1914-1916/Sur les rives de la Marne

La bibliothèque libre.
1914-1916 : poésies
Mercure de France (p. 87-90).

SUR LES RIVES DE LA MARNE


« Sachez qu’hier, de ma lucarne,
J’ai vu, j’ai couvert de clins d’yeux
Une fille qui dans la Marne
Lavait des torchons radieux… »

Ces vers du vieil Hugo sonore
Qu’il rythma de sa grande voix
Quand il sentait sa verve éclore
En Chansons des Rues et des Bois,


Ces vers pleins d’un souffle d’idylle
Violente et brusque et plus près
De Béranger que de Virgile,
Mais qui mêle Horace à Segrais,

Ces vers que le printemps parfume
De toutes les fleurs des buissons
Où le soleil de juin allume
Une réplique à ses rayons,

Strophe éclatante et familière,
Je la répétais pour revoir
Ton frais visage, ô lavandière,
Et le geste de ton battoir ;


Mais tu n’avais plus, ô merveille,
Près de la berge et du vieux pont
Cet air naïf qui tend l’oreille
Aux poètes et leur répond.

Hautaine, farouche, héroïque,
Avec tes bras rouges de sang,
Pareille à quelque marbre antique
En un beau geste triomphant,

Debout auprès du flot sublime
Que le Barbare a repassé
Tu semblais grandie à la cime
De quelque Parthénon dressé ;


Ta main forte haussait des hampes ;
L’aile palpitait à ton dos,
Et je voyais luire à tes tempes
Le noir laurier cher aux héros,

Car la fille de la lucarne
Était devenue à mes yeux
La Victoire qui, sur la Marne,
Levait nos drapeaux glorieux !


18 août 1915.