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Abrégé de l’histoire romaine (Florus)/Livre II

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LIVRE DEUXIÈME.

I. — Avant-propos. — L’Italie était domptée et soumise, le peuple romain, qui comptait près de cinq cents ans de durée, avait réellement atatteint l’adolescence. Fort et jeune alors, il réalisait toutes les idées de force et de jeunesse, et pouvait désormais égaler l’univers. Ainsi, par une étonnante et incroyable destinée, ce peuple qui avait lutté, sur son propre sol, pendant près de cinq cents ans, (tant il était difficile de donner un chef à l’Italie), n’employa que les deux cents années qui suivent pour promener dans l’Afrique, dans l’Europe, dans l’Asie, enfin dans le monde entier, ses guerres et ses victoires.

II. — Première guerre punique. — (An de Rome 489 - 511). — Vainqueur de l’Italie, il en avait parcouru la terre jusqu’au détroit, lorsque, semblable à un incendie dont la fureur, après avoir ravagé les forêts qu’elle rencontre, s’apaise devant un fleuve, il s’arrêta un moment. Bientôt, voyant près de lui la plus riche proie séparée et comme arrachée de l’Italie, son domaine, il brûla d’un tel désir de la posséder, que ne pouvant la joindre, la rendre à son continent ni par une chaussée, ni par des ponts, il eût voulu l’y réunir par la force des armes. Mais il arriva que les destins lui en ouvrirent d’eux-mêmes le chemin, et qu’il n’eut qu’à profiter de l’occasion. Messine, ville de Sicile, alliée des Romains, se plaignit de la tyrannie des Carthaginois. Ainsi que Rome, Carthage convoitait la Sicile ; et, dans le même temps, toutes deux aspiraient, avec une ardeur et des forces égales, à la domination du monde. Rome prit donc les armes sous prétexte de secourir ses alliés, mais en réalité tentée par cette proie ; et, malgré la terreur qu’inspirait la nouveauté de l’entreprise, ce peuple grossier, ce peuple pasteur, et véritablement terrestre, montra (tant la valeur est une source de confiance !) qu’il est indifférent pour le courage de combattre à cheval ou sur des vaisseaux, sur terre ou sur mer (1).

Sous le consulat d’Appius Claudius, il affronta pour la première fois ce détroit tristement célèbre par ses monstres fabuleux, et par l’agitation tumultueuse de ses ondes ; mais, loin d’en être épouvanté, il accueillit comme un bienfait la violence du courant, et fondant tout à coup sur Hiéron, roi de Syracuse, il mit à le battre une telle célérité que ce prince lui-même avouait qu’il avait été vaincu avant d’avoir vu l’ennemi.

Rome osa même, sous les consuls Duillius et Cornélius, combattre sur mer. La rapide création de la flotte destinée à cette bataille fut le présage de la victoire. En effet, soixante jours après qu’on eut porté la hache dans la forêt, une flotte de cent soixante vaisseaux se trouva sur ses ancres : on eût dit qu’ils n’étaient pas l’ouvrage de l’art, mais qu’une faveur des dieux avait changé, métamorphosé les arbres en navires (2). Ce combat offrit un merveilleux spectacle : nos pesants et lourds bâtiments arrêtèrent ceux des ennemis, qui, dans leur agilité, semblaient voler sur les ondes. Les Carthaginois tirèrent peu d’avantage de leur science nautique, de leur habileté à désemparer les vaisseaux, et à esquiver, par la fuite, le choc des éperons ; on jeta sur eux ces mains de fer et ces autres machines, dont ils avaient fait, avant l’action, un fréquent sujet de dérision ; et on les contraignit de combattre comme sur la terre ferme. Ainsi, vainqueurs près des îles de Lipara, les Romains, après avoir coulé à fond et mis en fuite la flotte ennemie, célébrèrent, pour la première fois, un triomphe maritime. Quelle fut alors leur allégresse ! Duillius, commandant de la flotte, non content du triomphe d’un seul jour, ordonna que, durant toute sa vie, lorsqu’il reviendrait de souper, on le reconduisît, à la lueur des flambeaux et au son des flûtes, comme s’il eût triomphé tous les jours (3). Une victoire aussi importante fit paraître léger l’échec qu’éprouva l’autre consul, Cornélius Asina, qui, attiré à une feinte conférence, fut accablé par les ennemis : triste exemple de la perfidie punique (4) !

Le dictateur Calatinus chassa presque toutes les garnisons carthaginoises, celle d’Agrigente, de Drépane, de Panorme, d’Éryx et de Lylibée. Une fois, cependant, l’armée romaine eut à trembler au passage du bois de Camérinum ; mais elle dut son salut au courage héroïque de Calpurnius Flamma, tribun militaire, qui, avec trois cents hommes d’élite, s’empara d’une hauteur d’où les ennemis, qui en étaient maîtres, menaçaient notre armée ; et il les retarda suffisamment pour donner le temps à toute l’armée de s’échapper. Ce succès éclatant égala la renommée des Thermopyles et de Léonidas. Notre héros l’emporta même sur le Spartiate. Il est vrai qu’il n’écrivit rien avec son sang ; mais il sortit de cette périlleuse expédition sans y laisser la vie.

La Sicile étant déjà une province et un faubourg de Rome, la guerre s’étendit plus loin, sous le consulat de Lucius Cornélius Scipion ; il passa en Sardaigne, puis dans la Corse, qui en est une annexe. Par la ruine d’Olbia, dans la première de ces îles, et d’Aléria dans la seconde, il jeta l’épouvante parmi leurs habitants, et vint à bout, sur terre et sur mer, de tous les Carthaginois, si bien qu’il ne restait dès lors plus rien à vaincre que l’Afrique même (5).

Déjà, sous le commandement. de Marcus Atilius Régulus, la guerre, traversant les flots, passe dans l’Afrique. Il ne manquait pas de Romains pour trembler d’épouvante au seul nom de la mer Punique, et le tribun Mannius augmentait encore leur terreur ; au cas où ils n’obéiraient pas, il les menaça de la hache, et leur inspira, par la crainte de la mort, la hardiesse de s’embarquer. La flotte fit bientôt force de voiles et de rames ; grande fut l’alarme des Carthaginois à l’arrivée de leurs ennemis, et peu s’en fallut que l’on ne surprît Carthage les portes ouvertes.

Le premier fruit de la guerre fut la ville de Clypéa[1] ; car elle se présente la première sur le rivage de l’Afrique, dont elle est comme la citadelle et le poste d’observation. Cette place et plus de trois cents forteresses furent dévastées. Outre les hommes, on eut des monstres à combattre. Né comme pour la vengeance de l’Afrique, un serpent, d’une prodigieuse grandeur, désola notre camp assez près de Bagrada (6). Mais Régulus triompha de tout ; après avoir répandu au loin la terreur de son nom, tué ou mis dans les fers une grande partie de la jeunesse, et même des généraux ; après avoir envoyé d’avance à Rome une flotte chargée d’un riche butin et de l’immense appareil d’un triomphe, il pressait déjà le siège de Carthage elle-même, le foyer de la guerre, et était campé à ses portes. Ici la fortune eut un retour passager, destiné seulement à multiplier les exemples de la vertu romaine, dont la grandeur éclate surtout dans les calamités. Carthage eut recours à des auxiliaires étrangers ; Lacédémone lui envoya pour général Xantippe (7), très habile homme de guerre, qui nous vainquit. Alors, par une catastrophe déplorable et dont les Romains n’avaient pas encore fait l’expérience, leur intrépide général tomba vivant entre les mains des ennemis. Mais il se montra égal à une telle infortune. Il ne se laissa ébranler, ni par sa prison de Carthage, ni par l’ambassade dont on le chargea. En effet, contrairement aux instructions des ennemis, il fit des propositions pour que Rome ne fît pas la paix, n’acceptât pas l’échange des prisonniers. Ni son retour volontaire chez les Carthaginois, ni les horreurs de son dernier emprisonnement, ni son supplice sur la croix (8), ne purent flétrir sa majesté. Il fut plus admirable encore par tout cela, et que dire d’autre ? le vaincu ne triompha-t-il pas de ses vainqueurs, et, au défaut de Carthage, de la fortune même (9) ?

Le peuple romain fut beaucoup plus ardent et acharné à poursuivre la vengeance de Régulus qu’à obtenir la victoire. Les Carthaginois, animés par plus d’orgueil, avaient reporté la guerre en Sicile. Le consul Métellus fit un tel carnage, auprès de Panorme, qu’ils renoncèrent dès lors à tout projet sur cette île. La preuve de cette éclatante victoire fut apportée par la prise d’environ cent éléphants. C’eût été une proie immense, alors même qu’on l’eût faite non pas à la guerre, mais à la chasse.

On fut, sous le consul Appius Claudius, vaincu moins par les ennemis que par les dieux eux-mêmes, dont il avait méprisé les auspices ; sa flotte fut à l’instant submergée à l’endroit même où il avait fait jeter les poulets sacrés, qui lui défendaient de combattre[2].

Sous le consul Marcus Fabius Butéon, l’on détruisit sur la mer d’Afrique, auprès d’Égimure[3], une flotte carthaginoise, qui cinglait à pleines voiles vers l’Italie. Quel triomphe, ô ciel ! nous fut arraché par la tempête, alors que, chargée de riches dépouilles, notre flotte, battue des vents contraires, remplit de son naufrage l’Afrique, les Syrthes, les plages de toutes les nations, les rivages de toutes les îles ! Malheur considérable, mais qui ne fut pas sans quelque gloire pour le peuple roi : la victoire ne fut dérobée que par la tempête, et le triomphe anéanti que par un naufrage. Et pourtant, les dépouilles de Carthage, en allant, sur les ondes, se briser contre tous les promontoires et toutes les îles, annonçaient ainsi partout le triomphe du peuple romain.

Enfin, sons le consulat de Lutatius Catulus, la guerre fut terminée près des îles qui portent le nom d’Égates[4]. Jamais la mer ne vit une bataille plus terrible. La flotte des ennemis, surchargée de vivres, de soldats, de machines, d’armes, semblait porter Carthage tout entière ; et c’est ce qui causa sa perte. La flotte romaine, prompte, légère, agile, ressemblait à un camp. L’action offrit l’image d’un combat de cavalerie, les rames servaient comme de brides ; et les mobiles éperons, dirigés successivement en tous sens, avaient l’air d’être animés (10). Aussi les navires des ennemis, fracassés en un moment, couvrirent de leur naufrage toute la mer qui s’étend de la Sicile à la Sardaigne. Cette victoire fut enfin si décisive que les Romains ne pensèrent plus à renverser les remparts de leurs ennemis ; il leur parut superflu de sévir contre une citadelle et des murs, lorsque Carthage était déjà détruite sur la mer.

III. — Guerre contre les Ligures. — (An de Rome 515-581.) — La guerre punique terminée, il y eut pour Rome un intervalle de repos bien court, et comme nécessaire pour qu’elle reprît haleine. En témoignage de la paix et de la bonne foi avec laquelle elle déposait les armes, alors, pour la première fois depuis Numa, la porte du temple de Janus fut fermée ; mais on la rouvrit aussitôt et tout à coup ; car déjà les Ligures, déjà les Gaulois Insubres et bien évidemment les Illyriens nous provoquaient. Un dieu semblait exciter perpétuellement contre nous les peuples situés au pied des Alpes, c’est-à-dire à l’entrée même des gorges de l’Italie, pour préserver nos armes de la rouille et de la saleté. Enfin, ces ennemis journaliers, et en quelque sorte domestiques, exerçaient nos soldats dans la pratique de la guerre ; et le peuple romain, dans sa lutte contre chacune de ces nations, aiguisait, comme sur une pierre, le fer de sa valeur.

Les Ligures, retranchés au fond des Alpes, entre le Var[5] et la Macra[6], et cachés au milieu de buissons sauvages, étaient plus difficiles a trouver qu’à vaincre. En sécurité dans leurs retraites et par la promptitude à fuir, cette race infatigable et agile, se livrait à l’occasion plutôt au brigandage qu’à la guerre. Salyens, Décéates, Oxybiens, Euburiates, Ingaunes, tous surent éluder longtemps et souvent la rencontre de nos armées ; enfin, Fulvius entoura leurs repaires d’un vaste incendie ; Bébius les fit descendre dans la plaine (11), et Postumius les désarma totalement si bien qu’à peine leur laissa-t-il du fer pour cultiver la terre.

IV. — Guerre contre les Gaulois. — (An de Rome 515-551.) — Les Gaulois Insubres et ces habitants des Alpes avaient l’intrépidité des bêtes féroces et une stature plus qu’humaine. Mais l’expérience nous a démontré que si dans le premier choc ils sont plus que des hommes, ils deviennent, dans les suivants, plus faibles que des femmes (12). Leurs corps, nourris sous le ciel humide des Alpes, ont quelque similitude avec les neiges de ces montagnes. A peine échauffés par le combat, ils s’en vont aussitôt en sueur, et, au plus léger mouvement, ils fondent comme la neige à la chaleur du soleil (13). Ils avaient fait souvent dans d’autres occasions, et ils renouvelèrent, sous leur chef Britomare (14), le serment de ne pas délier leurs baudriers qu’ils n’eussent monté au Capitole. Il fut accompli. Émilius, leur vainqueur[7], détacha leurs baudriers dans ce temple. Bientôt après, sous la conduite d’Arioviste, ils vouèrent à leur Mars[8] un collier des dépouilles de nos soldats. Jupiter intercepta le vœu ; car ce fut avec les colliers des Gaulois que, lui, Flaminius lui érigea un trophée d’or (15). Sous le roi Viridomare[9], ils avaient promis à Vulcain les armes romaines ; mais leur vœu retomba sur eux-mêmes : car Marcellus, ayant tué leur roi, en suspendit les armes dans le temple de Jupiter Férétrien, troisièmes dépouilles opimes[10] depuis Romulus, père des Romains.

V. — Guerre contre les Illyriens. — (An de Rome 523-525.) — Les Illyriens ou Liburnes habitent aux extrémités de la chaîne des Alpes, entre les fleuves Arsias et Titius, et s’étendent fort au loin sur toute la côte de la mer Adriatique[11]. Ces peuples, sous le règne d’une femme nommée Teutana, non contents de leurs brigandages, ajoutèrent le crime à la licence. Nos ambassadeurs, envoyés pour demander satisfaction des délits qu’ils avaient commis, sont frappés non pas même par le glaive, mais par la hache, ainsi que des victimes. Les commandants de nos vaisseaux sont brûlés vifs, et, pour comble d’indignité, par l’ordre d’une femme ; mais on dompte entièrement ces Barbares sous la conduite de Cnaeus Fulvius Centimalus ; et les têtes des principaux de la nation satisfont, en tombant sous la hache, aux mânes de nos ambassadeurs[12].

VI. — Deuxième guerre Punique. — (An de Rome 535-552.) — A peine avait-on eu quatre années de repos (16), depuis la première guerre Punique, qu’on vit éclater la seconde ; moins considérable, il est vrai, par sa durée (car elle ne fut que de dix-huit ans), mais bien plus terrible par l’horreur de ses désastres, au point que, si l’on compare les pertes des deux peuples, le vainqueur paraîtra le vaincu (17).

C’était, pour une nation orgueilleuse, une vive douleur de se voir enlever la mer, prendre ses îles[13] ; de donner des tributs, qu’elle avait l’habitude d’exiger (18). A la suite de cela, Annibal enfant, avait, sur les autels, juré à son père de venger sa patrie[14] ; et il lui tardait d’accomplir ce serment. Pour faire naître un sujet de guerre, il choisit Sagonte[15], antique et opulente cité de l’Espagne, illustre mais déplorable monument de fidélité envers les Romains. Son indépendance lui avait été garantie par un traité commun aux deux peuples. Annibal, cherchant de nouvelles causes de troubles, la détruisit de ses propres mains et par celles même de ses habitants ; ainsi, en rompant l’alliance, il s’ouvrait le chemin de l’Italie. La religion des traités est sacrée chez les Romains ; aussi, à la nouvelle du siège d’une ville, leur alliée, ils se rappellent qu’un pacte les unit également avec les Carthaginois, et, au lieu de se hâter de courir aux armes, ils préfèrent auparavant, selon la coutume bien établie, faire entendre leurs plaintes. Cependant, pressés depuis neuf mois par la famine, par les machines et par le fer, les Sagontins changent à la fin leur constance eu fureur ; ils allument, dans la place publique, un immense bûcher, et y périssent, avec leurs familles et toutes leurs richesses, par le fer et par le feu. Rome demande justice d’Annibal, l’auteur de ce si grand désastre. Voyant les Carthaginois tergiverser, « Que tardez-vous ? leur dit Fabius, chef de l’ambassade ; j’apporte dans le pli de cette robe la guerre et la paix. Que choisissez-vous ? » — « La guerre », répondent à grands cris les Carthaginois. – « Eh bien ! recevez donc la guerre », reprend Fabius ; puis détachant le devant de sa loge, il la déploie, au milieu du sénat, qu’il saisit d’épouvante, comme s’il eût en effet porté la guerre dans son sein (19). L’issue de cette lutte répondit à ce commencement. En effet, comme si les dernières imprécations des Sagontins, au milieu de leur incendie et de leur vaste parricide, eussent réclamé de telles funérailles, on vengea leurs Mânes par la dévastation de l’Italie, la captivité de l’Afrique, la mort des généraux et des rois qui prirent part à cette guerre.

A peine donc s’est formée dans l’Espagne la pénible et déplorable tempête de la guerre Punique, à peine s’est allumée, aux flammes de Sagonte, la foudre dès longtemps destinée aux Romains, qu’emporté tout à coup par un mouvement impétueux, l’orage déchire les flancs des Alpes, et, du sommet de ces neiges à la fabuleuse élévation, il descend, comme du haut du ciel, sur l’Italie. Les premières explosions de ce tourbillon rapide se font entendre tout à coup entre le Pô[16] et le Tésin[17], avec un fracas épouvantable[18]. L’armée que commandait Scipion est mise alors en fuite ; blessé lui-même, il serait tombé entre les mains des ennemis, si son fils, encore vêtu de la prétexte, n’eût, en le couvrant de son corps, arraché son père à une mort certaine. C’est le Scipion qui croît pour la ruine de l’Afrique (20), et qui tirera son nom des malheurs de ce pays. Au Tésin succède la Trébie[19]. Là se déchaîna la seconde tourmente de la guerre Punique, sous le consul Sempronius. Ce fut alors que les Carthaginois, féconds en stratagèmes, et profitant d’une journée froide et neigeuse, se chauffèrent et se frottèrent d’huile avant le combat ; et chose incroyable ! des hommes venant du soleil du midi nous vainquirent par notre hiver même.

Au lac Trasimène tomba la troisième foudre d’Annibal, sous le commandement de Flaminius. Là, encore, un nouvel artifice de la ruse punique. Cachée par les brouillards du lac et par les joncs des marais, la cavalerie ennemie attaqua tout à coup par derrière nos soldats qui combattaient. Nous ne pouvons toutefois nous plaindre des dieux ; car le désastre qui menaçait un chef téméraire lui avait été présagé : un essaim d’abeilles s’était posé sur les drapeaux ; les aigles avaient refusé d’avancer ; et, l’action à peine engagée, on avait ressenti un grand tremblement de terre, à moins que les évolutions des chevaux et des hommes, et la violence du choc des armes, n’eussent produit cet ébranlement du sol.

La quatrième et presque la dernière blessure de l’empire lui fut portée à Cannes, bourg de l’Apulie, encore dans l’obscurité, mais qui dut à la grandeur de notre désastre, d’en sortir, et au carnage de quarante mille Romains, d’être devenu célèbre. Ici, tout conspire la perte de notre malheureuse armée, le général ennemi, la terre, le ciel, le temps, toute la nature enfin. Non content de nous avoir envoyé de faux transfuges qui bientôt, pendant l’action, massacrèrent nos soldats par derrière, Annibal, ce général toujours rusé, observant le champ de bataille, reconnut que c’était une vaste plaine brûlée par le soleil, couverte de poussière, et où soufflait périodiquement un vent d’orient. Il rangea son armée de manière que les Romains eurent contre eux tous ces désavantages ; et, comme s’il eût tenu le ciel même à sa disposition, il se donna pour auxiliaire le vent, la poussière, le soleil. Aussi deux grandes armées furent taillées en pièces, et l’ennemi s’assouvit de carnage jusqu’à ce qu’Annibal enfin dît à ses soldats : « Ne frappez plus ». De nos généraux, l’un survécut, l’autre fut tué ; on ne sait lequel montra la plus grande âme. Paulus rougit de vivre ; Varron ne désespéra pas (21). L’Aufide[20], quelque temps ensanglanté, un pont de cadavres élevé, par l’ordre d’Annibal, sur le torrent de Vergelles (22), deux boisseaux d’anneaux envoyés à Carthage, et les pertes de la dignité équestre évaluées à cette mesure, furent les témoignages de notre défaite (23).

Nul doute que Rome ne touchât à sa dernière heure, et qu’Annibal ne pût, dans cinq jours, manger au Capitole, si, selon le mot qu’on attribue à Adherbal[21], fils de Bomilcar, Annibal eût su profiter de la victoire aussi bien qu’il savait vaincre. Mais, comme on l’a souvent répété, ou le destin de la ville à qui était réservé l’empire, ou le mauvais génie d’Annibal, et les dieux ennemis de Carthage, l’entraînèrent ailleurs. Alors qu’il pouvait user de la victoire, il aima mieux en jouir (24) ; et, laissant Rome, il se mit à parcourir les champs de Capoue et Tarente, où s’éteignit bientôt son ardeur avec celle de son armée. Ainsi l’on a dit avec raison que, dans Capoue, Annibal avait trouvé Cannes (25). Celui que les Alpes n’avaient pu vaincre, ni nos armes dompter, fut soumis, qui le croirait ? par le soleil de la Campanie et par les tièdes fontaines de Baïes.

Cependant le Romain respire et semble sortir du tombeau. Il était sans armes, il arrache celle des temples. Les jeunes manquaient : il affranchit et enrôle les esclaves ; le trésor public était vide ; le sénat s’empresse d’y porter publiquement ses richesses, et chacun ne se réserve d’autre or que celui des bulles[22], et d’un seul anneau. Les chevaliers suivent cet exemple, et les tribus imitent les chevaliers. Telle est enfin, sous les consuls Lévinus et Marcellus, la multitude des offrandes particulières portées au trésor public, qu’à peine les registres et la main des greffiers peuvent suffire à les inscrire. Mais, dans l’élection des magistrats, quelle sagesse montrent les centuries ! Les jeunes gens demandent conseil aux vieillards sur le choix des nouveaux consuls. On sentait que, contre un ennemi tant de fois vainqueur et si fertile en ruses, il fallait combattre avec la prudence non moins qu’avec la valeur.

Le premier espoir de l’empire revenu pour ainsi dire à la vie, fut Fabius, qui trouva un moyen de vaincre Annibal ; c’était de ne pas combattre. De là ce surnom nouveau de Temporiseur, si salutaire à la république ; de là celui de Bouclier de l’empire, que le peuple lui donna. Par tout le pays des Samnites, dans les défilés de Falerne et du Gaurus, il fatigua tellement Annibal, qu’il épuisa par ses lenteurs celui que la valeur n’avait pu dompter. Bientôt aussi, sous le commandement de Claudius Marcellus, on ose combattre, on s’approche de lui, on le met en fuite dans la Campanie, on l’arrache au siège de la ville de Noles[23]. On ose encore, sous Sempronius Gracchus, le poursuivre à travers la Lucanie et le serrer de près dans sa retraite, bien qu’alors, ô honte ! l’on ne combattît qu’avec une poignée d’esclaves ; car c’est à cette extrémité qu’avaient réduit tant de malheurs ; mais, après avoir reçu la liberté, d’esclaves qu’ils étaient, ils étaient devenus des Romains.

Étonnante confiance au milieu de tant d’adversités ! admirable force d’âme ! audace toute romaine ! Dans une position si embarrassante et si déplorable, quand le salut de son Italie est encore douteux, Rome ose cependant porter ses regards sur d’autres contrées ; et tandis qu’inondant la Campanie et l’Apulie, les ennemis lui tiennent le fer sur la gorge, et font déjà de l’Italie même une seconde Afrique, en même temps qu’elle leur résiste, elle envoie et répartit ses armées en Sicile, en Sardaigne, en Espagne, par toute la terre (26).

La Sicile, assignée à Marcellus, ne lui résista pas longtemps. Toute l’île fut en effet vaincue dans une seule ville. Cette grande capitale, jusqu’alors invincible, Syracuse, quoique défendue par le génie d’Archimède, fut enfin forcée de céder[24]. Sa triple enceinte, ses trois forteresses, son port de marbre, et sa célèbre fontaine d’Aréthuse[25], ne purent lui servir qu’à être, en faveur de sa beauté, épargnée par le vainqueur.

Gracchus s’empara de la Sardaigne. Ni le courage féroce de ses habitants, ni la hauteur prodigieuse de ses montagnes insensées[26] (car c’est ainsi qu’on les appelle) ne purent la protéger. Il traita les villes avec rigueur, surtout Caralis, la ville de ses villes, afin de dompter au moins, par le regret de voir dévaster le sol de sa patrie, une nation obstinée et qui se faisait un jeu de la mort.

Les deux Scipions, Cnæus et Publius, envoyés en Espagne, l’avaient presque entièrement arrachée aux Carthaginois. Mais, victimes des pièges de la ruse punique, ils la perdirent à leur tour, après avoir néanmoins épuisé, dans de grandes batailles, les forces carthaginoises. L’un deux tomba sous le fer des perfides Africains, comme il traçait son camp ; l’autre périt au milieu des flammes dans une tour où il s’était réfugié.

Alors, Scipion fut envoyé avec une armée pour venger son père et son oncle ; c’était à lui, que, selon le décret des destins, l’Afrique devait donner un nom si grand. Cette belliqueuse Espagne, fameuse par ses guerriers et par ses combats, cette pépinière des armées ennemies, cette école d’Annibal, il la reconquit tout entière, ô prodige ! depuis les Pyrénées jusqu’aux colonnes d’Hercule et à l’Océan. Fut-ce avec plus de rapidité que de bonheur ? la rapidité, quatre ans l’attestent ; le bonheur, une seule cité le prouve. En effet, assiégée et prise le même jour, la Carthage de l’Espagne[27], si facilement vaincue, fut le présage de la réduction de celle de l’Afrique (27). Cependant la soumission de cette province doit être attribuée surtout à la rare continence du général qui rendit aux Barbares leurs enfants captifs et de jeunes filles d’une grande beauté, sans même avoir permis qu’on les amenât eu sa présence, pour ne pas paraître avoir effleuré, seulement des yeux, leur pureté virginale.

Le peuple romain obtenait ces succès dans diverses parties du monde ; et cependant, comme attaché aux entrailles de l’Italie, Annibal ne pouvait en être arraché. La plupart des villes avaient quitté notre cause pour la sienne ; et cet irréconciliable ennemi, tournait contre les Romains les forces même de l’Italie. Déjà, toutefois, nous l’avions chassé de quantité de places et de contrées. Tarente était revenue à nous ; déjà nous tenions assiégée Capoue, la résidence, le domicile, la seconde patrie d’Annibal[28]. La perte de cette ville fut si douloureuse au général carthaginois qu’il tourna toutes ses forces contre Rome. O peuple digne de l’empire du monde, digne de la faveur de tous les dieux et de l’admiration de tous les hommes ! Au milieu des plus pressantes alarmes, il ne se désista d’aucune entreprise ; et, réduit à craindre pour Rome même, il n’abandonna cependant pas Capoue. Une partie de l’armée y fut laissée sous le consul Appius ; l’autre suivit Flaccus à Rome, et le peuple romain combattait loin d’elle et près d’elle tout à la fois. Devons-nous donc nous étonner que, quand Annibal, pour l’attaquer, leva son camp placé à trois milles, les dieux eux-mêmes, oui, les dieux (ne rougissons pas de l’avouer), l’aient une seconde fois arrêté ? En effet, à chacun de ses mouvements, des torrents de pluie tombèrent avec une telle force, les vents s’élevèrent avec une telle violence, qu’il semblait que cet orage, suscité par les dieux pour repousser l’ennemi, partit, non du ciel, mais des murs mêmes de Rome et du haut du Capitole. Il se retira donc en fuyant et se cacha dans le fond de l’Italie, heureux du moins d’avoir quitté Rome sans s’être prosterné devant elle. Une chose légère en elle-même, mais qui prouve assez manifestement la grandeur d’âme du peuple romain, c’est que, pendant les jours de ce siège, le champ sur lequel Annibal avait assis son camp, fut mis à l’encan à Rome, et trouva un acheteur. Annibal voulut imiter une semblable confiance ; il mit à son tour en vente les comptoirs des banquiers de la ville ; mais il ne se présenta pas d’acquéreur (28). C’était un nouveau présage des destins.

Tant de preuves de courage, tant de marques même de la faveur des dieux n’avaient rien fait encore. Asdrubal, frère d’Annibal, s’avançait avec une nouvelle armée, de nouvelles forces, un nouvel appareil de guerre. C’en était fait sans aucun doute, si ce général eût opéré sa jonction avec son frère ; mais, comme il traçait son camp, il fut, lui aussi, battu par Claudius Néron, uni à Livius Salinator. Néron avait poussé Annibal jusqu’aux derniers confins de l’Italie : Livius avait dirigé son armée vers une partie tout opposée, c’est-à-dire, vers les défilés où l’Italie prend naissance. Franchissant cet immense intervalle que mettait entre les consuls toute la longueur de l’Italie, avec quel concert, avec quelle célérité ils se joignent, unissent leurs drapeaux et surprennent Asdrubal, sans qu’Annibal soupçonne ce qui se passe ! Comment l’exprimer ? A la nouvelle du ce désastre, à l’aspect de la tête de son frère jetée dans sou camp : « Je reconnais, dit Annibal, l’infortune de Carthage (29). » tel fut le premier aveu arraché à ce guerrier, sans doute par le pressentiment du destin qui le menaçait. Dès lors il était certain qu’Annibal, à l’en croire lui-même, pouvait être vaincu. Mais ce n’était point assez pour le peuple romain ; plein de confiance après tant de prospérités, il avait surtout à cœur d’accabler dans l’Afrique ce terrible ennemi. Il s’y porta donc sous la conduite de Scipion, avec toute la masse de ses forces, et commença d’imiter Annibal, en vengeant sur l’Afrique les malheurs de l’Italie. Quelles troupes, grands dieux ! que celles d’Asdrubal ! quelles armées que celles de Syphax, qu’il mit eu déroute ! quelle force et quelle étendue avaient leurs deux camps, qu’il détruisit en y mettant le feu, dans une seule nuit ! Bientôt il n’était plus seulement à trois milles de Carthage ; il en battait les portes, il en pressait le siège. Cette diversion eut pour effet d’arracher de l’Italie Annibal, attaché à cette proie dont il se repaissait. Il n’y eut pas pour l’empire romain un plus grand jour que celui où les deux premiers capitaines qui eussent existé jusqu’alors et qui aient paru depuis, l’un, vainqueur de l’Italie, l’autre, de l’Espagne, déployèrent enseignes contre enseignes, et se préparèrent au combat. Ils eurent cependant une conférence pour traiter de la paix. Ils restèrent longtemps immobiles, dans une mutuelle admiration[29]. La paix ne se conclut pas, et aussitôt les trompettes donnèrent le signal. Il est constant, de l’aveu des deux généraux, « qu’on ne pouvait, de part et d’autre, ni faire de meilleures dispositions, ni combattre avec plus d’ardeur ». Scipion rendit ce témoignage de l’armée d’Annibal, Annibal de celle de Scipion. Toutefois, Annibal succomba ; l’Afrique fut le prix de la victoire ; et le monde ne tarda pas à suivre le sort de l’Afrique (30).

VII. — Première guerre de Macédoine. — (An de Rome 535-558.) — Carthage vaincue, nul peuple ne rougit de l’être. Aussitôt après furent soumises, comme l’Afrique, les nations de la Macédoine, de la Grèce, de la Syrie, et toutes les autres, entraînées, pour ainsi dire, par le tourbillon, par le torrent de la fortune (31). On soumit tout d’abord les Macédoniens, ce peuple qui avait jadis aspiré à l’empire du monde. Aussi, quoique Philippe occupât alors le trône, les Romains croyaient-ils avoir à combattre un Alexandre. Ce fut toutefois le nom de la nation, plutôt que sa puissance, qui donna de l’importance à la guerre de Macédoine. La cause qui la fit commencer fut l’alliance contractée par le roi Philippe avec Annibal, quand celui-ci dominait en Italie (32). Ce motif devint plus puissant lorsque les Athéniens implorèrent notre secours contre les violences de ce roi, qui, abusant du droit de la victoire, détruisait les temples, les autels et même les tombeaux. Le sénat consentit à porter assistance à d’aussi illustres suppliants. Rome était déjà le recours et l’appui des princes, des peuples, des nations.

Sous le consulat de Lévinus, le peuple romain parut donc pour la première fois sur la mer Ionienne ; sa flotte parcourut comme en triomphe tous les rivages de la Grèce, étalant les dépouilles de la Sicile, de la Sardaigne, de l’Espagne, de l’Afrique. Un laurier né sous la poupe du vaisseau prétorien était une promesse manifeste de la victoire (33). Attale, roi de Pergame[30], s’était fait de lui-même notre auxiliaire. Les Rhodiens, peuple navigateur, nous prêtèrent aussi leurs secours ; avec eux sur mer, et avec ses cavaliers et ses fantassins sur terre, le consul battait l’ennemi partout. Philippe fut deux fois vaincu, deux fois mis en fuite, deux fois dépouillé de son camp. Rien cependant n’effraya plus les Macédoniens que l’aspect même de leurs blessures, qui, faites, non avec les traits, les flèches ou les faibles armes de la Grèce, mais avec d’énormes javelots et de non moins grandes épées, ouvraient plus d’un chemin à la mort. Bientôt après, sous la conduite de Flamininus, nous franchîmes les montagnes jusqu’alors inaccessibles de la Chaonie et le fleuve Aoüs, qui se précipite entre des rocs, et les barrières mêmes de la Macédoine. Ce fut vaincre que d’y entrer (34). Car jamais, depuis ce jour, le roi n’osa en venir aux mains ; près des collines nommées Cynocéphales[31], on l’accabla d’un seul coup, et ce ne fut pas même dans un véritable combat. Le consul lui donna la paix et lui laissa son trône. Bientôt, pour prévenir toutes les causes de guerre, il réprima Thèbes, et l’Eubée, et Lacédémone qui s’agitait sous son chef Nabis. Quant à la Grèce, il lui rendit son ancien état, afin qu’elle vécût sous ses lois et jouît de son antique liberté. Quels transports, quelles acclamations, le jour où, sur le théâtre de Némée, pendant les jeux quinquennaux[32], le héraut chanta ce décret (35) ! Quel concours d’applaudissements ! que de fleurs répandues aux pieds du consul ! combien de fois on obligea le héraut à répéter ces paroles qui proclamaient la liberté de l’Achaïe ! Cette sentence du consul charmait les oreilles des Grecs autant que les plus mélodieux accords de la flûte ou de la lyre (36).

VIII. — Guerre de Syrie contre le roi Antiochus. — (An de Rome 561-564.) — La soumission de la Macédoine et du roi Philippe fut suivie de près de celle d’Antiochus : c’était le hasard, ou plutôt une heureuse combinaison de la fortune, qui voulait que notre domination s’étendît d’Afrique en Europe, puis d’Europe en Asie, selon les occasions qui se présentaient d’elles-mêmes ; et que le cercle de nos victoires embrassât, d’après leur situation, tous les pays de l’univers. Nulle guerre ne parut plus formidable aux Romains; ils se retraçaient les Perses et l’Orient, Xerxès et Darius, et on racontait que ces monts inaccessibles avaient été percés par la main de l’homme, et que la mer avait disparu sous le nombre des voiles. A cette terreur se joignait l’effroi causé par les menaces célestes : l’Apollon de Cumes[33] se couvrait d’une sueur continuelle ; mais c’était l’effet des alarmes de ce dieu pour sa chère Asie.

Nulle contrée n’est plus peuplée, plus riche, plus belliqueuse que la Syrie ; mais elle était tombée entre les mains d’un roi si lâche que la plus grande gloire d’Antiochus est d’avoir été vaincu par les Romains. Ce roi fut poussé à la guerre, d’un côté par Thoas, chef des Étoliens, qui se plaignait de ce que les Romains avaient fait peu de cas de son alliance dans la guerre contre les Macédoniens ; de l’autre, par Annibal, qui, vaincu en Afrique, fugitif, et ne pouvant supporter la paix, cherchait par toute la terre un ennemi au peuple romain (37). Et quel eût été notre péril, si le roi se fût livré à ses conseils, c’est-à-dire, si ce malheureux Annibal eût disposé des forces de l’Asie ? Mais Antiochus, dans la confiance que lui inspirait sa puissance et son nom de roi, se contenta d’avoir allumé la guerre.

Déjà l’Europe, par un droit incontestable, appartenait aux Romains. Cet Antiochus leur redemanda, comme un bien héréditaire, la ville de Lysimachie, fondée par ses ancêtres, sur la côte de Thrace. Ce fut, pour ainsi dire, sous l’influence de cet astre que se souleva la tempête de la guerre asiatique ; et le plus grand des rois, content de l’avoir courageusement déclarée, partit de l’Asie avec un fracas et un tumulte extraordinaires ; il occupa aussitôt les îles et les rivages de la Grèce, et s’y livra au repos et aux plaisirs, comme un vainqueur. L’île d’Eubée est séparée du continent par un petit détroit que le flux et le reflux de l’Euripe ont formé. Là, ayant fait dresser des tentes d’or et de soie, il mariait, au bruit des ondes du détroit, les sons de la flûte et de la lyre, faisait, malgré l’hiver, apporter de tous côtés des roses, et s’occupait, pour paraître jouer un peu le rôle de général, à faire des levées de jeunes filles et d’enfants.

Un tel prince était donc déjà vaincu par son luxe. Envoyé par le peuple romain, le consul Acilius Glabrion s’avança pour l’attaquer dans l’Eubée, et le força, par le seul bruit de son arrivée, à s’enfuir aussitôt de cette île. Alors, malgré sa fuite précipitée, il l’atteignit aux Thermopyles, lieu si célèbre par la belle mort des trois cents Spartiates. Antiochus, loin de profiter de l’avantage du lieu, ne fit aucune résistance, et Glabrion le força à céder la mer et la terre. Aussitôt, et sans s’arrêter, on marche vers la Syrie. La flotte royale avait été confiée à Polyxénidas et à Annibal ; car le roi ne pouvait pas même être spectateur d’un combat. Aemilius Régillus, avec le secours des galères rhodiennes, l’eut bientôt réduite tout entière. Qu’Athènes ne soit plus si fière ! nous avons vaincu Xerxès dans Antiochus ; dans Æmilius, égalé Thémistocle ; dans Éphèse, remplacé Salamine.

Alors, sous le consulat de Scipion, que son frère, ce Scipion l’Africain, naguère vainqueur de Carthage, voulut accompagner en qualité de lieutenant, on résolut d’achever la ruine d’Antiochus. Déjà, il est vrai, il nous avait abandonné toute la mer ; mais nos vues se portent plus loin. On campe près du fleuve Méandre et du mont Sypyle. Le roi s’y trouvait avec des forces prodigieuses, soit auxiliaires, soit nationales : trois cent mille hommes de pied et un nombre proportionné de cavaliers et de chars armés de faux. Des éléphants d’une grandeur monstrueuse, brillants d’or, de pourpre, d’argent et de l’éclat de leur ivoire, servaient comme de rempart aux ailes de son armée. Mais tout cet appareil s’embarrassait dans sa propre grandeur. D’ailleurs, une pluie, survenue tout à coup, par un bonheur singulier, avait détendu les arcs persans. D’abord l’épouvante et bientôt la fuite de l’ennemi assurèrent notre triomphe. Antiochus, vaincu et suppliant, obtint la paix et une partie de ses états ; on y consentit d’autant plus volontiers qu’il avait cédé plus facilement.

IX. — Guerre d’Étolie. — (An de R. 564). — A la guerre de Syrie succéda naturellement celle d’Etolie. En effet, après avoir vaincu Antiochus, Rome devait poursuivre ceux qui avaient allumé les feux de la guerre d’Asie. Fulvius Nobilior est chargé du soin de sa vengeance. Aussitôt, Ambracie, la capitale du pays, l’ancienne résidence de Pyrrhus, est ébranlée sous l’effort des machines ; elle se rend bientôt. Aux prières des Étoliens, Athènes et Rhodes joignent les leurs ; et, en mémoire de notre alliance avec eux, on consent à leur pardonner. La guerre s’étendit cependant plus loin et aux pays voisins. Céphalénie, Zacynthe et toutes les îles de cette mer, entre les monts Cérauniens et le cap Malée, furent l’accessoire de la guerre d’Étolie.

X. — Guerre d’Istrie. — (An de R. 575). — Après les Étoliens, Rome attaqua l’Istrie, qui les avait secourus dans la dernière guerre. Les commencements de celle-ci furent à l’avantage des ennemis ; mais ce succès même causa leur perte. Ils avaient pris le camp de Cnaeus Manlius ; ne s’attachant qu’à leur riche butin, la plupart d’entre eux, ivres de vin et de joie, s’oubliaient au milieu des festins, lorsqu’Appius Pulcher les surprit, et leur fit revomir, dans des flots de sang, une victoire mal assurée. Apulon[34], leur roi, jeté sur un cheval, avait la tête si appesantie, si troublée par les fumées du vin, qu’il chancelait à tout moment : après qu’il eut repris ses sens, il apprit, avec beaucoup de peine, qu’il était prisonnier.

XI. — Guerre contre les Gallo-Grecs. — (An de Rome 564). — Les Gallo-Grecs furent aussi enveloppés dans la ruine causée par la guerre de Syrie. Avaient-ils réellement secouru Antiochus ? ou Manlius, ambitionnant un triomphe, avait-il feint de les avoir vus dans l’armée de ce roi ? C’est ce qu’on ne sait pas. Quoi qu’il en soit, le vainqueur n’ayant point justifié des motifs de cette guerre, le triomphe lui fut refusé[35]. La nation des Gallo-Grecs, comme l’indique son nom même, était un reste mixte et abâtardi de ces Gaulois qui, sous la conduite de Brennus[36], avaient dévasté la Grèce, et qui bientôt, pénétrant dans l’Orient, s’étaient établis dans la partie centrale de l’Asie. Mais de même que les plantes dégénèrent en changeant de sol, ainsi la férocité naturelle de ces peuples s’était amollie dans les délices de l’Asie. Aussi furent-ils battus et mis en fuite dans deux batailles, bien qu’à l’approche de l’ennemi, ils eussent abandonné leurs demeures, et se fussent retirés sur de très hautes montagnes, qu’occupaient déjà les Tolistoboges, et les Tectosages[37]. Les uns et les autres, assaillis d’une grêle de pierres et de traits, furent en se rendant, condamnés à une éternelle paix. Ce ne fut que par une espèce de miracle qu’on les enchaîna : ils mordaient leurs fers, pour essayer de les rompre ; ils se présentaient mutuellement la gorge pour s’étrangler. La femme d’Orgiagonte[38], leur roi, victime de la brutalité d’un centurion, laissa un exemple mémorable : elle s’échappa de sa prison, coupa la tête du soldat et la porta à son époux.

XII. — Seconde guerre de Macédoine — (An de Rome 582 — 585). — Tandis que la guerre de Syrie entraînait la ruine de tant d’autres nations, la Macédoine se releva. Ce peuple vaillant tressaillait au souvenir de sa gloire passée ; et Persée, fils et successeur de Philippe, doutait, pour l’honneur de cette nation, qu’elle pût être vaincue pour toujours, ne l’ayant été qu’une seule fois. Les Macédoniens font, sous ce roi, un bien plus puissant effort que sous son père. Ils avaient en effet attiré les Thraces dans leur parti ; et l’habileté des Macédoniens trouvait ainsi un appui dans la vigueur des Thraces, comme la valeur farouche des Thraces, une règle dans la discipline des Macédoniens. A ces avantages venait se joindre la prudence du roi, qui, après avoir examiné, du sommet de l’Hémus (38), la situation de ses provinces, établit des camps dans les lieux escarpés et entoura la Macédoine d’une enceinte d’armes et de fer qui semblait ne laisser d’accès qu’à des ennemis descendus du ciel. Cependant, l’armée romaine, sous le consul Marcius Philippus, pénétra dans cette province, après avoir soigneusement exploré toutes ses avenues, suivi les bords du marais Ascuris, gravi des hauteurs escarpées et presque impraticables, qui paraissaient inaccessibles aux oiseaux mêmes. Le roi, qui, dans sa sécurité, croyait n’avoir rien de tel à craindre, fut épouvanté de cette soudaine irruption de notre armée, et son trouble fut tel, qu’il fit jeter à la mer tous ses trésors, pour que leur perte ne profitât pas à l’ennemi, et mettre le feu à sa flotte, de peur qu’il ne la brûlât.

Le consul Paul Émile[39], voyant qu’on avait augmenté la force et le nombre des garnisons, surprit la Macédoine par d’autres passages, à la faveur d’un artifice et du plus ingénieux stratagème : la menaçant d’un côté, il l’envahit d’un autre. Sou arrivée causa Persée une telle terreur que ce roi, n’osant combattre en personne, confia à ses généraux la conduite de la guerre. Vaincu en son absence, il s’enfuit sur les mers, et alla dans l’île de Samothrace[40], chercher un asile consacré par la religion, comme si les temples et les artels eussent pu défendre celui que n’avaient point protégé ses montagnes et ses armées.

Aucun roi ne conserva plus longtemps le sentiment de sa fortune passée. Réduit à supplier, si, du temple où il s’était réfugié, il écrivait au général romain, il ajoutait à son nom sur cette lettre le titre de roi ; personne aussi n’eut plus de respect que Paul Émile pour la majesté captive. Lorsque Persée parut en sa présence, il le conduisit dans sa tente, l’admit à sa table, et exhorta ses enfants à redouter la fortune si inconstante[41].

Le peuple romain mit au rang des plus beaux triomphes qu’il eût jamais vus celui de la Macédoine, dont le spectacle dura trois jours. Le premier jour, on porta par la ville les statues et les tableaux ; le second les armes et les trésors ; le troisième, parurent les captifs et le roi lui-même, encore étonné, frappé de stupeur comme par une catastrophe soudaine (39). Au reste, les Romains avaient goûté la joie de cette victoire longtemps avant l’arrivée des lettres du vainqueur. Le jour où Persée était défait en Macédoine, on le savait à Rome. Deux jeunes guerriers, montés sur des chevaux blancs, vinrent laver dans le lac de Juturne la poussière et le sang qui les couvraient[42]. Ce fut par eux qu’on apprit cette nouvelle. On crut généralement que c’étaient Castor et Pollux, car ils étaient deux ; qu’ils avaient pris part à la bataille, car ils étaient couverts de sang ; qu’ils arrivaient de Macédoine, car ils étaient encore tout haletants.

XIII. — Guerre d’Illyrie. — (An de R. 585). — La guerre de Macédoine se propagea jusque chez les Illyriens. Ces peuples avaient été soudoyés par le roi Persée pour harceler par derrière l’armée romaine. Ils furent promptement soumis par le préteur Anicius. Il lui suffit d’avoir détruit Scorda, leur capitale, pour les forcer à se rendre aussitôt. Enfin cette guerre était finie avant qu’on sût à Rome qu’elle était entreprise.

XIV. — Troisième guerre de Macédoine. — (An de Rome 604 - 605.) — Par une espèce de fatalité, par une sorte de convention arrêtée entre les Carthaginois et les Macédoniens pour se faire vaincre également trois fois, ces deux peuples reprirent en même temps les armes. Mais la Macédoine secoua le joug la première, et fut un peu plus difficile à réduire qu’auparavant, parce qu’on la méprisa.

La cause de cette guerre doit presque nous faire rougir. Un homme de la plus basse extraction, Andriscus avait pris à la fois la couronne et les armes. On ignore s’il était libre ou esclave ; mercenaire, il l’était certainement. Mais, comme sa ressemblance avec Philippe l’avait fait appeler Pseudophilippe, il rehaussa cette figure, et ce nom de roi par un courage vraiment royal. Le peuple romain, méprisant d’abord ses entreprises, se contenta d’envoyer contre lui le préteur Juvencius, et attaqua témérairement un homme appuyé par toutes les forces de la Macédoine, et par de puissants renforts de la Thrace. Rome, que de véritables rois n’avaient pu vaincre, fut donc vaincue par un monarque imaginaire, par un roi de théâtre. Mais le consul Métellus vengea complètement la perte du préteur et de sa légion. La Macédoine fut punie par la servitude ; quant à l’auteur de la guerre, livré par un petit toi de Thrace, auprès duquel il s’était réfugié, il fut amené à Rome, chargé de chaînes. Ainsi, dans ses malheurs, cet homme obtint de la fortune la faveur d’être, ainsi qu’un vrai roi, le sujet d’un triomphe pour le peuple romain.

XV. — Troisième guerre Punique. — (An de Rome 604 - 607). — La troisième guerre contre l’Afrique fut de courte durée, puisqu’on l’acheva en quatre ans ; et très peu pénible, en comparaison des deux premières, puisqu’on eut à combattre moins contre des hommes que contre des murs ; mais elle fut sans contredit la plus importante par son résultat, puisque Carthage finit avec elle. Si l’on veut déterminer le caractère de ces trois époques, on verra la guerre engagée dans la première, poussée avec vigueur dans la seconde, mais terminée dans la troisième.

Le motif de celle-ci fut que les Carthaginois, contre les clauses du traité, avaient une fois envoyé une flotte et une armée contre les Numides, et souvent menacé les frontières de Massinissa (40). Les Romains protégeaient ce roi, leur fidèle allié. La guerre était à peine résolue, qu’on délibéra sur les mesures qui devaient la suivre. Il faut détruire Carthage ! tel était l’arrêt que prononçait Caton dans sa haine implacable, lors même qu’on prenait son avis sur un autre sujet. Scipion Nasica voulait qu’on la conservât, de peur que, délivrée de la crainte d’une ville rivale, Rome ne se laissât corrompre par la prospérité (41). Le sénat prit un terme moyen ; ce fut d’ordonner que la ville changerait seulement de place. Rien, en effet, ne paraissait plus beau que de voir Carthage subsister et n’être pas à craindre.

Alors, sous le consulat de Manilius et de Censorinus, le peuple romain attaque Carthage. Sur quelque espérance de paix, elle livre volontairement sa flotte, et la voit incendier. On mande ensuite les principaux citoyens ; « il leur faut, s’ils veulent vivre, sortir de leur territoire » : tel est l’ordre qu’on leur donne. Cet arrêt barbare soulève tellement leur indignation qu’ils préfèrent recourir aux dernières extrémités. La douleur devient aussitôt publique ; l’on crie tout d’une voix aux armes, et l’on prend la résolution d’épuiser tous les moyens de défense : ce n’est pas qu’il reste encore aux Carthaginois quelque espoir de salut ; mais ils aiment mieux voir leur patrie détruite par les mains de l’ennemi que par les leurs. A quelle fureur les porte ce soulèvement ! On va le comprendre : pour la construction d’une nouvelle flotte, ils arrachent la charpente des toits et des maisons ; à défaut d’airain et de fer, ils forgent, dans les ateliers d’armes, l’or et l’argent ; pour faire les cordages des machines de guerre, les femmes coupent leurs cheveux.

Bientôt le consul Mancinus presse le siège par terre et par mer. Les ouvrages du port sont renversés ; le premier mur est emporté, puis le second, puis le troisième. Cependant la citadelle, nommée Byrsa[43], était comme une autre ville qui résistait encore. Quelque inévitable que fût la ruine de Carthage, le nom des Scipion, si fatal à l’Afrique, parut cependant nécessaire pour la consommer. La république jeta donc les yeux sur un second Scipion, et réclama de lui la fin de la guerre. Il devait le jour à Paul le Macédonique ; et le fils du grand Africain l’avait adopté pour la gloire de sa maison : le destin l’avait ainsi voulu, pour qu’une ville ébranlée par l’aïeul fût renversée par le petit-fils. Mais comme les morsures des bêtes aux abois sont d’ordinaire les plus dangereuses, Carthage, à demi détruite, coûta plus à dompter que Carthage encore entière. Après avoir poussé les ennemis dans la citadelle, leur seul refuge, les Romains bloquèrent le port de mer. Les assiégés en creusèrent un second d’un autre côté de la ville, non pour fuir, mais pour que personne ne doutât qu’ils eussent pu s’échapper par cet endroit. On en vit tout à coup sortir une flotte, qui semblait née par enchantement. Cependant, chaque jour, chaque nuit, apparaissaient des môles nouveaux, de nouvelles machines, de nouveaux corps d’hommes, que le désespoir poussait à la mort. Ainsi des cendres assoupies d’un embrasement jaillit une flamme soudaine. Se voyant enfin perdus, quarante mille Carthaginois se rendirent à discrétion, et, ce que l’on croira moins facilement, à leur tête était Asdrubal. Qu’une femme, l’épouse de ce général, montra bien plus de courage ! Prenant avec elle ses deux enfants, elle se précipita du comble de sa maison dans les flammes, imitant la reine qui fonda Carthage. On peut juger de la grandeur de cette ville par la seule durée de l’incendie : à peine, en effet, put-il être éteint après dix-sept jours de ravages continus. Les ennemis avaient eux-mêmes livré aux flammes leurs maisons et leurs temples. Ne pouvant arracher la ville aux Romains, ils voulaient au moins consumer leur triomphe (42).

XVI. — Guerre d’Achaïe. — (An de R. 607). — Comme si le cours de ce siècle eût été destiné à la destruction des villes, la ruine de Carthage fut immédiatement suivie de celle de Corinthe, la capitale de l’Achaïe, l’ornement de la Grèce, et qui semblait exposée en spectacle entre deux mers, celle d’Ionie et la mer Égée[44]. Les Romains, par un crime odieux, accablèrent cette ville avant de l’avoir déclarée leur ennemie. Critolaüs fut la cause de la guerre, en tournant contre eux la liberté qu’il leur devait. II outragea leurs ambassadeurs peut-être par des violences, mais certainement par ses discours.

Métellus, alors chargé spécialement de régler les affaires de la Macédoine, le fut aussi de la vengeance de Rome, et la guerre d’Achaïe commença. Dès la première rencontre, le consul Métellus[45] tailla en pièces les troupes de Critolaüs, dans les champs spacieux de l’Élide, tout le long des rives de l’Alphée[46]. Une seule bataille avait terminé la guerre, et déjà Corinthe redoutait un siège ; mais, ô caprice du sort ! Métellus avait combattu ; Mummius se présenta pour la victoire. Il battit entièrement Diéus, autre général des Corinthiens, à l’entrée même de l’isthme, et teignit de sang les deux ports. Abandonnée enfin de ses habitants, cette ville fut d’abord saccagée, ensuite rasée au son de la trompette. Que de statues, d’étoffes, de tableaux furent enlevés, brûlés, et dispersés ! On peut évaluer l’immensité des richesses livrées au pillage et aux flammes par tout ce qu’il y a aujourd’hui dans le monde de l’airain tant vanté de Corinthe, qui fut, dit-on, le résultat de cet incendie. En effet, le désastre d’une ville si opulente produisit une espèce d’airain d’une qualité supérieure ; métal formé du mélange de statues et de simulacres sans nombre, mis en fusion par le feu, et coulant en ruisseaux d’airain, d’or et d’argent (43).

XVII. — Expéditions d’Espagne. — (An de Rome 535 - 615.) Comme Corinthe avait suivi Carthage, ainsi Numance suivit Corinthe. Dès lors il n’y eut plus rien dans tout l’univers qui échappât à l’atteinte de nos armes. Après les incendies fameux de ces deux villes, la guerre se répandit au loin et de tous côtés, non plus par degrés, mais partout en même temps, comme si, du sein de ces villes, les vents déchaînés eussent dispersé dans tout l’univers le feu des combats.

Jamais l’Espagne n’eut la pensée de se lever en masse contre nous, jamais de mesurer ses forces avec les nôtres, ni de nous disputer l’empire, ni de défendre ouvertement sa liberté. Autrement, protégée par la mer et les Pyrénées, cette vaste enceinte de remparts, elle eût été inaccessible par le seul avantage de sa situation. Mais elle fut assaillie par les Romains avant de se connaître elle-même, et, la seule de toutes nos provinces, elle ne sentit ses forces qu’après avoir été vaincue. On s’y battit, pendant près de deux cents ans, depuis les premiers Scipion jusqu’à César Auguste, non pas sans interruption ni sans relâche, mais selon que les circonstances l’exigeaient ; et même, dans l’origine, ce n’étaient pas les Espagnols, mais les Carthaginois que l’on combattait en Espagne. De là cette suite de guerres, dont les causes naissaient l’une de l’autre.

Publius et Cnaeus Scipion portèrent les premiers au-delà des monts Pyrénées les enseignes romaines. Ils défirent dans de grandes batailles Hannon et Asdrubal, le frère d’Annibal, et ce coup allait livrer l’Espagne à ces grands capitaines, si, vainqueurs sur terre et sur mer, ils n’eussent succombé au milieu même de leur victoire, victimes de la ruse punique. Ce fut donc comme dans une province nouvelle et encore intacte qu’entra Scipion, qui, vengeur de son père et de son oncle, reçut bientôt après le nom d’Africain. II prend aussitôt Carthagène, avec d’autres villes ; et, non content d’avoir chassé les Carthaginois, il fait de l’Espagne notre tributaire, et soumet à l’empire tous les pays en-deçà et au-delà de l’Ebre. C’est le premier des généraux romains dont les armes victorieuses soient parvenues jusqu’à Gadès et aux rivages de l’Océan.

Il est plus difficile de conserver une province que de la conquérir. Aussi envoya-t-on des généraux dans les différentes parties de l’Espagne, contre des nations farouches, restées libres jusqu’à cette époque, et d’autant plus impatientes du joug ; et ce ne fut pas sans de longs travaux et de sanglants combats qu’on leur apprit à souffrir la servitude. Quelques combats de Caton, cet illustre censeur, abattirent, avec les Celtibères, la force de l’Espagne. Gracchus, père des Gracches, châtia les mêmes peuples par la destruction de cent cinquante de leurs villes. Le grand Métellus, qui au surnom de Macédonique eût mérité d’unir celui de Celtibérique, ajouta à l’avantage mémorable d’avoir pris Contrébie la gloire plus grande encore d’épargner Nertobrige. Lucullus soumit les Turdules[47] et les Vaccéens[48] ; Scipion le jeune, vainqueur dans un combat singulier auquel il avait provoqué leur roi, remporta sur eux des dépouilles opimes. Décimas Brutus, poussant encore plus loin ses conquêtes, dompta les Celtes[49], les Lusitaniens[50] et tous les peuples de la Galice ; il passa le fleuve de l’Oubli[51], si redouté des soldats, parcourut en vainqueur le rivage de l’Océan, et ne ramena ses légions qu’après avoir vu le soleil se plonger dans la mer et ensevelir ses feux sous les eaux ; spectacle qu’il ne put contempler sans craindre d’avoir commis un sacrilège ; et sans une religieuse horreur.

Mais toutes les difficultés de la guerre nous attendaient chez les Lusitaniens et chez les Numantins ; et cela devait être, car, des nations de l’Espagne, ils étaient les seuls qui eussent des généraux. Il en eût été de même de tous les Celtibères, si, dès le commencement de la guerre, n’eût péri le chef de leur révolte, Salondicus, qui alliait au plus haut degré la ruse et l’audace, et à qui le succès seul a manqué. Agitant dans sa main une lance d’argent, qu’il prétendait avoir reçue du ciel, il contrefaisait l’inspiré, et avait entraîné tous les esprits. Mais, par une témérité digne de lui, s’étant, à l’entrée de la nuit, approché du camp du consul, il fut percé d’un javelot par la sentinelle de garde près de la tente.

Cependant Viriathus releva le courage des Lusitaniens. Cet homme, d’une habileté profonde, qui de chasseur était devenu brigand, puis, tout d’un coup, de brigand capitaine et général d’armée, aurait été, si la fortune l’eût secondé, le Romulus de l’Espagne. Non content de, défendre la liberté de ses concitoyens, il porta, pendant quatorze ans, le fer et le feu dans tous les pays situés en-deçà et au-delà de l’Èbre et du Tage, attaqua même dans leur camp nos préteurs et nos gouverneurs, extermina presque entièrement l’armée de Claudius Unimanus, et possesseur de nos trabées et de nos faisceaux, il en érigea dans ses montagnes de superbes trophées. Le consul Fabius Maximus était enfin parvenu à l’accabler ; mais Servilius, son successeur, déshonora sa victoire. Impatient de terminer la guerre, et quoique Viriathus, abattu par ses revers, ne songeât plus qu’au parti extrême de se rendre, il eut recours à la ruse, à la trahison, au poignard de ses propres gardes ; et, par là, il procura à son ennemi la gloire de paraître n’avoir pu être vaincu autrement.

XVIII. — Guerre de Numance. — (An de Rome 612 - 620) — Numance[52], inférieure en richesses à Carthage, à Capoue, à Corinthe, les égalait cependant toutes trois en valeur et en renommée, et elle était, à en juger par ses guerriers, le principal ornement de l’Espagne. Sans murs, sans tours, située sur une éminence médiocrement élevée, près du fleuve Duérius[53], elle résista seule, pendant quatorze ans, avec quatre mille Celtibériens, à une armée de quarante mille hommes : et non seulement elle leur résista, mais elle leur porta des coups quelquefois terribles, et leur imposa de honteux traités. Enfin, comme elle paraissait invincible, il fallut recourir à celui qui avait détruit Carthage.

Jamais guerre, s’il est permis de l’avouer, n’eut une cause plus injuste. Les Numantins avaient accueilli les habitants de Sigida[54], leurs alliés et leurs parents, échappés à la poursuite des Romains. Ils avaient vainement intercédé en leur faveur ; et, quoiqu’ils se fussent tenus éloignés de toute participation aux guerres précédentes, il leur fut ordonné, et notre alliance était à ce prix, de poser les armes. Les Barbares reçurent cette injonction comme un ordre de se couper les mains. Aussitôt donc, sous la conduite de Mégara, homme intrépide, ils coururent aux armes et présentèrent la bataille à Pompéius. Pouvant l’accabler, ils aimèrent cependant mieux traiter avec lui. Ils attaquèrent ensuite Hostilius Mancinus, et lui firent aussi essuyer des défaites si sanglantes et si multipliées, qu’un Romain n’osait plus même soutenir les regards ni la voix d’un Numantin. Toutefois, ils préférèrent encore faire avec lui un traité, et se contentèrent de désarmer des troupes qu’ils pouvaient anéantir.

Mais, non moins indigné de l’ignominie éclatante de cet infâme traité de Numance que de celui de Caudium, le peuple romain expia l’opprobre de cette dernière lâcheté en livrant Mancinus aux Numantins ; puis il fit enfin éclater sa vengeance, sous la conduite de Scipion, que l’incendie de Carthage avait instruit à la destruction des villes. Mais alors ce général eut de plus rudes combats à livrer dans son propre camp que sur le champ de bataille, avec nos soldats qu’avec les Numantins. Il accabla ses troupes de travaux continuels, excessifs et serviles, les contraignit à porter une charge extraordinaire de pieux pour la construction des retranchements, puisqu’ils ne savaient pas porter leurs armes, et à se souiller de boue, puisqu’ils ne voulaient pas se couvrir du sang ennemi. De plus, il chassa les femmes perdues, les valets, et ne laissa de bagage que ce qui était d’un usage nécessaire. On a dit avec vérité : « Tant vaut le général, tant vaut l’armée. » Le soldat ainsi formé à la discipline, on livra bataille ; et, ce que personne n’avait jamais espéré de voir, chacun le vit alors, ce fut la fuite des Numantins. Ils voulaient même se rendre, si on leur eût fait des conditions supportables pour des hommes ; mais Scipion, voulant une victoire réelle et entière, les réduisit à la dernière extrémité. Dès lors ils résolurent de chercher, dans un dernier combat, une mort certaine, Mais, préludant à ce combat par une sorte de repas funèbre, ils s’étaient gorgés de viandes à demi crues et de célia[55]. Ils nomment ainsi une boisson de leur pays, qu’ils tirent du froment. Scipion pénétra leur dessein, et refusa le combat à des hommes qui ne voulaient que mourir. II les entoura d’un fossé, d’une palissade et de quatre camps. Pressés par la famine, ils supplièrent ce général de leur accorder la bataille et la mort qui convient à des guerriers. Ne l’ayant pas obtenu, ils arrêtèrent de tenter une sortie. Un grand nombre furent tués dans l’action qui s’engagea, et leurs compagnons affamés se nourrirent quelque temps de leurs cadavres. Ils formèrent enfin le projet de fuir ; mais leurs femmes leur ôtèrent cette dernière ressource en coupant les sangles des chevaux ; crime odieux commis par amour. Tout espoir leur étant donc ravi, ils s’abandonnèrent aux derniers excès de la fureur et de la rage, et se déterminèrent enfin à ce genre de mort : eux, leurs chefs et leur patrie, périrent par le fer, par le poison et par le feu qu’ils avaient mis partout.

Gloire à cette cité si courageuse, si heureuse, à mon sens, au milieu même de ses malheurs ! Elle défendit avec fidélité ses alliés ; elle résista pendant une longue suite d’années, avec une poignée d’habitants, à un peuple qui disposait des forces de l’univers. Accablée enfin par le plus grand des généraux, cette cité ne laissa à son ennemi aucun sujet de joie. Il n’y eut pas un seul Numantin qu’on pût emmener chargé de chaînes[56]. Point de butin ; car les vaincus étaient pauvres, et avaient eux-mêmes brûlé leurs armes. Rome ne triompha que d’un nom.

XIX. Jusqu’ici le peuple romain s’était montré beau, magnanime, pieux, juste et magnifique : le siècle qui reste à parcourir offre un spectacle également imposant ; mais aussi plus de troubles et de forfaits ; et les vices croissent avec la grandeur même de l’empire. Si l’on fait deux parts de son troisième âge, époque de ses guerres au-delà des mers, et qui comprend, dans mon calcul, un intervalle de deux cents ans, il faudra nécessairement avouer que les cent premières années, pendant lesquelles il a dompté l’Afrique, la Sicile et l’Espagne, ont été pour lui le siècle d’or, pour parler le langage des poètes ; et que les cent années qui suivirent furent véritablement un siècle de fer, de sang, et, s’il est possible, de pire. En effet, aux guerres de Jugurtha, des Cimbres, de Mithridate, des Parthes, des Gaulois et des Germains, qui firent monter notre gloire jusqu’au ciel même, se mêlent les meurtres des Gracches et de Drusus, puis la guerre des esclaves, et, pour comble de honte, celle des gladiateurs. Rome enfin tourne ses armes contre elle-même ; et, par les mains de Marius et de Sylla, bientôt après par celles de Pompée et de César, elle déchire son propre sein, comme dans le délire d’une fureur criminelle.

Bien que tous ces événements soient liés et confondus ensemble, il faudra cependant, pour qu’ils ressortent mieux, et en même temps pour que les vertus ne soient pas effacées par les crimes, les exposer séparément ; et d’abord, selon notre plan, nous retracerons ces guerres justes et légitimes que Rome a faites aux nations étrangères. Elles nous montreront l’accroissement successif de la grandeur de l’empire ; ensuite nous reviendrons aux crimes de nos troubles civils, à ces combats honteux et sacriléges.



LIVRE TROISIÈME.

I. — Guerre d’Asie. — (An de Rome 622-623. — Vainqueur de l’Espagne en Occident, le peuple romain était en paix avec l’Orient. Bien plus, par un bonheur inouï et sans exemple, des richesses royales, et en même temps des royaumes entiers lui étaient laissés en héritage.

Attale, roi de Pergame, fils du roi Eumènes, autrefois notre allié et notre compagnon d’armes, laissa ce testament : « J’institue le peuple romain héritier de mes biens. » Dans les biens du roi était compris son royaume. Le peuple romain avait donc recueilli l’héritage, et possédait cette province, non par le droit de la guerre, ni par la force des armes, mais, ce qui est plus légitime, en vertu d’un testament. Il la perdit cependant, et la recouvra avec une égale facilité. Aristonicus, prince du sang royal, jeune homme entreprenant, gagna aisément la plupart des villes accoutumées à obéir à des rois : il réduisit par la force le petit nombre de celles qui lui resistèrent, Minde[57], Samos[58], Colophon[59]. Il tailla en pièces l’armée du préteur

  1. Située à l’orient de Carthage, et peu distante du cap Hermée, aujourd’hui cap Bon.
  2. V. Cic. De Nat. Deor. ii. ed. Val. Max. l. I, c. 4 § 3.
  3. Petite île entre la Sicile et l’Afrique.
  4. Trois îles dans la mer de Sicile, près du cap de Lilybée ; on les appela Ave à cause du traité que les Romains y firent avec les Carthaginois, les uns prenant à témoin Jupiter Capitolin, les autres Jupiter Lybien. Ce son aujourd’hui Santo-Levenzo, Maetame, Fovorgnana.
  5. Le Var, qui donne aujourd’hui son nom à un département de la France, séparant de la Gaule appelée Narbonaise, sur la Ligurie, qui répond au pays de Gênes.
  6. La Marcra formailt la limite entre la Gaule Cisalpine, dont la Ligurie faisait partie, et le reste de l’Italie.
  7. Près de Télamone, petit port de l’Étrurie, l’an de R. 529.
  8. Ils l’appelaient Héssu V. Caes de Bell Gall l. VI, c. 17. Tacite l. IV, c. 64.
  9. Appelé Vicdumare par d’autres historiens.
  10. V. Virgile, Ænédi, l. VI, v. 819.
  11. L’Illyrie, qui répond à une partie de la Croatie, à la Molapie, à la Dalmatie et à l aBosnie, s’étendait depuis l’Istrie et le Norcum, au nord, jusqu’à l’Epire au mide. La Libounie, première province dlyrienne, soumise aux Romains, était comprise entre l’Istrie au nord et la Dalmatie au sud.
  12. V. Polyb, l. II, Justin Proleg. 28.
  13. La Sardaigne, la Corse.
  14. V. Silius Italicus, l. I, v. 81-119
  15. Dans la Tarraconaise : on en voit encore les ruines près de Murviedro (roy. de Valence).
  16. Le plus grand fleuve de l’Italie : il sort du lint Viso, coupe la haute Italie dans toute sa longueur, et va se jeter au fond de la mer Adriatique.
  17. Il a sa source dans les Alpes Pennines, traverse le lac Majeur, et se jette dans le Pô.
  18. Près de la ville de Ticiuulm, depuis Palppa, et aujourd’hui Pavie.
  19. Petite rivière de la Gaule Cispalpine, qui se jette le Po.
  20. Rivière d’Aphale.
  21. Maharbal, et non Adherbal. V. Tite-Live, , l. XXII, c. 51.
  22. Ornement que portaient les fils des sénateurs.
  23. Ville voisine de Naples.
  24. V. Polyb, l. viii, c. 3 ; Tite-Live, l. xxiv, c. 33, 34, Plut. in Marcella.
  25. Située dans l’île d’Ortygie. V. Virg. eglog. X. et Ovid. Métam. l. v.
  26. Elles formaient une chaîne coupant en deux la Sardaigne, et étaient aussi appelées, soit parce qu’on ne croyait pas possible de les franchir, soit parceque leurs sommets semblaient braver le ciel.
  27. Carthagène, qui porte aujourd’hui le même nom, dans le royaume de Valence.
  28. Sil. Ital. l. ii, v. 247.
  29. V. Tite-Live, l. xxx, c. 30. Plutar., in Scip. vit. Sil. Italic, l. xvii
  30. Ville de la Mysie, dans l’Asie Mineure.
  31. Têtes de chiens parce que ce lien, situé en Thessalie, non loin de Pharsale, est tout hérissé d’éminences qui présentent au loin cette apparence.
  32. Ils étaient triennaux.
  33. En Eolie. V. Cicer. de Divin. l i, c. 43 : il parle ainsi de ce prodige.
  34. Œpulon selon Tite-Live.
  35. Les fastes capitolins témoignent qu’on le lui accorda : Tite-Live dit que ce ne fut qu’après de longs débuts.
  36. V. dans ce volume, p. 352, la note 6 du 1er livre des commentaires sur la guerre des Gaules.
  37. Tite-Live y ajoute les Trocnes.
  38. Tite-Live l’appelle Oragonte.
  39. Fils de celui qui fut tué à Cannes.
  40. Au nord de la mer Égée, vis-à-vis les rivages de la Thrace.
  41. V. Tite-Live, l. 43, c. 8.
  42. V. Val. Max. l. 1. c. 8. § 1.
  43. Du mot grec (cuir, peau). Car hage ayant été, dit-on contruite sur un emplacemement contenant l’espace que pouvait embrasser une peau de bœuf coupée en lanières (V. Virg Æn. l. 1.) D’autres le font venir qui signifie citadelle en langue punique. V. Appian im Libye. l. 17.
  44. V. Pline, l. 4, c. 4.
  45. Il était préteur, et non consult.
  46. La bataille ne se donne point en Elude, mais auprès de Scarphée, bourg de la Lorde, sur la frontière de Thessalie.
  47. Peuples de la Lusitanie, habitant les rives du Tage.
  48. Ils occupaient une partie du royaume de Léon.
  49. Ils étaient établis à l’embouchure du Tage.
  50. La Lusitanie répond au Portugal et la partie occidentale du royaume de Léon et de l’Etranscalure portugaise.
  51. Il est appelé Limia par Pomponius Méla, et Léthé par Strabon.
  52. On voit encore les ruines de cette ville, dans la vieille Castille, non de loin de Soria.
  53. Le Douro.
  54. Ville voisine de Numance.
  55. C’était une espèce de bière. V. Plin. l. 14. c. 22 ; Tacit. de Mor. Germ. c. 25.
  56. Les Romains en virent cependant cinquante accompagner le char triomphal de Scipion.
  57. Ville de Carie.
  58. Ile de la mer Egée.
  59. Ville d’Ionie, un peu au nord d’Ephèse.