Amours et Haines (1869)/Le Berceau
LE BERCEAU.
Dans la moire et le satin
(L’enfant vient de naître)
Il est couché ce matin,
Le cher petit être.
Chacun accourt, et, tremblant,
Sur le lit se penche,
Pour voir dans son écrin blanc
Cette perle blanche.
Chacun soulève à demi
Les fines dentelles,
Pour voir cet ange endormi
Qui n’a plus ses ailes,
Pour voir ces nids à baisers,
Sa main délicate,
Et ses petits pieds rosés
Aux ongles d’agate.
Blanc comme une hostie, et pur
Comme une prière,
On voit encor de l’azur
Luire en sa paupière ;
Son œil est vierge du jour,
Son cœur, de souffrance ;
Hier pour lui c’est l’amour,
Demain, l’espérance.
Il est comme sont les fleurs,
Parfum et mystère ;
À peine si par ses pleurs
Il tient à la terre !
Que faut-il pour l’apaiser ?
Un mot, s’il soupire ;
S’il se réveille, un baiser ;
S’il dort, un sourire.
Il dit déjà, savez-vous ?
Mille et mille choses,
Rien qu’avec le souffle doux
De ses lèvres roses.
C’est un langage charmant,
Fait de mots étranges,
Que comprennent seulement
Sa mère — et les anges.
Bonjour, petit nous si cher,
Rayon de ma flamme !
Ô baiser qui s’est fait chair !
Bonjour, petite âme.
L’espoir t’appelle avenir,
C’est un gai baptême ;
Mais ton nom est souvenir,
C’est pourquoi je t’aime.
Ah ! cher tyran, quel qu’il soit,
Le nom qui te nomme,
Déjà l’on souffre pour toi…
Tu seras un homme.
Qu’importe, ô mon doux vainqueur ?
Va, fais ton office…
La gourmandise du cœur,
C’est le sacrifice !