Abrégé de l’histoire générale des voyages/Tome IX/Seconde partie/Livre IV/Chapitre VIII

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CHAPITRE VIII.

Sciences des Chinois : Astronomie, Médecine, Musique, Poésie, Histoire, Morale, Langage ; Confucius ou Con-fut-tsé.

Quoique les Chinois aient le goût des sciences, et de la facilité à réussir dans tous les genres de littérature, ils n’ont jamais fait de progrès considérables dans les sciences spéculatives, parce qu’elles ne sont pas du nombre de celles que le gouvernement anime par des récompenses. Cependant, comme la pratique des affaires demande quelque connaissance de l’arithmétique, de l’astronomie, de la géométrie, de la géographie et de la physique, ils les cultivent assez soigneusement ; mais les études dont ils font leur principal objet, et qui forment proprement leurs sciences, sont la grammaire, la rhétorique, l’histoire et les lois de leur pays, avec la morale et la politique.

On voit par l’histoire de la Chine que les mathématiques ont été cultivées dans cet empire dès les plus anciens temps. L’usage des quatre premières règles de l’arithmétique y est établi ; mais ils n’ont point, comme nous, de caractères arithmétiques composés de neuf figures et du zéro.

Pour faire leurs comptes, ils emploient un instrument nommé suan-pan, qui consiste dans une petite planche traversée du haut en bas de dix à douze petites verges parallèles en fils-d’archal, dans chacun desquels sont passées sept petites boules d’os ou d’ivoire qui peuvent monter et descendre, mais qui sont tellement partagées par une séparation vers le milieu de la planche, qu’il y en a deux d’un côté et cinq de l’autre. Les deux qui sont dans la partie supérieure valent chacun cinq, et les cinq de la partie basse sont pour les unités. En joignant ou séparant ces boules, les Chinois calculent à peu près comme on le fait en Europe, avec des jetons, mais avec tant de promptitude et de facilité, qu’ils suivent sans peine un homme, quelque vite qu’il lise un livre de comptes. Nous ne saurions, avec le secours de nos chiffres, atteindre à la rapidité avec laquelle les Chinois supputent les sommes les plus considérables.

Leur géométrie est assez superficielle ; ils sont aussi peu versés dans la théorie que dans la pratique. S’ils entreprennent de résoudre un problème, c’est moins par principes que par induction : cependant ils ne manquent point d’habileté pour mesurer leurs terres, ni d’exactitude pour en régler les bornes : leur méthode est simple et précise.

Ils se vantent d’avoir cultivé l’astronomie depuis la fondation de leur empire, et se regardaient dans cette science comme les plus anciens maîtres de l’univers ; mais leurs progrès n’ont guère répondu au temps qu’ils y ont employé. Les missionnaires avouent qu’il n’y a point de nation qui ait apporté des soins si constans aux observations mathématiques : dans tous les temps, la Chine a eu nuit et jour des mathématiciens attentifs aux mouvemens célestes : telle a toujours été la principale occupation des lettrés de l’empire ; leur assiduité sur ce point était regardée comme un devoir de si haute importance, que les lois punissaient de mort la moindre négligence : cet usage est prouvé par un passage du Chou-king, un de leurs anciens livres, à l’occasion de Hi et de Ho, deux de leurs astronomes, auxquels il échappa une éclipse de soleil, deux mille cent cinquante-cinq ans avant la naissance de Jésus-Christ ; plusieurs mathématiciens jésuites ont vérifié la vérité de cette éclipse, et prétendent qu’elle ne peut avoir été vue qu’à la Chine.

De trente-six éclipses de soleil dont Confucius a parlé dans son livre intitulé Tchun-tsiou, il n’y en a que deux fausses et deux douteuses ; toutes les autres ont été souvent vérifiées, non-seulement par les astronomes chinois, sous les dynasties des Han, des Tang et des Yuen, mais encore par quantité de missionnaires européens. Les pères Adam Schaal, Kegler et Slavisck en calculèrent plusieurs, et le premier fit imprimer ses calculs en langue chinoise. Le père Gaubil prit la peine de les examiner toutes ; et si l’on en excepte quatre, il trouva que, pour le temps et le jour, elles s’accordaient avec son propre calcul, suivant les tables astronomiques dont il fit usage.

Le même missionnaire, après s’être fait une étude particulière de rechercher quels avaient été les progrès des anciens Chinois dans l’astronomie, nous apprend qu’ayant examiné l’état du ciel chinois, composé plus de cent vingt ans avant Jésus-Christ, il y trouva le nombre et l’étendue de leurs constellations, et que les étoiles répondaient alors aux solstices et aux équinoxes, la déclinaison des étoiles, et leur distance des tropiques et des deux pôles. Il ajoute que les Chinois connaissent le mouvement du soleil et de la lune de l’orient à l’occident, et celui des planètes et des étoiles fixes, quoiqu’ils n’aient déterminé le mouvement des dernières que quatre cents ans après Jésus-Christ. Ils avaient aussi une connaissance assez exacte des mois solaires et lunaires ; ils donnaient à peu près les mêmes révolutions que les Européens à saturne, jupiter, mars, vénus et mercure. À la vérité, ils n’avaient jamais eu de règles pour les rétrogradations et les stations : cependant, à la Chine comme en Europe, quelques philosophes ont attribué au ciel et aux planètes une révolution autour de la terre, et d’autres ont tout fait tourner autour du soleil ; mais les derniers sont en petit nombre : il ne paraît même aucun vestige de ce système dans leurs calculs, si ce n’est dans quelques écrits particuliers.

Le père Kegler, président du tribunal des mathématiques, avait une vieille carte chinoise des étoiles, composée long-temps avant que les jésuites fussent entrés à la Chine ; on y avait marqué les étoiles qui sont invisibles aux yeux seuls : le télescope a fait reconnaître l’exactitude de ces positions.

Depuis la dynastie des Han, qui régnait avant la naissance de Jésus-Christ, on trouve à la Chine des traités d’astronomie par lesquels on apprend que, depuis plus de deux mille ans, les Chinois ont connu la longueur de l’année solaire, composée de trois cent soixante-cinq jours, et d’environ six heures ; qu’ils ont connu le mouvement diurne du soleil et de la lune, et la manière d’observer la hauteur méridienne du soleil par l’ombre d’un gnomon ; que la longueur de ces ombres leur servait à calculer avec assez de justesse l’élévation du pôle et de la déclinaison du soleil ; qu’ils connaissaient assez bien l’ascension droite des étoiles, et le temps de leur passage par le méridien ; comment les mêmes étoiles, dans la même année, se lèvent ou se couchent avec le soleil, et comment elles passent le méridien tantôt à leur lever, et tantôt à leur coucher ; qu’il avaient donné des noms aux étoiles, et divisé le ciel en diverses constellations ; qu’ils y avaient rapporté les places des planètes ; qu’ils distinguaient les étoiles fixes, et qu’ils avaient des figures particulières pour cet usage.

L’année chinoise commence à la conjonction du soleil, et de la lune, ou à la nouvelle lune la plus proche du quinzième degré du verseau, signe où le soleil, suivant les idées reçues en Europe, entre vers la fin du mois de janvier, et demeure pendant le mois suivant presque entier : c’est de ce point qu’ils comptent leur printemps. Le quinzième degré du taureau fait le commencement de leur été ; le quinzième degré du lion, celui de leur automne ; et le quinzième degré du scorpion, celui de leur hiver.

Ils ont douze mois lunaires : les uns de vingt-neuf jours, et les autres de trente : tous les cinq ans, ils ont des mois intercalaires pour ajuster les lunaisons avec le cours du soleil : leur année consiste en trois cent soixante-cinq jours, et quelque chose moins de six heures. Ils ont calculé les mouvemens des planètes par des tables d’équation suivant une époque réglée au solstice d’hiver, qui est le point fixe de leurs observations, comme le premier degré du bélier est le nôtre, en comptant de cent en cent degrés.

Il y a plus de quatre mille ans, si l’on s’en rapporte à leur histoire, qu’ils ont l’usage d’un cycle ou d’une révolution solaire, assez semblable aux olympiades grecques : ce cycle est composé de soixante ans, et leur sert de période ou d’âge pour régler leurs annales. Les années de ce cycle sont distinguées par les noms de leurs douze heures, diversement combinées avec dix autres termes de leur invention.

Ils divisent les semaines comme les Européens, suivant l’ordre des planètes, et leur assignent à chacune quatre constellations, comptant successivement les vingt-huit jours, sept par sept, pendant tout le cours de l’année.

Leur jour commence à minuit, comme le nôtre, et finit à minuit suivant ; mais sa division n’est qu’en douze heures, dont chacune est égale à deux des nôtres. Ils ne les comptent point par des nombres comme nous, mais par des noms particuliers et des figures : ils divisent aussi le jour naturel en cent parties, et chaque partie en cent minutes, de sorte que chaque jour contient dix mille minutes : cette division s’observe avec d’autant plus d’exactitude, que, dans l’opinion générale des Chinois, il y a des minutes heureuses, suivant la position du ciel et les divers aspects des planètes : ils croient l’heure de minuit fort heureuse, parce qu’ils la prennent pour le temps de la création ; ils sont persuadés aussi que la terre fut créée à la seconde heure, et l’homme à la troisième.

Les Chinois n’ont point d’horloge pour régler le temps, mais ils se servent de cadrans solaires et d’autres mesures : les missionnaires trouvèrent à la Chine des cadrans fort anciens, qui étaient autrefois divisés en quatre grandes parties, chacune subdivisée en vingt-quatre plus petites : cet instrument parut fort irrégulier au P. Le Comte ; à peine en put-il reconnaître l’usage : mais depuis que les Chinois ont reçu le nouveau calendrier des missionnaires, ils ont mieux réglé leurs cadrans.

Toutes les villes de la Chine ont deux tours : l’une nommée tour du tambour ; l’autre, tour de la cloche ; elles servent à distinguer les cinq veilles de la nuit, qui sont plus longues en hiver qu’en été ; la première veille commence par un coup de tambour, qu’on répète avec des intervalles réglés, jusqu’à la seconde : celle-ci commence par deux coups qui se répètent de même jusqu’à la troisième ; et le nombre augmente ainsi pour les veilles suivantes. Aussitôt que le jour paraît, les coups redoublent comme au commencement de la nuit, de sorte qu’il n’y a point de temps où l’on ne puisse savoir quelle heure il est. On fait de petites pastilles parfumées, dé forme conique, pour les allumer à chaque heure de la nuit ; elles portent une marque qui fait connaître à quelle heure chacune doit brûler. Magalhaens observe que ces pastilles sont composées de bois de sandal, ou de quelque autre bois odoriférant réduit en poudre, dont on fait une sorte de pâte, et qu’on forme dans des moules ; elles sont rondes par le bas, et diminuent en cercle à mesure qu’elles s’élèvent, jusqu’à ce qu’elles se terminent en pointe ; mais leur base a quelquefois la largeur de deux ou trois paumes, et même davantage : elles durent un, deux et trois jours, suivant leur grandeur ; on en fait pour les temples, qui brûlent vingt et trente jours. Toutes les pastilles de cette nature portent cinq marques qui servent à distinguer les cinq veilles de la nuit ; et cette manière de mesurer le temps est si juste, qu’elle ne cause jamais d’erreur considérable. Ceux qui veulent se lever à certaine heure suspendent un petit poids à la marque ; lorsque le feu y est parvenu, le poids tombe dans un bassin de cuivre placé au-dessous, et ne manque pas de les éveiller par le bruit.

L’astronomie a toujours été dans une si haute considération à la Chine, qu’elle a donné naissance au tribunal qui porte son nom, et qui n’a point d’autre occupation. Quoiqu’il soit un des plus considérables de l’empire, il est subordonné à celui des rites : tous les quarante-cinq jours, il est obligé d’offrir à l’empereur une carte qui représente l’état du ciel, avec les altérations de l’air, suivant la différence des saisons, les prédictions qui concernent les maladies, la sécheresse, la cherté des provisions, le vent, la pluie, la grêle, la neige, le tonnerre, etc. Il doit ressembler beaucoup à quelques-uns de nos almanachs. Outre ces observations, le principal soin du tribunal de l’astronomie ou des mathématiques est de calculer les éclipses, et de marquer à l’empereur, dans un mémoire qui doit lui être présenté quelques jours auparavant, le jour, l’heure et la partie du ciel où elles doivent arriver, leur durée et leurs degrés d’observations. Elles doivent être calculées pour la longitude et la latitude des capitales de chaque province. Le tribunal des rites et le ko-lao, qui est le gardien des observations et des prédictions, en répandent des copies dans toutes les provinces et les villes de l’empire, afin que les éclipses y puissent être observées comme à Pékin, qui est la résidence de la cour.

Peu de jours ayant l’éclipse, le tribunal des rites fait afficher, dans une place publique, un écrit en gros caractères qui annonce ce phénomène. Les mandarins de tous les rangs sont avertis de se rendre, avec les habits et les marques de leur dignité, dans la cour du tribunal de l’astronomie, pour y attendre le commencement de l’éclipse. Ils se placent tout près de grandes tables sur lesquelles l’éclipse est représentée. Ils les considèrent, ils raisonnent entre eux sur le phénomène. Au moment que le soleil ou la lune commence à s’obscurcir, ils tombent à genoux et frappent la terre du front : en même temps il s’élève dans toute la ville un bruit épouvantable de tambours et de timbales, par l’effet d’une ridicule opinion qui prévaut encore, que ce bruit est nécessaire pour le secours d’une planète utile, et pour la délivrer du dragon céleste qui est près de la dévorer. Quoique les savans et les personnes de distinction regardent les éclipses comme des effets naturels, ils ont tant de respect pour les usages de l’empire, qu’ils n’abandonnent point leurs anciennes cérémonies.

Pendant que les mandarins sont prosternés, d’autres se rendent à l’observatoire pour y examiner, avec une scrupuleuse attention, le commencement, le milieu et la fin de l’éclipse. Ils comparent leurs observations avec la figure qu’on leur a donnée : ensuite ils les portent, signées et scellées de leur sceau, à l’empereur, qui observe l’éclipse avec le même soin dans son palais. Les mêmes cérémonies se pratiquent dans tout l’empire.

Mais le principal objet du tribunal est la composition du calendrier, qui se distribue chaque année dans toutes les provinces. Il n’y a point de livre au monde dont il se fasse tant de copies , ni qu’on publie avec plus de solennité. On est obligé d’en imprimer des millions d’exemplaires, parce que tout le monde est impatient de s’en procurer un pour l’usage.

Il y a trois autres tribunaux à Pékin, qui doivent composer chacun leur calendrier, et le présenter à l’empereur. L’un est situé près de l’observatoire : le second est une espèce d’école mathématique, où l’on explique la théorie des planètes et la méthode des calculs ; dans le troisième, qui est voisin du palais, on délibère sur toutes les affaires, et l’on compose tous les actes qui ont quelque rapport à l’astronomie. On distingue trois classes de mathématiciens comme trois tribunaux, et jusqu’à ces derniers temps on en comptait une quatrième, qui était composée d’astronomes mahométans. C’est la première qui est chargée de la préparation du grand calendrier, du calcul des éclipses et des autres supputations astronomiques.

Les trois calendriers se publient chaque année en langues tartare et chinoise. Dans le plus petit des trois, qui est le calendrier commun, on trouve la division de l’année en mois lunaires, avec l’ordre des jours, l’heure et la minute du lever et du coucher du soleil, la longueur des jours et des nuits, suivant les différentes élévations du pôle dans chaque province ; l’heure et la minute des conjonctions et des oppositions du soleil et de la lune, c’est-à-dire les nouvelles et les pleines lunes, le premier et le dernier quartier, que les astronomes appellent les quadratures de cette planète ; l’heure et la minute où le soleil entre dans chaque signe et dans chaque demi-signe du zodiaque.

Le second calendrier contient les mouvemens des planètes pour chaque jour de l’année, et leur place dans le ciel, avec un calcul de leur mouvement à chaque heure et à chaque minute. On y joint, en degrés et en minutes, la distance de chaque planète à la première étoile de la plus proche des vingt-huit constellations chinoises, avec le jour, l’heure et la minute de l’entrée de chaque planète dans chaque signe ; mais on n’y parle point d’autres aspects que les conjonctions.

Le troisième calendrier, qui est présenté en manuscrit à l’empereur seul, contient toutes les conjonctions de la lune avec les autres planètes, et ses approches des étoiles fixes dans l’étendue d’un degré de latitude ; ce qui demande une exactitude singulière de calcul et de supputations. Aussi voit-on jour et nuit, sur la tour astronomique, cinq mathématiciens qui observent continuellement le ciel ; l’un a les yeux fixés sur le zénith, et chacun des quatre autres sur un des quatre points cardinaux, pour ne pas perdre un moment de vue ce qui se passe dans les quatre différentes parties du ciel. Ils sont obligés d’en tenir un compte exact, qu’ils remettent tous les jours, signé de leurs noms et de leurs sceaux, aux présidens du tribunal des mathématiques, qui le présentent à l’empereur.

C’est le premier jour du second mois que l’almanach de l’année suivante doit être présenté à l’empereur. Quand il l’a vu et approuvé, les officiers subalternes du tribunal joignent à chaque jour les prédictions astrologiques ; ensuite, par l’ordre de l’empereur, on en distribue des copies aux princes, aux seigneurs et aux grands-officiers de Pékin, et on l’envoie aux vice-rois des provinces, qui les remettent aux trésoriers généraux pour les faire réimprimer. Le trésorier général de chaque province doit en remettre des exemplaires à tous les gouverneurs subordonnés, et garder la planche qui a servi à l’impression. À la tête du calendrier, qui est imprimé en forme de livre, on voit en rouge le sceau du grand tribunal de l’astronomie, avec un édit impérial, qui défend, sous peine de mort, d’en vendre et d’en imprimer d’autres, et d’y faire la moindre altération sous aucun prétexte.

La distribution du calendrier se fait tous les ans avec beaucoup de cérémonie : ce jour-là, tous les mandarins de Pékin et de la cour se rendent de grand matin au palais. D’un autre côté, les mandarins du tribunal astronomique, revêtus des habits de leur dignité, et chacun avec la marque de son office, s’assemblent à l’observatoire, pour accompagner le calendrier. On place les exemplaires qui doivent être présentés à l’empereur, à l’impératrice et aux reines, sur une grande machine dorée, composée de plusieurs étages en forme de pyramide. Ils sont en grand papier, couverts de satin jaune, et proprement renfermés dans des sacs de drap d’or. La machine est portée par quarante hommes vêtus de jaune, et suivie de dix ou douze autres machines de moindre grandeur, mais dorées comme la première, et fermées de rideaux rouges, où sont les calendriers destinés aux princes du sang, reliés en satin rouge, et renfermés dans des sacs de drap d’argent : ensuite viennent plusieurs tables couvertes de tapis rouges, sur lesquelles sont les calendriers des grands, des généraux d’armée et des autres officiers de la couronne, tous scellés du sceau du tribunal astronomique, et couverts de drap jaune. Chaque table offre le nom du mandarin, ou du tribunal à qui les calendriers appartiennent.

Les porteurs déposent leur fardeau à la dernière porte de la grande salle, et, rangeant les tables des deux côtés du passage qu’on nomme impérial, ils ne laissent au milieu que la machine où sont les calendriers impériaux : enfin, les mandarins de l’académie astronomique prennent les calendriers de l’empereur et ceux des reines, les placent sur deux tables couvertes de brocarts jaunes, qui sont à l’entrée de la salle impériale, se mettent à genoux, et, s’étant prosternés trois fois le front contre terre, délivrent leurs présens aux maîtres d’hôtel de l’empereur, qui forment aussitôt une autre procession pour aller présenter ce dépôt à sa majesté impériale. Ce sont les eunuques qui portent à l’impératrice et aux reines les exemplaires, qui leur sont destinés.

Ensuite les mandarins du tribunal astronomique retournent dans la grande salle pour y distribuer le reste des calendriers aux mandarins de tous les ordres. Ils trouvent d’abord au passage impérial les premiers officiers des princes, qui reçoivent à genoux les calendriers pour leurs maîtres et pour les mandarins de ces cours inférieures. Les exemplaires pour chaque cour montent à douze ou treize cents. Après les officiers des princes, on voit paraître les seigneurs, les généraux d’armée et les mandarins de tous les tribunaux, qui viennent recevoir à genoux leurs calendriers. Aussitôt que la distribution est finie, ils reprennent leurs rangs dans la salle, et, se tournant vers la partie la plus intérieure du palais, ils tombent à genoux au premier signal qui leur est donné, et se prosternent, suivant l’usage, pour rendre grâce à sa majesté de la faveur qu’elle leur accorde.

À l’exemple de la cour, les gouverneurs et les mandarins des provinces reçoivent le calendrier dans la ville capitale avec les mêmes cérémonies. Le peuple l’achète. Il n’y a point de famille si pauvre qui ne s’en procure un exemplaire. Aussi n’en imprime-t-on pas moins de vingt-cinq ou trente mille dans chaque province. En un mot, le calendrier est si respecté, et passe pour un livre si important à l’état, que, le recevoir, c’est se déclarer sujet et tributaire de l’empire ; et le refuser, c’est déployer ouvertement l’étendard de la révolte.

Les Chinois se conduisent plus par les lunaisons que par les révolutions solaires, et douze signes suffisant pour les douze mois solaires, et les lunaisons ne cadrant pas toujours avec ces signes, ils ont des lunaisons intercalaires auxquelles ils attribuent les mêmes signes qu’aux précédentes. De là vient que plusieurs de leurs mois suivent l’ordre des signes, et que d’autres ont des jours hors des signes, ou manquent de jours pour les remplir.

Il n’est pas surprenant, dans cette confusion, que les Chinois soient quelquefois obligés de corriger leurs tables astronomiques : il s’était glissé des erreurs si considérables dans les calendriers qui suivirent ceux du père Adam Schaal, qu’ils se virent dans la nécessité de recourir encore aux missionnaires, quoique renfermés alors dans les prisons publiques, et chargés de chaînes, sur les accusations d’un astronome arabe et d’un médecin chinois nommé Yang-quang-sien, qui avaient réprésenté leur doctrine comme pernicieuse au gouvernement. L’empereur Khang-hi, qui était alors fort jeune et dans la septième année de son règne, leur fit demander par un ko-lao s’ils connaissaient quelques fautes dans le calendrier de l’année présente et dans celui qui paraissait déjà pour l’année d’après. Un des missionnaires qui était le père Verbiest, répondit que le second était rempli d’erreurs : il en fit particulièrement remarquer une, qui consistait à mettre treize mois dans l’année suivante. L’empereur en fut si frappé, que dès le lendemain il se fit amener les missionnaires au palais.

Verbiest y parut à l’heure marquée, avec les pères Buglio et Magalhaens ; on les conduisit dans la grande salle, où tous les mandarins du tribunal astronomique étaient assemblés. Verbiest y découvrit toutes les erreurs du calendrier ; sur quoi l’empereur, qui n’avait jamais vu les trois missionnaires, donna ordre qu’ils fussent introduits dans sa propre chambre, avec tous les mandarins devant lesquels ils s’étaient expliqués. Ce prince fit placer Verbiest vis-à-vis de lui, et prenant un air gracieux : « Est-il vrai, lui dit-il, que vous puissiez nous faire connaître évidemment si le calendrier s’accorde avec le ciel ? » Verbiest répondit modestement que la démonstration n’en était pas difficile ; que les instrumens qu’il avait fait faire à l’observatoire étaient composés pour épargner les embarras des longues méthodes aux personnes occupées des affaires d’état, qui, n’ayant pas le loisir d’étudier les opérations astronomiques, pouvaient s’assurer en un instant de la justesse des calculs, et reconnaître s’ils s’accordaient avec l’état du ciel. « Si votre majesté, continua le missionnaire, désire d’en voir l’expérience, qu’il lui plaise de faire placer dans une des cours du palais un style, une chaise et une table, je calculerai sur-le-champ la proportion de l’ombre à toute heure proposée. Par la longueur de l’ombre, il me sera facile de déterminer la hauteur du soleil, et de conclure de sa hauteur quelle est sa place dans le zodiaque ; ensuite on jugera sans peine si c’est sa véritable place qui se trouve marquée pour chaque jour dans le calendrier. »

Cette proposition parut plaire à l’empereur. Il demanda aux mandarins s’ils entendaient cette manière de calculer, et s’ils étaient capables de former des pronostics sur la seule longueur de l’ombre. Le mahométan répondit avec beaucoup de hardiesse qu’il comprenait cette méthode, et que c’était une règle sûre pour distinguer la vérité : mais il ajouta qu’on devait se défier des Européens et de leurs sciences qui deviendraient funestes à l’empire ; et prenant droit de la patience avec laquelle il était écouté, il s’emporta sans ménagement contre le christianisme. L’empereur changea de visage, et lui dit : « Je vous ai déjà déclaré que le passé doit être oublié, et qu’il faut penser uniquement à régler l’astronomie. Comment êtes-vous assez hardi pour tenir ce langage en ma présence ? Ne m’avez-vous pas sollicité vous-même, par divers placets, de faire chercher d’habiles astronomes dans toutes les parties de l’empire ? On en cherche depuis quatre ans, sans en avoir pu trouver. Ferdinand Verbiest, qui entend parfaitement les mathématiques, était ici, et vous ne m’avez jamais parlé de son savoir. Je vois que vous ne consultez que vos préventions, et que vous n’en usez pas de bonne foi. » Ensuite, l’empereur reprenant un air riant, fit plusieurs questions au missionnaire, sur l’astronomie, et donna ordre au ko-lao et à d’autres mandarins, de déterminer la longueur du style pour le calcul de l’ombre.

Comme il s’agissait de commencer l’opération dans le palais même, l’astronome mahométan prit le parti d’avouer qu’il n’avait jamais su la méthode du père Verbiest. L’empereur en fut informé ; et dans le ressentiment qu’il eut de tant d’impudence, il aurait fait punir sur-le-champ cet imposteur, s’il n’eût jugé à propos de remettre son châtiment après l’expérience des missionnaires, pour le convaincre aux yeux mêmes de ses protecteurs. Il ordonna au missionnaire de faire son opération à part pendant le reste du jour, et aux ko-laos de se rendre le lendemain à l’observatoire pour remarquer la longueur de l’ombre à l’heure précise de midi.

Il y avait à l’observatoire un pilier carré en bronze, haut de huit pieds trois pouces, élevé sur une table de même métal, longue de dix-huit pieds et large de deux, sur un pouce d’épaisseur. De la base du pilier, cette table était divisée en dix-sept pieds, chaque pied en dix pouces, et chaque pouce en dix minutes. Autour des bords était un petit canal, creusé dans le cuivre, large d’un demi-pouce sur la même profondeur, et rempli d’eau pour assurer la table dans une position parallèle. On s’était servi anciennement de cette machine pour déterminer les ombres méridiennes ; mais le pilier s’était courbé, et sa position ne formait plus un angle droit avec la table.

La longueur du style ayant été fixée à huit pieds quatre pouces et neuf minutes, Verbiest attacha au pilier une planche unie, parallèle à l’horizon, précisément à la hauteur déterminée ; et par le moyen d’une perpendiculaire tirée du haut de cette planche jusqu’à la table, il marqua le point duquel il devait commencer à compter la longueur de l’ombre, qui, suivant son calcul, devait être le jour suivant, à midi, de seize pieds six minutes et demie. Le soleil approchait alors du solstice d’hiver, et par conséquent les ombres étaient plus longues que dans aucun autre temps de l’année.

Le soleil ne manqua point, à l’heure annoncée, de tomber sur la ligne transversale que le missionnaire avait tracée sur la table pour marquer l’extrémité de l’ombre. Tous les mandarins en parurent extrêmement surpris.

L’empereur, ayant pris beaucoup de plaisir au récit qu’on lui fit de cette première observation, ordonna qu’elle fut recommencée le jour suivant dans la grande cour du palais. Il assigna deux pieds deux pouces pour la longueur du style. Verbiest ayant préparé deux planches, l’une plate et divisée en pieds et en pouces, l’autre perpendiculaire, pour servir de style, porta le lendemain cette machine au palais. Tous les mandarins qui s’y étaient assemblés, voyant que l’ombre, dont la longueur avait été marquée à quatre pieds trois pouces quatre minutes et demie, sur la planche horizontale paraissait fort longue, parce qu’elle ne portait pas encore atteinte sur la planche horizontale, et qu’elle tombait à côté sur la terre, se parlaient à l’oreille et riaient, dans l’opinion où ils étaient que le missionnaire s’était trompé ; mais un peu avant midi, l’ombre, étant arrivée à la planche, se raccourcit tout d’un coup, et parut près de la ligne transversale, et à midi tomba précisément sur l’heure. Alors il fut impossible aux mandarins de cacher leur étonnement. Le ko-lao s’écria : « Le grand maître que nous avons ici ! » Les autres ne dirent mot ; mais, depuis ce moment, ils conçurent une jalousie implacable contre le missionnaire. Cependant on informa l’empereur du succès de l’observation, en lui présentant la machine, qu’il reçut fort gracieusement. Comme une affaire de cette importance ne pouvait être pesée avec trop de soin, il souhaita que l’expérience fût renouvelée pour la troisième fois sur la tour astronomique. Verbiest le satisfit avec tant de succès, que ses ennemis mêmes, qui avaient assisté à toutes les opérations par l’ordre de l’empereur, ne purent se dispenser de lui rendre justice et de louer la méthode européenne.

L’astronome mahométan n’avait pour toute connaissance du ciel que celle qu’il avait puisée dans quelques vieilles tables arabes. Il les suivait sur divers points, et depuis plus d’un an il s’était employé à la correction du calendrier, par commission des régens de l’empire ; il avait même composé suivant sa méthode un calendrier en deux volumes pour l’année suivante. Cet ouvrage, qui avait été présenté à l’empereur, fut remis au père Verbiest, avec ordre de l’examiner. Il n’était pas difficile d’y découvrir un grand nombre de fautes. Outre le défaut d’ordre et quantité d’erreurs dans les calculs , Verbiest le trouva rempli de contradictions manifestes. C’était un mélange d’idées chinoises et arabes, de sorte qu’on pouvait le nommer indifféremment calendrier de la Chine ou d’Arabie. Le missionnaire ayant fait un recueil des fautes les plus grossières de chaque mois, par rapport au mouvement des planètes, les écrivit au bas d’un placet qu’il fit présenter à l’empereur. Aussitôt ce prince, comme s’il eût été question du salut de l’empire, convoqua l’assemblée générale de tous les princes, des mandarins de la première classe, et des principaux officiers de tous les ordres et de tous les tribunaux de l’empire. Il y envoya le placet du père Verbiest, afin que chacun pût donner son avis sur le parti qu’il convenait de prendre dans une si grande occasion. Les régens que l’empereur son père avait nommés avant sa mort lui étaient odieux depuis long-temps ; ils avaient condamné l’astronomie de l’Europe et protégé les astronomes chinois. L’empereur, de l’avis de quelques-uns de ses principaux confidens, voulait prendre cette occasion pour annuler tous les actes des régens ; et c’était dans cette vue qu’il avait donné toute la solennité possible à cette assemblée.

On y lut le placet du père Verbiest. Après de longues délibérations sur cette lecture, les seigneurs et les principaux membres du conseil déclarèrent unanimement que la correction du calendrier étant une affaire importante, et l’astronomie une science difficile, dont peu de personnes avaient connaissance, il était nécessaire d’examiner publiquement, avec les instrumens de l’observatoire, les fautes que l’astronome européen avait relevées dans son mémoire. Ce décret ayant été confirmé par l’empereur, Verbiest et l’astronome mahométan reçurent ordre de se préparer sans délai pour les observations du soleil et des planètes, et de mettre par écrit la méthode qu’ils emploîraient dans cette opération. Le missionnaire obéit volontiers, et présenta ses explications aux mandarins du tribunal des rites.

La première observation devant se faire le jour que le soleil entre au quinzième degré du verseau, Un grand quart de cercle que Verbiest avait placé depuis dix-huit jours, scellé de son sceau, sur le méridien, montra la hauteur du soleil pour ce jour, et la minute de l’écliptique où il devait arriver avant midi. En effet, le soleil tomba précisément sur le lieu indiqué ; tandis qu’un sextant de six pieds de rayon, placé à la hauteur de l’équateur, fit voir la déclinaison de cet astre. Quinze jours après, Verbiest eut le même succès, en observant, avec les mêmes instrumens l’entrée du soleil dans le signe des poissons : cette observation était nécessaire pour décider si le mois intercalaire devait être retranché du calendrier. La hauteur méridienne du soleil et sa hauteur pour ce jour en démontrèrent très-clairement la nécessité.

À l’égard des autres planètes, dont les places devaient être observées pendant la nuit, Verbiest calcula leur distance des étoiles fixes, et marqua, plusieurs jours avant l’observation, sur un planisphère, en présence de plusieurs mandarins, ces distances à l’heure fixée par l’empereur. Le temps annoncé pour l’observation étant arrivé, il fit porter ses instrumens à l’observatoire, où les mandarins s’étaient assemblés en fort grand nombre. Là, tous les spectateurs furent convaincus par la justesse de ses opérations que les calendriers de l’astronomie arabe étaient remplis d’erreurs. L’empereur, informé de ce résultat voulut que l’affaire fût examinée dans son conseil ; mais les astronomes Yang-quang-sien et U-ming-uen, dont les calendriers avaient été censurés, obtinrent, contre l’usage, la permission d’y assister ; et, par leurs artifices, ils trouvèrent le moyen de partager les suffrages de l’assemblée.

Les mandarins, qui étaient à la tête du conseil, ne purent supporter avec patience que l’astronomie chinoise fût abolie pour faire place à celle de l’Europe ; ils soutinrent que la dignité de l’empire ne permettait pas des altérations de cette nature, et qu’il valait mieux conserver les anciennes méthodes avec leurs défauts que d’en introduire de nouvelles, surtout lorsqu’il fallait les recevoir des étrangers. Ils firent honneur aux deux astronomes chinois du zèle qu’ils témoignaient pour la gloire de leur patrie, et les érigèrent en défenseurs de la grandeur de leurs ancêtres. Mais les principaux mandarins tartares embrassèrent l’avis opposé, et s’attachèrent à celui de l’empereur, qui était favorable au père Verbiest : les deux partis disputèrent avec une chaleur extrême ; enfin l’astronome Yang-quang-sien, qui avait gagné les ministres d’état, et qui se reposait sur leur protection, eut la hardiesse de tenir ce discours aux Tartares : « Si vous donnez l’avantage à Ferdinand, en recevant l’astronomie qu’il vous apporte de l’Europe, soyez sûrs que l’empire des Tartares ne sera pas de longue durée à la Chine. » Un discours si téméraire excita l’indignation des mandarins tartares ; ils en informèrent sur-le-champ l’empereur, qui ordonna que le coupable fût chargé de chaînes et conduite la prison publique.

Cet événement confirma le triomphe du père Verbiest ; il fut établi directeur du tribunal des mathématiques, avec ordre de réformer le calendrier et toute l’astronomie de la Chine. Pour commencer l’exercice de ses fonctions, il présenta un mémoire à l’empereur, dans lequel il expliqua la nécessité de retrancher du calendrier le mois intercalaire qui, suivant le calcul même des astronomes chinois, appartenait à l’année d’après. Les membres du conseil privé, auxquels ce mémoire fut renvoyé, regardèrent comme un triste expédient l’obligation de supprimer un mois entier, après l’avoir reçu solennellement : mais n’osant contredire le nouveau directeur, ils prirent le parti de lui députer leur président. Ce mandarin aborda Verbiest d’un air riant : « Prenez garde, lui dit-il, à ce que vous allez faire ; vous allez nous couvrir de honte aux yeux des nations voisines, qui suivent et qui respectent le calendrier chinois. Que penseront-elles en apprenant que nous sommes tombés dans des erreurs si grossières, qu’il ait fallu retrancher un mois entier de l’année pour les réparer ? Ne pouvez-vous pas trouver quelque autre expédient qui mette notre réputation à couvert ? Vous nous rendriez un important service. » Verbiest lui répondit qu’il n’était pas en son pouvoir de concilier l’ordre des cieux avec le calendrier chinois, et que le retranchement d’un mois lui paraissait d’une nécessité indispensable. On publia bientôt, dans toutes les parties de l’empire, un édit impérial, qui déclarait que, suivant les calculs, il avait été nécessaire de supprimer le mois intercalaire, et qui défendait de le compter à l’avenir. Ainsi la première origine du grand crédit des jésuites dans l’empire chinois fut la science de l’almanach. En Europe, où l’on en savait un peu davantage, leur pouvoir fut appuyé sur la connaissance des hommes et des affaires, et non sur la connaissance des cieux.

À l’égard de la géographie, les Chinois n’ont pas négligé celle de leur empire, mais leurs lumières sont fort bornées sur celle des pays étrangers ; ils réduisaient autrefois toutes les autres régions du monde à soixante-douze royaumes, qu’ils plaçaient au hasard comme autant de petites îles dont leur mer était entourée, sans les distinguer par les longitudes et les latitudes ; ils leur donnaient des noms méprisans, et, dans leurs descriptions ridiculement fabuleuses, ils en représentaient les habitans comme des monstres. Quoiqu’ils connussent mieux les Tartares, les Japonais, les Coréens et les autres peuples qui bordent la Chine, ils ne les honoraient pas d’un autre nom que de celui des quatre nations barbares.

Dans les derniers temps, ayant reçu quelques informations sur l’existence de l’Europe, ils l’avaient ajoutée à leurs cartes comme une île déserte. De là vient qu’en 1668, le vice-roi de Canton, après avoir parlé de l’ambassade portugaise, dans un mémoire qu’il envoyait à l’empereur, ajoutait cette remarque : « Nous avons vérifié que l’Europe consiste en deux petites îles au milieu de la mer. » Lorsque les Chinois virent pour la première fois des Européens, ils leur demandèrent s’il y avait en Europe des villes, des villages et des maisons. Ils sont un peu revenus de ces grossières erreurs. Un jour que le père Chavagnac, missionnaire jésuite, montrait une carte du monde à quelques lettrés, ils y cherchèrent long-temps la Chine. Enfin ils jugèrent que ce devait être l’hémisphère oriental, parce que l’Amérique ne leur paraissait que trop grande pour le reste du monde. Le missionnaire prit plaisir à les laisser quelque temps dans cette idée ; mais un d’entre eux lui demandant l’explication des lettres et des « noms : L’hémisphère que vous regardez, leur dit-il, contient l’Europe, l’Asie et l’Afrique. Voici donc l’Asie, la Perse et la Tartarie. Où donc est la Chine ? s’écria un des lettrés. C’est ce petit coin de terre, lui répondit-on, et vous en voyez les bornes. » Il parut extrêmement surpris de cette réponse ; et regardant ses compagnons qui ne le paraissaient pas moins, il leur dit en chinois : « Que cela est petit ! » Un meilleur philosophe aurait pu dire le même mot en regardant le globe entier.

Les autres parties des mathématiques étaient entièrement inconnues aux Chinois. Il n’y a pas plus d’un siècle qu’ils ont ouvert les yeux sur ce qui manquait à leurs connaissances. Khang-hi, dont la passion favorite était d’acquérir de nouvelles lumières, ne se lassait pas de voir et d’entendre les missionnaires jésuites ; tandis que, de leur côté, jugeant combien sa protection pouvait être avantageuse au christianisme, ils ne négligeaient rien pour satisfaire sa curiosité. Ils commencèrent par lui donner quelques idées de l’optique, en lui présentant un demi-cylindre d’un bois fort léger, dans l’axe duquel ils avaient placé un verre convexe, qui, étant tourné vers un objet, en représentait l’image au naturel. L’empereur, charmé d’une invention qu’il trouva fort nouvelle, demanda qu’on lui fît dans ses jardins de Pékin une machine semblable qui pût lui faire découvrir, sans être vu lui-même, tout ce qui se passait dans les rues et les places voisines. Les missionnaires firent bâtir, près des murs du jardin, un cabinet avec une grande fenêtre en pyramide, dont la base donnait dans le jardin et le sommet vers une place : à ce sommet ils placèrent un œil de verre directement opposé au lieu où le concours du peuple était le plus nombreux. L’empereur prenait beaucoup de plaisir à ce spectacle, et les reines encore plus parce que, ne sortant jamais du palais, elles n’avaient point d’autre moyen pour voir tout ce qui se passait au dehors.

Le père Grimaldi donna un autre exemple des merveilles de l’optique dans le jardin des jésuites de Pékin. Il traça sur les quatre murs diverses figures, qui ne représentaient en face que des montagnes, des forêts, des chasses et d’autres objets de cette espèce ; mais, d’un certain point, on voyait la figure d’un homme bien proportionné. L’empereur honora la maison d’une visite, et regarda long-temps ce prodige avec beaucoup d’admiration.

Pour essai de catoptrique, les jésuites présentèrent à l’empereur toutes sortes de verres et de télescopes qui leur servirent à faire des observations célestes et terrestres, à mesurer les grandes et les petites distances, à diminuer, à grossir, à multiplier ou réunir les objets. La première merveille de ce dernier genre fut un tube fait en prisme octogone, qui, étant placé parallèlement à l’horizon, représentait huit scènes différentes, et d’une manière si naturelle, qu’on les prenait pour les objets mêmes. Ce spectacle, relevé par la variété des peintures, amusa long-temps l’empereur. Les missionnaires lui firent ensuite présent d’un autre tube dans lequel était un verre polygone qui rassemblait par ses différentes faces plusieurs parties de différens objets pour en former une seule image. Ainsi des bois, des troupeaux, et cent autres figures représentées dans un tableau servaient à former distinctement un homme entier ou quelque autre objet. On ne manqua pas de faire voir à l’empereur la lanterne magique avec toutes les merveilles qu’elle présente aux yeux des ignorans. Qu’aurait dit sa majesté impériale si on lui eût appris que, dans les moindres villes de l’Europe, des gens de la dernière classe du peuple montraient aux enfans, pour quelques sous, ce qui faisait l’admiration de l’empereur de la Chine et de toute sa cour ?

La perspective ne fut point oubliée. Le père Buglio offrit à l’empereur trois dessins exécutés suivant les règles de l’art ; il en exposa les copies à la vue du public, dans le jardin des jésuites, où tous les mandarins s’empressèrent de les venir admirer. Ils ne comprenaient pas que sur une toile plate on eût pu représenter des salles, des galeries, des portiques, des routes et des avenues à perte de vue, et si naturellement, que les spectateurs y étaient trompés au premier coup d’œil.

Les expériences de statique eurent leur tour. On offrit à l’empereur une machine composée de quatre roues dentelées, avec un manche de fer, par le moyen de laquelle un enfant pouvait lever sans difficulté un poids de plusieurs milliers, et résister aux efforts de vingt hommes robustes.

Quant à l’hydrostatique, les missionnaires firent pour l’empereur des pompes, des canaux, des siphons, des roues et, plusieurs autres machines propres à élever l’eau au-dessus du niveau de sa source. Ils en composèrent une qui servit à conduire l’eau d’une rivière, nommée les dix mille sources, dans des terres du domaine impérial. Le père Grimaldi offrit à l’empereur une machine hydraulique de nouvelle invention qui formait un jet d’eau continuel ; une horloge, qui représentait tous les mouvemens célestes avec beaucoup de justesse, et un réveil-matin qui n’était pas moins juste.

Les machines pneumatiques ne piquèrent pas moins la curiosité de l’empereur. Après avoir fait faire, d’un bois léger, un chariot long de deux pieds, les missionnaires placèrent au milieu un vaisseau de cuivre rempli de braise, sur lequel ils mirent un éolipyle, d’où l’air, sortant par un petit tuyau, frappait une sorte de roue semblable à la voile d’un moulin à vent. Cette roue en faisait tourner une autre avec un essieu ; et le chariot, sans autre principe de mouvement, courait ainsi pendant deux heures : mais comme l’espace n’aurait pas suffi pour le faire courir en droite ligne, on se servit d’une autre invention pour lui donner un mouvement circulaire. On attacha une petite solive à l’essieu des deux dernières roues ; et du bout de cette solive on fit passer un autre essieu par le centre d’une autre roue, qui était un peu plus grande que les deux autres. À mesure que cette roue était plus ou moins éloignée du chariot, il décrivait un plus grand ou un moindre cercle. On fit la même expérience avec un petit vaisseau monté sur quatre roues ; l’éolipyle était caché au milieu ; le vent, sortant par deux tuyaux, enfla fort bien les voiles, et fit tourner assez long-temps la machine.

Lorsqu’il paraissait quelque phénomène céleste, tel que la parélie, l’arc-en-ciel, ou quelque autre cercle autour du soleil ou de la lune, l’empereur faisait appeler aussitôt les missionnaires pour leur en demander l’explication. Ils publièrent plusieurs ouvrages sur ces merveilles de la nature et, pour en faciliter l’intelligence, ils composèrent une machine qui représentait leurs apparences. C’était une sorte de tambour bien fermé au dehors et blanchi dans l’intérieur, dont la surface représentait les cieux. La lumière du soleil y entrait par un petit trou, et, passant par un prisme de verre, tombait sur un petit cylindre poli qui la réfléchissait sur la concavité du tambour, où elle peignait exactement toutes les couleurs de l’arc-en-ciel. L’image du soleil était réfléchie par une partie du cylindre un peu aplatie ; et par d’autres réflexions et réfractions, suivant que le prisme était plus ou moins incliné vers le cylindre, on voyait les cercles autour du soleil et de la lune, et les autres phénomènes des corps célestes. Les jésuites présentèrent aussi à l’empereur des thermomètres, pour lui faire connaître les divers degrés du froid et du chaud de l’atmosphère. Ils y ajoutèrent un hygromètre pour les degrés de sécheresse et d’humidité. C’était une machine en forme de tambour, d’un assez grand diamètre, suspendue par une corde de boyau de chat d’une longueur convenable et parallèle à l’horizon. Le moindre changement de l’air contractant ou relâchant le cordon, faisait tourner le tambour à droite ou à gauche ; il allongeait ou raccourcissait aussi, autour du tambour, une autre petite corde qui tirait un petit pendule par lequel les degrés de sécheresse étaient maqués d’un côté, et de l’autre ceux d’humidité.

La physique est cultivée à la Chine ; elle a ses principes pour expliquer la composition des corps, leurs propriétés et leurs effets. Mais quels principes !

La médecine, par exemple, a toujours été fort en honneur parmi les Chinois, non-seulement parce qu’elle est très-utile pour la conservation de la vie, mais encore parce qu’ils supposent beaucoup de liaison entre cette science et les mouvemens du ciel. Ils comptent cinq élémens, la terre, les métaux, l’eau, l’air et le feu, qui s’unissent pour la composition du corps de l’homme, et dont le mélange est tel, qu’un élément prévaut sur les autres dans quelques parties. Ainsi le feu prédomine dans le cœur et dans les viscères voisins, et le sud est le point du ciel qui se rapporte principalement à ces parties, comme la résidence principale de la chaleur naturelle ; aussi ne manquent-ils pas d’observer les affections du cœur pendant l’été. Le foie et la vésicule du fiel se rapportent à l’élément de l’air, et tous deux ont une relation à l’est qui est le lieu d’où procèdent les vents et les végétations. C’est au printemps que la disposition de ces parties doit être observée. Les urètres appartiennent à l’eau, et correspondent au nord ; ainsi c’est pendant l’hiver qu’il faut observer leurs indications. Le foie et la troisième partie du corps sont sujets au feu et à l’eau, et reçoivent les impressions du cœur pour les communiquer à toutes les autres parties. Les médecins chinois raisonnent sur les rapports et les oppositions de ces élémens avec le corps humain, pour rendre compte des maladies et de toutes les altérations de la santé.

Leur véritable science consiste dans la connaissance du pouls et dans l’usage des simples, et les voyageurs racontent des merveilles de leur habileté. Lorsqu’ils sont appelés près d’un malade, ils mettent d’abord un oreiller sous son bras, et, plaçant quatre doigts au long de l’artère, quelquefois doucement, quelquefois avec une pression plus forte, ils examinent long-temps les pulsations, en s’efforçant de distinguer les moindres différences. Le plus ou le moins de vitesse ou de lenteur, de faiblesse ou de force, d’uniformité ou d’irrégularité, leur sert à découvrir la cause de la maladie ; et sans faire la moindre question au malade, ils lui disent s’il a mal à la tête, à l’estomac, au ventre, et si c’est la rate ou le foie qui est affecté ; ils lui annoncent aussi quand il peut espérer du soulagement, quand l’appétit lui reviendra, et quand il sera tout-à-fait délivré de sa maladie. On en rapporte un exemple. « Un missionnaire étant tombé dangereusement malade dans la prison de Nankin, les chrétiens, alarmés pour la vie de leur pasteur, engagèrent un des plus habiles médecins à le visiter. Cet Esculape chinois, après avoir tâté, avec les cérémonies ordinaires, le pouls du malade, lui prescrivit sur-le-champ trois médecines, l’une pour le matin, l’autre pour l’après-midi, et la troisième pour le soir. L’effet en parut si violent, que, le missionnaire ayant perdu la parole dans le cours de la nuit suivante, on le crut mort ; mais dès le matin il se fit un si grand changement à sa situation, que le médecin, après lui avoir tâté le pouls, assura qu’il était guéri, et qu’il ne lui restait qu’à suivre un certain régime qui rétablirait bientôt ses forces. L’effet vérifia bientôt cette prédiction. » Concluons qu’il en est de ces prédictions savantes à la Chine comme ailleurs ; on tient compte de celles qui réussissent, parce qu’on s’en étonne : on ne dit rien de celles qui ne réussissent pas, parce qu’on n’en attendait pas davantage.

Il se trouve à la Chine des médecins qui regardent comme au-dessous d’eux de prescrire des remèdes, et qui se bornent à déclarer la nature des maladies. Leurs visites se paient beaucoup plus cher que celles des autres. Mais ce qui fait ordinairement la fortune et la réputation d’un médecin chinois, c’est d’avoir guéri quelques mandarins distingués ou d’autres personnes riches, qui joignent au paiement de chaque visite des gratifications considérables. Le prix commun des visites et des remèdes est très-médiocre. Un médecin qu’on a fait appeler près d’un malade n’y retourne point, s’il n’est rappelé. Ainsi chacun a la liberté d’en prendre un autre lorsqu’il n’est pas content du premier. Les charlatans ne sont pas plus rares à la Chine qu’en Europe ; ils prétendent guérir toutes les maladies par des recettes inconnues dans la médecine, et mettent pour condition qu’ils ne seront payés qu’après effet du remède.

Les médecins chinois ont prodigieusement approfondi l’étude du pouls. On peut voir dans un traité chinois, qui a pour titre le Secret du pouls, jusqu’où ils étendent les indications qu’ils se flattent d’en tirer. Ils marquent sept espèces de pouls qui annoncent la mort prochaine ; mais ce qui est bien plus remarquable, c’est la doctrine d’un ancien livre sur la manière de calculer par le pouls la durée de la vie.

Malgré de si merveilleuses lumières, ils emploient tous les moyens des charlatans pour s’informer secrètement, avant leurs visites, de la situation des malades ; ils portent l’artifice jusqu’à leur supposer des maladies qu’ils leur procurent eux-mêmes. Le père Le Comte apprit d’un Chinois qu’ayant fait appeler un médecin et un chirurgien pour le guérir d’une fluxion, l’un des deux lui déclara que le mal venait d’un petit ver qui s’était engendré dans la chair, et qui causerait infailliblement la gangrène, s’il n’était chassé promptement : il se vanta d’être le seul qui possédât ce secret ; mais il ajouta qu’il demandait un salaire considérable. Le malade promit une grosse somme d’argent, dont il paya même une partie d’avance : alors cet imposteur composa un emplâtre dans lequel il fit entrer un petit ver ; une heure après, l’ayant tiré d’un air triomphant, il se fit donner le reste de la somme. Son compagnon, qui n’eut point autant de part qu’il se l’était promis au fruit de cette imposture, découvrit ensuite le complot ; mais il était trop tard pour sauver l’argent du malade : ce tour était digne de l’Europe.

Les Chinois font grand cas des topiques ; ils appliquent aux malades, en divers endroits, des aiguilles brûlantes, ou des boutons de feu. Un Chinois disait un jour à un Européen : « On vous traite en Europe avec le fer (il faisait allusion à la saignée) ; ici, nous sommes martyrisés avec le feu. Il n’y a point d’apparence que cette mode passe jamais, parce que les médecins ne sentent point le mal qu’ils font aux malades, et qu’ils ne sont pas moins payés pour nous tourmenter que pour nous guérir. »

Au lieu d’employer des apothicaires pour la composition des remèdes, la plupart des médecins chinois se chargent eux-mêmes de ce soin : ils s’étonnent que les Européens se reposent du principal point de leur santé sur des gens qui n’ont pas d’intérêt à guérir un malade, et qui s’embarrassent peu de la qualité de leurs drogues, pourvu qu’ils trouvent du profit à les vendre. Tout le monde est libre d’exercer la médecine comme les arts mécaniques, sans examen de doctrine, et sans avoir pris les degrés. Cette licence multiplie beaucoup les charlatans, d’autant plus que le peuple, souvent trompé par leur ignorance, ne se lasse point de les employer.

Les Chinois s’attribuent la première invention de la musique, et se vantent de l’avoir portée anciennement à sa plus haute perfection : mais si leurs prétentions ne sont pas fabuleuses, ils l’ont laissée étrangement dégénérer ; elle est aujourd’hui si imparfaite à la Chine, qu’elle en mérite à peine le nom : il paraît certain qu’elle y était autrefois fort estimée. Confucius même entreprit d’en introduire les règles dans toutes les provinces dont on lui avait confié le gouvernement. Les histoires du pays parlent beaucoup de l’excellence de l’ancienne musique, et les Chinois regrettent continuellement la perte des anciens livres qui traitaient de cet art. Quelque opinion qu’on en doive prendre, la musique est aujourd’hui peu en usage à la Chine, excepté dans certaines fêtes, dans les comédies, aux mariages, et dans d’autres occasions pareilles : les bonzes l’emploient aux funérailles. Les musiciens de la Chine lèvent et baissent la voix d’une tierce, d’une quinte et d’une octave, mais ils ne chantent jamais par semi-tons : la beauté de leurs concerts ne consiste point dans la variété des voix ou dans la différence des parties ; ils chantent tous le même air, suivant l’usage de tous les Asiatiques. La musique de l’Europe leur plaît assez, pourvu qu’il n’y ait qu’une voix accompagnée d’instrumens : ils ne trouvent qu’un désordre confus dans le contraste de plusieurs voix différentes, et dans les sons graves et aigus, les dièzes, les fugues, etc.

Ils n’ont point de notes ni d’autres figures pour distinguer la diversité des tons, les élévations et les chutes de la voix, et les autres variations qui forment l’harmonie ; cependant ils expriment leurs tons par certains caractères. Les airs chinois, joués par un instrument, ou chantés par une bonne voix, ne sont pas sans agrément : ils s’apprennent par routine ou par la justesse de l’oreille. On ne laisse pas d’en composer quelquefois de nouveaux. Khang-hi en composa plusieurs, qui se chantent aujourd’hui. En 1679, ce monarque s’étant fait jouer quelques airs de clavecin par les pères Grimaldi et Pereyra, parut prendre beaucoup de plaisir aux airs européens : il donna ordre à ses musiciens de jouer un air chinois, et lui-même il toucha cet instrument avec beaucoup de grâce. Le père Pereyra prit ses tablettes, sur lesquelles il nota aussitôt l’air que l’empereur avait joué, et l’exécuta aussi parfaitement que s’il l’eût répété plusieurs fois. Khang-hi en fut si surpris, qu’il avait peine à se le persuader ; il ne comprenait pas comment le missionnaire pouvait avoir appris en si peu de temps un air que lui et ses musiciens n’étaient parvenus à jouer parfaitement qu’après quantité de répétitions et par le secours de certains caractères : il fallut, pour le convaincre que Pereyra fît plusieurs essais sur d’autres airs, qu’il nota de même et qu’il exécuta sur-le-champ avec autant de facilité que d’exactitude. Khang-hi en prit occasion d’instituer une académie de musique, composée des plus habiles musiciens de la Chine : il en donna la direction à son troisième fils, qui était homme de lettres, et qui avait lu beaucoup. Les académiciens commencèrent par un nouvel examen de tous les auteurs qui avaient écrit sur cette matière : ils firent composer toutes sortes d’instrumens à l’ancienne mode, suivant les dimensions qu’ils tirèrent de leurs livres ; mais les ayant trouvés trop défectueux, ils les corrigèrent par des règles plus modernes ; après quoi, ils formèrent un recueil de musique en quatre volumes, sous le titre de véritable Doctrine du Liti, composée par l’ordre de l’empereur. Ils y joignirent ensuite un cinquième tome, qui contenait les élémens de la musique européenne, rédigés par le père Pereyra.

Les Chinois ont inventé huit instrumens, auxquels ils trouvent beaucoup de rapport avec la voix humaine. Les uns sont de métal, comme nos cloches ; d’autres de pierre, entre lesquels on en distingue un qui a la forme de nos trompettes ; d’autres sont de peaux, comme nos tambours. Entre plusieurs espèces, il y en a de si pesans, que, pour en faire usage, on est obligé de les poser sur un bloc de bois. Les instrumens à cordes sont en fort grand nombre ; mais les cordes sont ordinairement de soie, et quelquefois de boyaux, comme celles des vielles que les aveugles portent dans les rues, et celles des violons. Ils n’ont que trois cordes, sur lesquelles on joue avec un archet : cependant on en voit un à sept cordes, qui est fort estimé, et dont l’harmonie n’est pas désagréable, lorsqu’il est touché par une main habile. Il y en a d’autres encore, mais uniquement composés de bois ; ce sont de grandes tablettes qu’on frappe l’une contre l’autre. Les bonzes se servent d’une petite planche qu’ils touchent avec assez d’art et en cadence. Enfin les Chinois ont des instrumens à vent, tels que des flûtes, dont on distingue deux ou trois sortes, et un autre composé de plusieurs tuyaux, qui a quelque ressemblance avec notre orgue, et qui rend un son fort agréable ; mais qui est si petit, qu’il se porte à la main. On en avait offert un à l’empereur, que le père Pereyra trouva le moyen d’agrandir, et qui fut placé dans l’église des jésuites de Pékin : la nouveauté et l’harmonie de cet instrument charmèrent les Chinois ; mais ils furent encore plus surpris de lui voir jouer seul des airs européens ou chinois, et les mêler quelquefois ensemble avec beaucoup d’agrément.

Pereyra, dont le talent était singulier pour la musique, plaça au sommet de l’église des jésuites une grande et magnifique horloge : il fit fondre un assortiment musical de petites cloches qui furent suspendues dans une tour construite exprès pour cet usage, et qui, à l’aide d’un grand tambour, formèrent un carillon qui jouait à chaque heure du jour les plus beaux airs du pays ; l’heure sonnait ensuite sur une cloche d’un ton plus grave. Ce fut un spectacle nouveau pour la cour et la ville : les grands et le peuple ne se lassaient pas de courir pour entendre cette musique.

La poésie et l’éloquence sont des arts fort anciens à la Chine : sans parler de leurs anciens livres, dont une partie est en vers, on admire la délicatesse et la douceur extrême des poëmes de Kiu-i-uen. La dynastie des Tang vit fleurir Li-tsao-pé et Tou-té-moeï, deux poëtes que l’on met à côté d’Anacréon et d’Horace ; ce qui ne prouve pas que nous devions le croire. Les poëtes, à la Chine, sont tous philosophes, et, de tous les écrivains chinois qui ont quelque réputation, Tseng-nan-fong est le seul qui n’ait point écrit en vers. C’est ce qui le fait comparer à la fleur haï-tang, qui serait parfaite, si elle n’était pas insipide.

Pour bien comprendre en quoi consiste la beauté de la poésie chinoise, il faut être versé dans la langue du pays : les compositions poétiques des Chinois ont quelque ressemblance avec les sonnets, les rondeaux, les madrigaux et les chansons de l’Europe : ils ont de longs vers, ils en ont de courts, c’est-à-dire qu’il y entre plus ou moins de mots, et que leur beauté consiste dans la variété de leur cadence et de leur harmonie. Les vers chinois doivent avoir ensemble une relation de sens et rime qui forme une variété aussi agréable à l’esprit qu’à l’oreille. On distingue à la Chine une autre sorte de poésie sans rime, qui consiste dans l’antithèse, ou l’opposition des pensées : si la première pensée regarde le printemps, la seconde regarde l’automne ; ou si la première a quelque rapport au feu, la seconde doit en avoir avec l’eau. Cette composition a ses difficultés, qui demandent un certain art. L’enthousiasme ne manque point aux poëtes chinois ; la plupart de leurs expressions sont allégoriques : ils savent employer les figures qui donnent de la chaleur et de la force au style et aux pensées.

Au contraire, leur rhétorique est fort naturelle. Ils connaissent peu de règles pour l’ornement du discours. Leur unique étude en ce genre est la lecture de leurs meilleurs écrivains, dans desquels ils observent les tours les plus vifs et les plus propres à faire l’impression qu’ils se proposent.

Leur éloquence ne consiste point dans l’arrangement des périodes, mais dans la chaleur de l’expression, dans la noblesse des métaphores, dans la hardiesse des comparaisons, et surtout dans des maximes et des sentences tirées de leurs anciens sages, et qui, exprimées d’une manière concise, vive et mystérieuse, contiennent beaucoup de sens en peu de mots.

Leur logique ne contient point de règles pour la perfection du raisonnement, ni de méthode pour définir ou diviser les idées, et pour en tirer les conséquences. Les Chinois ne suivent que les lumières naturelles de la raison, qui leur sert à comparer plusieurs idées ensemble sans le secours de l’art, et qui les conduit à la conclusion. Cependant ces qualités leur ont suffi pour composer un grand nombre de livres sur toutes sortes de sujets, tels que l’agriculture, la botanique, les arts libéraux, militaires et mécaniques, la philosophie et l’astronomie : mais la fécondité de leur esprit éclate particulièrement dans leurs histoires, leurs comédies, leurs livres de chevalerie errante, leurs romans et leurs nouvelles. Les romans chinois ressemblent assez à ceux de l’Europe ; ils contiennent des aventures d’amour et d’ingénieuses fictions ; mais l’instruction est jointe à l’amusement, et l’on y trouve des maximes utiles à la réformation des mœurs, et des exhortations à la vertu. Les récits y sont quelquefois mêlés de vers pour animer la narration. Duhalde nous a donné pour exemple trois ou quatre pièces de ce genre, que les missionnaires de sa compagnie n’ont pas dédaigné de traduire.

Les comédies doivent être en grand nombre à la Chine, puisqu’il n’y a point de fête d’apparat, comme on l’a déjà dit, dont elles ne fassent partie. Mais il ne faut pas chercher dans ces compositions dramatiques les trois unités, d’action, de temps et de lieu, ni les autres règles auxquelles on s’attache en Europe, pour donner autant de régularité que de grâce à cette sorte d’ouvrage. L’unique but des auteurs étant de divertir une assemblée ou d’émouvoir les passions, et d’inspirer l’amour de la vertu et l’horreur du vice, ils croient avoir atteint à la perfection lorsque le succès répond à leurs vues. Ils ne mettent point de distinction entre leurs tragédies et leurs nouvelles, excepté que les premières se jouent sur un théâtre. Dans les livres imprimés, les personnages sont rarement nommés, parce que, dans la pièce, chacun d’eux commence par s’annoncer lui-même aux spectateurs, et par leur apprendre son nom, ainsi que le rôle qu’il joue.

Une troupe de comédiens est composée de huit ou neuf acteurs, dont chacun est quelquefois chargé de différens rôles : autrement, comme les moindres circonstances sont représentées en dialogues, cette multitude de rôles demanderait une troupe trop nombreuse. On conçoit que le spectateur qui voit le même visage à deux personnages très-différens doit éprouver quelque embarras ; un masque fait remédier à cet inconvénient : mais les Chinois n’en font guère usage que dans les ballets ; en général, ce déguisement à la Chine est le partage des brigands et des voleurs.

Les tragédies chinoises sont entremêlées de chansons, dans lesquelles on interrompt assez souvent le chant pour réciter une ou deux phrases du ton de la déclamation ordinaire. Les auteurs que nous suivons ici observent qu’il est choquant pour un Européen d’entendre un acteur qui se met à chanter au milieu d’un dialogue. S’ils avaient écrit de nos jours, ils auraient trouvé l’exemple de cette bizarrerie dans nos opéras comiques. Au reste, chez les Chinois, le le chant exprime toujours quelque vive émotion de l’âme, telle que la joie, la colère, la douleur ou le désespoir. Un Chinois chante pour déclarer son indignation ; il chante pour s’animer à la vengeance ; il chante même lorsqu’il est prêt à se donner le coup mortel.

Les chansons des comédies ne sont pas fort intelligibles, surtout pour les Européens, parce qu’elles sont remplies d’allusions à des événemens qui leur sont inconnus, et d’expressions figurées qui ne leur sont pas familières. Dans les tragédies, les airs sont en petit nombre ; et dans l’impression ils sont placés à la tête des chansons, qui sont imprimées en gros caractères, pour les distinguer de la prose.

Le père Duhalde nous donne pour essai du théâtre chinois une tragédie intitulée Tchao-chi-cou-ell, c’est-à-dire, le petit Orphelin de la maison de Tchao. On doit la traduction de cette pièce au père de Prémare, missionnaire jésuite, qui l’avait tirée d’une collection en quarante volumes, de cent des meilleures tragédies chinoises, composées sous la dynastie des Yuen.[1]

Pour ce qui est de l’histoire, on ne connaît guère de nation qui ait apporté plus de soin à écrire et conserver les annales de son empire. Ces livres respectés contiennent tout ce qui s’est passé sous le règne dès premiers empereurs qui ont gouverné la Chine : on y trouve l’histoire et les lois de l’empereur Yao, avec toutes les mesures qu’il prit pour établir une forme de gouvernement dans ses états, les règlemens de Chun et de Yu, ses successeurs, pour améliorer les mœurs et affermir la tranquillité publique ; les usages des petits rois qui gouvernaient les provinces sous la dépendance de l’empereur ; leurs vertus, leurs vices, leurs maximes de gouvernement, leurs guerres mutuelles, les grands hommes qui florissaient de leur temps, et tous les autres événemens qui ont paru dignes d’être transmis à la postérité.

Les historiens de chaque règne ont suivi la même méthode. Mais ce qui distingue beaucoup les Chinois, c’est l’attention qu’ils ont apportée, et les précautions qu’ils ont prises pour garantir leurs histoires de cette partialité que la flatterie n’aurait pas manqué d’y introduire. Une de leurs précautions consiste à choisir un certain nombre de docteurs désintéressés, dont l’office est d’observer tous les discours et toutes les actions de l’empereur, de les écrire, chacun en particulier, sans aucune communication l’un avec l’autre, et de mettre leurs remarques dans une espèce de tronc destiné à cet usage. Ils rapportent avec sincérité tout ce que leur maître a fait ou dit de bien et de mal : par exemple, tel jour l’empereur oublia sa dignité ; il ne fut pas maître de lui-même, et se laissa vaincre par la colère : tel jour il n’écouta que son ressentiment pour ordonner une punition injuste, ou pour casser sans raison une sentence du tribunal ; tel jour de telle année il donna telle marque d’affection paternelle à ses sujets : il entreprit une guerre pour la défense de son peuple et pour l’honneur de l’empire ; tel jour, au milieu des applaudissemens de sa cour qui le félicitait d’une action utile à l’état, il parut avec un air humble et modeste, etc., etc.

Le tronc dans lequel ces mémoires sont déposés n’est jamais ouvert pendant la vie du monarque, ni même tandis que sa famille est sur le trône : mais lorsque la couronne passe dans une autre maison, on recueille tous ces matériaux fournis par une longue suite d’années ; on les compare soigneusement pour vérifier les faits, et l’on en compose les annales de chaque règne. La lecture de ces annales doit être une leçon bien importante pour le prince qui monte sur le trône ; mais quelle leçon le trône ne fait-il pas oublier !

Les philosophes chinois réduisent toute la science de leur morale à cinq principaux devoirs : ceux des pères et des enfans, du prince et des sujets, du mari et de la femme, de l’aîné des enfans et de ses frères, et ceux de l’amitié. Tous leurs livres moraux roulent presque uniquement sur ces cinq points.

À l’égard du premier, il n’y a point d’âge, de rang, ni de mécontentement juste ou supposé qui puisse dispenser un fils du respect, de la complaisance et de l’affection qu’il doit à ses parens. Ce sentiment de la nature est poussé si loin parmi les Chinois, que les lois accordent aux pères une autorité absolue sur leur famille, et jusqu’au pouvoir de vendre leurs enfans aux étrangers, lorsqu’ils ont à se plaindre de leur conduite. Un père qui accuse son fils devant un mandarin de lui avoir manqué de respect n’est point obligé d’en apporter de preuves. Le fils passe nécessairement pour coupable, et l’accusation du père est toujours juste. Au contraire, un fils serait regardé comme un monstre, s’il se plaignait de son père. Il y a même une loi qui défend aux mandarins de recevoir une plainte de cette nature. Cependant elles peuvent être écoutées lorsqu’elles sont signées par le grand-père ; mais s’il se trouve quelque fausseté dans le moindre article, le fils court risque de la vie. « C’est le devoir d’un fils, disent les Chinois, d’obéir et de prendre patience. De qui souffrira-t-il, s’il ne peut rien souffrir de son père ? »

S’il arrivait qu’un fils maltraitât son père, soit par des paroles injurieuses, soit par des coups, ou, ce qui est également rare et horrible, que dans un transport de fureur il devint parricide, l’alarme se répandrait dans toute la province, la punition s’étendrait jusque sur ses parens, et les gouverneurs mêmes courraient risque d’être déposés, parce qu’on supposerait toujours que ce malheureux enfant n’aurait pu parvenir que par degrés à ce comble d’horreur, et que ceux qui devaient veiller sur sa conduite auraient prévenu le scandale, s’ils eussent apporté une juste rigueur à le punir de ses premières fautes : mais alors il n’y a point de châtiment trop sévère pour le coupable. Il est coupé en mille pièces ; sa maison est détruite, et l’on élève un monument pour éterniser l’horreur d’une si détestable action.

On a déjà vu quelques exemples de la vénération des enfans pour leurs pères, dans l’article du deuil pour les morts. Ce respect et cette soumission pour les auteurs de leur naissance, qui sont les premiers sentimens qu’on leur inspire, les dispose à l’observation du second devoir, c’est-à-dire à l’obéissance qu’ils doivent aux princes et aux gouverneurs ; et ces deux principes sont comme la base de toute la morale et de toute la politique chinoise.

Les devoirs qui regardent le mari et la femme, et les enfans d’un même père entre eux, établissent l’harmonie et le bon ordre qui règnent généralement dans les familles. La même influence que ces devoirs ont dans la vie privée se répand dans la société publique. Sous le nom d’amitié on comprend ce sentiment d affection qu’on doit à tous les hommes, proches ou éloignés, étrangers comme voisins. Le devoir consiste dans la modestie et la circonspection à laquelle chacun est obligé personnellement, et dans les civilités et les complimens qu’on se doit l’un à l’autre, suivant l’âge, le rang et le mérite.

Les règles de la bienséance ont introduit dans l’air et dans les manières des Chinois une réserve, une complaisance, une habitude de douceur et de politesse qui les dispose toujours à se prévenir mutuellement par toutes sortes d’égards, et qui les rend capables d’étouffer, ou du moins de dissimuler les plus vifs ressentimens. Rien ne contribue tant, disent-ils, au repos et au bon ordre de la société. Ils ajoutent que la férocité naturelle de certaines nations, augmentée par une éducation brutale, rend le peuple intraitable, le dispose à la révolte, et produit dans l’état des convulsions dangereuses.

Au reste, les principes de la morale des Chinois ne sont pas moins anciens que leur monarchie. Ils les tirent des livres de leurs premiers sages, dont toutes les maximes et les exhortations portent sur ces fondemens. Ils ont servi de règle à la nation entière depuis le temps de son origine.

Les lois chinoises sont toutes fondées sur les mêmes principes de morale et de saine raison. Leur but est de maintenir la forme du gouvernement telle qu’elle est établie de tout temps ; elles se trouvent dans les anciens livres classiques, dans les édits, les déclarations, les ordonnances et les instructions des empereurs. Duhalde en a donné un recueil fort curieux, auquel il a joint les remontrances et les discours des plus habiles ministres sur les bonnes et les mauvaises qualités du gouvernement. Ce recueil, qui porte le titre de Collation impériale, est l’ouvrage de Khang-hi, qui a joint ses propres remarques à la plus grande partie des lois.

L’histoire de la Chine forme un très-grand nombre de volumes, comme on doit se le figurer d’une succession d’empereurs qui dure depuis quatre mille ans, et du détail des circonstances où les auteurs sont entrés sur chaque événement. Les Chinois ont aussi des histoires particulières, ou des annales de tous les petits rois qui régnaient autrefois dans les provinces, écrites avec la même impartialité et le même détail que celle des empereurs. Enfin quantité d’auteurs ont écrit l’histoire de leur temps et celle des révolutions de leur empire. Aussi l’étude de l’histoire est-elle devenue parmi eux une occupation assez pénible, qui demande beaucoup de mémoire et de constance pour démêler une si grande variété d’événemens, et se mettre en état d’en faire l’application aux nouveaux incidens qui peuvent survenir, soit qu’il s’agisse seulement d’en juger, soit que l’on veuille en faire usage pour soutenir une opinion particulière sur quelque point de gouvernement.

Les livres classiques de la Chine contiennent la morale, les lois et l’histoire de l’empire, depuis sa fondation. Ils se réduisent au nombre de cinq, qui portent, par cette raison, le nom d’Ou-king, c’est-à-dire les Cinq livres. C’est proprement l’Écriture Sainte des Chinois, pour laquelle ils n’ont pas moins de respect que les Juifs pour l’ancien Testament, les chrétiens pour le nouveau, et les Turcs pour l’Alcoran. Tous les autres livres les plus autorisés dans l’empire ne sont que des commentaires ou des explications de l’Ou-king.

King signifie une doctrine sublime et invariable. Le premier des livres canoniques se nomme I-king, ou Livre des transmutations. Il n’est pas facile à des Européens d’entendre et d’expliquer ce que c’est, puisque les Chinois ne le savent pas encore. Il contient soixante-quatre figures symboliques, inventées par Fo-hi, et que l’on regarde comme le premier alphabet chinois. Cet alphabet allégorique et moral contenait, dit-on, les plus sublimes vérités ; mais personne ne put les expliquer jusqu’au temps de Confucius, qui, le premier, en donna la clef. Il découvrit dans ces lignes une profonde doctrine, qui regarde en partie la nature des êtres, surtout les élémens et leurs propriétés, en partie la morale et le gouvernement du genre humain : cependant les Chinois avouent que l’I-king est demeuré rempli d’obscurités impénétrables, qui devinrent l’occasion d’une infinité d’erreurs et d’opinions superstitieuses. Des docteurs corrompus en réduisirent le sens à de vains pronostics, à la divination, et même à la magie. Enfin telle est partout, sur les objets les plus importans, la contrariété des opinions, que ce livre, regardé comme sacré, a été appelé souvent le livre des sots. Que penser, après tout, de son auteur Fo-hi, nommé le père des sciences et du bon gouvernement, qui, pour donner plus de réputation à ses figures, prétendit les avoir vues sur le dos d’un dragon qui s’éleva d’un lac ? C’est même depuis ce temps que les empereurs ont pris un dragon pour armes. Ce qui a le plus contribué à la réputation de l’I-king, c’est la tradition établie qu’il fut sauvé du feu, dans la destruction générale de tous les monumens littéraires, qui arriva par l’ordre de l’empereur Tsin-chi-Hoang-ti, environ deux cents ans après Confucius, et avant Jésus-Christ. Cette réputation n’a fait qu’augmenter par les éloges des écrivains de tous les siècles, qui ont supposé l’I-king rempli d’excellentes maximes de politique et de morale, quoiqu’en effet ils ne connussent point ce qu’il contient, et que ce ne soit peut-être, selon quelques-uns, qu’un essai fait au hasard pour ranger deux sortes de lignes dans toutes les combinaisons qu’elles peuvent recevoir.

Le second des cinq principaux livres canoniques se nomme Chou-king, c’est-à-dire livre qui parle des anciens temps. Il est divisé en six parties, dont les deux premières contiennent les plus mémorables événemens du règne des anciens empereurs Yao, Chun et Yu, qui passent pour les législateurs et les héros de la nation chinoise. Yu fut le fondateur de la famille de Hyao, première dynastie impériale, qui commença deux mille deux cents ans avant Jésus-Christ, et qui dura quatre cent cinquante-huit ans. Dans la troisième partie du second livre canonique, on trouve l’histoire de la seconde famille impériale, qui commença dans la personne de Tching-tang, dix-sept cent soixante-seize ans avant l’ère chrétienne, et qui dura six cents ans. On y a conservé les sages ordonnances de cet empereur, avec les belles instructions du ministre Tsong-Hoeï, et quelques règlemens de Fou-yué, autre ministre, que l’empereur Kao-tsong fit chercher après l’avoir vu en songe, et qui fut trouvé dans une troupe de maçons. Les trois dernières parties du Chou-king renferment l’histoire de la troisième race, fondée par Vou-vang , onze cent vingt-deux ans avant Jésus-Christ, et continuée l’espace de cent soixante-treize ans. Cette histoire est entremêlée d’excellentes maximes et de règlemens pour l’utilité publique. Le père Duhalde en a donné quelques extraits de la traduction du père Prémare, missionnaire jésuite.

Le troisième livre canonique du premier ordre contient, sous le nom de Cki-king, des odes, des cantiques et d’autres pièces de poésie, composées sous la troisième race. C’est la relation des mœurs, des usages et des maximes d’un grand nombre de petits rois subordonnés aux empereurs. Confucius donne de grands éloges à ce livre, et assure que la doctrine qu’il renferme est pure et sainte ; mais, comme il s’y trouve quelques pièces impies et extravagantes, plusieurs interprètes soupçonnent qu’elles peuvent y avoir été interpolées dans des temps postérieurs. Ces compositions poétiques, dont le style est fort laconique et chargé de vieux proverbes qui le rendent fort obscur, peuvent être divisées en cinq différentes classes : la première comprend l’éloge des hommes illustres par leurs vertus et leurs talens, avec quantité d’instructions ou de maximes qui se chantaient dans les grandes solennités, telles que les sacrifices, les funérailles et les cérémonies instituées à l’honneur des ancêtres ; la seconde renferme les usages de l’empire dans une espèce de romans composés par divers particuliers ; elles ne se chantaient point, mais elles se récitaient devant l’empereur et ses ministres, dont elles ne censurent pas moins les défauts que ceux du peuple : la troisième porte le titre de comparaisons, parce que cette figure y est employée continuellement ; la quatrième contient des odes qui s’élèvent, dit-on, jusqu’au sublime ; la cinquième contient des vers qui parurent suspects à Confucius, et qu’il regarda comme apocryphes. Ce qu’on peut affirmer, sans que nous devions en être plus vains, c’est que toutes ces productions, qui n’ont de respectable que leur ancienneté et quelques traits de bonne morale, ces monumens qui sont au-dessus du sublime, sont fort au-dessous de nos bons livres ; mais il était beau de les voir, ces monumens, quand le reste de la terre, excepté les Indes, était ignorant et barbare.

Le Tchun-tsiou, ou le quatrième livre canonique du premier ordre, ne fut point admis avant le règne de la race des Han. Il avait été composé du temps de Confucius, c’est-à-dire long-temps après les trois autres. Quelques-uns l’attribuent même à ce philosophe ; mais cette opinion est rejetée du plus grand nombre : les uns croient qu’il contient l’histoire du royaume de Lou, où Confucius naquit, et qui porte aujourd’hui le nom de Chan-tong ; d’autres le regardent comme un abrégé de ce qui s’était passé dans les différens royaumes dont la Chine était composée avant qu’ils fussent réunis par Tsin-tchi-hoang. C’est par cette raison que d’habiles gens auraient souhaité qu’il fut rangé dans la seconde classe des livres canoniques. Cependant les Chinois en font un cas extraordinaire : on y trouve le récit des actions de plusieurs princes, avec la peinture de leurs vices et de leurs vertus. Son titre est le Printemps et l’Automne, par allusion à l’état florissant de l’empire sous un prince vertueux, et à sa décadence sous un mauvais prince.

Le Li-ki, ou Recueil des Lois, des Devoirs et des Cérémonies de la vie civile, forme le cinquième livre canonique, en douze livres, compilé de divers ouvrages des anciens. Quoiqu’il soit attribué à Confucius, on croit que le principal auteur fut Tcheou-ong, frère de l’empereur Vou-vang. Il renferme aussi les ouvrages de plusieurs disciples de Confucius, et de divers autres écrivains moins considérés, parce qu’ils sont plus modernes. On y traite des usages et des cérémonies tant sacrées que profanes, surtout pendant les trois dynasties de Hiao, Chang et Tcheou ; du devoir des enfans à l’égard de leurs pères, et des femmes envers leurs maris ; des règles de la véritable amitié ; de la civilité dans les fêtes ; des honneurs funèbres, de la guerre, de la musique, et de plusieurs autres sujets qui ont rapport aux intérêts de la société ; mais comme, trois cents ans après l’origine de cette compilation, tous les exemplaires furent brûlés par l’ordre de Tsin-tchi-hoang, et qu’on n’en put sauver qu’un petit nombre de feuilles échappées aux flammes, avec ce que les vieillards avaient retenu par cœur, on soupçonne qu’il s’y est mêlé quantité de choses étrangères, sans compter qu’on y trouve un grand nombre d'usages qui ne sont pas reçus aujourd’hui. Aussi les Chinois confessent-ils qu’il ne doit être lu qu’avec beaucoup de précaution.

Les livres canoniques du second ordre sont au nombre de quatre, tous composés par Confucius ou ses disciples. On y en a joint deux autres qui sont presque aussi considérés que les quatre premiers. Le père Noel, missionnaire jésuite, célèbre par ses observations astronomiques, et par d’autres remarques sur la Chine et les Indes, a publié une traduction de ces livres en latin, dont le père Duhalde nous a donné des extraits.

Le premier livre du second ordre porte le nom de Ta-gio ou la Grande-Science, parce qu’il est destiné à l’instruction des princes et des seigneurs dans toutes les parties du gouvernement, et qu’il traite du souverain bien, qui consiste, suivant la doctrine de cet ouvrage, dans la conformité des actions avec la droite raison. Pour y parvenir, Confucius enseigne qu’il est nécessaire de bien examiner la nature des choses, et de s’élever à la connaissance du bien et du mal ; de se fixer dans l’amour de l’un et dans la haine de l’autre ; de régler ses mœurs et de maîtriser ses passions ; qu’un homme ainsi renouvelé ne trouvera point de peine à renouveler les autres, et fera bientôt régner la paix dans l’empire et dans le sein des familles.

Le second livre se nomme Tchong-yong, ou l’invariable milieu. C’est un ouvrage de Confucius, où ce philosophe traite du milieu qui doit être observé en toutes choses, et que tout le monde doit suivre, surtout ceux qui sont chargés du gouvernement des nations, parce que c’est dans ce milieu, ou ce tempérament, que la vertu consiste. C’est l’axiome d’Horace : Virtus est medium vitiorum. L’ouvrage est divisé en trente-trois articles, où Confucius établit que la loi du ciel est gravée dans le cœur de l’homme, et que la lumière de la raison est un guide que l’on doit suivre. Il déplore le misérable état du genre humain, qui s’attache si peu au milieu ; il explique en quoi il consiste : il prétend que, si cette science est difficile dans la spéculation, elle est aisée dans la pratique ; mais, malgré l’autorité de Confucius, tous les hommes croiront le contraire : Video meliora, proboque : deteriora sequor, est la devise de presque tous les hommes.

Le Lun-yu, ou le livre des Sentences, troisième livre du second ordre, est divisé en vingt articles, dont le dixième est employé au récit que les disciples de Confucius font de la conduite de leur maître ; et les autres, en questions, en réponses et en maximes de ce philosophe ou de ses disciples, sur les vertus, les bonnes œuvres et l’art de bien gouverner ; cette collection est remplie de sentences morales, qui ne cèdent rien à celles des sept sages de la Grèce, Confucius déclare « qu’il est impossible qu’un flatteur ait de la vertu ; que le sage ne s’afflige point d’être peu connu des hommes, mais qu’il regrette de ne les pas connaître assez (cette pensée est en effet très-belle, et il y en a peu d’un plus grand sens) : que l’homme sage ne se propose que la beauté de la vertu, et que l’insensé ne pense qu’aux plaisirs. » Duhalde nous donne plusieurs extraits de ce volume.

Le quatrième livre se nomme Meng-tsée, ou Livre du docteur Meng. Ce philosophe était parent des rois de Lou et disciple de Té-tsé, petit-fils de Confucius. Ses ouvrages sont divisés en deux parties, dont la première contient six chapitres, et la seconde huit. Ils traitent presque uniquement du bon gouvernement. Comme l’empire était alors troublé par des guerres civiles, l’auteur prouve que ce n’est pas de la force des armes, mais des exemples de vertu qu’il faut attendre la paix et la tranquillité de l’état. Ces discours sont en forme de dialogue : Duhalde en donne l’extrait.

Le cinquième livre, intitulé Hyao-king, ou du Respect filial, est un petit volume qui contient seulement les réponses de Confucius aux questions de son disciple Tseng, sur le devoir des enfans envers leurs pères, qu’il fait regarder comme la base d’un sage gouvernement. Le respect filial est porté fort loin dans ce traité. Il n’y a point de vertu si nécessaire et si sublime que l’obéissance d’un fils, ni de crime si énorme que sa désobéissance. Cette obligation ne regarde pas moins les princes que les derniers sujets ; et l’on propose comme des modèles de vertu ceux qui ont servi par leurs exemples à mettre en honneur l’amour et le respect filial. Cependant on reconnaît que les enfans ne doivent point obéir à leur père, ni les ministres aux princes, s’ils en reçoivent des ordres qui blessent la justice et l’honnêteté.

Le sixième et le dernier livre canonique porte le titre de Siao-hio, ou d’École des enfans. Il fut composé vers l’an de Notre-Seigneur 1150, par le docteur Tchu-hi, sous le règne de la famille des Song. C’est une collection de maximes et d’exemples, tant anciens que modernes, divisés en chapitres et en paragraphes. Elle traite particulièrement des écoles publiques, des honneurs dus aux parens, aux rois, aux magistrats et aux personnes âgées ; des devoirs du mari et de la femme ; de la manière de régler le cœur, les mouvemens du corps, la nourriture et l’habillement ; en un mot, le but de l’auteur est d’instruire la jeunesse et de réformer les manières. Duhalde donne un extrait des maximes que le compilateur a jointes aux principes des anciens livres.

La connaissance du langage et l’art de l’écriture font, comme on l’a déjà remarqué, une partie de l’érudition chinoise ; et la carrière des emplois étant ouverte à tout le monde, le dernier homme du peuple apprend à lire et à écrire.

La langue chinoise n’a aucune ressemblance avec les autres langues mortes ou vivantes. Toutes les autres ont un alphabet, composé d’un certain nombre de lettres, qui par leurs diverses combinaisons forment des syllabes et des mots ; au lieu que dans celle des Chinois il y a autant de caractères et de différentes figures que d’expressions et d’idées : ce qui en rend le nombre si grand, que Mahalhaens en compte cinquante-quatre mille quatre cent neuf, et d’autres jusqu’à quatre-vingt mille. Cependant leurs mots élémentaires, dont ils varient les combinaisons figurées, ne surpassent pas trois cent trente. Ce sont autant de monosyllabes indéclinables, qui finissent presque tous par une voyelle, ou par la consonnante n, ou ng.

Cette petite quantité de syllabes ne laisse pas de suffire pour traiter toutes sortes de sujets, parce que, même sans multiplier les mots, le sens est varié presqu’à l’infini parla différence des accens, des inflexions, des tons, des aspirations et des autres changemens de la voix. À la vérité, pour ceux qui ne sont pas fort versés dans la langue, cette variété de prononciation devient une occasion fréquente d’erreur. Par exemple, le mot tchu, prononcé en traînant sur u, et levant la voix, signifie seigneur ou maître ; d’un ton uniforme et allongé, il signifie pourceaux ; d’un ton bref, il signifie cuisine ; et d’un ton fort et mâle, qui s’adoucit sur la fin, il signifie colonne. De même la syllabe po, suivant ses divers accens et ses différentes prononciations, n’a pas moins de onze sens différens. Elle signifie verre, bouillir, vanner du riz, sage ou libéral, préparer, vieille femme, rompre ou fendre, incliné, tant soit peu, arroser, esclave ou captif. Il en faut conclure que les Grecs, que l’on a beaucoup vantés pour la délicatesse de l’oreille, étaient en ce genre fort inférieurs aux Chinois ; mais je n’en conclurais pas avec les historiens des voyages que la langue de la Chine soit très-abondante et très-expressive. C’est une véritable pauvreté qu’un grand nombre de différences imperceptibles dont l’étude peut occuper la vie d’un homme. La véritable richesse d’un idiome est dans les expressions usuelles, plus ou moins faciles à comprendre et à retenir. En général, la langue qui exprime le plus de choses d’une manière claire et précise est la plus riche de toutes.

D’un autre côté, le même mot différemment composé dénote une infinité de choses différentes. Mou, par exemple, signifie seul, un arbre, ou du bois ; composé, il a quantité d’autres sens. Mou-leao signifie du bois préparé pour bâtir ; mou-lan, des barreaux ou une porte de bois ; mou-hia, une caisse ; mou-siang, une armoire ; mou-tsiang, un charpentier ; mou-eul, un mousseron ; mou-nu, une espèce de petite orange ; mou-sing, la planète de Jupiter ; mou-mien, du coton, etc. Enfin, ce mot peut être joint à quantité d’autres, et forme autant de sens que de combinaisons. Ainsi les Chinois, par un simple changement d’ordre dans leurs monosyllabes, font des discours suivis dans lesquels ils s’expriment avec beaucoup de grâce et de clarté. L’habitude leur fait distinguer si bien les différens tons des mêmes monosyllabes, qu’ils comprennent leurs différentes significations sans paraître y faire beaucoup d’attention.

Il ne faut pas s’imaginer, comme plusieurs auteurs le racontent, qu’ils chantent en parlant, et qu’ils fassent une espèce de musique, qui ne pourrait être que fort désagréable à l’oreille. Au contraire, ces différens tons sont si délicats, que les étrangers n’en sentent pas facilement la différence, surtout dans la province de Kiang-nan, où l’accent passe pour le plus parfait. On peut s’en former une idée par la prononciation gutturale de la langue espagnole ; et par les différens tons du français et de l’italien, qui signifient différentes choses, quoiqu’on ait d’abord quelque peine à les trouver différens : ce qui a donné naissance au proverbe, le ton fait tout.

Comme les Chinois n’ont point d’accens écrits pour varier les sons, ils sont obligés d’employer pour le même mot autant de figures qu’il y a de tons par lesquels son sens est varié ; ils ont avec cela des caractères qui expriment deux ou trois mots, et quelquefois des phrases entières. Par exemple, pour écrire ces deux mots, bonjour, monsieur, au lieu de joindre le caractère de bonjour avec celui de monsieur, ils en emploient un différent, qui exprime par lui-même ces deux mots, ou, si l’on veut, ces trois mots ; mais on conçoit aussi que cet usage multiplie extrêmement les caractères chinois, et rend l’art de joindre les monosyllabes très-compliqué. Dans la composition par écrit, les mots sont, à la vérité, les mêmes ; mais le style poli est si différent de celui du discours familier, qu’un homme de lettres ne pourrait, sans paraître ridicule, écrire de la manière dont on s’exprime dans la conversation. Il est aisé de s’imaginer combien l’étude d’un si grand nombre de caractères demande d’années, non-seulement pour les distinguer dans leur composition, mais pour se souvenir même de leur signification et de leur forme. Cependant, lorsqu’on en sait parfaitement dix mille, on peut fort bien s’exprimer dans cette langue, et lire quantité de livres. Celui qui en sait le plus passe pour le plus habile ; mais la plupart des Chinois n’en savent pas plus de quinze ou vingt mille ; et parmi les docteurs mêmes il s’en trouve peu qui en sachent plus de quarante mille.

Ce prodigieux nombre de caractères est recueilli dans une espèce de vocabulaire qui se nomme Hai-pien. De même que l’hébreu a ses lettres radicales, qui font connaître l’origine des mots et la manière de trouver leurs dérivés dans les dictionnaires, la langue chinoise a aussi ses caractères radicaux, tels que ceux des montagnes, des arbres, de l’homme, de la terre, du cheval, etc. ; il faut de plus savoir distinguer dans chaque mot les traits ou les figures qui sont placés au-dessus, ou au-dessous, à côté, ou dans le corps de la figure radicale. L’empereur Kang-hi fit composer un dictionnaire qui contenait dans la première compilation quatre-vingt-quinze volumes, la plupart fort épais et d’un petit caractère : cependant il était bien éloigné de renfermer toute la langue, puisqu’on jugea nécessaire d’y joindre un supplément de vingt-quatre volumes.

Outre ce grand vocabulaire, les Chinois en ont un autre qui ne contient que huit ou dix mille caractères, et dont les savans font usage pour lire ou écrire, et pour entendre ou composer leurs livres. Ils ont recours au grand, lorsque le petit ne leur suffit pas. C’est ainsi que les missionnaires ont recueilli tous les termes qui peuvent servir à l’instruction du peuple, pour se faciliter les moyens d’exercer leur ministère.

Clément d’Alexandrie attribue trois sortes de caractères aux Égyptiens : le premier, qu’il appelle épistolaire, ressemble, dit-il, aux lettres de notre alphabet ; le second est le sacerdotal, qui sert pour les écrits sacrés, comme les notes pour la musique ; le troisième, qui est l’hiéroglyphique, n’est employé que pour les inscriptions publiques sur les monumens. Il y a deux méthodes pour le dernier : l’une par des images exactes, qui représentent ou l’objet même, ou quelque chose qui en approche beaucoup ; c’est ainsi qu’on emploie le croissant pour exprimer la lune : l’autre par des symboles et des figures énigmatiques, telles qu’un serpent en forme de cercle avec sa queue dans sa gueule, pour signifier l’année ou l’éternité. Les Chinois ont toujours eu, comme les Égyptiens, divers caractères symboliques. Au commencement de leur monarchie, ils se communiquaient leurs idées en traçant sur le papier les images naturelles de ce qu’ils voulaient exprimer : par exemple, un oiseau, une montagne, un arbre, pour signifier exactement les mêmes choses. Cette méthode était fort imparfaite, et demandait des volumes entiers pour l’expression des pensées les plus courtes. D’ailleurs combien d’objets ne pouvaient être représentés par le crayon ou le pinceau, tels que l’âme, les sentimens, les passions, la beauté, la vertu, les vices, les actions des hommes et des animaux, enfin tout ce qui est sans corps et sans forme ! Ce fut cette raison qui fit changer insensiblement l’ancienne manière d’écrire et composer des figures plus simples pour exprimer les choses qui ne tombent pas sous les sens.

Un fait très-remarquable, c’est que les caractères de la Cochinchine, du Tonkin et du Japon, sont les mêmes qu’à la Chine, et signifient les mêmes choses. Quoique les peuples de ces quatre régions aient, un langage si différent, qu’ils ne peuvent s’entendre dans le discours, ils s’entendent parfaitement par écrit, et leurs livres sont communs entre eux. Ainsi leurs caractères peuvent être comparés aux chiffres qui portent différens noms en divers pays, mais dont le sens est partout le même.

Avant le commencement de la monarchie, on se servait de petites cordes, avec des nœuds coulans, qui avaient chacun leur, signification, comme les quipos des Péruviens. Les Chinois en conservent la représentation sur deux tables qu’ils appellent Lo-tu et Lo-chu.

Le style des Chinois, dans leurs compositions, est concis, allégorique, et souvent obscur pour ceux qui ne sont pas bien versés dans l’usage de leurs caractères. Il demande beaucoup d’attention, et même d’habileté, pour ne tomber dans aucune méprise : il exprime quantité de choses en peu de mots. Les expressions sont vives, animées, entremêlées de comparaisons hardies et de métaphores. Duhalde en donne un exemple : « L’encre qui a tracé l’édit impérial en faveur de la religion chrétienne n’est point encore sèche ; et vous entreprenez de la détruire ! » C’est ainsi qu’écrivent les Chinois. Hamlet, dans Shakspeare, emploie une figure toute semblable, en parlant de sa mère qui est près de se marier avec le ministre de son premier époux : « L’infidèle ! avant d’avoir usé les souliers qu’elle portait à l’enterrement de mon père ! » Il y a de la vérité dans cette idée, et cette vérité grossière paraîtra une beauté aux nouveaux commentateurs de Shakspeare ; mais les gens de goût, qui savent qu’un prince ne s’exprime pas comme un homme du peuple, et que le langage du théâtre n’est pas celui des rues, diront qu’il était facile de saisir cent autres circonstances que celle des souliers, et d’être aussi vrai et plus noble.

Les Chinois insèrent volontiers dans leurs écrits des sentences et des passages tirés des cinq livres canoniques ; et comme ils comparent leurs compositions à la peinture, ils comparent de même ces sentences aux cinq principales couleurs qu’ils emploient pour peindre ; enfin ils attachent beaucoup de pris à écrire proprement et à peindre exactement leurs caractères. C’est à quoi l’on apporte une extrême attention dans l’examen de ceux qui se présentent pour les degrés. Les Chinois préfèrent un beau caractère d’écriture au tableau le plus fini ; et souvent une page de quelque vieil écrit bien exécuté se vendra fort cher. Ils rendent une espèce d’honneur à leurs caractères jusque dans les livres les plus communs ; et si le hasard leur fait rencontrer quelques feuilles imprimées, ils ne manquent point de les ramasser avec respect. Celui qui marcherait dessus, ou qui les jetterait négligemment, passerait pour un homme sans éducation. La plupart des menuisiers et des maçons se croiraient coupables s’ils déchiraient une feuille imprimée, lorsqu’ils la trouvent collée sur un mur ou contre une fenêtre.

On lit dans quelques relations que les savans de la Chine, en conversant ensemble, tracent souvent des caractères avec le doigt ou avec leur éventail, sur leurs genoux, ou dans l’air ; c’est que leur langue a divers mots qui ne doivent être employés que rarement dans une conversation polie, tels que les termes de navigation et de chirurgie. Concluons que l’on peut distinguer trois sortes de langages : le vulgaire, qui varie dans les différentes provinces, surtout pour la prononciation, et qui n’est employé que dans les compositions des basses classes, ; le langage mandarin, qui est à peu près pour eux ce que le latin est en Europe pour les ecclésiastiques et les savans, et que l’auteur de l’Orphelin de la Chine appelle

Du conquérant tartaLa langue sacrée,
Du conquérant tartare et du peuple ignorée.


Enfin celui des livres, qui est fort différent du discours familier : il ne s’emploie jamais que pour écrire, et ne peut être entendu sans le secours des lettres ; mais ceux à qui l’étude facilite l’intelligence de ce style y trouvent beaucoup de netteté et d’agrément. Chaque pensée est ordinairement exprimée par cinq ou six caractères ; l’oreille la plus délicate n’y rencontre rien de choquant, et la variété des accens en rend le son fort doux et fort harmonieux. La différence entre les livres qu’on publie dans ce dialecte, et ceux qui portent le nom de king, consiste dans le sujet, qui n’est pas si relevé, et dans le style, qui n’a pas la même grandeur et la même précision. Il faut passer par quantité de degrés avant d’arriver à la majestueuse brièveté qu’on admire dans les kings. On n’emploie point de ponctuation pour les sujets sublimes : on laisse aux savans, pour qui ces ouvrages sont destinés, le soin de juger où le sens se termine, et les habiles gens ne s’y trompent jamais.

Les Chinois ont encore une autre sorte de langage et un autre caractère, qui a servi à la composition de quelques livres, que les savans doivent entendre, mais qui ne sert plus à présent que pour les titres, les inscriptions, les sceaux et les devises. Ils ont aussi une écriture courante, qu’ils emploient dans les contrats, les obligations et les actes de justice, comme les Européens ont un caractère particulier pour les procédures. Enfin ils ont une espèce de notes ou de caractères d’abréviations, qui demande une étude particulière à cause de la variété de ses traits, et qui sert à recueillir promptement tout ce que l’on veut écrire.

Quoique toutes ces observations présentent beaucoup de difficultés dans le langage chinois, et que plusieurs missionnaires en jugent effectivement l’étude ennuyeuse, pénible, et d’une longueur infinie, d’autres en ont parlé fort différemment. Magalhaens, par exemple, assure qu’il s’apprend avec plus de facilité que le grec, le latin, et toutes les langues de l’Europe ; plus facilement, dit-il encore, que les langues des autres pays où les jésuites sont employés dans les missions. Il prétend qu’avec une bonne méthode et un travail assidu on peut, dans l’espace d’un an, entendre et parler fort bien la langue chinoise. Les missionnaires, ajoute le même auteur, y firent tant de progrès dans l’espace de deux ans, qu’ils se rendirent capables de confesser, de catéchiser, de prêcher et de composer aussi facilement que dans leur langue naturelle, quoique la plupart fussent d’un âge avancé. Voilà ce que dit Magalhaens ; mais il est permis d’en douter.

La langue chinoise est le contraire de toutes les autres, parce qu’elle a infiniment plus de caractères que de mots. Les Chinois admirent de leur côté qu’avec si peu de lettres les Européens puissent exprimer toutes leurs paroles ; mais l’étonnement cesserait de part et d’autre, si l’on faisait réflexion que les mots sont composés de la combinaison d’un petit nombre de sons simples, formés par les organes de la parole, et que les caractères européens sont inventés pour exprimer des sons au lieu que les caractères chinois expriment des mots, et doivent être par conséquent beaucoup plus nombreux. Il n’est pas aisé de juger comment cette méthode leur est venue à l’esprit plutôt que l’autre, ou pourquoi ils ont préféré l’une à l’autre, si elles s’y sont présentées toutes deux. Nous savons seulement qu’il n’y a pas d’autre exemple de cette préférence dans toutes les parties du monde connu. À la vérité, les Égyptiens, les Mexicains, et d’autres peuples ont eu des caractères de la même nature ; mais il en reste fort peu, et l’on ne voit pas que l’invention en ait été si judicieuse et si uniforme, ni qu’elle ait été capable d’exprimer une aussi grande variété d’idées simples et composées que la méthode chinoise.

Il est difficile d’exprimer les mots chinois en caractères européens ; mais il est impossible d’exprimer les mots européens en caractères chinois. La raison en est sensible : c’est non-seulement parce que la langue chinoise manque de certains sons qui se trouvent dans d’autres langues ; mais encore parce que les caractères chinois expriment des paroles, au lieu d’exprimer de simples sons, ou, si l’on veut, parce qu’ils expriment le son de plusieurs lettres ensemble. Cependant il faut en excepter les voyelles, dont chacune a son caractère particulier. Comme tous les mots de cette langue sont de simples syllabes, et que leur nombre n’est que de trois cent trente, il est clair que les caractères chinois ne peuvent exprimer un plus grand nombre de syllabes en aucune autre langue, et qu’un quart de ces caractères étant d’une nature qui n’a rien de semblable en aucun autre lieu, ils ne peuvent exprimer par conséquent plus de deux cent cinquante syllabes étrangères. Lorsqu’ils veulent écrire ou prononcer quelque mot européen dont les syllabes ne se trouvent pas dans les trois cent trente mots de leur langue, ils emploient ceux qui en approchent le plus. Par exemple, au lieu de Hollande, ils prononcent Go-lan-ki ; ils prononcent Ho-cul-se-te-in, au lieu d’Holstein ; So-tu-yao-ko-culma, au lieu de Stockholm ; et Oli-che-ye-si-che, au lieu à d’Alexiovitz.

La difficulté devient d’autant plus grande, qu’ils n’ont pas les lettres b, d, r, x et z, qui reviennent souvent dans les langues de l’Europe. Ils expriment ordinairement le d comme le t, par ki ; ils emploient p pour b ; cependant le d et le z paraissent fondus dans les mots j-tse, que plusieurs Chinois prononcent j-dse ; mais ceux qui peuvent prononcer distinctement j-dse, ne pourraient prononcer da, de, di, do, du ; ni za, ze, zi, zo, zu. Au lieu de notre r, ils emploient l, ou plutôt un mot qui commence par l. Ainsi, pour France, ils disent Fu-lan-tsu-se. Ils emploient che au lieu de notre x, comme on l’a vu dans Alexiovitz.

Tous les mots chinois écrits en lettres européennes se terminent ou par une des cinq voyelles ou par la lettre n, à laquelle les Français et les Espagnols ont ajouté le g, et les Portugais l’m.

À l’égard de la table suivante, on doit faire trois observations : 1o. que les mots contenus sous les différentes lettres sont formés sur une règle commune de la langue chinoise, quoique le nombre n’en soit pas égal sous chaque lettre ; 2o. que suivant la manière d’écrire des Français et des Portugais, plusieurs paraissent de deux ou trois syllabes, et doivent être prononcés de même, si l’on s’attache à la manière commune de lire ; au lieu que, suivant la manière d’écrire des Anglais, ce sont autant de monosyllabes, conformément au génie de la langue chinoise ; 3o. que le changement d’orthographe du portugais et du français à l’anglais est naturel et nécessaire. La principale difficulté pour les Anglais consiste à prononcer certains caractères composés d’une double consonne, dont la prononciation n’est point en usage dans leur langue : cependant, comme ils en ont aussi de doubles et de triples, un peu d’exercice leur facilite cette prononciation. Par exemple, un Anglais qui est accoutumé à prononcer brand, sting, prong, swing, strong, etc., ne saurait trouver beaucoup de peine à prononcer dans un seul son, yuen, siang, kiang, suen, lui, tsien ; il n’a qu’à suivre pour prononcer ensemble, su,yu, si, etc. , la même règle qu’il observe en prononçant br, st, pr, etc. ; c’est-à-dire qu’il les doit prononcer comme s’ils ne faisaient qu’une seule lettre.



TABLE ALPHABÉTIQUE.

De tous les mots qui composent la langue chinoise, suivant la prononciation anglaise, française et portugaise.

Français.
Anglais.
Portugais.
TSC. CH. CH.
Tcha; Cha, Xa.
Tchan, Chan, Xam.
Tchang, Chang, Xam.
Tchao, Chau, Xao.
Tchai, Chay, Xai.
Tche, Che, Xe.
Tchen, Chen, Xen.
Tcheng, Cheng, Xem.
Français.
Anglais.
Portugais.
Tcheou, Chew, Xeu.
Tchi, Chi, Xi.
Tchin, Chin, Xin.
Tching, Ching, Xim.
Tcho, Cho, Xo.
Tchun, Chun, Xun.
Tchung, Chung, Xum.
Tchoua, Chwa, Xua.
Tchouang, Chwang, Xuam.
Tchoue, Chwe, Xue.
Tchouen, Chwen, Xuen.
F. F. F.
Fa, Fa, fa.
Fan, Fan, Fan.
Fang, Fang, Fam.
Feou, Feu, Feu.
Fi, Fi, Fi.
Fo, Fo, Fo.
Fou, Foo, Fu.
Fung, Fung, Fum.
Fuen, Fwen, Fuen.
G. G. G.
Gan, Gan, Gan.
Gang, Gang, Gam.
Gao, Gau, Gau.
Gai, Gay, Gai.
Gho, Gho, Guo.
Guei, Ghuey ou Gwey, Goei ou Guei.
Go, Go, Go.
Gou, Goo, Gu.
H. H. H.
Hang, Han, Ham.
Han, Hang, Han.
Heo, Hau, Hao.
Hei, Hay, Hai.
Français.
Anglais.
Portugais.
He, He, He.
Heng, Heng, Hem.
Heo, Hew, Hew.
Hi, Hi, Hi.
Hing, Hing, Him.
Ho, Ho, Ho.
Hou, Hoo, Hu.
Hoen, Hoen, Hoen.
Houng, Hung, Hum.
Hioue, Hve[2], Hiue.
Hiven, Hven, Hiuen.
Hia, Hya, Hia.
Hiang, Hyang, Hiam.
Hiao, Hyau, Hiao.
Hiai, Hyay, Hiai.
Hie, Hye, Hie.
Hien, Hyen, Hien.
Hieu, Hyew, Hieu.
Hio, Hyo, Hio.
Hiu, Hyu, Hiu.
Hiun, Hyun, Hiun.
Hiung, Hyun, Hiuen.
I voyelle. I. Y.
In, In, Yn.
Ing, Ing, Ym.
J consonne. J. G.
Je, Je, Ge.
Jen, Jen, Gen.
Jeng, Jeng, Gem.
Jeu, Jew, Geu.
Jin, Jin, Gin.
Français.
Anglais.
Portugais.
C. K. C.
Ca, Ka, C.
Can, Kan, Can.
Cang, Kang, Cam.
Cau, Kau, Cau.
Cai, Kai, Kai.
Ke, Ke, Ke.
Ken, Ken, Ken.
Keng, Keng, Kem.
Keu, Kew, Keu.
Ki, Ki, Ki.
Kin, Kin, Kin.
King, King, Kim.
Co, Ko, Co.
Cu, Ku, Cu.
Cung, Kung[3], Cum.
Kicue, Kwe, Kive.
Kieven, Kwen, Kiven.
Kya, Kya, Kia.
Kiang, Kyang, Kiam.
Kiao, Kiau, Kiao.
Kiai, Kyay, Kiai.
Kie, Kie, Kie.
Kien, Kyen, Kien.
Kieu, Kyew, Kieu.
Kio, Kyo, Kio.
Kiu, Kyu, Kiu.
Kiun, Kyun, Kiun.
Kiung, Kyung, Kium.
L. L. L.
La, La, La.
Lan, Lan, Lan.
Lang, Lang Lam.
Français.
Anglais.
Portugais.
Lao, Lau, Lao.
Lai, Lay, Lai.
Le, Le, Le.
Leng, Leng, Lem.
Leu, Lew, Leu.
Li, Li, Li.
Lin, Lin, Lin.
Ling, Ling, Lim.
Lo, Lo, Lo.
Lu, Lu, Lu.
Lun, Lun, Lun.
Lung, Lung, Lum.
Liven, Lven, Liven.
Loan, Lwan, Loan.
Lui, Lwi, Lui.
Luon, Lwon, Luon.
Leang, Lyang, Leam.
Leao, Lyau, Leao.
Lie, Lye, Lie.
Lien, Lyen, Lien.
Lieu, Lyew, Lieu.
Lio, Lyo, Lio.
Liu, Lyu, Liu.
M. M. M.
Ma, Ma, Ma.
Man, Man, Mang.
Mang, Mang, Mam.
Mao, Mau, Mao.
Mai, May, Mai.
Me, Me, Me.
Men, Men, Men.
Meng, Meng, Mem.
Mu, Mew, Meu.
Mi, Mi, Mi.
Min, Min, Min.
Ming, Ming, Mim.
Mo, Mo, Mo.
Français.
Anglais.
Portugais.
Mu, Mu, Mu.
Mung, Mung, Mum.
Muen, Mwen, Muen.
Mui, Mwi, Mui.
Mwei, Mvai.
Muon, Mwon, Muon.
Miao, Myau, Miao.
Mie, Mye, Mie.
Mien, Myen, Mien.
Mieu, Myeu, Mieu.
N et NG. N. N.
Na, Na, Na.
Nan, Nan, Nan.
Nang, Nang, Nam.
Nao, Nau, Nao.
Nai, Nay, Nai.
Ne, Ne, Ne.
Neng, Neng, Nem.
New, Neu.
Ngao, Ngau, Ngao.
Ngai, Ngay, Ngai.
Ngue, Nghe, Nge.
Nguen, Nghen, Ngen.
Ngueu, Nghew, Ngeu.
Ngo, Ngo, Ngo.
Ni, Ni, Ni.
Nin, Nin, Nin.
Ning, Ning, Nim.
No, No, No.
Nu, Nu, Nu.
Nunn, Nun, Nun.
Nung, Nung, Num.
Nui, Nwi, Nui.
Nuon, Nwon, Nuon.
Niang, Nyang, Niam.
Niao, Nyau, Niao.
Nye, Nie.
Français.
Anglais.
Portugais.
Nien, Nyen, Nien.
Nieu, Nyeu, Nieu.
Nio, Nyo, Nio.
Niu, Nyu, Niu.
O. O. O.
O, O, O.
P. P. P.
Pa, Pa, Pa.
Pan, Pan, Pan.
Pang, Pang, Pam.
Pao, Pau, Pao.
Pai, Pay, Pai.
Pe, Pe, Pe.
Peng, Peng, Pem.
Peu, Pew, Peu.
Pi, Pi, Pi.
Pin, Pin, Pin.
Ping, Ping, Pim.
Po, Po, Po.
Pu, Pu, Pu.
Pung, Pung, Pum.
Puen, Pwen, Puen.
Poei, Pweg, Poei.
Puon, Pwon, Puon.
Piuo, Pyau, Piao.
Plie, Pye, Pie.
Pien, Pyen, Pien.
Pieu, Pyew, Pieu.
Q. Q. K.
Qua, Qua, Kua.
Quam, Quam, Kuan.
Quouang, Quang, Kuam.
Quoai, Quay, Kuai.
Quoue, Que, Kue.
Quouei, Quey, Kuei.
Français.
Anglais.
Portugais.
Quouen, Quen, Kuen.
Queng, Kuem.
Quouo, Quo, Kuo.
Quovou, Quou, Kuou.
S. S. S.
Sa, Sa, Sa.
San, San, San.
Sang, Sang, Sam.
Sao, Sau, Sao.
Sai, Say, Sai.
Se, Se, Se.
Sen, Sen, Sen.
Seng, Seng, Sem.
Seu, Sew, Seu.
Si, Si, Si.
Sin, Sin, Sin.
Sing, Sing, Sim.
So, So, So.
Sou, Su, Su.
Sun, Sun, Sun.
Sung, Sung, Sum.
Siue, Soe, Siue.
Siuen, Swen, Siuen.
Sui, Swi, Sui.
Suon, Swon, Suon.
Siang, Syang, Sium.
Siao, Syau, Siao.
Sie, Sye, Sie.
Sien, Syen, Sien.
Sieu, Syew, Sieu.
Sio, Syo, Sio.
Siu, Syu, Siu.
Siun, Syun, Sium.
Français.
Anglais.
Portugais.
CH. SH. X.
Cha, Sha, Xa.
Chan, Shan, Xan.
Chang, Shang, Xam.
Chao, Shau, Xao.
Chai, Shay, Xai.
Che, She, Xe.
Chen, Shen, Xen.
Cheu, Shew, Xeu.
Chi, Shi, Xi.
Chin, Shin, Xin.
Ching, Shing, Xim.
Ching, Shing, Xim.
Cho, Sho, Xo.
Chu, Shu, Xu.
Chun, Shun, Xun.
Chung, Shung, Xum.
Choua, Shwa, Xoa.
Chouang, Shwang, Xeam.
Chua, Shwa,
Chue, Shwe,
Chuen, Shwen,
Sui, Shwi, Xui.
Siau, Shyau, Xiau.
Sieu, Shyew, Xieu.
T. T. T.
Ta, Ta, Ta.
Tan, Tan, Tan.
Tang, Tang, Tam.
Tao, Tau, Tao.
Tai, Tay, Tai.
Te, Te, Te.
Teng, Teng, Tem.
Teu, Tew, Teu.
Ti, Ti, Ti.
Ting, Ting, Tim.
To, To, To.
Français.
Anglais.
Portugais.
Tu, Tu, Tu.
Tun, Tun, Tun.
Tung, Tung, Tung.
Tui, Twi, Twi.
Tuon, Twon, Twon.
Tiao, Tyau, Tiao.
Tie, Tye, Tie.
Tien, Tyen, Tien.
Tieu, Tyeu, Tieu.
TS ou DS. TS. Ç.
Tsa, Tsa, Ça.
Tsan, Tsan, Çan.
Tsang, Tsang, Çam.
Tsao, Tsau, Çao.
Tsai, Tsay, Çai.
Tse, Tse, Çe.
Tseng, Tseng, Çem.
Tseu, Tseu, Çeu.
Tsi, Tsi, Çi.
Tsin, Tsin, Çin.
Tsing, Tsing, Çim.
Tsu, Tsu, Çu.
Tsun, Tsun, Çun.
Tsung, Tsung, Çum.
Tsive, Tsve, Çive.
Tsiun, Tsven, Çiven.
Tsue, Tswe, Çoe ou Çue.
Tsui, Tswi, Çui.
Tsuon, Tswon, Çuon.
Tsiang, Tsyang, Çiam.
Tsiao, Tsyau, Çiao.
Tsie, Tsye, Çie.
Tsien, Tsyen, Çien.
Tsieu, Tsyeu, Çieu.
Tsio, Tsyo, Çio.
Tsiu, Tsyu, Çiu.
Tsiung, Tsyung, Çium.
Français.
Anglais.
Portugais.
U voyelle. U. U.
Ou, U.
Ul, Ul ou Lul, Lh.
Oum, Ung, Um.
V consonne. V. V.
Va, Va, Va.
Van, Van, Van.
Vang, Vang, Vam.
Vai, Vay, Vai.
Ve, Vey, Ve.
Ven, Ven, Ven.
Vi, Vi, Vi.
Vin, Vin.
Vo, Vo, Vo.
Von, Von, Von.
Vu, Vu, Vu.
Vung, Vung, Vum.
HO. W. HO.
Hoa, Wha, Hoa.
Hoan, Wham, Hoan.
Hoang, Whang, Ham.
Hai, Whay, Hai.
Hoe, Whe, Hoe.
Hoei, Whei, Hoei.
Hue, Whe, Hue.
Hoen, When, Hoen.
Huon, Whon, Huon.
Y et I. Y. Y.
Ya, Ya, Ya.
Yang, Yang, Yam.
Iao, Yau, Yao.
Yai, Yai, Yai.
Ie, Ye, Ye.
Ien, Yen, Yen.
Français.
Anglais.
Portugais.
Yeng, Yem.
Ieu, Yew, Yeu.
Yin, Yin, Yn.
Io, Yo, Yo.
Iu, Yu, Yu.
Iun, Yun, Yun.
Iung, Yung, Yung.
Ive, Ywe, Yue.
Iven, Ywen, Yven.
Youei, Ywei, Yui.
Youin, Ywin, Yuin.



  1. Voyez sur cet ouvrage la préface de l’ Orphelin de la Chine, dont la pièce chinoise a fourni le sujet à M. de Voltaire.
  2. Ce mot et le suivant peuvent être prononcés aussi Hie, Hion, par les Anglais.
  3. Ce mot est écrit aussi Kong, et le même doute naît à tous les mots de cette forme, que les missionnaires écrivent indifféremment par u ou par o.