Le zèle et le courage, éléments si nécessaires de toute espèce de succès, ne sont pas les seuls ; les travaux d’art les plus parfaits pourraient eux-mêmes ne donner aucun résultat, ou ne produire que de somptueuses inutilités. Il est encore d’autres données qui doivent entrer dans de bons calculs, et c’est à l’économie politique à les fournir.

Parmi beaucoup d’objets d’utilité publique, on s’occupe vivement des canaux de navigation. Mais tout le monde sait-il bien en quoi et jusqu’à quel degré ils sont favorables à la richesse nationale ? Je voudrais pouvoir conduire avec moi les personnes qui pourraient concevoir quelques doutes sur ce point, jusques dans les gorges des montagnes du Jura, en Auvergne ou dans les Pyrénées ; je leur montrerais des arbres de cent pieds de haut, qui ne valent pas cent sous ; que dis-je ? qui n’ont aucune valeur, puisque leurs propriétaires les laissent périr sur place. Je leur montrerais ensuite ces mêmes arbres, ou les planches qui en proviendraient, conduits par des transports faciles sur les quais d’une grande ville, acquérant dès lors une valeur, et fournissant de nouveaux produits aux besoins de l’industrie et de la consommation.

Appliquons les réflexions que fait naître cet exemple à tous les cas de production et de consommation, et nous aurons la clef de tous les avantages que procurent la mer, comme moyen de communication, les chemins praticables, et les canaux de navigation qui ne sont que des routes perfectionnées. Création de valeurs là où elles n’existaient pas ; augmentation de valeur là où elle existait ; augmentation de la quantité des produits en faveur du consommateur[2]. Dès lors toutes les parties d’un pays jouissent de tous leurs moyens de production. On peut, avec sécurité, produire des blés dans la Beauce, des vins dans la Champagne, des huîtres à Cancale, et des pâtés à Amiens. Les frais de transport de tous ces produits à Paris, n’absorbent pas la totalité de leur valeur, et Paris, de son côté, peut les payer en meubles, en châles, en livres…. Qui peut nombrer l’immensité de ses produits ?

Cependant les progrès dans l’industrie commerciale, comme dans les autres industries, consistent à obtenir les mêmes avantages à moins de frais, ou, ce qui revient exactement au même, de plus grands avantages pour les mêmes frais. Les produits en sont moins chers ; ils sont plus généralement consommés, plus activement reproduits. Or, le roulage est un moyen de communication borné et dispendieux. Il n’appartient pas à un état très-avancé de communications commerciales et d’approvisionnements. La navigation intérieure, dans la plupart des cas, doit remplacer le roulage, comme le roulage a remplacé le transport à dos de mulet. Une bête de somme porte sur son dos deux à trois quintaux : une fois qu’elle est attelée à une charrette, elle en traîne quinze à dix-huit ; par le moyen des bateaux, elle en mène plus de soixante.

En deux mots, tous les moyens de communication sont bons, en ce qu’ils multiplient les valeurs qui sont des richesses ; et parmi les moyens de communication, les meilleurs sont les canaux.

Si, ce que je ne crois pas possible, quelque homme, retranché derrière les vieilles habitudes, et attaqué d’une espèce d’hydrophobie contre tout ce qui ressemble à des progrès, nous disait d’un air capable : Puisqu’on s’est passé de canaux pendant quatorze cents ans, on peut bien s’en passer encore ; il faudrait renvoyer ce brave homme aux douceurs du règne de Chilpéric ; ou bien si quelque bourgeois, regardant avec raison Chilpéric comme une plaisanterie, voulait seulement s’en tenir à ce qu’ont fait ses prédécesseurs, échevins de cette cité, on pourrait lui montrer le plus hupé d’entre eux, il y a trois ou quatre siècles, endossant le matin son habit de bure pour vaquer à ses affaires. Il passait par un casse-cou qu’il appelait un escalier, pour sortir de sa bicoque qu’il appelait une maison ; et, après avoir franchi une mare croupissante, formée par les eaux de son ménage, il enjambait les ornières profondes dont étaient sillonnées des rues sans pavés ; et le soir il devait s’estimer heureux s’il rentrait, à tâtons, sans avoir été dépouillé par des voleurs. Nous qui parlons, je me flatte que nous ne serons pas si ridicules aux yeux de nos descendants, mais ne nous figurons pas pourtant qu’ils ne nous trouveront pas un peu retardés sous certains rapports.

Passons donc sur des objections trop indignes de nous arrêter, et voyons en quoi l’état de la France réclame plus vivement des communications navigables qu’à aucune époque antérieure.

Au milieu de nos troubles et des convulsions de l’Europe, l’industrie française a pris un très-grand développement. C’est un fait qui n’est plus contesté. On peut en assigner les causes ; elles sont nombreuses, mais étrangères au but que je me propose en ce moment. Je ferai seulement remarquer qu’une interruption presque totale de communications maritimes, et des armées nombreuses sur le continent, ont refoulé constamment cette industrie vers l’intérieur ; les arts, les manufactures et le commerce intérieur, ont été appelés à pourvoir aux besoins d’une population toujours croissante et accoutumée à se mieux traiter ; car la fièvre des révolutions et des conquêtes n’est pas de ces maladies qui commandent la diète.

Les denrées nécessaires à la consommation de nos ménages, les matières premières de nos manufactures, ont plus que jamais circulé sur ces belles chaussées, restes du moins utiles de la grandeur de Louis XIV et du patriotisme de nos États provinciaux. Mais, à toutes les époques, on s’est plaint de la dégradation de nos routes et des grandes dépenses qu’il fallait faire pour les entretenir, même imparfaitement. Preuve qu’elles étaient fatiguées par de trop lourds fardeaux, et que les différents gouvernements qui se sont succédé, songeaient à se soutenir par d’autres moyens encore que l’amour du bien public, qui cependant est le seul appui solide.

Mais nos grandes routes fussent-elles aussi bien entretenues qu’elles sont fastueuses, les denrées lourdes et encombrantes ne peuvent supporter les frais d’un charroi un peu long. Les seuls favoris de la fortune pourraient se chauffer à Paris, si le bois et la houille n’y parvenaient que par la voie de terre. Les grains et farines, même lorsque leur rareté en élève le prix très-haut, ne peuvent supporter, par terre, un transport éloigné. Dans la dernière disette, l’Alsace mourait de faim, tandis que la Bretagne était dans l’abondance.

Les grands fleuves qui arrosent la France, sont loin d’être utiles autant qu’ils pourraient l’être aux communications commerciales. On peut, si l’on veut, transporter par eau des marchandises de Nantes à Paris. On évite autant qu’on peut d’expédier par cette voie. Malgré la communication plus directe de Rouen à Paris par la navigation, le roulage est encore préféré. La navigation des fleuves est trop souvent entravée, lorsqu’ils n’ont pas des canaux qui sauvent une partie de leurs détours, qui marchent même à leurs côtés, et sur lesquels les bateaux trouvent, en toute saison, une quantité d’eau suffisante, une eau sans courant, sur laquelle ils puissent glisser également bien dans les deux directions.

D’ailleurs, les fleuves fussent-ils en tout temps navigables, il faut bien une navigation artificielle pour passer du bassin d’une rivière dans le bassin d’une autre. C’est l’avantage qui résulte des canaux à point de partage et de l’usage des écluses, de ces encaissements où l’on introduit les bateaux, et où l’on fait arriver l’eau jusqu’à ce que le bateau soit soulevé au niveau du canal supérieur sur lequel il doit naviguer. De gradins en gradins, on lui fait de cette manière franchir le dos des hauteurs qui séparent les vallées. Il suffit de former, dans le lieu le plus bas de ces hauteurs, des réservoirs capables de subvenir à la dépense d’eau que réclame de part et d’autre le jeu des écluses.

M. Girard, dans un excellent Mémoire qu’il a lu à l’Académie des Sciences, a fait remarquer que les progrès de la navigation intérieure des États, ont été en raison inverse de la grandeur des canaux qu’on y a creusés. Les anciens ont voulu faire passer des navires de la mer Rouge dans la Méditerranée, et du Pont-Euxin dans la mer Caspienne. Il paraît qu’ils ont échoué. Lorsqu’au quinzième siècle on se fut avisé îles écluses, on réduisit les canaux à transporter les barques en usage sur les rivières, d’un lit dans un autre. C’est sur ce plan que fut creusé, sous Henri IV, le canal de Briare, et, sous Louis XIV, celui du Midi ; monuments honorables pour le règne de ces princes et pour le génie des Français.

Toutefois, la beauté de ces canaux a rendu leur confection et leur entretien dispendieux. Leurs résultats, quelque vantés qu’ils soient, ne présentent peut être pas une indemnité suffisante de ce qu’ils ont coûté[3].

Un dernier pas restait à faire : c’était de rendre les canaux simplement des chemins fluides, sur lesquels on pût faire glisser, sans frottement, de longues caisses rectangulaires, qui méritassent à peine le nom de bateaux, mais qui, enchaînées les unes aux autres et se prêtant à toutes les sinuosités de leur route, comme les anneaux d’un serpent, fussent pourtant suffisantes pour toute espèce de transport et pour le commerce le plus actif. Or, c’est ce qu’ont fait les Anglais. Le duc de Bridgewater, vers 1758, imagina de rendre navigables les rigoles formées par l’eau d’épuisement de ses mines de charbon de terre, dans le voisinage de Manchester. Il établit un canal parallèle a la rivière Mersey, pour communiquer avec Liverpool, et ramener les produits de ce port de mer. Il réussit ; et rien n’est contagieux comme le succès. C’est depuis ce temps que les canaux de navigation, devenus moins dispendieux et couvrant moins d’espace, ont pu se multiplier à tel point sur la surface de l’Angleterre, que leur longueur totale excède aujourd’hui deux mille lieues.

Les petits canaux exigeant peu de dépense d'eau pour le service des écluses, et leur premier établissement, comme leur entretien, n'entraînant pas des dépenses excessives, les droits de navigation, sans être onéreux pour le commerce, indemnisent largement leurs entrepreneurs.

Tels sont les moyens de communication que réclame aujourd'hui la France. Elle les réclame plus vivement encore que l'Angleterre, car elle n'est point, comme elle, dédommagée des difficultés de ses communications intérieures par un développement de côtes considérable, et un littoral fortement découpé, qui laisse pénétrer les mers jusques dans le cœur du pays. Les houilles de Newcastle et du Lancashire peuvent arriver à Londres par mer; pouvons-nous faire venir de même celles de Saint-Étienne et de Valenciennes? Sachons donc gré aux capitalistes patriotes qui dirigent leurs vues vers ces utiles spéculations. Puissent-ils, sous un gouvernement protecteur, trouver, dans les produits de leurs entreprises et dans l'approbation publique, un juste dédommagement de leurs sacrifices!

Si toutes les provinces de France ont besoin de canaux navigables, Paris et ses environs les réclament plus vivement que tout autre. Paris est fort différent de ce qu'il était avant la Révolution. De vastes bâtiments passés des mains du sacerdoce dans celles de l'industrie; des capitaux livrés au commerce, parce qu'il n'y avait plus honneur à les dissiper follement; l'activité des esprits, résultat ordinaire des discordes civiles, se portant dans les voies de l'indépendance et de la fortune; les étonnants progrès des sciences appliquées aux arts ; toutes ces causes et plusieurs autres ont, depuis vingt-cinq ans, fait de Paris une des plus importantes manufactures du monde[4].

En même temps que Paris devenait une ville de manufactures, il devenait une ville d’entrepôt. Dunkerque et Bordeaux, Marseille et Rouen ne pouvant plus communiquer ensemble par mer, ont communiqué par Paris. Les denrées d’outre-mer sont arrivées par terre. Tout se rendait au centre et du centre se répandait aux extrémités. C’est ce que peuvent attester les nombreuses maisons de commission qui se sont élevées dans Paris, et les vastes magasins qu’elles ont l’ait construire. C’est ce que confirme cette multitude de maisons de roulage qui se montrent dans presque tous nos quartiers.

L’augmentation de la population de Paris est une nouvelle preuve des progrès de son importance commerciale. M. Necker, en 1784, portait cette population à 640 ou 680 mille habitants, suivant la saison de l’année. Lavoisier ne trouvait que 593,070 âmes. Les relevés faits en 1790, sous l’Assemblée constituante, donnaient un nombre encore inférieur (550, 800 habitants). Et voici qu’un recensement exact, fait en 1817, nous annonce 713,765 habitants !

Il était reconnu en 1789, par les autorités de l’époque, que la consommation journalière de farine dans cette grande ville, était de 1500 sacs de 325 livres chaque[5]. Elle s’élève aujourd’hui à 1860 sacs du même poids, quoique l’on fasse usage, dans la classe indigente, d’une beaucoup plus grande variété d’aliments, et que la consommation des pommes de terre, notamment, ail quadruplé[6]. Aussi, les personnes âgées et judicieuses remarquent-elles que les rues de Paris soûl plus embarrassées de piétons et de charrettes qu’autrefois ; et les magistrats préposés à cette partie de la police, conviennent que les accidents qui en résultent sont aussi plus fréquents qu’à aucune époque antérieure. Le nombre des fiacres n’était que d’environ neuf cents ; il n’y avait point de cabriolets de place. Actuellement le nombre des uns et des autres s’élève a deux mille quatre cents environ.

Les habitants de ces vastes quartiers qui ont été bâtis au nord de Paris dans une ceinture d’une demi-lieue de large, et de près de deux lieues de longueur, viennent se croiser au centre de cette grande ville, dans des rues faites du temps de Philippe-Auguste, pour une population de cent mille habitants, et lorsque le nom même de carrosse et de cabriolet était inconnu.

Or, ce grand accroissement de population, la consommation qui l’accompagne, l’activité commerciale qui en est à la fois la cause et la conséquence, sont principalement alimentés par le roulage. Une multitude de charrettes et de chevaux encombrent et fatiguent les approches de la capitale, tandis que la solitude de la Seine, au-dessus et au-dessous de Paris, est rarement troublée par aucune navigation. Quant aux canaux, il n’y en a point à vingt lieues à la ronde.

Au point où nous en sommes, il faut donc que les canaux de navigation se multiplient. Voilà le but : où sont les moyens ? Le grand art en économie politique, quelque puissant qu’on soit, n’est pas de dire : Je veux. Les obstacles qui naissent de la volonté et des facultés des hommes, sont, dans beaucoup de cas, tout aussi insurmontables que ceux que nous oppose la nature ; ou plutôt ce sont des obstacles naturels aussi bien que les autres. Napoléon, condamnant au bûcher, sur nos places publiques, les marchandises d’Angleterre, n’était pas, aux yeux du philosophe, moins insensé que Xerxès, qui faisait fouetter la mer parce qu’elle avait eu l’insolence d’engloutir ses vaisseaux.

Plusieurs moyens se présentent de favoriser la multiplication des canaux de navigation. Peut-être les examinerai-je quelque jour en détail. Du moins convient-on dès à présent que, pour étendre en tous sens de nombreuses ramifications de canaux, on ne peut guère compter que sur l’industrie et les capitaux des particuliers, et surtout des compagnies qui seules peuvent réunir de grands moyens. M. Delaborde vient de montrer ce qu’on peut attendre de l’esprit d’association et d’administration locale ; et ses pensées ont rencontré des analogues dans tous les esprits. On assure que des capitalistes.citoyens offrent les fonds nécessaires pour terminer enfin cette ceinture de canaux qui, embrassant le nord de Paris, doivent joindre la navigation de la Haute-Seine avec celle de la Seine-Inférieure et de l’Oise. Espérons que le corps qui représente les intérêts communaux, et l’administration éclairée qui représente les intérêts de la France entière, ne laisseront pas échapper cette occasion d’attacher leurs noms à l’achèvement de cette utile et belle entreprise.

Une esquisse des avantages qui doivent en résulter, ne sera pas déplacée ici.

On sait qu’à quelques toises des barrières de Paris, du côté du nord, il existe déjà un port qui approche en grandeur du bassin de Londres[7], et qui l’excède en beauté. Il dépend de nous de voir ce port couvert d’embarcations et entouré de magasins. Les productions des deux mondes peuvent y arriver par le Havre et Rouen ; là peuvent aussi se rendre, par l’Oise, l’Aisne, le canal de Saint-Quentin et l’Escaut, tous les produits des provinces Belgiques et des départements du nord : des charbons de terre, des bois de chauffage et de construction, des huiles et une foule d’autres denrées nécessaires à la consommation de nos fabriques et de nos maisons.

Ce port peut encore être le rendez-vous des vins de la Bourgogne, des productions du midi qui se rendent vers le nord, et en général de toutes les denrées et marchandises qui affluent par la Haute-Seine, l’Yonne, la Loire, l’Allier, et les canaux qui déjà communiquent avec ces rivières.

Les quais ombragés d’arbres qui entourent ce port, seraient bientôt remplis d’une population animée, encombrés de ballots, de portefaix, de charrettes ; on y respirerait ce parfum qu’exhalent les denrées équinoxiales ; on y entendrait ce bourdonnement confus, signe d’une active industrie, précurseur de l’abondance et de la richesse.

Au lieu de réaliser ce tableau, faut-il perdre le terrain et les millions déjà consacrés à ce vaste projet ? Faut-il que le bassin de la Villette demeure une nappe d’eau inutile et déserte, un but de promenade à quelques désœuvrés, un point de vue à deux ou trois guinguettes ?

Il est temps de faire cesser un pareil reproche. Vingt millions engouffrés dans les travaux déjà exécutés, coûtent annuellement un million pour le moins d’intérêts à la ville de Paris, qui paie ce million sur ses revenus, ou, ce qui revient au même, est privée du revenu qu’elle tirerait à présent de ses avances, sans que son commerce, sans que ses nombreux consommateurs jouissent encore des avantages qu’ils s’étaient promis d’un si grand sacrifice[8]. La place de la Bastille, la gare de l’Arsenal, ne sont que des décombres amoncelés dans un cloaque, qui obstruent et déshonorent une des plus belles avenues de Paris, dont ils pourraient être un des plus beaux ornements.

Peut-on, sans quelque regret, voir les vastes terrains qu’occupent déjà les canaux entrepris, ravis à l’agriculture sans être donnés au commerce ? Le voyageur qui arrive du Nord par les routes du Bourget, de Saint-Denis, de Clichy, que pense-t-il en voyant ces avenues de la Capitale coupées par des tranchées, surchargées par des remparts de terre, comme si l’on attendait encore l’ennemi ? Est-ce l’incurie de l’administration qu’il accuse ? Est-ce l’inconséquence de la nation, ou son indigence ?

Il me semble que si, au lieu de ces traces de bouleversement, toujours fâcheuses par les réflexions qu’elles font naître, on rencontrait des ponts solides, des canaux couverts de bateaux dans une perpétuelle activité, des portes d’écluses s’ouvrant à toute heure au commerce et à l’abondance, la vanité nationale (sentiment louable quand il ne se complaît pas dans un vain faste ou dans l’humiliation d’un ennemi), aurait lieu d’être plus satisfaite. Des travaux abandonnés, qui ont de l’inconvénient partout, en ont davantage encore sur des points aussi fréquentés. Je suis importuné de ces remarques qui se renouvellent trois ou quatre cents fois par jour sur un grand travail entrepris durant une administration précédente, et que l’administration régnante ne trouve pas les moyens d’achever.

Or, de quoi s’agit-il ?

Le bassin de la Villette est le réservoir où se rendent déjà les eaux de la petite rivière de Beuvronne. Il reste encore à faire une prolongation de canal de quelques milliers de toises, pour que nous puissions y voir arriver les eaux de la Térouane, et surtout celles de l’Ourcq, rivière assez considérable pour porter bateau, et qui se jette dans la Marne quelques lieues au-dessus de Meaux. Rien ne s’oppose plus à l’achèvement de ces travaux. Les grandes difficultés sont vaincues.

L’eau rassemblée ainsi au bassin de la Villette, excédera dès lors de beaucoup la quantité nécessaire pour alimenter ces belles fontaines vers lesquelles l’étranger se fait conduire dès les premières heures de son arrivée, et qu’il ne peut se lasser de contempler. Un vaste surplus se répandra par deux canaux pourvus d’écluses, d’une part dans la Seine près de Saint-Denis, et d’un autre côté dans le même fleuve par les fossés de l’Arsenal, qui présentent un port déjà creusé, à portée du faubourg Saint-Antoine, de ce faubourg qui lui seul est une ville de manufacture du premier ordre ; et ce port deviendra une gare où les bateaux pourront se mettre à l’abri des accidents de la rivière.

Le premier de ces embranchements doit se nommer le Canal de Saint-Denis ; il est creusé dans toute sa longueur. Il n’attend plus que ses ponts et ses écluses pour amener au port de la Villette les marchandises de Rouen et du Havre, et toutes les denrées qui descendent par l’Oise des départements du nord.

L’autre embranchement, celui qui du port de la Villette doit se rendre au port de l’Arsenal, se nommera le Canal Saint-Martin. Il traversera le faubourg du Temple et le quartier Popincourt. Bordé de quais, d’arbres et de magasins, les bateaux de la Haute-Seine pourront venir se décharger sur ses bords.

Les deux embranchements réunis formeront la jonction de la Seine-Supérieure avec la Seine-Inférieure, de telle manière que les marchandises de la Bourgogne et du midi, destinées pour le nord, et les marchandises d’outre-mer qui seront destinées pour le cœur de la France, ou bien pour la Suisse et l’Allemagne, pourront franchir Paris, dont les ponts nombreux et les barrages qui précipitent le cours de l’eau, présentent en ce moment un obstacle à peu près insurmontable i la navigation.

Les marchandises qui maintenant remontent par eau de Rouen et de l’Oise, arrivées à Saint-Denis, ont encore un détour de sept à huit lieues à faire pour atteindre les ports de Paris. Elles n’ont que trois mille toises à parcourir pour se rendre de Saint-Denis au port de la Villette. Elles évitent plusieurs ponts, des hauts-fonds, les crues d’eau, les débâcles et tous les accidents de rivière. Ce n’est pas tout : le canal de Saint-Denis achevé, celui de Pontoise reconnu praticable par les gens de l’art, en suivant la vallée de Montmorency, ne tarderait pas à s’exécuter. Voilà encore six lieues de gagnées, et les grands détours de la Seine, ses hauts-fonds, ses machines de Marly sont franchis. Le canal de Dieppe, qui lie un autre port de mer avec Paris, reçoit à son tour un puissant encouragement. Son exécution devient assurée. Les produits de l’Oise, c’est-à-dire, ceux de l’Aisne, de la Somme et de l’Escaut, au lieu de faire le circuit de Conflans-Sainte-Honorine, de Saint-Germain, de Marly, et d’y rencontrer et des dépenses et des dangers, arrivent par une route plus directe, plus prompte et plus sûre, au port de la Villette. Cette facilité ouvre de nouveaux débouchés, provoque de nouveaux perfectionnements dans les canaux correspondants du Crozat, de Saint-Quentin, de Mons, et voilà un système de communications commerciales presqu’entièrement créé.

De l’embouchure de l’Oise jusqu’à Rouen, la navigation de la Seine, par un ensemble de canaux bien entendus, peut être rendue et plus courte et plus sûre, et praticable en toute saison. Il est véritablement honteux, qu’à portée de lumières de tous les genres et de capitalistes puissants, et en dépit des intérêts du commerce, la navigation de Rouen à Paris ait encore fait si peu de progrès, et qu’un bateau, pour franchir le court espace d’une de ces villes à l’autre, soit obligé de voyager pendant vingt-cinq jours, au prix d’une dépense de 2,500 à 3,000 fr.

Les canaux entrepris entraînent nécessairement toutes ces améliorations, et beaucoup d’autres du même genre du côté de la haute Seine. Ils facilitent non-seulement la navigation actuelle et en provoquent l’extension, mais la navigation possible ; et celle-ci n’a point de bornes.

Aux avantages d’une navigation plus courte, moins dangereuse et moins dispendieuse, le port de la Villette et ses deux embranchements, en joignent beaucoup d’autres qu’ils tiennent de leur situation par rapport à cette grande ville.

Maintenant, les bateaux qui surmontent les dégoûts que présente la navigation de la Seine, arrivent au quai d’Orsay, au port SaintNicolas. Sur ces bords, le commerce voudrait trouver des magasins : il n’y rencontre que des palais. Franchit-on ces palais, on ne trouve dans les quartiers Saint-Honoré, des Halles, de la Grève, que des maisons resserrées et des rues étroites ; point de terrains pour servir de chantiers, pour y pratiquer des hangars ; et partout des loyers trop chers pour former aucun grand magasin.

Cependant il faut se hâter de débarquer les marchandises ; car les variations de la rivière en font une loi ; et si, tandis que le déchargement se fait, une pluie, un dégel font craindre de grosses eaux, il faut rider les ports en toute hâte. On a plusieurs fois été forcé, dans l’espace d’une nuit, de débarrasser les ports, de remonter les marchandises sur les quais, non sans beaucoup de frais et d’avaries.

Quand il s’agit ensuite de transporter les marchandises qui arrivent par la rivière, dans les magasins des négociants, les voitures occupées à ce transport, partant du lieu le plus bas de la ville, sont obligées d’aller en montant, quel que soit le quartier où elles se dirigent. Il faut qu’elles circulent par des couloirs pleins d’encombrements ; et après avoir échappé aux accidents de la navigation, elles sont exposées à d’autres accidents dans les rues de Paris.

Ce serait toute autre chose avec le port de la Villette : dans quelqu’endroit de Paris qu’on ait affaire, on trouve, partant de là, de belles avenues pour s’y rendre : le faubourg Saint-Denis, le faubourg Saint-Martin, celui du Temple. Les nouveaux boulevards conduisent à ! extrémité de toutes les grandes rues de Paris, et surtout à ce faubourg Saint-Antoine, où les bois de menuiserie et de marqueterie, ceux de teinture, les fers, les charbons de terre, sont perpétuellement appelés. Pour le transport de ces marchandises, les chars ne roulent qu’en descendant et par des chemins où les mêmes fardeaux sont conduits avec moitié moins de chevaux.

Toutes les extrémités de la ville qui avoisinent le port de la Villette et le canal Saint-Martin, offrent de nombreux magasins et de vastes chantiers. Le boulevard Saint-Antoine, toutes les belles percées du Marais, jusqu’à la rue de la Verrerie, deviennent vivantes et animées. A chaque écluse du canal Saint-Martin, on peut établir deux usines pourvues d’un moteur hydraulique. Chacune s’entoure d’une population d’ouvriers et s’ouvre des communications avec les quartiers les plus marchands de Paris.

Les bords du canal, les quais du port, sont entourés de terrains où peuvent se former des entrepôts de toute espèce : entrepôts de houille, bois de chauffage et de construction, de cotrets, de charbons de bois, de fourrages. Les bateaux peuvent y déposer leur chargement, et repartir pour en prendre d’autres. Qu’on veuille bien comparer à cette facilité la patience que doivent avoir les entrepreneurs de navigation,’lui font arriver ces grands bateaux de charbon que nous voyons accumules autour du pont du Louvre et du pont Marie. On ne leur laisse pas commencer la vente de leur cargaison, jusqu’à ce que tous les bateaux antérieurement arrivés, à tour de rôle, aient débité la leur tout entière ; afin que, vidés successivement, ils puissent faire place à d’autres. Ces malheureux marchands attendent, de cette manière, quelquefois jusqu’à dix-huit mois, pour commencer leur vente ! Or, qu’on prenne la peine de calculer ce que la perte de dix-huit mois d’intérêts sur une marchandise prête pour la vente, ce que les frais de garde des bateaux, les droits de gare, les accidents possibles et la détérioration inévitable, doivent ajouter au prix d’un objet de commerce ! Ce sont tous frais qui n’ajoutent rien au mérite de la marchandise, des frais qui retombent sur le consommateur, sans profit pour le producteur.

D’autres motifs encore rendent précieux l’emplacement du port de la Villette.

Une administration dévorante et fiscale prononça le rétablissement des octrois des communes, et entoura chacune de nos villes, de nos bourgs et même de nos villages, d’une ligne de douaniers. Quoique ces droits soient assez modérés dans la plupart des lieux, leur répétition sur divers objets de consommation journalière, ne laisse pas, au bout de l’an, de grever le citadin d’une contribution beaucoup plus forte qu’il ne l’imagine, et qui ne figure pas sur le budget des dépenses publiques.

À Paris, cet impôt est très-considérable. Les dépenses communales de cette grande cité, l’obligation de verser une portion de ses revenus dans le trésor royal, ont exigé qu’on portât l’octroi municipal à un taux qui excède tout ce qu’il avait été jusqu’à présent.Les marchands, petits et gros, qui viennent vendre à Paris des objets de consommation, sont obligés d’en faire l’avance aux barrières, et n’obtiennent le remboursement de cette avance qu’ils font de l’impôt, qu’au moment de la vente souvent tardive de leurs produits. Elle est peu sensible, cette avance, sur les objets qu’on apporte chaque jour au marché par petites portions, mais elle est quelquefois gênante pour le marchand qui fait venir les denrées de plus loin, et par grosses parties, comme cela se pratique, par exemple, pour les charbons de terre. Il lui faut, dès lors, de plus gros capitaux, circonstance qui exclut toujours quelques personnes de la possibilité de faire ce commerce, et qui le rend plus difficile et plus dispendieux, c’est-à-dire, moins avantageux pour le producteur comme pour le consommateur. Si les marchands pouvaient former des dépôts hors des barrières, ils ne paieraient point d’octroi au moment où ils reçoivent leurs marchandises ; ils n’en feraient entrer que ce qui serait nécessaire pour garnir leurs magasins de l’intérieur de Paris, et les produits de leurs ventes leur faciliteraient alors l’acquittement des droits.

Cette nécessité de faire l’avance de l’octroi, devenant intolérable pour les boissons qui supportent des droits bien plus forts que toutes les autres denrées, a déterminé l’établissement, dans Paris, d’un entrepôt où les vins et les eaux-de-vie arrivent sans payer les droits qu’ils n’acquittent dès lors que successivement, en sortant de l’entrepôt pour se répandre dans la consommation. Mais un entrepôt intérieur serait impraticable pour des houilles, des bois de chauffage, des fagots, des fourrages. Il se place naturellement aux portes de Paris, aux environs du port de la Villette.

Les mêmes environs peuvent également servir d’entrepôts pour toutes les marchandises destinées à passer debout, c’est-à-dire, à poursuivre leur route au delà de Paris, et qui, par conséquent, doivent éviter d’en payer les octrois. C’est ainsi que les villages de la Chapelle, et de la Villette elle-même, servent déjà d’entrepôt à une foule de marchandises ; mais seulement de celles qui arrivent par rouliers. Celles qui arrivent par la navigation sont presqu’entièrement privées de cet avantage, qui serait précieux pour les vins et les eaux.de-vie que la paix laisse maintenant arriver par mer du midi de la France, et dont une partie se distribue au delà de Paris.

Or, tous ces dépôts formés autour du port de la Villette, entre les routes de Hollande, d’Allemagne et de Suisse, situés à portée des maisons de commerce de Paris, et sous leur surveillance immédiate, seraient placés dans le site le plus favorable.

Que serait-ce donc, si le gouvernement, souscrivant enfin aux désirs du commerce de Paris, lui accordait l’entrepôt réel pour toute espèce de marchandises étrangères, c’est-à-dire, la faculté de n’en acquitter les droits de douane qu’au moment où leur destination est trouvée ?

Cette question de l’entrepôt réel à Paris n’est pas encore jugée. L’équité veut qu’on pèse attentivement les raisons qu’y opposent les négociants des ports de mer. Mais si l’on venait à prouver que les ports de mer eux-mêmes doivent retirer un profit de toutes les facilités accordées au commerce en général ; si l’on venait à considérer Paris comme une position centrale où les marchandises étrangères peuvent arriver avec facilité, et ensuite, par de belles routes, par une navigation encore imparfaite, mais susceptible de grands accroissements, se distribuer avec la même aisance et dans la province et chez les nations du centre de l’Europe ; si l’on parvenait à comprendre que les capitaux qui se trouvent amoncelés dans la capitale, seraient par là susceptibles de procurer à l’esprit d’entreprise de nouveaux moyens de spéculation ; alors peut-être la question de l’entrepôt à Paris se déciderait-elle affirmativement[9]. Nos canaux, dans ce cas, amèneraient avec profusion, à nos portes, des denrées coloniales plus légères, puisqu’elles ne seraient pas encore grevées du fardeau de l’impôt.

Il n’y a rien de chimérique dans ces espérances, rien qui ne soit excédé par les travaux que nous admirons chez nos voisins, rien que cinq à six années de volonté ferme ne puissent réaliser chez nous. Défions-nous de la timidité et de l’esprit de routine. Trop de gens qui ne savent rien faire, ont le déplorable talent de nuire à qui veut faire. Leur esprit, stérile pour trouver des moyens d’exécution, est fécond en objections et riche en obstacles. Ne les imitons pas. Osons encourager, et sachons honorer les bons citoyens qui ne craignent pas de mettre en avant leur fortune et leurs travaux pour nous faire jouir de ces éléments de prospérité que j’ai trop imparfaitement décrits ; et nous serons dignes à notre tour d’être imités par d’autres[10].

Je me souviens qu’étant à Glascow, un ami me conduisit hors des faubourgs de la ville, du côté du nord. Nous primes un chemin qui montait. Après quelques circuits, et continuant toujours à monter, je levai les yeux par hasard, et fus surpris d’apercevoir, au sommet de la colline, une forêt de mâts. Je crus que c’était une illusion ; et quand on m’eut affirmé que c’était véritablement un port, et que ce que je voyais sur cette colline étaient bien réellement des navires qui venaient de traverser l’Océan, je m’imaginai qu’on voulait abuser de ma crédulité. Nous continuâmes notre route, et, à force de monter, nous arrivâmes au boni de l’eau. Là, je vis en effet le canal qui, au travers de l’Écosse, joint les deux mers ; je vis de nombreux navires, des magasins, des charpentiers de vaisseaux, des matelots, tout ce qu’on voit dans un port de mer. Dès lors, je n’ai cru à l’impossibilité de rien en ce genre : et maintenant je ne doute nullement que nous ne joignions bientôt, au-dessus de Paris, le haut avec le bas de la Seine, et que nous ne montrions de même un port couvert d’embarcations sur les hauteurs de la Villette.


  1. Le but de cet écrit était de pousser l’opinion publique à se prononcer de plus en plus en faveur de la coopération de l’industrie privée dans les grands travaux publics. L’Auteur était frappé de la manière dispendieuse dont ces travaux étaient conduits par le gouvernement ; d’ailleurs les finances étaient alors en mauvais état ; la plupart des entreprises étaient suspendues ; les canaux restaient inachevés, et le pays perdait ainsi les intérêts et tous les avantages qu’il avait dû attendre de ses premières dépenses. Malheureusement le système adopté en France pour l’étude et la conduite des grands travaux, et l’organisation du corps des ponts-et-chaussées, n’a pas permis que l’intervention de l’industrie privée procurât tous les avantages qu’on en espérait. Pour ce qui concerne les grands canaux entrepris par l’État, le gouvernement, au lieu de concéder à des compagnies le droit d’achever et d’exploiter les canaux à leurs risques et périls, a préféré se réserver la conduite et tous les risques des travaux et les compagnies n’ont plus été que des réunions de véritables traitants qui ont fourni leurs capitaux moyennant intérêts, sans courir aucun risque industriel, obtenant que les canaux fussent en quelque sorte hypothéqués à la garantie de leurs prêts ; et devant recevoir en outre, comme véritable prime, une part dans leurs produits future. C’est là l’origine de ces actions de jouissance qui sont devenues une si grande entrave aux modifications de tarif réclamées plus tard par le commerce. Quant aux canaux de Saint-Denis et de Saint-Martin, commencés par la ville de Paris, et que l’auteur avait plus particulièrement en vue, ils ont en effet été concédés à des compagnies, mais à des conditions onéreuses pour la commune ; et l’on a eu à regretter de n’avoir pas pris en suffisante considération la question de distribution des eaux dans Paris ; l’intérêt de la navigation est le seul qui soit traité ici.
    (HS.)
  2. Voyez dans mon Traité d’Économie politique (liv. 1 chap. 15) comment l’abondance des produits d’une nation, tout en faisant baisser les prix dans l’intérêt des consommateurs, ne nuit cependant pas aux intérêts du producteur. Il se fait à présent en France, cent fois plus d’étoffes de tous genres qu’il ne s’en faisait sous le règne du roi Jean ; on 1rs achète à bien meilleur marché, et il y a beaucoup plus de gains faits par les auteurs de ce genre de production. (Note de l’Auteur.)
  3. On m’a assuré, d’après le relevé qui en a été fait, que la totalité des frais de confection du Canal du Midi, réduits au cours du jour, ne s’élèvent pas à moins dé 30 millions ; et que le produit net actuel de ce Canal ne va qu’à 342 mille francs ; moins d’un et un quart pour cent. (Note de l’Auteur.)
  4. On aurait tort de croire que le génie manufacturier ne se déploie qu'en grands ateliers. Les petits entrepreneurs présentent par leur réunion une masse d'industrie manufacturière que n'égalent jamais les plus grandes entreprises. Il y a telle rue de Paris, comme la rue Bourg-l'Abbé, celle des Gravilliers, dont chaque étage de chaque maison, est une manufacture, et où dix mille ouvriers trouvent une occupation journalière. Quels ateliers présentent une aussi grande masse de travail industriel ? On trouve encore dans Paris des ateliers, comme ceux des Imprimeurs, qu’on ne range pas communément parmi les manufactures, quoiqu’ils le soient bien véritablement. Une boutique de Modes est une manufacture ; on en peut dire autant d’une cuisine de Restaurateur. (Note de l’Auteur.)
  5. Arthur Young : Voyage en France, tome I, pag. 486 de l’édition anglaise.
  6. Dans la saison des pommes de terre, il en entre dans Paris, chaque mois, environ 27,000 sacs, pesant 200 livres chacun. En 1817, la population de Paris a dévoré :

    70, 737 Bœufs.

    4, 441 Vaches.

    67, 828 Veaux.

    317, 401 Moutons.

    61,374 Porcs, et en outre 5,256,400 livres de viande de porc tuée, et plus de 3 millions de livres d’autre viande tuée. (Note de l’Auteur.)

  7. Le bassin de la Villette sur une longueur de 700 mètres et une largeur de 70, présente 49,000 mètres de superficie. Le bassin de Londres (Lundon. Dock) a 365 mètres sur 200.
  8. Outre les intérêts des travaux faits que la commune de Paris perd sans compensation aussi longtemps que les travaux demeurent suspendus, elle est obligée à des frais positifs pour l’entretien des parties terminées et même pour la continuation nécessaire du surplus. Le temps de la confection, époque de dépenses et de souffrances, se prolonge de cette manière, et le moment où l’on doit jouir de tant de sacrifices s’éloigne. C’est comme si après avoir entrepris sur le corps d’un malade une opération douloureuse, on la suspendait pour marchander avec le chirurgien. (Note de l’Auteur.)
  9. Un entrepôt de douane a été à la fin accordé à Paris ; ses magasins sont constamment pleins, et l’expérience a montré combien étaient vaines les craintes si vivement exprimée ? par les chambres de commerce des ports de mer contre cette création. Loin d’en souffrir, leurs propres affaires y ont trouvé des facilités nouvelles. (H. S.)
  10. Une loi du 20 mai 1818 a en effet sanctionné la concession faite par la ville de Paris à une compagnie des droits de navigation sur les canaux de l’Ourcq et de Saint-Denis, pour quatre-vingt-dix-neuf ans à partir du 1er janvier 1823, époque où les travaux devaient être terminés. La concession des droits sur le canal Saint-Martin fut faite trois ans plus tard. La navigation a été ouverte sur le canal Saint-Denis le 12 mai 1821 et sur le canal Saint-Martin le 4 novembre 1825.

    Ce qu’il y a eu de fâcheux pour la ville de Paris, c’est qu’elle a aliéné, pour obtenir l’achèvement du canal Saint-Denis, son droit d’exploitation du canal de l’Ourcq, entièrement exécuté a ses frais, et dont il eut été si important pour elle de rester en possession pour conserver toute liberté d’action dans la distribution des eaux à Paris. (H. S.)