Alector/Chapitre 14

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Alton (p. 149-159).

De la prevision du Cataclysme et du Hippopotame Cheval fluvial, sur lequel le Franc-Gal surmonta les eaux, d’ond il fut surnommé Gal, et de la cognoissance qu’il eut avec Priscaraxe, femme serpentine. Chapitre XIIII.


Car un jour, en elevant mon cierge vers le Ciel, je vi une exorbitation de la huyctieme Sphere de l’Occident en l’Orient, et au contraire de l’Orient en l’Occident, se approchant et recullant au dessus du centre du Mouton et de la Balance, non en estendue du droict cours en longueur, mais du mouvement exorbitant en hauteur et largeur, par equation de l’approchement et recullement, faisant deux petitz cercles d’exorbitance, d’ond après que par longue progression de temps ce mouvement exorbitant fut parvenu au poinct du petit cercle, son zenith estant regardé du signe des Poissons et de Aquarius, de l’astre de Orion et des Hyades, alors je cogneu et previ que Cataclysme d’inondation seroit bien tost. Parquoy, pour tous perilz avenir, je prins au grand fleuve du Nil en Aegypte un jeune Hippopotame – c’est un cheval fluvial –, ayant teste et corps chevallin, mais sans comparaison plus grand et puissant, et plus ventru que le terrestre ; jambes de mesme, excepté que les piedz finissoient en larges et plates cartilages, dilatées par pinnes fortes et roides, à la façon d’un pied d’oie, pour mieux nager ; et n’avoit pas seullement quatre piedz, comme le cheval terrestre, mais plusieurs et en grand nombre, d’ond il fendoit les ondes et nageoit comme un dauphin. Quand à la queüe, il l’avoit grosse et longue et esquailleuse comme un grand poisson, plate en sa derniere latitude, de laquelle il battoit les eaux et se contournoit tresadroict en quelque costé qu’on vouloit, par le mouvement d’icelle. La teste avoit elevée, forte et puissante, portant en gueulle quatre grandz dens croches et trenchantes. Ce cheval Hippopotame, tel que l’ay figuré et que le pourras encore veoir à ce prochain port, où je l’ay laissé avec mes gens (car il est si grand et fort qu’il est bastant à porter aisement plusieurs personnes et autres animaux), combien que ce soit une tresmeschante et dangereuse beste, mesmement quand il a trop beu, neantmoins je le maniay et domptay si bien que je le rendi chevauchable par toutes eaux et par toutes mers. Puys après je le armay et barday de toutes pieces et harnois convenables. Oultre ce, par un certain art d’ond j’ay le savoir et l’experience, je luy ouvry les costes et luy plantay de grandes ailes, avec l’ayde desquelles, quand il les a estendues au vent, il va plus viste sur les eaux que ne font les oyseaux par l’air. Ayant ainsi preparé ce grand Hippopotame pour m’en servir au besoin, un jour, elevant mon luminaire, j’apperceu les cataractes du Ciel jà estre ouvertes, l’Urne d’Aquarius renversée, le signe des Poissons en exaltation, Orion à son espée, fendant les nues, les Pourceletes tressuantes, et oy derriere moy bruyre les abysmes ouvers et les mers desbondées. À ce grand bruyt revirant la teste, je vi un grand et merveilleux torrent d’infinies eaux venant impetueusement tomber sur le region et la voie par laquelle je cheminois, et envelopper dans les ondes tous les viateurs peregrinants en celle voie, en estaignant leurs cierges et leurs vies. Parquoy, le plus promptement qu’il me fut possible, je prins provision de vivres suffisante à quelques jours pour moy et aucuns des miens, qui furent les plus habiles à monter avec moy sur mon Hippopotame, par la prediction que je leur annonçay du torrent que je voioie venir, d’ond les uns me creurent et gaignarent les montaignes, les autres non, et se trouvarent enclos dans les flotz. Je ne fu pas si tost monté que mon Hippoptame se trouva elevé sur les eaux qui avoient couvert toute la face de celle terre et suffocqué tous les animaux de la plaine. Adonc commença mon cheval marin à nager, à ses piedz platz, et à estendre ses ailes, lesquelles ayant prins air et vent, nous transporta en diverses contrées et regions à l’arbitre des vens, des ondes et du cheval, à la grande merveille des peuples qui avoient gaigné les cruppes steriles des plus hautes montaignes, du faist desquelles nous regardans ainsi aller à cheval sur la hauteur des eaux, ilz en estoient tous esbahiz, comme de chose qui jamais auparavant n’avoit esté veüe. Parquoy, de la merveille qu’ilz en avoient, ilz nous escrioient de tous costez à plusieurs et haultes voix GAL, GAL, GAL, qui en leur langage Araméen est à dire Surmontant les eaux, par admiration de ce que ilz me voioient grand et puissant, hautement monté à cheval sur les profondes eaux comme sur la terre ferme. Et les allans visiter, pource que j’en trouvoie la plus grande part despourveuz de vivres et affamez sur ces steriles cruppes de chauves montaignes, je leur distribuoie partie des biens d’ond nous avions faict provision, et mesmement de vin, d’ond j’avoie bonne fourniture, j’en secouroie les defaillans pour leur faire revenir le coeur, car il n’y a rien qui plustost remplisse l’extreme faim que la liqueur du vin. Et pour autant que je leur en administroie liberalement (ce que soit dict sans vantance ne reproche), ilz me baillarent tiltre de FRANC, qui en langage Celtique est à dire Liberal et Hardi, tellement que depuys le nom de FRANC-GAL m’en est demouré. Avois tu donc (dist l’Archier) quelque autre nom paravant, ô Franc-Gal ? Oy (fist il), mon propre nom estoit DYSIR. Mais depuis, j’ay tousjours esté appellé FRANC-GAL, et l’appellation ne m’en desplaict pas. Or me dy, Franc-Gal (feit l’Archier), comment te peut porter ton Hippopotame tant de jours sans se lasser ou sans se plonger en mer et te noyer, toy et tes gens ? Pource (respondit le Gal) que sa est telle que tandis qu’il a l’air et le vent second aux ailes, et les piedz en l’eau, il se maintient en sa vigueur et acquiert de plus en plus force et legiereté, ne craignant que le feu et les coups de pierre. Et n’est jamais perilleux ne dangereux, sinon quand il boit trop. Parquoy ma souveraine cure a tousjours esté de le garder de son contraire element, le feu, et des pierres, et de trop boire. Au demourant, il est de la nature du Cameleon, vivant de l’air et de son element aquatique, et si paisible que, quand nous avons prins terre, qu’il a retiré ses piedz et abaissé ses ailes, il demeure quoy, sans ruer ne mordre, et d’aussi paisible arrest comme il est de terrible legiereté et dangereux accrochement quand il a les piedz estendu en l’eau et les ailes au vent, et les dens crochues hors la gueulle. Velà quel est mon cheval Hippopotame nommé Durat, sur lequel je surmontay les eaux, d’ond le nom de Gal me fut imposé. Après donc que l’inondation de ce grand torrent fut escoullée et le Cataclysme eut prins fin, las de chevaucher les poissons, je vins un jour à prendre terre en la Region de Scythie dicte Tartarie orientalle, où, ayant recréé mes espritz pour le sentiment de la nouvelle terre nouvellement descouverte et ayant refaict mon corps de viande et de vin, me sentant las du travail et batu des continuelles pluyes, je me couchay en terre sur six peaux de Lyon ensemble appoinctées, d’ond pour lors j’estoie affublé contre les orages, et là je m’endormi en profond sommeil, durant lequel me vint une telle vision, que devant moy croissoit une tresbelle plante d’une fleur de double Solsie, qu’on appelle l’Amie du Soleil, laquelle sembloit totallement s’encliner vers moy jusques à me aherdre aux jambes. Parquoy, voyant celle tant belle fleur double vers moy s’enclinant, desir me print de la cueillir, voire avec tout son tige et sa racine ; et pource, avec ma dague je fouillay et deschaussay celle belle plante ; mais soubz la racine je trouvay un oeuf de serpent, duquel froissé sortit un poullet Basilisc, dict coquatrix, qui incontinent print plume et devint grand, et s’en vola emportant mon coeur avec soy, qu’il m’avoit tiré du corps, d’ond de frayeur je m’esveillay en sursault, et me senti estroitement embracé et serré corps et jambes par quelque se jectant sur moy. Adonc j’apperceu que c’estoit une jeune pucelle toute nue, de haulteur, grandeur et prestance de corps surmontant la commune, et d’excellente beauté de face, à cheveux clairdorez et rutilans comme raiz solaires ; la face blanche et polie et de beaux traictz, coulourée d’un vermeil tel que l’aube du jour ; les yeux rians et attractifz, survoultez de deux petitz sourcilz bruns ; le col droict et bien torné, la poictrine large et hault elevée, avec deux tetins rondz et incarnez ; les reins larges, le ventre coquillé blanc et poly, et le dessoubz refaict, vermeillant et surdoré ; mais au dessoubz, au lieu de cuysses, jambes et piedz, elle finissoit en une grosse et longue queüe serpentine rayée de diverses couleurs comme d’esmail reluisantes, de laquelle s’entortilloit et se enlaçoit entre mes jambes, et de ses beaux bras nudz, blancz et charnuz m’embraçoit par le col et par le corps si estroitement, en me baisant, que je ne m’en povoie bonnement depescher sans faire violence à une tant belle creature, comme je la voioie en apparence de la partie superieure, et qui tant amoureusement me baisoit, ce que me retiroit de luy faire repulse outrageuse. Mais d’autre-part, celle queüe serpentine d’ond je me sentoie enlacer me donnoit frayeur hideuse et abomination de creature ainsi monstrueuse. Parquoy, doucement me defaisant de ses embracemens et enlacemens, et la prenant par la main, je luy demanday qui elle estoit et qu’elle me vouloit. Je suys (respondit la pucelle bien gracieusement) Fille de Phoebus et de Rhea, créée nagueres en ce mesme lieu par la vertu du Soleil eschaufant la terre encore limonneuse de la recente inondation, et animée d’un bon esprit aitherin qui dès la premiere information a rendu mon essence parfaicte, excepté que, pour autant que le Soleil et l’homme engendrent l’homme en sa propre et entiere forme humaine, et que je ne suys engendrée de semence d’homme, ains seullement du Soleil et de l’humeur terrestre par le Soleil eschauffée, je n’ay peu avoir que la superieure partie de forme humaine, et l’inferieure telle que la terre l’a peu former en volume de serpent, non toutesfois veneneuse (jasoit que l’on die que à la queüe gist le venin), mais de bonne nature et non nuisible, comme le cognoistrez. Mon nom est escript sur mon bras dextre, lequel je ne say et ne le doy savoir que par vous. Car pour vous et pour de vous concevoir fruyct, suys je nouvellement mise au monde. Je, entendant telz propos, regarday sur son bras droict, où je apperceu la peau en certains lieux dorée comme la cuysse de Pythagoras, en figure de lettres Persiques, notantes ce nom PRISCARAXE, duquel nom bien entendant la bonne signifiance, et considerant ceste tant belle et gracieuse creature (jasoit que monstrueuse, mais pour bonne cause), je luy dis en telle sorte : Mamie Priscaraxe (car tel est escript vostre nom et vous en souvienne), je cognoy maintenant que à bon heur je vous ay icy rencontrée, et ce bon heur je ne vueil pas refuser et pource, pour la singuliere beauté et bonne grace que j’ay trouvée en vostre hautaine part, sans desdain de la basse et terrestre serpentine non veneneuse, je vous accepte pour mienne et vueil estre entierement vostre. Ce disant, l’embraçay et baisay amoureusement sans nulle resistance, en me joignant à elle de tout le corps depuys la bouche jusques à la porte de nature, qu’elle avoit entierement feminine, belle, delectable et plaisante. Car là finissoit sa forme humaine et commençoit la serpentine, de laquelle neantmoins par douceur de volupté elle me lioit les jambes et me serroit à elle si estroictement que bien monstroit desirer la conjonction estre inseparable. Et de ma part, je y trouvay tant de grace et de venuste delectation que je demouray avec elle en ces plaisirs l’espace de trente deux jours, jusques à ce qu’elle se sentit avoir conceu et estre enceinte d’enfant, qui estoit son souverain desir.