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Abrégé de l’histoire romaine (Florus)/Livre I

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ABRÉGÉ
de
L’HISTOIRE ROMAINE.

LIVRE PREMIER

Avant-propos. — Le peuple romain, depuis le roi Romulus jusqu’à César Auguste, a, pendant sept cents ans (1), accompli tant de choses dans la paix et dans la guerre, que, si l’on compare la grandeur de son empire avec sa durée, on le croira plus ancien. Il a porté ses armes si avant dans l’univers, qu’en lisant ses annales ce n’est pas l’histoire d’un seul peuple que l’on apprend, mais celle du genre humain (2). Il a été en butte à tant d’agitations et de périls, que, pour établir sa puissance, le courage et la fortune semblent avoir réuni leurs efforts.

Aussi ce sont principalement ses progrès qu’il importe de connaître : cependant, comme le plus grand obstacle à une entreprise est son étendue, et que la diversité des objets émousse l’attention, j’imiterai l’art de ceux qui peignent les contrées de la terre (3) ; j’embrasserai, comme dans un cadre étroit, le tableau entier de l’empire ; et j’ajouterai, je l’espère, à l’admiration qu’inspire le peuple roi (4), si je parviens à retracer dans ses proportions et dans son ensemble son universelle grandeur.

Si donc l’on considère le peuple romain comme un seul homme (5), si l’on envisage toute la suite de son âge, sa naissance, son adolescence, la fleur, pour ainsi dire, de sa jeunesse, et enfin l’espèce de vieillesse où il est arrivé, on trouvera son existence partagée en quatre phases et périodes.

Son premier âge se passa sous les rois, dans l’espace de près de deux cent cinquante années (6), pendant lesquelles il lutta, autour de son berceau, contre les nations voisines (7). Ce sera là son enfance (8).

L’âge suivant, depuis le consulat de Brutus et de Collatin jusqu’à celui d’Appius Claudius et de Quinctus Fulvius, embrasse deux cent cinquante ans (9), durant lesquels il subjugua l’Italie. Cette période agitée fut féconde en guerriers, en combats ; aussi peut-on l’appeler son adolescence.

De là, jusqu’à César Auguste, s’écoulèrent deux cents années (10), qu’il employa à pacifier tout l’univers. C’est alors la jeunesse de l’empire et sa robuste maturité.

Depuis César Auguste jusqu’à nos jours, on ne compte pas beaucoup moins de deux cents ans (11), pendant lesquels l’inertie des Césars l’a en quelque sorte fait vieillir et décroître entièrement. Mais, sous le règne de Trajan, il retrouve ses forces, et, contre toute espérance, ce vieil empire, comme rendu à la jeunesse, reprend sa vigueur.

I. — De Romulus. — (An de Rome 1-38.) — Le premier fondateur et de Rome (13) et de l’empire fut Romulus, né de Mars et de Rhéa Sylvia (14). Cette vestale en fit l’aveu pendant sa grossesse ; et l’on n’en douta bientôt plus, lorsqu’ayant été, par l’ordre d’Amulius, jeté dans le fleuve avec Rémus, son frère, il ne put y trouver la mort : le Tibre arrêta son cours (15) ; et une louve, abandonnant ses petits, accourut aux cris de ces enfants, leur présenta ses mamelles, et leur servit de mère. C’est ainsi que Faustulus, berger du roi, les trouva auprès d’un arbre ; il les emporta dans sa cabane, et les éleva. Albe était alors la capitale du Latium. Iule l’avait bâtie, dédaignant Lavinium (16), fondée par son père Énée. Amulius, quatorzième descendant de ces rois (17), régnait, après avoir chassé soit frère Numitor, dont la fille était mère de Romulus. Celui-ci, dans le premier feu de sa jeunesse, renverse du trône son oncle Amulius, et y replace son aïeul. Chérissant le fleuve et les montagnes qui l’avaient vu élever, il y méditait la fondation d’une nouvelle ville. Rémus et lui étaient jumeaux ; pour savoir lequel des deux lui donnerait son nom et ses lois, ils convinrent d’avoir recours aux dieux. Rémus se place sur le mont Aventin, son frère sur le mont Palatin (18). Rémus, le premier, aperçoit six vautours ; mais Romulus en voit ensuite douze. Vainqueur par cet augure (19), il presse les travaux de sa ville, plein de l’espoir qu’elle sera belliqueuse : ainsi le lui promettaient ces oiseaux habitués au sang et au carnage.

Pour la défense de la nouvelle ville, un retranchement semblait suffire ; Rémus se moque de cette étroite barrière, et la franchit d’un saut par dérision ; on le tua, et on ne sait si ce fut sur l’ordre de son frère (20). Il fut du moins la première victime qui consacra de son sang les murailles de la ville naissante.

C’était plutôt l’image d’une ville qu’une ville véritable que Romulus avait créée ; les habitants manquaient. Dans le voisinage était un bois sacré ; il en fait un asile (21) ; et soudain accourent une multitude prodigieuse d’hommes, des pâtres latins et toscans, quelques étrangers d’outre-mer, des Phrygiens qui, sous la conduite d’Énée, et des Arcadiens qui, sous celle d’Évandre, s’étaient répandus dans le pays. De ces éléments divers il composa un seul corps (22), et il en fit le peuple romain.

La cité se bornait à une seule génération, un peuple d’hommes. Il demanda donc des épouses à ses voisins ; et, ne les ayant pas obtenues, il les enleva de vive force. On feignit, dans ce dessein, de célébrer des jeux équestres : les jeunes filles, qui étaient venues à ce spectacle, devinrent la proie des Romains, et en même temps une cause de guerre. Les Véiens furent battus (23) et mis en fuite. On prit et on ruina la ville des Céniniens[1]. De plus, les dépouilles opimes de leur roi[2] furent rapportées à Jupiter Férétrien (24) par les mains du roi de Rome. Une jeune fille[3] livra les portes de la ville aux Sabins : ce n’était pas par trahison ; seulement, elle leur avait demandé, pour prix de son action, ce qu’ils portaient à leur bras gauche, sans désigner leurs boucliers ou leurs bracelets (25), Les Sabins, pour dégager leur parole et punir en même temps sa perfidie, l’accablèrent sous leurs boucliers. Quand, par ce moyen, ils eurent été introduits dans les murs, il se livra, sur la place publique, un combat si sanglant que Romulus pria Jupiter « d’arrêter la fuite honteuse des siens. » De là, le temple et le nom de Jupiter Stator (26). Enfin, les femmes enlevées se précipitèrent entre les combattants en fureur, les cheveux épars. La paix fut faite alors avec Tatius, et l’alliance conclue : par un retour surprenant, les ennemis, abandonnant leurs foyers, passèrent dans la nouvelle ville (27), et apportèrent, pour dot, à leurs gendres, les richesses de leurs aïeux.

Rome, ayant en peu de temps accru ses forces, voici la forme que le roi, dans sa haute sagesse, imposa à la république. La jeunesse, divisée par tribus (28), était toujours à cheval (29) et sous les armes, prête à combattre au premier signal ; le conseil de la république fut confié aux vieillards, que leur autorité fit appeler Pères, et leur âge Sénateurs (30).

Cet ordre établi, un jour que Romulus tenait une assemblée hors de la ville, près du marais de Capréa, tout à coup il disparut à tous les regards. Quelques-uns pensent qu’il fut, à cause de l’àpreté de son caractère, mis en pièces par le sénat, mais un orage qui s’éleva et une éclipse de soleil donnèrent à cet événement l’apparence d’une apothéose. Julius Proculus accrédita bientôt cette idée, en affirmant que Romulus s’était fait voir à lui sous une forme plus auguste que pendant sa vie ; qu’il voulait qu’on l’honorât désormais comme une divinité ; que, dans le ciel, il s’appelait Quirinus, les dieux l’ayant ainsi arrêté ; qu’à ce prix., Rome deviendrait la maîtresse des nations.

II. — De Numa Pompilius. — (An de Rome 39.) — À Romulus succéda Numa Pompilius, qui vivait à Cures[4], chez les Sabins. où les Romains allèrent d’eux-mêmes le chercher, sur la réputation de son insigne piété. Ce fut lui qui leur enseigna les sacrifices, les cérémonies, et tout le culte des dieux immortels ; qui établit les pontifes, les augures, les saliens (31) et les autres sacerdoces du peuple romain ; qui divisa l’année en douze mois (32), et les jours en fastes et néfastes (33) ; lui enfin qui institua les boucliers sacrés, le Palladium (34), quelques autres gages mystérieux de l’empire, le Janus au double visage, et surtout le feu de Vesta, dont il commit l’entretien à des vierges, afin qu’à l’image des astres du ciel, cette flamme tutélaire ne cessât de veiller. Il attribua toutes ces choses aux conseils de la déesse Égérie, pour que les Romains, encore barbares, les accueillissent avec plus de respect. Enfin, il sut si bien apprivoiser ce peuple farouche, qu’un empire fondé par la violence et l’usurpation fut gouverné par la religion et la justice (35).

III. — De Tullus Hostilius. — (An de Rome 82.) — Numa Pompilius eut pour successeur Tullus Hostilius, à qui l’on donna librement le trône pour honorer son courage. Il fonda toute la discipline militaire et l’art de la guerre (36). Lorsqu’il eut parfaitement exercé la jeunesse, il osa provoquer les Albains (37), peuple redoutable, et qui avait longtemps tenu le premier rang. Mais comme, par l’égalité de leurs forces, les deux nations s’affaiblissaient dans de fréquents combats, on voulut abréger la guerre ; trois frères de part et d’autre, les Horaces et les Curiaces, furent chargés des destinées de leur pays. La lutte incertaine, mais glorieuse (38), eut une issue miraculeuse. D’un côté, en effet, les trois combattants étaient blessés ; de l’autre, deux avaient été tués ; l’Horace qui survivait ajouta la ruse au courage ; pour diviser l’ennemi, il feignit de prendre la fuite ; et fondant sur ceux qui le suivaient à des distances inégales, il les terrassa l’un après l’autre. Ainsi, gloire donnée à peu de nations ! la main d’un seul homme nous obtint la victoire ; il la souilla bientôt par un parricide. Il vit sa sœur pleurer auprès de lui sur les dépouilles d’un Curiace, son fiancé, mais l’ennemi de Rome. Horace punit par le fer les larmes intempestives de cette jeune fille. Les lois réclamèrent le châtiment du coupable ; mais la valeur fit oublier le parricide, et le crime disparut devant la gloire (39).

Cependant les Albains ne furent pas longtemps fidèles : car, dans une guerre contre les Fidénates, où, d’après le traité, ils servaient comme auxiliaires, ils attendirent, immobiles entre les deux armées, que la fortune se déclarât. Mais l’adroit Hostilius vit à peine ces alliés s’avancer vers l’ennemi, que, pour rassurer les esprits, il feignit d’avoir lui-même ordonné ce mouvement, feinte qui remplit d’espérance nos soldats, et les Fidénates d’effroi. Le dessein des traîtres demeura ainsi sans effet. Les ennemis, ayant donc été vaincus, l’infracteur du traité, Mettus Fufétius, fut lié entre deux chars et écartelé par des chevaux fougueux. Quant à la ville d’Albe, mère, il est vrai, mais rivale de la nôtre, Tullus la fit raser, après avoir transféré à Rome ses richesses et même sa population ; de sorte qu’il sembla moins avoir détruit une cité qui avait avec Rome des liens de parenté, qu’avoir réuni les membres d’un même corps (40).

IV. — D’Ancus Marcius. — (An de Rome 114.) — Ensuite vint Ancus Marcius, petit-fils de Numa, dont il eut le caractère (41). Il entoura d’une muraille les retranchements de la ville, joignit par un pont les rives du Tibre (42) qui la traverse, et fonda une colonie à Ostie[5], à l’embouchure même de ce fleuve ; sans doute son esprit pressentait déjà que les richesses et les productions du monde entier y seraient reçues comme dans l’entrepôt maritime de Rome.

V. — De Tarquin l’Ancien. — (An de Rome 139.) — Tarquin l’Ancien, qui lui succéda, quoique d’une famille venue d’au-delà des mers, osa aspirer au trône ; il le dut à son adresse et à l’élégance de ses mœurs. Originaire de Corinthe, il alliait subtilité grecque à la souplesse italienne. Il rehaussa la majesté du sénat en multipliant ses membres, et, par de nouvelles centuries, il étendit les tribus dont Attius Navius, savant augure, lui défendait d’augmenter le nombre (43). Le roi, pour l’éprouver, lui demande « si la chose à laquelle il pensait en ce moment pouvait s’exécuter. » Navius, ayant consulté son art, répond qu’elle est possible. « Eh bien ! dit le roi, je songeais en moi-même si je pourrais couper ce caillou avec un rasoir. » — « Vous le pouvez, repartit l’augure ; » il le coupa en effet[6]. Depuis ce temps, la dignité d’augure fut sacrée pour les Romains (44).

Tarquin ne fut pas moins entreprenant dans la guerre que dans la paix. Il subjugua les douze peuples de l’Étrurie dans de nombreux combats. De là nous sont venus les faisceaux, les toges des souverains magistrats, les chaises curules, les anneaux, les colliers des chevaliers, les manteaux militaires, la robe prétexte ; de là aussi le char doré des triomphateurs, trainé par quatre chevaux, les robes peintes, les tuniques à palmes ; enfin tous les ornements et les insignes qui relèvent la dignité de l’empire (45).

VI. — De Servius Tullius. — (An de Rome 175.) — Servius Tullius se saisit ensuite du gouvernement de Rome, malgré l’obscurité de sa naissance, et quoiqu’il fût né d’une mère esclave[7]. Tanaquil, epouse de Tarquin, avait cultivé, par une éducation libérale, l’heureux naturel de ce jeune homme ; une flamme, qu’elle avait vue autour de sa tête, lui avait présagé son illustration future[8]. Dans les derniers moments de Tarquin, Servius fut, par les soins de la reine, mis à la place du roi, comme à titre provisoire ; et il gouverna avec tant d’habileté un royaume acquis par la ruse, qu’il parut l’avoir légitimement obtenu. Ce fut par lui que le peuple romain fut soumis au cens, rangé par classes, distribué en curies et en colléges (46). Ce roi établit, par la supériorité de sa sagesse, un tel ordre dans la république ; que tous les détails sur le patrimoine, la dignité, l’âge, les professions et les emplois de chacun étaient portés sur des tables ; de cette manière, cette grande cité fut réglée avec autant d’exactitude que la maison du moindre particulier (47).

VII. — Tarquin-le-Superbe. — (An de Rome 220.) — Le dernier de tous les rois fut Tarquin, à qui son caractère fit donner le surnom de Superbe. Le trône de son aïeul était occupé par Servius ; il aima mieux le ravir que l’attendre : après avoir fait assassiner ce roi, il n’exerça pas mieux qu’il ne l’avait acquise une puissance obtenue par le crime. Sa femme Tullie ne répugnait pas à ses sanguinaires habitudes : comme elle accourait, dans son char, saluer roi son époux, elle fit passer sur le corps sanglant de son père ses chevaux épouvantés (48).

Quant à Tarquin, il décima le sénat par des meurtres (49), accabla tous les Romains d’un orgueil plus insupportable aux gens de bien que la cruauté ; et quand il eut lassé sa fureur par des violences domestiques, il la tourna enfin contre les ennemis. Ainsi furent prises dans le Latium de fortes places, Ardée[9], Ocriculum[10], Gabie[11], Suessa Pometia[12]. Alors même il fut cruel envers les siens. Il n'hésita pas à faire battre de verges son fils (50), afin que, passant chez les ennemis comme transfuge, il gagnât leur confiance. Après avoir été reçu dans Gabie, comme Tarquin l'avait désiré, ce jeune homme envoya prendre les ordres de son père, lequel lui répondit en abattant. avec une baguette les têtes des pavots les plus élevés qui se trouvaient là voulant faire entendre par là, ô excès d'orgueil ! qu'il l'allait tuer les premiers de la ville.

Toutefois, il bâtit un temple avec les dépouilles des villes qu'il avait prises. Lorsqu'on l'inaugura, les autres dieux cédèrent leur place ; mais, o prodige ! la Jeunesse et le dieu Terme firent résistance. Les devins interprétèrent favorablement l'opiniâtreté de ces divinités, qui promettaient ainsi à Rome une puissance inébranlable et éternelle. Mais ce qui parut plus étrange encore, c'est qu'en creusant les fondations du temple, on trouva une tête d'homme: personne ne douta qu'un prodige aussi éclatant n'annonçât que Rome serait le siégé de l'empire et la tête de l'univers.

Le peuple romain souffrit l'orgueil du roi, tant que l'incontinence ne s'y joignit pas. Il ne put supporter ce dernier outrage de la part de ses enfants. L'un d'eux ayant déshonoré Lucrèce, la plus illustre des femmes, cette Romaine expia sa honte en se poignardant. Alors fut abrogée la puissance des rois.

VIII. — Résumé sur les sept rois. — Voilà le premier âge du peuple romain , et pour ainsi dire son enfance ; il la passa sous sept rois, dont le génie différent fut, par un heureux arrangement des destins, approprié aux intérêts et aux besoins de la république (51). En effet, quel génie plus ardent que celui de Romulus ? Il fallait un tel homme pour saisir le gouvernement. Quel prince plus religieux que Numa ? le bien de l'état le demandait ainsi, afin qu'un peuple farouche fût adouci par la crainte des dieux. Combien le créateur de l'art militaire, Tullius, n'était-il pas nécessaire à des hommes belliqueux ? La science devait perfectionner leur courage. De quelle utilité ne fut pas, dans Ancus, le goût des constructions ? Il donna à la ville une colonie pour son agrandissement, un pont pour la facilité des communications, un mur pour sa défense. Quant aux ornements et aux insignes de Tarquin , combien leur usage seul n'a-t-il pas ajouté à la dignité du peuple roi ? Le cens établi par Servius n'eut-il pas pour effet d'apprendre à la république à se connaître elle-même ? Enfin l'intolérable domination de Turquin le Superbe, loin d'avoir été sans résultat, en fut au contraire un très avantageux ; elle fit que le peuple, soulevé par les outrages, s'enflamma d'amour pour la liberté.

IX. — Du changement du gouvernement. — (An de Rome 244.) — Ainsi, sous la conduite, et par les conseils de Brutus et de Collatin, à qui Lucrèce, en mourant, avait confié le soin de sa vengeance, le peuple romain, excité, comme par une inspiration des dieux, à punir l'outrage fait à la liberté et à la pudeur, déposa aussitôt le roi, pilla ses biens (52), consacra son domaine à Mars, protecteur de Rome, et transféra aux vengeurs de sa liberté la suprème puissance dont il changea toutefois le nom et les droits. En effet, de perpétuelle, elle devint annuelle ; unique auparavant, elle fut partagée ; on voulait prévenir la corruption attachée à l’unité ou à la durée du pouvoir ; le nom de rois fit place à celui de consuls, qui rappelait à ces magistrats qu’ils ne devaient consulter que les intérêts de leurs concitoyens (53). Tel fut l’excès de la joie qu’inspira la liberté nouvelle, qu’à peine put-on croire au changement opéré dans l’état ; et qu’à cause de son nom seulement et de sa naissance royale, un des consuls se vit enlever ses faisceaux et banni de la ville. Valérius Poplicola, qui lui fut substitué, travailla avec le plus grand zèle à augmenter la majesté d’un peuple libre. Il fit abaisser ses faisceaux devant lui, dans les assemblées, et lui donna le droit d’appel contre les consuls eux-mêmes. Enfin, de peur qu’on ne prit ombrage de ce que sa maison, placée sur une éminence, offrait l’apparence d’une citadelle, il la fit rebâtir dans la plaine. Quant à Brutus, ce fut par le sang de sa famille et par le parricide qu’il s’éleva au faite de la faveur populaire. Ayant découvert que ses fils travaillaient à rappeler les rois dans la ville, il les fit trainer sur la place publique, battre de verges au milieu de l’assemblée du peuple, et frapper de la hache. Il parut, aux yeux de tous, être ainsi devenu le père de la patrie, et avoir, à la place de ses enfants, adopté le peuple romain.

Libre désormais, Rome prit les armes contre les étrangers, d’abord pour sa liberté, bientôt après pour ses limites, ensuite pour ses alliés, enfin pour la gloire et pour l’empire, contre les continuelles attaques des nations voisines. En effet, sans territoire qu’ils pussent appeler le sol de la patrie, ayant à combattre au sortir même de leurs murs, placés entre le Latium et l’Étrurie, comme entre deux grands chemins, les Romains à toutes leurs portes rencontraient un ennemi ; mais toujours marchant de proche en proche, ils subjuguèrent les unes après les autres les nations voisines, et rangèrent toute l’Italie, sous leur domination.

X. — Guerre contre Porsena, roi des Étrusques. — (An de Rome 246). — Après l’expulsion des rois, ce fut d’abord pour la liberté que Rome prit les armes. Porsena, roi des Étrusques, s’avançait à la tête d’une puissante armée, et ramenait avec lui les Tarquins. Mais, malgré le fer et la famine qui pressaient les Romains, malgré la prise du Janicule, d’où ce roi, déjà maître des portes de leur ville, paraissait les dominer, on se soutint, on le repoussa. Bien plus, on le frappa de tant d’étonnement, que, supérieur en forces, il se hâta de conclure, avec des ennemis à demi-vaincus, un traité d’alliance. Alors parurent ces modèles et ces prodiges de l’intrépidité romaine, Horatius, Mucius et Clélie, prodiges qui, s’ils n’étaient consignés dans nos annales, passeraient aujourd’hui pour des fables. Horatius Coclès, n’ayant pu repousser lui seul les ennemis qui le pressaient de toutes parts, fait couper le pont où il combattait, et passe le Tibre à la nage sans abandonner ses armes (54). Mucius Scévola pénètre par ruse dans le camp du roi ; mais croyant le frapper, c’est un de ses courtisans qu’il atteint. On l’arrête ; il met sa main dans un brasier ardent, et redoublant par un adroit mensonge la terreur qu’il inspire : « Tu vois, dit-il au roi, à quel homme tu as échappé ; Eh bien ! nous sommes trois cents qui avons fait le même serment. » Pendant cette action, chose prodigieuse ! il était impassible, et le roi tremblait comme si c’eût été sa main que dévorait la flamme. Voilà ce que firent les hommes ; mais les deux sexes rivalisèrent de gloire, et les jeunes filles eurent aussi leur héroïsme. Clélie, une de celles qu’on avait données en otage à Porsena, échappée à ses gardes, traversa à cheval le fleuve de la patrie. Enfin le roi, effrayé de tant de prodiges de courage, s’éloigna des Romains, et les laissa libres 55). Les Tarquins continuèrent la guerre jusqu’au moment où Aruns, fils du roi, fut tué de la main de Brutus, lequel, blessé en même temps par son ennemi, expira sur son corps, comme s’il eût voulu montrer qu’il poursuivait l’adultère jusqu’aux enfers (56).

XI. — Guerre contre les Latins. — (An de Rome 258 - 298). — Les Latins soutenaient aussi les Tarquins par un esprit de rivalité et d’envie contre un peuple qu’ils auraient voulu, puisqu’il dominait au dehors, voir du moins esclave dans ses murs. Tout le Latium se leva donc, sous la conduite de Mamilius de Tusculum, comme pour venger le roi. On combattit près du lac Régille[13] ; la victoire fut longtemps douteuse ; enfin le dictateur Postumius (57), recourant, pour la décider, à un moyen nouveau et ingénieux, jeta une enseigne au milieu des ennemis, afin que les Romains se précipitassent pour la reprendre (58). Cossus, maître de la cavalerie, par un expédient également sans exemple, fit ôter les freins des chevaux, pour faciliter l’impétuosité de leur course (59). Telle fut enfin la fureur du combat, que la renommée y mentionna l’intervention des dieux, comme spectateurs ; l’on en vit deux montés sur des chevaux blancs ; personne ne douta que ce ne fussent Castor et Pollux[14]. Aussi, le général leur adressa-t-il ses vœux : pour prix de la victoire, il leur promit et leur éleva des temples qui furent comme la solde de ces divins compagnons d’armes.

Jusqu’ici Rome avait combattu pour la liberté : bientôt elle fit pour ses limites, et contre les mêmes Latins : une guerre sans fin et sans relâche. Sora[15] et Algidum[16], qui le croirait ? furent la terreur des Romains ; Satricum et Corniculum[17], furent des provinces romaines. Je rougis de le dire, mais nous avons triomphé de Vérule[18] et de Bovile[19]. Nous n’allions à Tibur[20], maintenant faubourg de Rome, et à Préneste[21], nos délices d’été, qu’après avoir fait des vœux au Capitole (60). Alors Fésules[22] était pour les Romains ce que Carres[23] fut depuis ; le bois d’Aricie[24] était leur forêt Hercynienne[25] ; Frégelles[26], leur Gesoriacum[27] ; le Tibre, leur Euphrate. Coriole[28] même, quelle honte ! Coriole, réduite par les armes, fut un si beau titre de gloire, que le vainqueur de cette place, Caïus Marcius, joignit à son nom celui de Coriolan, comme s’il eût, conquis Numance ou l’Afrique. On voit encore dans le Forum les dépouilles d’Antium, que Ménius suspendit à la tribune aux harangues, après la prise de la flotte ennemie ; si toutefois l’on peut appeler flotte six navires armés d’éperons ; mais ce nombre suffisait, dans ces premiers temps, pour une guerre maritime.

Les plus opiniâtres des Latins furent les Éques et les Volsques[29] ; c’étaient, pour ainsi dire, des ennemis de tous les jours. Mais celui qui contribua le plus à les dompter fut Lucius Quinctius, ce dictateur tiré de la charrue, et dont la valeur extraordinaire sauva le consul Marcus Minucius, assiégé et déjà presque pris dans son camp. On était alors dans la saison des semailles ; et le licteur trouva ce patricien courbé sur sa charrue et occupé du labourage. C’est de là que, s’élançant aux combats, Quinctius, pour y conserver quelque image de ses travaux rustiques, traita les vaincus comme un troupeau, en les faisant passer sous le joug (61). L’expédition ainsi terminée, on vit retourner à ses bœufs ce laboureur décoré d’un triomphe (62). Grands dieux ! Quelle rapidité ! Une guerre, en quinze jours, commencée et finie, comme si le dictateur eût voulu se hâter de retourner à ses travaux interrompus.

XII. — Guerre contre les Étrusques, les Falisques et les Fidénates. — (An de R. 274 - 360.) — Les Véiens, peuple de l’Étrurie, nos ennemis perpétuels, armaient chaque année. Tant d’acharnement porta la famille des Fabius à lever contre eux une troupe vraiment extraordinaire, et à soutenir seule les frais de la guerre. Sa défaite ne fut que trop signalée. Trois cents guerriers, armée patricienne, furent taillés en pièces près du Crémère[30] ; et le nom de scélérate désigna la porte qui leur ouvrit, à leur départ, le chemin du combat (63). Mais ce désastre fut expié par d’éclatantes victoires ; et nos divers généraux prirent de très fortes places, avec des circonstances, il est vrai, bien différentes. La soumission des Falisques fut volontaire. Les Fidénates périrent dans les flammes qu’ils avaient allumées ; les Véiens furent pris et entièrement exterminés. Les Falisques, pendant qu’on les tenait assiégés, durent accorder une juste admiration à la loyauté de notre général, lequel, faisant charger de chaînes un maître d’école qui voulait livrer sa patrie, s’empressa de le leur renvoyer avec les enfants qu’il avait amenés. Il savait en effet, cet homme sage et vertueux, qu’il n’y a de véritable victoire que celle qui s’obtient sans violer la bonne foi et sans porter atteinte à l’honneur. Les Fidénates, inférieurs aux Romains dans les combats, crurent les frapper d’épouvante, en s’avançant comme des furieux, armés de torches, et hérissés de bandelettes de diverses couleurs qui s’agitaient en forme de serpents ; mais ce lugubre appareil fut le présage de leur destruction. Quant aux Véiens, un siégé de dix ans indique assez leur puissance. Alors, pour la première fois, on hiverna sous des tentes faites de peaux, et l’on distribua une solde (64) pendant les quartiers d’hiver : le soldat s’était engagé, par un serment, volontaire, « à ne rentrer dans Rome qu’après avoir pris Véies. » Les dépouilles du roi Lars (65) Tolumnius furent portées à Jupiter Férétrien. Enfin, sans escalade et sans assaut, mais par la mine et par des travaux souterrains, fut consommée la ruine de Véies. Le butin parut si considérable que la dixième partie en fut envoyée à Apollon Pythien, et que tout le peuple romain fut convié au pillage de la ville. Voilà ce que Véies était alors ; qui se rappelle aujourd’hui qu’elle ait existé ? Quels débris en reste-t-il ? Quel vestige ? Il faut toute l’autorité des annales pour nous persuader qu’il y eut une ville de Véies (66).

XIII. — Guerre contre les Gaulois. — (An de Rome 364 - 369). — Alors, soit jalousie des dieux, soit arrêt du destin, le cours rapide des conquêtes de Rome fut un instant interrompu par une incursion des Gaulois Sénonais. Je ne sais si cette époque fut plus funeste aux Romains, par leurs désastres, que glorieuse par les épreuves où elle mit leurs vertus. Telle fut du moins la grandeur de leurs maux, que je les croirais envoyés par les dieux immortels, pour éprouver si la vertu romaine méritait l’empire du monde.

Les Gaulois Sénonais, nation d’un naturel farouche, et de mœurs grossières, étaient par leur taille gigantesque, ainsi que par leurs armes énormes, si effrayants de toute manière, qu’ils semblaient nés uniquement pour l’extermination des hommes et la destruction des villes. Parties autrefois des extrémités de la terre et des rivages de l’Océan, qui ceint l’univers, leurs innombrables hordes, après avoir tout dévasté sur leur passage, s’étaient établies entre les Alpes et le Pô (67) ; et, non contents de ces conquêtes, ils se promenaient dans l’Italie. Ils assiégeaient alors Clusium[31]. Le peuple romain intervint en faveur de ses alliés et de ses amis (68). Il envoya des ambassadeurs, selon l’usage. Mais quelle justice attendre des Barbares (69) ? ils se montrent plus arrogants : ils se tournent. contre nous, et la guerre s’allume. Dès lors, abandonnant Clusium, ils marchent sur Rome jusqu’au fleuve Allia[32], où le consul Fabius les arrête avec une armée. Aucune défaite ne fut, sans contredit, plus horrible. Aussi Rome, dans ses fastes, plaça-t-elle cette journée au nombre des jours funestes. Les Gaulois, après la déroute de notre armée, approchaient déjà des murs de la ville. Elle était sans défense. C’est alors, ou jamais, qu’éclata le courage romain. D’abord les vieillards qui avaient été élevés aux premiers honneurs se rassemblèrent dans le Forum. Là, tandis que le pontife prononcait les solennelles imprécations, ils se dévouèrent aux dieux Mânes (70) ; et, de retour dans leurs demeures, revêtus de la robe magistrale et des ornements les plus pompeux, ils se placèrent sur leurs chaises curules, voulant, lorsque viendrait l’ennemi, mourir dans toute leur dignité. Les pontifes et les flamines enlèvent tout ce que les temples renferment de plus révéré ; ils en cachent une partie dans des tonneaux qu’ils enfouissent sous terre, et, chargeant le reste sur des chariots, ils le transportent loin de la ville. Les vierges attachées an sacerdoce de Vesta accompagnent, pieds nus, la fuite des objets sacrés. On dit cependant que ce cortége fugitif fut recueilli par un plébéien, Lucius Albinus, qui fit descendre de son chariot sa femme et ses enfants, pour y placer les prêtresses; tant il est vrai que, même dans les dernières extrémités, la religion publique l’emportait alors sur les affections particulières. Quant à la jeunesse, qui, on le sait, se composait à peine de mille hommes, elle se retrancha, sous la conduite de Manlius, dans la citadelle du mont Capitolin ; et là, comme en présence de Jupiter, ils le conjurèrent « puisqu’ils s’étaient réunis pour défendre son temple, d’accorder à leur valeur l’appui de sa diviriité. »

Cependant les Gaulois arrivent ; la ville était ouverte ; ils pénètrent en tremblant d’abord, de peur de quelque embûche secrète ; bientôt, ne voyant qu’une solitude, ils s’élancent avec des cris aussi terribles que leur impétuosité, et se répandent de tous côtés dans les maisons ouvertes. Assis sur leurs chaises curules et revêtus de la prétexte, les vieillards leur semblent des dieux et des génies, et ils se prosternent devant eux ; bientôt, reconnaissant que ce sont des hommes, qui d’ailleurs ne daignent pas leur répondre, ils les immolent avec cruauté, embrasent les maisons ; et, la flamme et le fer à la main, ils mettent la ville au niveau du sol. Pendant six mois, qui le croirait ? Les Barbares restèrent comme suspendus autour d’un seul roc, faisant le jour, la nuit même, de nombreuses tentatives pour l’emporter. Une nuit enfin qu’ils y pénétraient, Manlius, éveillé par les cris d’une oie, les rejeta du haut du rocher ; et, afin de leur ôter tout espoir par une apparente confiance, il lança, malgré l’extrême disette, des pains par dessus les murs de la citadelle. Il fit même, dans un jour consacré, sortir du Capitole, à travers les gardes ennemis, le pontife Fabius, qui avait un sacrifice solennel à faire sur le mont Quirinal. Fabius revint sans blessure au milieu des traits des ennemis, sous la protection divine et il annonça que les dieux étaient propices.

Fatigués enfin de la longueur du siège, les Barbares nous vendent leur retraite au prix de mille livres d’or ; ils ont même l’insolence d’ajouter encore à de faux poids celui d’une épée ; puis, comme ils répétaient dans leur orgueil : « Malheur aux vaincus ! » soudain Camille les attaque par derrière, et en fait un tel carnage qu’il efface dans des torrents de sang gaulois toutes les traces de l’incendie. Grâces soient rendues aux dieux immortels, même pour cet affreux désastre. Sous ce feu disparurent les cabanes de pasteurs ; sous la flamme, la pauvreté de Romulus. Cet embrasement d’une cité, le domicile prédestiné des hommes et des dieux, eut-il un autre résultat que de la montrer non pas détruite, non pas ruinée, mais plutôt purifiée et consacrée ?

Ainsi donc, sauvée par Manlius et rétablie par Camille, Rome se releva plus fière et plus terrible pour ses voisins. Et d’abord, c’était peu d’avoir chassé de la ville cette race de Gaulois. ; les voyant encore traîner par toute l’Italie les vastes débris de leur naufrage, les Romains les poursuivirent si vivement, sous la conduite de Camille, qu’il ne reste plus aujourd’hui aucun vestige des Sénonais. On les massacra une première fois près de l’Anio, où Manlius, dans un combat singulier contre un de ces Barbares, lui arracha, entre autres dépouilles, un collier d’or : de là le nom de Torquatus. Ils furent encore défaits aux champs Pomptins[33] ; là, dans un semblable combat, Lucius Valérius, secondé par un oiseau sacré[34] qui s’attacha au casque du Gaulois, conquit les dépouilles de son ennemi et le surnom de Corvinus. Enfin, quelques années après, les derniers restes de ce peuple furent anéantis en Etrurie, par Dolabella, près le lac de Vadimon[35], afin qu’il n’existât plus dans cette nation un seul homme qui pût se glorifier d’avoir incendié la ville de Rome.

XIV. — Guerre contre les Latins. — (An de Rome 414-417.) — Des Gaulois on marcha contre les Latins, sous le consulat de Manlius Torquatus et de Décius Mus. La jalousie du commandement avait toujours rendu ces peuples ennemis de Rome ; mais alors, l’incendie de cette ville la leur faisant mépriser, ils réclamaient le droit de cité, la participation au gouvernement et aux magistratures ; et ils osaient plus que nous combattre. Ils cèdent à nos armes ; qui pourra s’en étonner, quand on voit l’un des consuls faire mourir son fils pour avoir combattu contre son ordre, et montrer qu’il attache à la discipline plus de prix qu’à la victoire ; l’autre, comme par une inspiration divine, se couvrir la tête d’un voile, se dévouer aux dieux Mânes devant le premier rang de l’armée, se précipiter au milieu des traits innombrables des ennemis, et nous frayer, par les traces de son sang, un nouveau chemin vers la victoire ?

XV. — Guerre contre les Sabins. — (An de Rome 465.) — Les Latins soumis, on attaqua les Sabins qui, oubliant l’alliance contractée sous Titus Tatius, et entraînés à la guerre par une sorte de contagion, s’étaient joints aux Latins. Mais le consul Curius Dentatus porta le fer et le feu dans toute la contrée qui s’étend entre le Nar[36], l’Anio[37], et les fontaines Vélines[38], jusqu’à la mer Adriatique. Cette victoire fit passer tant d’hommes, tant de territoire sous la puissance de Rome, que le vainqueur lui-même ne pouvait décider laquelle de cette double conquête était la plus considérable (71).

XVI. — Guerre contre les Samnites. — (An de Rome 410.) — Touché des prières de la Campanie, le peuple romain, non pour son intérêt, mais, ce qui est plus beau, pour celui de ses alliés, attaqua ensuite les Samnites. Il existait une alliance conclue avec chacun de ces deux peuples ; mais les Campaniens avaient rendu la leur plus sacrée et plus importante par la cession de tous leurs biens. Ainsi donc Rome fit la guerre aux Samnites comme pour elle-même.

De toutes les contrées non seulement de l’Italie, mais de l’univers entier, la plus belle est la Campanie. Rien de plus doux que son climat ; un double printemps y fleurit chaque année. Rien de plus fertile que son territoire ; aussi dit-on que Bacchus et Cérès y rivalisent. Point de mer plus hospitalière. Là sont les ports renommés de Caïète[39], de Misène[40], de Baies, aux sources toujours tièdes ; le Lucrin[41] et l’Averne[42], où la mer semble venir se reposer. Là sont ces monts couronnés de vignobles, le Gaurus[43], le Falerne, le Massique[44], et, le plus beau de tous, le Vésuve, rival des feux de l’Etna. Près de la mer sont les villes de Formies[45], Cumes[46], Pouzzoles, Naples, Herculanum, Pompéii, et, la première de toutes, Capoue[47], comptée jadis au rang des trois plus grandes cités du monde, avec Rome et Carthage.

C’est pour cette ville, pour ces contrées, que le peuple romain envahit le territoire des Samnites. Veut-on connaître l’opulence de ce peuple ? il prodiguait jusqu’à la recherche l’or et l’argent sur ses armes, et les couleurs sur ses vêtements (72). Sa perfidie ? il combattait en dressant des piéges dans les bois et dans les montagnes ; son acharnement et sa fureur ? c’était par des lois inviolables, et par le sang de victimes humaines, qu’il s’excitait à la ruine de Rome. Son opiniâtreté ? rompant six fois le traité, il ne se montrait que plus animé après ses défaites. Toutefois, il ne fallut que cinquante ans aux Fabius, aux Papirius et à leurs fils, pour le soumettre et le dompter ; on dispersa tellement les ruines mêmes de ces villes, que l’on cherche aujourd’hui le Samnium dans le Samnium, et qu’il est difficile de retrouver le pays qui a fourni la matière de vingt-quatre triomphes (73). Rome n’en reçut pas moins de cette nation un affront célèbre et fameux aux Fourches Caudines, sous les consuls Véturius et Postumius. Enfermée par surprise dans ce défilé, notre armée ne pouvait en sortir ; le général ennemi, Pontius, tout étonné d’une occasion si belle, consulta son père Hérennius, qui lui conseilla sagement « de laisser aller ou de tuer tous les Romains. » Pontius aima mieux les désarmer et les faire passer sous le joug ; ce n’était pas seulement dédaigner leur amitié en retour d’un bienfait, c’était rendre, par un affront, leur inimitié plus terrible. Bientôt les consuls, se livrant d’eux-mêmes par une magnanime résolution, effacent la honte du traité ; le soldat, avide de vengeance, se précipite, sous la conduite de Papirius, les épées nues, spectacle effrayant ! et, pendant la marche même, il prélude au combat par des frémissements de fureur. « Dans l’action, tous les yeux lançaient des flammes, » comme l’ennemi l’attesta ; et l’on ne mit fin an carnage qu’après avoir imposé le même joug aux ennemis et à leur général captif.

XVII. — Guerre contre les Etrusques et les Samnites. — (An de Rome 458.) — Jusque-là le peuple romain n’avait fait la guerre qu’à une seule nation à la fois ; bientôt il les combattit en masse, et sut cependant faire face à toutes. Les douze peuples de l’Étrurie, les Ombriens, le plus ancien peuple de l’Italie, qui avait jusqu’à cette époque échappé à nos armes ; le reste des Samnites se conjurèrent tout à coup pour l’extinction du nom romain. La terreur fut à son comble devant la ligue de tant de nations si puissantes. Les enseignes de quatre armées ennemies flottaient an loin dans l’Étrurie. Entre elles et nous s’étendait la forêt Ciminienne, jusqu’alors impénétrable, comme celles de Calydon[48] ou d’Hercynie[49]. Ce passage était si redouté, que le sénat défendit au consul d’oser s’engager au milieu de tant de périls. Mais rien ne put effrayer le général ; et il envoya son frère en avant pour reconnaître les avenues de la forêt. Celui-ci, sous l’habit d’un berger, observa tout pendant la nuit, et revint annoncer que le passage était sûr. C’est ainsi que Fabius Maximus se tira sans danger d’une guerre si aventureuse. Il surprit tout à coup les ennemis en désordre et dispersés ; et, s’étant emparé des hauteurs, il les foudroya sans effort à ses pieds. Ce fut comme une image de cette guerre où, du haut des cieux et du sein des nuages, la foudre était lancée sur les enfants de la terre (74). Toutefois, cette victoire ne laissa pas d’être sanglante ; car Décius, l’un des consuls, accablé par l’ennemi dans le fond d’une vallée, dévoua, à l’exemple de son père, sa tête aux dieux Mânes ; et, au prix de ce sacrifice solennel, ordinaire dans sa famille, il racheta la victoire (75).

XVIII. — Guerre contre Tarente et contre le roi Pyrrhus. — (An de Rome 471 — 481.) Vient ensuite la guerre de Tarente (76), que l’on croirait, d’après ce titre et ce nom, dirigée contre un seul peuple ; mais qui, par la victoire, en embrasse plusieurs. En effet, les Campaniens, les Apuliens, les Lucaniens, les Tarentins, auteurs de cette guerre, c’est-à-dire l’Italie entière, et, avec tous ces états, Pyrrhus (77), le plus illustre roi de la Grèce, furent comme enveloppés dans une ruine commune ; de sorte qu’en même temps cette guerre consommait la conquête de l’Italie, et était le prélude de nos triomphes d’outre-mer.

Tarente, ouvrage des Lacédémoniens (78), autrefois capitale de la Calabre, de l’Apulie et de toute la Lucanie, est aussi renommée pour sa grandeur, ses remparts et son port, qu’admirable par sa position : en effet, située à l’entrée même du golfe Adriatique, elle envoie ses vaisseaux dans toutes les contrées, dans l’Istrie, l’Illyrie, l’Épire, l’Achaïe, l’Afrique, la Sicile. Au-dessus du port, et en vue de la mer, s’élève un vaste théâtre, qui fut l’origine de tous les désastres de cette ville malheureuse. Les Tarentins y célébraient par hasard des jeux, lorsqu’ils aperçurent une flotte romaine ramant vers le rivage (79) ; persuadés que ce sont des ennemis, ils se lèvent aussitôt, et, sans réfléchir, ils se répandent en injures. « Qui sont, disent-ils, et d’où viennent ces Romains ? » Ce n’est pas assez : des ambassadeurs étaient venus porter de justes plaintes ; on en insulte la majesté par un outrage obscène et qu’il serait honteux de rapporter (80) ; ce fut le signal de la guerre. L’appareil en fut formidable, par le grand nombre de peuples qui se levèrent à la fois en faveur des Tarentins ; Pyrrhus, plus ardent que tous les autres, et brûlant de venger une ville à moitié grecque, qui avait les Lacédémoniens pour fondateurs, venait par mer et par terre, avec toutes les forces de l’Épire, de la Thessalie, de la Macédoine, avec des éléphants jusqu’alors inconnus, et ajoutait encore à la force de ses guerriers, de ses chevaux et de ses armes, la terreur qu’inspiraient ces animaux.

Ce fut près d’Héraclée, sur les bords du Liris, fleuve de la Campanie (81), et sous les ordres du consul Lévinus, que se livra le premier combat. Il fut si terrible qu’Obsidius, commandant de la cavalerie Férentine[50], ayant chargé le roi, le mit en désordre et le força de sortir de la mêlée, dépouillé des marques de sa dignité. C’en était fait de Pyrrhus, lorsqu’accoururent les éléphants qui changèrent, pour les Romains, le combat en spectacle. Leur masse, leur difformité, leur odeur inconnue, leur cri aigu, épouvantèrent les chevaux qui, croyant ces ennemis nouveaux plus redoutables qu’ils n’étaient en effet, causèrent, par leur fuite, une vaste et sanglante déroute (82).

On combattit ensuite avec plus de succès, près d’Asculum, en Apulie[51], sous les consuls Curius et Fabricius. Déjà en effet l’épouvante occasionnée par les éléphants s’était dissipée ; et Caius Minucius, hastaire de la quatrième légion, en coupant la trompe de l’un d’eux, avait montré que ces animaux pouvaient mourir. Dès lors on les accabla aussi de traits, et des torches lancées contre les tours couvrirent les bataillons ennemis tout en tiers de débris enflammés. Le carnage ne finit que quand la nuit sépara les combattants, et le roi lui-même, blessé à l’épaule, et porté par ses gardes sur son bouclier, fut le dernier à fuir.

Une dernière bataille fut livrée en Lucanie par les mêmes généraux que j’ai nommés plus haut, dans les plaines qu’on nomme Arusines[52] ; mais ici la victoire fut complète, et, pour la décider, le hasard fit ce que d’ailleurs eût fait la valeur romaine. Les éléphants étaient de nouveau placés sur le front de l’armée ; un d’eux, tout jeune encore, fut grièvement blessé d’un trait qui lui perça la tête ; il tourna le dos, et écrasa, dans sa course, les soldats de cette armée. A ses cris douloureux, sa mère le reconnut et s’élança comme pour le venger. Tout lui parait ennemi, et, par sa lourde masse, elle porte le désordre autour d’elle. Ainsi ces mêmes animaux, qui avaient enlevé la première victoire et balancé la seconde, nous livrèrent la troisième sans résistance.

Ce ne fut pas seulement par les armes et sur les champs de bataille, mais encore dans nos conseils et au sein de notre ville, que l’on eut à combattre Pyrrus. Ce roi artificieux ayant, dès sa première victoire, reconnu la valeur romaine, désespéra dès lors d’en triompher par les armes, et recourut à la ruse. En conséquence, il brûla nos morts, traita les prisonniers avec bonté, et les rendit sans rançon. Ayant ensuite envoyé des ambassadeurs à Rome, il s’efforça par tous les moyens de conclure un traité et d’acquérir notre amitié. Mais, dans la paix comme dans la guerre, au dedans comme au dehors, dans toutes les occasions, on vit éclater la vertu romaine ; et, plus qu’aucune autre, la victoire de Tarente montra le courage du peuple romain, la sagesse du sénat, la magnanimité de nos généraux. Quels hommes c’étaient en effet que ceux qui, dans la première bataille, furent, nous dit-on, écrasés sous les pieds des éléphants ! Tous avaient reçu leurs blessures à la poitrine ; quelques— uns étaient morts sur leurs ennemis ; l’épée était restée dans leurs mains, la menace sur leurs visages, et, dans la mort même, leur courroux vivait encore (83). Aussi Pyrrhus dit-il plein d’admiration : « Combien la conquête de l’univers serait facile, ou à moi avec des soldats romains, ou, aux Romains avec un roi tel que moi ! » Et quelle activité, dans ceux qui survécurent, pour former une nouvelle armée ! « Je le vois, dit encore Pyrrhus, je suis né sous la constellation d’Hercule ; comme celles de l’hydre de Lerne, toutes les têtes abattues de mes ennemis renaissent de leur sang. » Quelle grandeur encore dans ce sénat (84) ! Témoin la réponse de ses ambassadeurs chassés de Rome avec leurs présents, après le discours d’Appius Cœcus[53] ; Pyrrhus leur demandait ce qu’ils pensaient de la demeure de ses ennemis ; ils avouèrent « que Rome leur avait Paru un temple (85) et le sénat une assemblée de rois. » Enfin, quels généraux que les nôtres ! Voyez-les dans leur camp : Curius renvoie le médecin de Pyrrhus, qui voulait lui vendre la tête de ce prince[54] ; et Fabricius rejette l’offre, que lui fait le roi, d’une partie de ses états. Voyez-les dans la paix : Curius préfère ses vases d’argile à l’or des Samnites, et Fabricius, dans l’austérité de sa censure, condamne comme un luxe excessif les dix livres de vaisselle d’argent que possédait Rufinus, personnage consulaire.

Qui s’étonnera qu’avec ces mœurs, et avec le courage de ses soldats, le peuple romain ait été vainqueur, et que, dans les quatre années de la seule guerre de Tarente, il ait réduit sous sa domination la plus grande partie de l’Italie, les peuples les plus courageux, les villes les plus opulentes et les contrées les plus fertiles ? Quoi de plus incroyable que cette guerre, si l’on en compare le commencement et l’issue ? Vainqueur dans un premier combat, Pyrrhus, pendant que toute l’Italie tremble, dévaste la Campanie, les bords du Liris et Frégelles ; des hauteurs de Préneste, il contemple Rome à demi subjuguée, et, à la distance de vingt milles, il remplit de fumée et de poussière les yeux des citoyens épouvantés. Ensuite, deux fois chassé de son camp, blessé deux fois, repoussé par mer et par terre jusque dans la Grèce, sa patrie, il nous laisse la paix et le repos ; et telles sont les dépouilles de tant de nations opulentes, que Rome ne peut contenir les fruits de sa victoire. Jamais, en effet, jamais triomphe plus beau, plus magnifique, n’était entré dans ses murs. Jusqu’à ce jour, on n’avait vu que le bétail des Volsques, les troupeaux des Sabins, les chariots des Gaulois, les armes brisées des Samnites. Alors on remarquait comme captifs des Molosses[55], des Thessaliens, des Macédoniens, des guerriers du Bruttium[56], de l’Apulie, de la Lucanie ; et, comme ornement de cette pompe, l’or, la pourpre, des statues; des tableaux, et ce qui faisait les délices de Tarente. Mais rien ne fut plus agréable au peuple romain que la vue de ces monstres qu’il avait tant redoutés, des éléphants chargés de leurs tours, et qui, loin d’être étrangers au sentiment de la captivité, suivaient, la tête baissée, les chevaux victorieux.

XIX. — Guerre contre les Picentins. — (An de Rome 485.) — Toute l’Italie jouit bientôt de la paix ; car, après Tarente, qui eût osé la rompre ? Mais les Romains voulurent attaquer et poursuivre les alliés de leurs ennemis. Alors on dompta les Picentins, et on prit leur capitale, Asculum[57], sous le commandement de Sempronius, qui, ayant senti trembler le champ de bataille pendant l’action, apaisa la déesse Tellus par la promesse d’un temple.

XX. — Guerre contre les Sallentins. — (An de Rome 486). À la soumission des Picentins succéda celle des Sallentins[58] et de Brundusium, capitale du pays, fameuse par son port ; ce fut la conquête de Marcus Atilius. Dans cette guerre, la déesse des bergers, Palès, demanda un temple pour prix de la victoire.

XXI. — Guerre contre les Volsiniens (An de Rome 488). — Le dernier des peuples de l’Italie qui se rangea sous notre domination fut les Volsiniens, les plus riches des Étrusques. Ils implorèrent le secours de Rome contre leurs anciens esclaves qui, tournant contre leurs maîtres la liberté qu’ils en avaient reçue, s’étaient arrogé le pouvoir, et dominaient dans la république (87). Mais ils furent châtiés par notre général, Fabius Gurgès.

XXII. — Des séditions. — C’est là le second âge et comme l’adolescence du peuple romain ; il était alors dans toute sa force, et l’on voyait en lui la fleur d’un ardent et impétueux courage. Il conservait encore quelque chose de la rudesse des pâtres ; il respirait une sorte de fierté indomptable. Aussi vit-on l’armée de Postumius, frustrée du butin qu’il lui avait promis, se révolter dans son camp et lapider son général[59] ; celle d’Appius Claudius ne pas vouloir vaincre quand elle le pouvait[60] ; et la plus grande partie du peuple, soulevée par Voleron, refuser de s’enrôler, et briser les faisceaux du consul[61]. Aussi les plus illustres patriciens, pour s’être opposés à la volonté de la multitude, furent-ils punis par l’exil ; témoin Coriolan, qui exigeait qu’on cultivât les terres, et qui, au reste, aurait cruellement vengé son injure par les armes, si, le voyant prêt à planter ses étendards sur les murs de Rome, sa mère Véturie ne l’eût désarmé par ses larmes[62] : témoin Camille lui-même, soupçonné d’avoir fait entre le peuple et l’armée une injuste répartition du butin de Véies[63]. Mais, meilleur citoyen que Coriolan, il alla languir dans la ville qu’il avait prise[64], et vengea bientôt des Gaulois ses concitoyens suppliants. Le peuple soutint aussi contre le sénat une lutte violente, injuste et funeste; abandonnant ses foyers, il fit à sa patrie la menace de la changer en solitude et de l’ensevelir sous ses ruines.

XXIII. — Première sédition. — (An de Rome 259-260). — La première dissension civile eut pour motif la tyrannie des usuriers, qui faisaient battre leurs débiteurs comme des esclaves. Le peuple en armes se retira sur le mont sacré ; et ce ne fut qu’avec peine, et après avoir obtenu des tribuns (88) qu’il fut ramené par l’autorité de Ménénius Agrippa, homme éloquent et sage. Il reste, de sa harangue antique, l’apologue qui fut assez puissant pour rétablir la concorde : « Autrefois, dit-il, les membres du corps humain se séparèrent, se plaignant que ; tandis qu’ils avaient tous des fonctions à remplir, l’estomac seul demeurât oisif. Devenus languissants par suite de cette séparation, ils tirent la paix quand ils eurent senti que, grâce au travail de l’estomac le sang, formé du suc des aliments, circulait dans leurs veines[65]. »

XXIV. — Deuxième sédition. — (An de Rome 302 - 304). — La licence du décemvirat alluma dans le sein même de Rome la seconde sédition. Dix des principaux citoyens avaient été choisis pour rédiger, d’après la volonté du peuple les lois apportées de la Grèce ; déjà tout le droit était classé dans les douze tables ; mais possédés comme d’une fureur royale, ils retenaient les faisceaux qu’on leur avait livrés. Plus audacieux que les autres, Appius en vint à un tel degré d’insolence, qu’il destinait à sa brutalité une jeune fille de condition libre, oubliant et Lucrèce et les rois et le Code de lois que lui-même avait composé. Voyant donc sa fille frappée par un jugement, et traînée en servitude, Virginius n’hésite pas ; il la tue de sa main au milieu du Forum ; et, faisant avancer ses compagnons d’armes avec leurs enseignes, du haut du mont Aventin il assiége les décemvirs, et précipite toute cette puissance dans les prisons et dans les fers (89).

XXV. — Troisième sédition. — (An de Rome 308). — La troisième sédition fut excitée par l’ambition des mariages et par la prétention des plébéiens, de s’allier aux patriciens ; cette dissension éclata sur le mont Janicule, à l’instigation de Canuléius, tribun du peuple.

XXVIQuatrième sédition. — (An de R. 377-382). — La quatrième sédition eut sa source dans la passion des honneurs, les plébéiens voulant avoir part aux magistratures. Fabius Ambustus, père de deux filles, avait marié l’une à Sulpicius, d’origine patricienne, l’autre au plébéien Stolon. Celle-ci, entendant un jour dans la maison de sa sœur, le bruit des verges du licteur, inconnu dans la sienne, en ressentit une frayeur dont elle fut raillée par l’épouse de Sulpicius d’une manière assez piquante. Elle ne put supporter l’affront ; aussi son mari, parvenu au tribunat, arracha-t-il au sénat, malgré sa résistance, le partage des honneurs et des magistratures.

Au reste, jusque dans ces séditions, le peuple roi est digne d’admiration. En effet, tantôt c’est pour la liberté, tantôt pour la pudeur, ici pour la noblesse de la naissance, là pour la majeste et l’éclat des honneurs, qu’il a combattu tour à tour : mais, au milieu de toutes ces luttes, il ne fut de nul intérêt gardien plus vigilant que de la liberté ; et aucune largesse offerte pour prix de cette liberté ne put le corrompre, bien que du sein d’une multitude nombreuse et toujours croissante, il apparût de temps à autre des citoyens dangereux. Spurius Cassius et Mélius, soupçonnés d’aspirer à la royauté, l’un par la proposition de la loi Agraire, l’autre par ses libéralités, furent punis par une mort prompte. Ce fut son père même qui fit subir à Spurius son supplice ; Mélius fut tué au milieu du Forum par le maître de la cavalerie, Servilius Ahala, d’après l’ordre du dictateur Quinctius. Quant à Manlius, le sauveur du Capitole, qui, pour avoir libéré la plupart des débiteurs, affectait une hauteur contraire à l’égalité, il fut précipité de cette forteresse qu’il avait défendue.

Tel fut le peuple romain au dedans et au dehors, dans la paix et dans la guerre, pendant la fougue de son adolescence, c’est-à-dire dans le second âge de l’empire, intervalle durant lequel il soumit par ses armes toute l’Italie, depuis les Alpes jusqu’au détroit.


  1. Peuple du pays des Sabins, et tout près de Rome, mais dont on ignore la situation.
  2. Appelé Acréon par Tite-Live.
  3. Tarpeia, fille du gouverneur de la citadelle.
  4. Ville située près de l’endroit où est aujourd’hui Corrèze, dans la Sabime, états du pape.
  5. A six milles de Rome, aujourd’hui Civita Vecchia.
  6. Val. Max. l. I. c. 4. § 1.
  7. De là le nom de Servius, suivant Den. d’Halyc. l. IV. c. 1.
  8. Val. Max. l. I. c. 6. § 1.
  9. Capitale des Rutules, dans le Latium.
  10. Aujourd’hui Otrech, dans l'Ombert.
  11. Ville des Latins, sur la route à douze mille cinq cent pas de Rome.
  12. Ville du Latium, dans le pays des Volsques.
  13. Aujourd’hui Logo di san Prusso.
  14. Val. Max., l. I, c. 8, § 1.
  15. Petite ville des Volsques, à l’embouchure du Liris.
  16. Montagne et petite villes des Eques, près de Tusculum, et à deux milles de Rome.
  17. Ville des Latins.
  18. Ville des Herniques, aujourd’hui Verulo'.
  19. Bos villa, terre des bœufs, ville du Latium à peu de distance de Rome.
  20. Aujourd’hui Tivoli.
  21. Capitale des Eques, aujourd’hui Palestrina.
  22. Dans la Toscane, aujourd’hui Fiésole.
  23. Ville de Mésopotamie, près de laquelle Crassus fut défait par les Parthes.
  24. Aux environs d’Albe, dans le Latium, aujourd’hui La Riccia.
  25. Nom général des forêts de la Germanie.
  26. Ville du Latium, près du fleuve Liris.
  27. Aujourd’hui Boulogne-sur-Mer.
  28. Ville des Volsques dont il ne reste aucun vestige.
  29. Peuple du Latium.
  30. Qui se jette dans le Tibre.
  31. Aujourd’hui Chinsi ; les Clusiens occupaient une partie du territoire de Sienne et d’Orvietto.
  32. Petite rivière qui prend sa source dans la Sabine et se jette dans le Tibre, à trois lieues de Rome.
  33. Ainsi nommés à cause du voisinage de Suessa Pométia, ville des Volsques.
  34. Sacré, parce qu’on tirait des augures du vol de cet oiseau (le corbeau).
  35. En Étrurie.
  36. Il prend sa source auprès du mont Fisallus, coule entre l’Ombrie et le pays des Sabins, et va se jeter dans le Tibre.
  37. Aujourd’hui Teverone.
  38. Rivière du pays des Sabins.
  39. Aujourd’hui Gaëte, dans la terre de Labour.
  40. Aujourd’hui Capo di Miseno.
  41. Entre Pouzzoles et Bates.
  42. Voisin du précédent.
  43. Sur la rive du Liris (Garigliano).
  44. Célèbres crûs de l’Italie.
  45. Ville de la Campanie, aujourd’hyu le Môle.
  46. On en voit quelques vestiges à une lieue de Pouzzoles.
  47. Cette ville subsiste encore aujourd’hui.
  48. Ou de Calédonie, au nord de la Grande-Bretagne, dans le pays qui répond à l’Écosse septentrionale.
  49. V. l. I, c. 11.
  50. Farentum ou Ferentinum, ville du Latium, dans le pays des Hermiques.
  51. Il ne faut pas confondre cette ville d’Asculum avec la capitale du Picenum.
  52. Plaines situées non dans la Lucante, mais dans le Sammium, aux environs du Bénévent.
  53. V. Cicer. De Senect., c. 6.
  54. Voyez Cicéron De Officiis, lib. III, c. 22. Et Val. Max. l. IV. c. 3, § 5.
  55. Habitants d’une partie de l’Épire.
  56. Ce territoire répond à la Calabre ultérieure, et formait la partie la plus méridionale de l’Italie.
  57. Ville si considérable, que, selon Pline (liv. III, c. 13), on y trouva trois cent mille habitants.
  58. Établis sur la côte orientale de l’Italie, dans la Messapie, qui répond à la terre d’Otrante.
  59. An de Rome 342.
  60. An de Rome 284.
  61. An de Rome 284.
  62. An de Rome 266.
  63. An de Rome 364.
  64. Non pas à Véies, mais à Ardée.
  65. V. Val. Max. viii 9 Liv. ii, 32.