Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, I/I/6

La bibliothèque libre.
Bossard (I. Les Précurseurs de Nietzschep. 111-152).
CHAPITRE VI


SCHOPENHAUER



Le maître vrai de Nietzsche a dû être Schopenhauer, parce qu’en lui s’était faite cette synthèse de l’esprit romantique et de l’esprit gœthéen, qui sera le point de départ de Nietzsche. Tout le sens plastique acquis par l’humanisme allemand au contact des Grecs, et le sentiment romantique du mystère qui rôde dans la nature ; l’art d’analyser les procédés de l’esprit et de les réduire à un petit nombre de structures mentales foncières, et l’art opposé de retrouver sous les habitudes de pensée la vie fluide et continue de l’âme, symbolisée par la musique, voilà la quadruple conquête de la culture allemande à la fin du xviiie siècle. Schopenhauer la résume, Nietzsche l’a compris profondément. À l’époque où il met en garde son ami Paul Deussen contre la manie de faire ressortir seulement dans un système « les tares, les démonstrations manquées, les gaucheries tactiques », il a noté depuis longtemps dans ses carnets secrets les sophismes et les partis-pris les plus choquants de son devancier[1].

« Chez presque tous les philosophes, il y a peu de rigueur, il y a de l’injustice dans leur façon d’utiliser et de combattre leur devancier. Ils n’ont pas appris à lire et à interpréter comme il faut[2]. »

Nietzsche a tâché d’être un interprète rigoureux et un adversaire loyal. Mais il n’a jamais été serf de la pensée schopenhauérienne. Il a reçu de Schopenhauer une commotion puissante. Par Schopenhauer l’esprit philosophique a passé en lui. C’est dire que Schopenhauer lui a appris d’abord le Selbstdenken la pensée spontanée, autocratique, et qui n’admet pas d’autorité au-dessus d’elle[3]. Jeune, il a gardé de lui les linéaments généraux du système, en lui contestant les idées de détail[4]. Avec la maturité, il a reconnu que le fort de Schopenhauer consistait dans son expérience de moraliste. Il a admiré la richesse de cette observation touffue et ingénieuse, mais il n’a plus admis l’attitude générale de sa philosophie.

I. L’irrationalisme schopenhauérien. — Toute la doctrine de Schopenhauer tient dans le rapport qu’elle suppose entre la connaissance rationnelle et la connaissance irrationnelle[5]. Schopenhauer essaie de reprendre avec la dernière rigueur la pensée relativiste de Kant ; mais c’est pour s’en mieux affranchir. Kant dépassait la connaissance des purs phénomènes par un acte de foi morale. Schopenhauer a découvert cette issue nouvelle : La connaissance rationnelle, selon lui, suppose l’irrationnel comme une de ses conditions, et il faut tâcher de nous le figurer. C’est une méthode que Nietzsche lui accorde. Les deux philosophes diffèrent sur les moyens d’appliquer cette méthode. Ils ne comprennent pas de même les rapports qui subsistent entre la connaissance du rationnel et celle de l’irrationnel.

Le point de départ reste kantien pour Schopenhauer et pour Nietzsche. Le monde n’existe pour nous que dans la représentation que nous en avons. Il se projette pour nous sur l’écran intérieur de la conscience. Il se construit dans le temps et dans l’espace selon les lois de la causalité. Or, ni le temps ni l’espace n’existent en eux-mêmes, ni la loi de la causalité n’existe ailleurs que dans la pensée qui joint les représentations successives et simultanées. Il est possible de créer l’ordre rationnel dans les images qui fourmillent sous notre regard intérieur ; mais c’est au détriment de la valeur absolue de la connaissance. Il y a séparation rigoureuse entre le monde de notre savoir et le monde des réalités. Ce que nous savons n’est pas réel ; et la réalité, s’il y en a une par delà les phénomènes, n’est pas connaissable par l’entendement.

Il faut, avant de définir le lien entre Schopenhauer et Nietzsche, essayer de classer nettement les principales structures d’esprit métaphysique. De certains esprits sont disposés à se représenter la substance de l’être comme présente en tous les points de l’existence phénoménale. Ils jugent qu’elle y est saisie avec évidence, et touchée par la pensée en chacun de ces points. Spinoza est un tel esprit. Kant et Fichte au contraire se refusent à soulever la mince pellicule des faits que recueille notre sensibilité et qu’elle dispose comme sur le réseau quadrillé des formes préjudicielles de la connaissance. Où ranger Schopenhauer ? Il se rebiffe contre l’idée de l’absolu. Et pourtant, dans son système, la surface de la représentation phénoménale n’est-elle pas bossuée comme de réalités massives que notre connaissance sent présentes sous ce voile imagé à mesure qu’elle le parcourt des yeux et de la main ? Schopenhauer, de la sorte, prend place entre les deux catégories d’esprits. Il croit bornée au monde des phénomènes toute connaissance intellectuelle. Pourtant, à travers une épaisseur mince et mobile de faits perceptibles, il prétend toucher la réalité en soi, par une connaissance irrationnelle. Sa logique serait sans défauts, si l’on ne pouvait concevoir une quatrième forme de pensée : le phénoménisme pur.

Nietzsche, avec Gœthe, appartient à ce quatrième type d’esprits, qui disent : Natur hat weder Kern noch Schale. La réalité intégrale de l’univers se réduit à une immense trame de phénomènes. L’effort de la pensée se propose de dégager les grands phénomènes primitifs et généraux (Urphænomene) des phénomènes secondaires. Mais cette distinction entre les phénomènes crée entre eux une hiérarchie, et n’établit pas une différence de nature. La pensée, qui a l’intuition des Urphænomene est bornée par eux. C’est une pensée irrationnelle en son essence, puisqu’elle pose et voit des faits irréductibles. Elle se crée une raison par adaptation. La raison est la faculté d’apercevoir le lien entre ce qui est fondamental et durable, et ce qui est superficiel et passager. Cette faculté aurait pu ne pas naître ; elle est le produit fortuit d’une sélection qui aurait pu ne pas aboutir. Or, en introduisant l’idée de sélection, Nietzsche mène le système de Schopenhauer à sa ruine. Il ne voit pas tout de suite jusqu’où ira cette lézarde qui mine l’édifice. Mais il l’a nettement aperçue.

Les faits par lesquels Schopenhauer croyait pouvoir se frayer une issue sur la réalité en soi étaient les suivants[6] :

1o  La connaissance rationnelle qui se déplace en tout sens, en suivant l’enchaînement des causes et des effets, est un instrument inerte, si rien ne le meut. L’intelligence retombe dans la torpeur, dès que s’éteint la curiosité qui la pousse, et qui, elle, n’a rien d’intellectuel. Tout objet est saisi d’abord comme un mobile, qui éveille un intérêt passionné, c’est-à-dire qu’il s’adresse à notre vouloir. Et même la connaissance rationnelle, qui va de rapport en rapport, ne se mettrait pas en mouvement, si elle n’était poussée par la volonté.

2o  Parmi les groupes de phénomènes que nous observons, il y en a un qui nous attache d’un intérêt particulier : c’est notre corps. Ce qui s’y passe ne s’écoule pas sous notre regard, comme une fuite quelconque de faits liés par le lien de causalité. Nous avons de lui un vivant sentiment. Nous affirmons avec certitude que ses mouvements ne sont pas simplement accompagnés d’une conscience qui en serait le témoin impuissant et trompé. Quand nous voulons ces mouvements avec conscience, nous sommes sûrs de les produire. Voilà le fait philosophique par excellence. Il y a une série de phénomènes que nous n’apercevons pas seulement du dehors, dans l’espace et dans le temps où ils s’enchaînent, mais du dedans, et par la puissance vivante qui les meut, et qui est un vouloir. Par extension, nous conclurons que non seulement les mouvements réflexes, mais ceux qui sont tout à fait inconscients, sont, eux aussi, dus à une volonté, bien qu’elle ne se connaisse pas. Nous posons dès lors cette affirmation : toute représentation n’est que la face externe d’un fait plus profond qui est un vouloir. Une intuition immédiate a déposé au fond de nous cette connaissance irrationnelle, et en la généralisant nous obtenons la loi de l’être[7]. Le monde est représentation et volonté.

Nietzsche est saisi fortement de cette pensée. Il ne lui parait pas certain pourtant qu’elle remplisse l’office pour lequel elle a été créée. Il faut une communication entre le phénomène et la chose en soi, entre l’intelligence et la cause de l’intelligence. Il n’est pas sûr que dans le système de Schopenhauer l’intelligence soit encore explicable. L’intelligence suppose un organisme. Elle naît dans un cerveau. Brusquement elle déploie devant nous notre image du monde. Mais qu’y avait-il donc, quand il n’y avait pas encore d’intelligence ? N’y avait-il pas d’univers ? Les grands phénomènes géologiques antérieurs à l’apparition de la vie n’existaient-ils pas, quand il n’y avait pas de perception vivante pour en reconstruire l’image ? Si leur existence est une hypothèse, comment de l’hypothétique a-t-il pu sortir tout à coup du réel et du nécessaire ? Car l’intelligence se représente comme réelle et nécessaire toute la série des faits qui ont engendré l’univers tel qu’il nous apparaît.

Ce sont les objections que, dans ses notes, Nietzsche fait au système dès 1867[8]. Elles portent contre toute doctrine idéaliste. Les conditions de temps n’ont de réalité, pour l’idéalisme, qu’à l’intérieur de l’intelligence. Le passé est reconstruit dans cette lumière ; mais il n’existe pas, si elle ne vient pas en dessiner les contours. En quelles ténèbres s’abîme donc le temps écoulé et tout son contenu, puisque la pensée considère le passé comme la cause de ce qui est, et que cependant ce passé semble n’exister que dans la pensée présente ? C’est que peut-être l’intelligence actuelle doit être envisagée dans tout son passé. Elle est née par degrés. Ce sera la principale nouveauté que Nietzsche introduira dans l’idéalisme schopenhauérien. Dans tout le premier livre de Die Welt als Wille und Vorstellung, Schopenhauer demeure au point de vue de Kant. Il ne sait rien de la psychologie nouvelle des perceptions. L’histoire des idées abstraites et générales lui est inconnue. Nietzsche devra tout d’abord reprendre cette filiation rationnelle des faits de l’esprit. Sa préoccupation sera de découvrir l’évolution de l’intelligence, comme l’avaient essayé de décrire vers le même temps Darwin et Herbert Spencer.

Ainsi tout le transformisme s’intégrera dans la doctrine schopenhauérienne. Elle appelle ce complément, en ce qu’elle ne se soutient pas sans lui, et en même temps elle semble ne pas le tolérer. Le nietzschéanisme est né de ce besoin de la doctrine, à qui l’idée évolutionniste est nécessaire ; et pourtant cette idée résorbe tout le système, dès qu’il l’a accueillie. Schopenhauer est placé devant une échelle des êtres dont la formation pour lui est une énigme. Plus bas que l’homme, en qui la volonté arrive à la conscience d’être une cause, il y a l’animal, qui lui aussi agit en vertu de mobiles, c’est-à-dire de stimulants consciemment aperçus. Plus bas que la vie animale, il y a la vie de la simple matière organique qui réagit sous les stimulants du dehors, mais de façon à choisir entre les excitations et à ne pas fournir une réaction strictement égale à l’action qu’elle subit. Plus bas encore, il y a les êtres inorganiques, le règne du mécanisme pur, où toutes les actions éveillent des réactions strictement égales. Quel rapport entre ces échelons superposés de l’être ? En tout vivant, on trouve, avec la forme de vie la plus haute qu’il ait atteinte, les formes inférieures par lesquelles il a gravi l’échelon où il s’est arrêté. Dans l’homme, à côté du vouloir conscient, il y a la simple vie animale, la vie végétative, l’existence minérale. Dans ses actes conscients les fins qu’il poursuit sont posées par un pouvoir inconscient, et ce pouvoir est la volonté. Par une analogie audacieuse, Schopenhauer croit pouvoir dire que sous toute réaction, derrière le mobile qui fait agir l’animal, derrière le mouvement que l’organique oppose au stimulant du dehors, et sous la réaction de l’inorganique, il y a du vouloir. Ce vouloir est connu dans ses actes. Il se symbolise dans le corps. Une pierre a un vouloir aussi, que traduisent la force de pesanteur et les qualités chimiques par où elle manifeste son action. Les plus humbles de ces volontés sont encore présentes dans notre volonté humaine, consciente et complexe. Dans le moindre de nos actes conspirent les énergies additionnées de toutes nos particules organiques ou minérales. Pas de plus énigmatique mystère. Comment a lieu cette addition, puisqu’elle se fait du dedans, hors de l’espace et du temps ? C’est, dit Schopenhauer, que la volonté ne se réduit pas à la masse de ses déterminations assignables dans le temps, dans l’espace et dans la série des causes et des effets. Ces déterminations la symbolisent ; mais la volonté est hors d’elles. Elle est unique au lieu d’être multiple. Elle est hors de la connaissance, alors que tout ce qu’elle fait est connaissable. Elle pose des fins pour le vouloir individuel, elle n’a pas de fins elle-même ; car elle ne s’épuise pas dans les volitions individuelles, où elle se morcelle. Le vouloir est effort sans relâche. Toute végétation, toute existence animale est un cercle clos, qui va de la germination à la floraison, à la maturation, à la projection de nouvelles semences, à la germination nouvelle. Tout l’effort humain tend à des fins, et toutes sont provisoires et s’évanouissent dès qu’elles sont atteintes. Toujours des fins nouvelles remplacent les anciennes comme de nouveaux mirages ; et après la satisfaction illusoire, une oscillation nouvelle nous ramène à un autre désir non moins stérile.

Chacun de nous trouve donc en lui un vouloir qui ressemble à tous les vouloirs du monde. Par un trope hardi et sophistique, Schopenhauer conclut que le vouloir de chacun est identique dans sa racine au vouloir universel. Il veut vivre sa part de la vie du monde ; c’est pourquoi il se représente le monde. Il se le représente, de son point de vue. Les représentations du monde sont donc multiples : la volonté, au contraire, est une en tous les êtres. Les individus sont comme des morceaux découpés dans la surface d’une sphère. Une force d’attraction les relie au centre et, par là, invisiblement à la masse du vouloir omniprésente dans toute la sphère.

De cette unité du vouloir, Schopenhauer tirait deux conséquences, explicatives de la nature phénoménale. 1o  L’unité du vouloir lui paraissait expliquer l’adaptation parfaite de tous les êtres à leur genre de vie. La structure des plantes est adaptée au sol dont elles se nourrissent. La forme du squelette des animaux est faite pour avoir prise sur le milieu physique où ils trouvent leur nourriture. Le cerveau se crée un pédoncule optique et une surface rétinienne, parce que l’organisme veut recueillir les impressions du dehors. Le canal digestif se crée un poumon, parce que le corps veut échanger ses matières avec les gaz du dehors. Tout l’organisme n’est qu’un vouloir vu par son aspect extérieur. Schopenhauer croit donc vaine la tentative par laquelle Lamarck expliquait les formes des vivants, leurs armes et leurs organes, et qui les estimait issues des efforts répétés de chaque vivant contre le milieu, et des habitudes fixées dans l’organisme et transmises par hérédité. Tout l’orgueil de la métaphysique allemande apparaissait dans cette critique adressée à Lamarck :

« La part de vérité dans cette géniale erreur appartient au naturaliste. Il a vu justement que la volonté de l’animal est primordiale et a déterminé l’organisation de l’animal. La part d’erreur incombe à l’état arriéré de la métaphysique en France… Lamarck n’a pu concevoir sa construction des êtres que dans le temps, par succession[9]. »

Il faudrait pour que Lamarck eût raison qu’il y eût un animal primitif (Urtier), sans organes, et dont seraient issues par différenciation toutes les formes vivantes. Or, le vivant primitif pour Schopenhauer est métaphysique et non matériel ; et de toute éternité le fragment de vouloir-vivre qui affleure à l’existence dans un animal donné est accompagné de la structure physique qui traduit son effort au regard d’une conscience pensante.

2o  Mais ces vouloirs, morcelés, dès qu’ils sont conscients, sont en conflit éternel dans le monde qu’ils se disputent. Ce n’est pas le lieu de dire par quelle illusion les êtres se croient séparés, alors qu’ils forment une unité profonde. Chaque vivant individuel n’est qu’une image dessinée par le vouloir-vivre unique sur le feuillet vide de l’espace et du temps. Mais incarné en chacun de ces êtres passagers, ce vouloir-vivre défend son existence avec une fureur outrancière et égoïste, bien que la destinée de l’être soit une souffrance constante, et qui aboutira à une mort longtemps redoutée et très amère. Les instincts ne sont en nous que les formes diverses sous lesquelles se déploie en nous cette déraisonnable envie de vivre. La nature entière n’est qu’un champ clos, créé pour la lutte de ces instincts, et où leur rivalité se déchaîne avec un acharnement d’autant plus insatiable qu’ils sont un vouloir unique, illimité dès lors, et qui ne trouve que dans ce désir sans fin des vouloirs partiels la manifestation de sa propre infinitude.

La réflexion de Nietzsche est partie de cette double déduction de Schopenhauer, qui admet une lutte pour la vie analogue à celle que concevra Darwin, mais répugne à la doctrine lamarckienne de l’adaptation. Nietzsche trouvait là une inconséquence. S’il y a une ruse de la nature pour faire durer la vie par la lutte, c’est que la durée dans le temps doit être pour Schopenhauer aussi une réalité, et non pas une construction de l’esprit. Dans la confrontation avec les faits, il faut donc se méfier non pas du pur esprit scientifique de Lamarck, mais des préjugés orgueilleux du métaphysicien allemand. Ce fut, chez Nietzsche, la lutte intérieure qui s’engagea d’abord. Faire à la science sa part, voilà le premier problème que lui avait légué Schopenhauer. Or, dès la première étape dans l’étude scientifique de la vie, Nietzsche trouve son maître trébuchant. Entre la connaissance rationnelle et irrationnelle, Schopenhauer ne découvre qu’une délimitation flottante. Sans doute, il y a une manière de connaître très supérieure aux méthodes de la science et à ses résultats. Il s’agit de saisir l’expérience totale (das Ganze der Erfahrung)[10]. Il y faut une intuition immédiate, un regard en profondeur, qui ne s’attarde pas aux détails ; et voilà proprement la besogne du philosophe. Nietzsche en sera d’avis. Pourtant, s’il y a hétérogénéité de la science et de la métaphysique, il ne saurait y avoir conflit entre elles. Il y aurait là un antagonisme pareil à celui qu’une fausse orthodoxie a imaginé entre la science et la religion. Le libre esprit schopenhauérien doit incorporer à la métaphysique la science intégrale ; et c’est d’un observatoire bâti de tout le savoir accumulé qu’il aperçoit sur l’horizon les lueurs qui peut-être viennent d’un autre monde. Quand Nietzsche essayera de parachever le système de son maître, il finira donc, après une longue hésitation, par justifier, vers 1874, toutes les méthodes de la science, et d’abord les résultats du lamarckisme.

Par contre, la métaphysique schopenhauérienne lui avait paru, dès 1867, un essai malheureux de franchir la barrière entre le relatif et l’absolu. La trouvaille principale de Schopenhauer, son coup de génie, avait été cette idée de prendre pied dans le domaine des choses en soi par la volonté. Après le premier enthousiasme, Nietzsche ne voit là qu’un expédient de poète[11]. Si la chose en soi n’est jamais un objet, si elle n’est pas représentable, comment lui donner le nom d’un objet ? Car le nom de vouloir-vivre dont on le revêt n’est-il pas emprunté à un objet défini que nous nous représentons, à notre vouloir conscient ? Assurément Nietzsche n’ignore pas que pour Schopenhauer la connaissance irrationnelle métaphysique reste inadéquate à ce dont elle parle et Schopenhauer en convient à bien des reprises[12]. On ne peut parler de ce qui est par-delà les phénomènes qu’en termes empruntés aux phénomènes.

À regarder de près l’artifice de Schopenhauer, il est une immense métonymie. La volition humaine, la poussée de l’instinct animal, le réflexe du végétal ou du zoophyte, la réaction mécanique du minéral sont assimilés les uns aux autres par la plus audacieuse série de métaphores. Schopenhauer a pris de la volonté ce qui en reste, quand on ôte ce qui en fait la réalité concrète : les mobiles, les représentations, les sentiments. L’ayant ainsi dépouillée, il revêt d’oripeaux ce support. À cette volonté abstraite et nue, il attribue l’unité, la liberté, l’éternité, pour cette seule raison que les actes de vouloir concrets et particuliers sont multiples, nécessités et éphémères. Est-ce une raison suffisante ? Et avec des négations peut-on atteindre un réel plus profond que le réel observable à la conscience ? L’antique erreur platonicienne et éléate se recommence ainsi : on veut que le relatif ne soit qu’une ombre colorée que projette l’absolu. On ne s’aperçoit pas que le sentiment même du réel s’est évaporé dans les métonymies pâles par lesquelles on croit prendre son élan pour des régions de transcendance.

Pour Nietzsche, la découverte vraie de Schopenhauer est ailleurs : il a détrôné le rationalisme comme interprétation de l’homme. Depuis Schopenhauer, nous savons que la conscience des hommes ne suffit pas à déterminer leur vie. C’est leur vie qui détermine leur conscience. L’intelligence de chacun dépend de sa nature, qui est plus large que son intelligence. Comment définir ces dessous profonds et pleins, à la surface desquels notre existence consciente flotte comme un cercle fragile de lumière ? Une des tâches de Nietzsche sera d’imaginer une autre notion des rapports de l’intelligence à l’inconscient. Nous aurons à dire pourquoi il construit d’abord une mémoire et une imagination aussi impersonnelles que la volonté de Schopenhauer, afin d’y ancrer l’intelligence logique et artiste, et la volonté morale des individus. Si pour Schopenhauer le monde est conçu à l’image de l’homme, si pour lui l’univers est fait à l’image de son propre tempérament projeté à l’infini (Die Welt ist Schopenhauer im Grossen[13]), on peut affirmer que tout le premier système de Nietzsche souffre d’un anthropomorphisme pareil ; et c’est aussi sa propre expérience psychologique que Nietzsche généralisera. L’intelligence réfléchie et l’imagination artiste tiendront dans son univers une plus grande place, et s’y disputeront la première, parce qu’en lui-même elles se livrent bataille. Voilà comment il a pu écrire en 1876 :

« Schopenhauer a beau accorder la primauté à la volonté et ajouter l’intelligence comme par surcroît : L’âme, telle qu’elle nous est connue aujourd’hui, ne peut plus servir d’illustration à sa thèse. Elle s’est tout imprégnée d’intelligence… Nous ne pouvons plus concevoir la joie, la douleur et le désir comme distincts de l’intellect[14]. »

Puis, ayant fait choix de son système dernier, Nietzsche renoncera sans doute à la métaphore qui cherche l’explication de l’univers dans une grande personnification, dans un grand vouloir qui mène irrationnellement les mondes. Pourtant il retiendra le système des analogies schopenhauériennes, et ce sont des volontés encore qu’il imaginera, mais à l’état de poussière vivante, dans les plus humbles éléments de la matière, comme au dedans aussi de toutes nos idées, dont ces volontés sont génératrices.

II. Le pessimisme. — C’est aussi pourquoi Nietzsche restera pessimiste. Son pessimisme est plus courageux que celui de Schopenhauer, mais plus inconsolable. La nuance nouvelle de ce pessimisme vient-elle de ce que Schopenhauer croit à l’unité du vouloir, tandis que Nietzsche dissémine l’être dans un pluralisme de volontés souffrantes et agissantes ? Rendons-nous compte que les suprêmes métaphores, où s’arrête un métaphysicien pour expliquer le monde, traduisent son sentiment de la vie plutôt qu’elles ne le déterminent. Les grands systèmes où est affirmée l’unité de l’être expriment un d’état d’âme lyrique qui veut de sa propre plénitude extatique remplir l’univers. Sur la nature de cette émotion, qui déborde d’eux sur le monde, la structure logique des systèmes ne nous apprend rien. Spinoza est enivré de joie devant l’unité de l’être. D’où vient donc le sombre effroi de Schopenhauer devant la même unité ? Spinoza est un sage, en qui la raison gouverne la vie ; et le récent progrès des sciences mathématiques le remplit d’une foi joyeuse en l’efficacité de la méthode rationnelle. Schopenhauer souffre de la duplicité de sa nature. Sa haute intelligence condamne le vouloir passionné, dont le vulgaire et fumeux foyer brûle en lui. De ce désir inassouvi et irrité, il fait la loi du monde. Hegel qui, dans la pensée, croyait saisir le réel vivant, pouvait affirmer que tout ce qui existe est rationnel. Pour Schopenhauer toute existence est irrationnelle nécessairement. Il y a irrationnalité à être, si le fond de l’être est le vouloir. Car si le vouloir peut se proposer des fins de raison, de sa nature il est étranger à la raison, et ses fins rationnelles ne sont pas nécessairement données avec lui. La volonté une qui vit au centre des choses ne peut satisfaire une raison exigeante. L’acrimonie personnelle de Schopenhauer se transpose ainsi en lyrisme désespéré et métaphysique.

La prédominance de l’irrationalité dans le monde symbolise la prédominance de l’irrationnel dans la connaissance. La douleur était la substance de l’existence humaine, puisque son fond était vouloir insatisfait. De là, une conséquence très grave. Si le bonheur n’est que le vouloir satisfait, il est toujours négatif. Il faut à ce vouloir le stimulant du désir, la privation préalable, la souffrance. La fin de cette souffrance, voilà la seule joie. « Un bonheur qui serait plus que la cessation de la souffrance, de la privation, du tourment, du désir, est une chimère, une impossibilité logique[15]. » Il est vain de faire la balance des joies et des douleurs. La joie n’est que neutralisation de la souffrance préexistante et foncière. Tout le bonheur du monde ne peut consister qu’à rétablir péniblement l’équilibre sur une balance, où la vie surcharge sans cesse le plateau des douleurs. Qu’il subsiste une souffrance incompensée, ce plateau douloureux descendra dans d’infinies profondeurs à tout jamais. Or, le vouloir-vivre étant immanent aux choses, ne se satisfait jamais : la douleur est donc la substance même du monde. Car un vouloir fini peut avoir des joies : Le vouloir infini n’en peut pas avoir. La seule façon de se sauver de cet abîme de douleur est de planer au-dessus de lui par l’intelligence : c’est-à-dire de comprendre cette douleur et de l’accepter par la pensée. Mais par quelle pensée, puisque le vouloir irrationnel ne saurait entrer dans la pensée rationnelle ? L’art seul et la métaphysique, pour Schopenhauer, peuvent consoler le désespoir qui se lève pour nous de la contemplation du mal acharné sur toute existence.

Nietzsche usera de cette consolation ; et il en découvrira une autre. Oui certes, dans un univers fait tout entier de volontés malheureuses en lutte, le mal doit l’emporter en quantité. Pourtant Schopenhauer ne conteste pas qu’il y ait du bonheur. De rares et fugitives joies flottent sur le remous tumultueux des vouloirs agonisants. Joies négatives, si l’on veut, et qui sont seulement une trêve à l’universelle détresse. Mais peut-on peser ou jauger ce qui est qualité pure ? Un univers où la joie peut apparaître vaut incomparablement plus qu’un univers où la douleur serait inapaisée toujours. Un jugement de valeur peut se dresser contre toutes les évaluations de quantité. À quel signe reconnaître cette affirmation de la vie heureuse, plus forte que l’effroyable déluge de maux où elle est submergée ? Schopenhauer connaissait ce signe :

« Un homme qui souhaiterait le recommencement de sa vie, telle qu’il l’a éprouvée… dans un retour indéfiniment renouvelé et chez qui le courage de vivre serait assez grand pour qu’il acceptât volontiers et de bon cœur, en échange des joies de la vie, toutes ses peines et ses tourments aussi, — un tel homme serait « campé avec des os robustes et forts sur la terre durable et bien arrondie », et il n’aurait plus rien à redouter[16]. »

Nietzsche a voulu être cet homme qu’un sentiment prodigieux de sa valeur et l’orgueil des conquêtes qu’il doit faire sur le destin, campe en face de l’univers plus fort.

Toutefois, ce consentement orgueilleux à la vie ne peut surgir dans la volonté collective et brutalement aveugle qui anime l’univers. Il est l’acte d’une volonté réfléchie et individuelle. Cette volonté, Nietzsche la mettra à l’abri du remous prodigieux des forces mauvaises. Il l’isolera métaphysiquement. Il lui ménagera des ressources dans l’avenir. Voilà pourquoi Nietzsche sera à la fois pluraliste et évolutionniste. Il accepte le secours que lui offre Fichte. L’univers est justifiable, s’il se peut que des foyers multiples d’émotion joyeuse et intelligente s’y allument, qui tireront de lui l’énergie par où ils différent de lui. De telles formes de sensibilité n’existent pas dans une vie organique primitive. Il y faut une longue préparation. L’idée d’évolution permet d’attendre de l’avenir des aspects nouveaux de la vie qui justifieront toute vie. Au regard de ces possibilités de joie éparses en foule, dès maintenant, mais dont beaucoup sont réservées pour le futur, peut-être la considération de la quantité de douleur paraîtra négligeable. Mieux encore, une psychologie nouvelle de la joie la fera peut-être apparaître comme un triomphe sur les forces adverses, et comme la preuve d’une volonté immanente aux choses, qui n’est pas seulement volonté de vivre, mais volonté de dominer. Schopenhauer avait l’effroi de l’éternité, et son espoir était d’anéantir peu à peu dans la vie supérieure le désir de durer. L’idée du retour éternel est pour lui une possibilité dont se joue son intelligence. Nietzsche essaiera d’en faire un postulat nécessaire à Nietzsche. Les lacunes du système de Schopenhauer imposent la nécessité d’affirmer un réel changeant, qui remplit la durée, c’est-à-dire une évolution, et d’affirmer un éternel retour. Entre les deux idées, un lien peut-il se concevoir ? La pensée de Nietzsche oscille puissamment entre ces deux contraires. Nous aurons à dire comment il n’a pas pu les concevoir comme exclusifs l’un de l’autre. Mais la seule obligation de les adopter, quand Schopenhauer les excluait tous les deux, ce sera pour Nietzsche le signe entre tous, qu’il avait renversé le schopenhauérisme.

III. La vision esthétique. — Où donc, cependant, pour Schopenhauer lui-même, y aurait-il une consolation, si ce n’est dans l’éternel ? Autant que Nietzsche, bien que selon une autre méthode, il veut nous faire vivre l’éternité ; et d’abord il nous propose de la contempler. Le salto mortale qui emportait Jacobi et Kant par delà les phénomènes et qui était chez eux un acte de foi, Schopenhauer l’accomplit par l’intuition générale. La science est connaissance des phénomènes particuliers, sériés dans le temps et dans l’espace selon la loi de cause. Connaissance toute pratique, et qui intéresse le vouloir seul. Les choses envisagées par la science ne nous apparaissent jamais dans leur réalité profonde et telles qu’elles sont : le savoir ne saisit que les rapports qui les joignent. Ces rapports seuls sont connaissables intellectuellement ; et ils suffisent à nous orienter. Un savoir de plus en plus spécialisé les étudie. À mesure que les relations se précisent entre les objets, le rapport aussi que nous soutenons avec eux nous est mieux connu ; et c’est là ce qui nous intéresse. Mais visiblement une telle connaissance, loin de nous affranchir, nous fait seulement mieux voir les liens multiples qui nous tiennent en lisière. Il n’y a d’affranchissement que si l’on peut, par delà le relatif et le passager, atteindre à l’absolu immobile.

Cette connaissance nouvelle doit être hétérogène à la connaissance scientifique. Elle le sera, parce qu’elle poursuit un autre objet que la science, et parce que devant cet objet le sujet connaissant a une autre attitude. Et quoi d’étonnant à ce que la connaissance s’approfondisse, quand l’homme qui la construit en lui, se libère ? C’est par la régénération de l’homme que se transforme son savoir. Prendre conscience de notre vouloir, c’était déjà s’approcher de l’absolu. Il faut à présent faire un progrès nouveau dans cette connaissance. Il faut éteindre en nous le vouloir, et avec lui la conscience de nous-mêmes[17].

Cette abdication nous apporte une grave lumière. Dans le silence de notre volonté, les objets aussi feront taire leur volonté agressive. S’il y a moyen de jeter sur les choses un regard désintéressé, de les voir sans les vouloir, avec l’oubli total de nous et de notre condition, sans vaines craintes, sans espoirs chimériques, sans tumulte de désirs, un objet nouveau se dressera devant nous, dans une vision fixe et intense. L’état d’esprit où nous pouvons ainsi nous transporter a des ressemblances avec l’hallucination et la folie. Le moi s’y absorbe et s’y perd. Toutefois le fou s’attache obstinément à son intérêt étroit ; et l’obsession des images, au lieu de l’affranchir, l’enchaîne. Il en va autrement, quand l’intelligence, accidentelle dans la vie commune, vient à prédominer et transfigure le vouloir dont elle est communément serve. L’objet qu’elle contemple se dresse alors devant elle avec la pureté et le calme d’un songe. Comment Schopenhauer a-t-il pu dire que ce qui surgit ainsi est l’idée platonicienne ? C’est un contre-sens que Nietzsche tirera au clair vers 1876[18]. Mais voici où Nietzsche et Schopenhauer s’accordent. L’intelligence résume ses expériences sensibles en concepts de plus en plus généraux. Les objets pour l’intelligence savante sont à l’intersection des courbes de généralisation que tracent les concepts ; et tout l’univers est un tel réseau de courbes, où se meut le vouloir raisonnant. Si le raisonnement se taisait avec le vouloir, nous saisirions encore le général, mais par intuition.

Comment méconnaître ici une influence de Gœthe sur Schopenhauer ? Ce que Schopenhauer voit se dessiner dans une vision à la fois colorée et intellectuelle, c’est l’Urphænomen et l’Urtypus de Gœthe. Le grand poète avait cru que les esprits supérieurs voient les choses sous l’aspect de l’éternité. La structure générique de la plante ou du vertébré, son diagramme le plus général, leur apparaissent dans un dessin sommaire, et pourtant précis, qui contient virtuellement toutes les plantes et tous les vertébrés. L’existence physique ou organique se réduit à un petit nombre de phénomènes très généraux et représentables. La vie d’une plante se déroule comme la création d’un univers : un principe formatif {nisus formativus) travaille sur une matière qu’il organise à son image comme un démiurge. Ces généralités, Gœthe soutenait, contre Schiller, qu’il les voyait. « Ich gebe viel aufs Schauen », avait-il objecté un jour à Lavater. Les faits eux-mêmes de la science, il les voyait en artiste : Il en construisait des figures imagées, mais baignées de lumière intellectuelle. Il était Klares Weltauge. En lui s’ouvrait ce regard plus pur qui aperçoit le réel, tandis que la science aperçoit seulement un contour de relations.

Entre cette notion gœthéenne du « type » et l’idée de Platon, issue d’une élaboration dialectique des expériences morales, ou construite sur le modèle des nombres pythagoriciens, Nietzsche aura raison de contester qu’il y ait similitude[19]. Mais tout en se refusant au rapprochement tenté par Schopenhauer, Nietzsche adoptera la position doctrinale qu’il implique. Il croira vraiment que la vision esthétique des choses nous rapproche de leur essence ; et que le moi, en s’anéantissant dans la contemplation, devient le miroir pur où se reflète l’ombre des formes éternelles.

L’artiste, selon Nietzsche, voit les choses dans cette lumière de l’absolue sérénité ; et c’est d’elle que ses œuvres sont toutes rayonnantes. Elles nous calment, parce qu’elles ne nous offrent que l’image des objets, et non leur réalité opaque et utile. Qu’on ne s’y trompe pas : cette image immatérielle vient à nous de profondeurs où n’atteignent ni la perception superficielle des sens, ni l’investigation des rapports rationnels. Jusqu’à quelle profondeur plonge ainsi l’intuition esthétique ? C’est un point où Nietzsche sera en litige avec Schopenhauer ; et avec cette ambition impérieuse qu’il avait de pousser à bout les idées, même quand il les empruntait, Nietzsche affirmera la primauté de l’art et de la vision qu’il procure.

Les objets naturels, à quiconque est plongé dans cet état d’âme artiste, parlent donc un autre langage qu’au vulgaire. Ils le fascinent par un magnétisme nouveau : ils lui paraissent beaux. Est beau tout objet qui, par sa structure, exprime non pas seulement son caractère individuel, mais l’idée de son espèce entière. Il nous donne alors l’intuition de ce qui est général, tandis que la pensée ne nous en donnait que le concept. Mais il y a des degrés dans la beauté ; et les formes les plus belles sont celles qui révèlent une espèce où la volonté a atteint un haut degré d’ « objectivité ».

Il n’y a pas d’espèce vivante où la volonté soit plus réfléchie et sente davantage son identité avec la substance de tous les êtres que dans l’humanité. C’est donc l’homme qui avant tout nous donne le sentiment de la beauté. Il le donne par son corps, qui traduit cette volonté intelligente. Il le donne par son âme consciente. La pensée pascalienne et schillérienne sur la frêle et auguste condition de l’homme est un des emprunts les plus certains qui, par Schopenhauer, aient passé à Nietzsche. L’univers, par sa grandeur hostile, peut écraser l’homme, sans que la vision de l’univers perde rien de la fascination sous l’empire de laquelle nous le jugeons beau. Nous savons oublier le danger qui nous ballotte sur l’Océan des êtres comme le plus fragile vouloir et le plus constamment menacé. C’est que nous avons une supériorité sur ce monde qui nous anéantit et sur le déluge des forces déchaînées : cet univers tumultueux n’existe lui-même que dans notre représentation. Il meurt avec nous, à l’instant où il nous anéantit. Il ne sait rien de sa victoire qui est non avenue à l’instant où elle se consomme. Tandis que nous savons notre défaite, qui n’aurait pas lieu, si nous ne l’avions créée par la pensée. Mais cette destinée, qui nous est faite, de ne pouvoir succomber d’une mort nécessaire sans y avoir contribué par la pensée, voilà qui nous donne l’émotion de la beauté élevée jusqu’au sublime.

Il n’importe ici de dire comment Schopenhauer caractérise les arts[20]. Il se hiérarchisent par ordre d’ « objectivité ». La poésie, qui traduit l’âme de l’homme, est plus haute que les arts plastiques. Elle seule peut dire ce que des millions d’hommes ont éprouvé et éprouveront à travers les âges. L’œuvre culminante où elle aboutit est celle où elle décrit la grande détresse inépuisable de l’homme, le triomphe nécessaire de l’absurdité méchante, la domination insolente du hasard et la défaite nécessaire du juste. Tel est en effet le dessein de la tragédie ; et quoi de plus capable de symboliser le déchirement universel que cette immolation de l’humanité la plus noble, aux astuces de la destinée ou à ses propres conflits ? À ce point que le tissu des illusions mauvaises se défait dans sa trame et fil à fil sous nos yeux : Car « le voile de Maïa » se déchirant au regard des héros tragiques, laisse aussi pour nous, spectateurs et peut-être bientôt victimes des mêmes illusions fatales, transparaître l’épouvante installée au foyer des choses. Comment dès lors cette purification par la souffrance, où meurent les héros, n’éteindrait-elle pas aussi en nous, qui contemplons leur martyre, cette volonté déjà morte en eux librement, et qui, par son abnégation, les fait grands ?

Il n’y a pas de doctrine dont Nietzsche se soit inspiré davantage. Son érudition s’en choque parfois et la rectifie, non sans pédantisme. Le sentiment hellénique se trouve certes en défaut chez Schopenhauer, quand il ose écrire :

« J’estime que la tragédie des Modernes est à un niveau infiniment au-dessus de celle des Anciens… Shakespeare est bien plus grand que Sophocle. Auprès de l’Iphigénie de Goethe, celle d’Euripide pourrait presque passer pour grossière et commune[21]. »

Le premier coup de maître de Nietzsche sera de démontrer que la religion grecque n’était pas aussi dénuée, que le croyait Schopenhauer, de contenu profond et qu’on ne pouvait pas dire de l’humanité grecque qu’elle « avait oublié le sens grave, vrai et profond de la vie »[22]. Ce sera l’objet des recherches les plus immédiates de Nietzsche. Il arrivera à sa démonstration par un singulier détour. Il devra démontrer que les Grecs ont été autant que les Allemands un peuple musicien ; et que leur tragédie est fille du génie musical. Démonstration impossible sans un dernier emprunt à l’esthétique de Schopenhauer : l’emprunt de sa théorie de la musique.

Car pour assurer à la connaissance irrationnelle la prédominance à laquelle tient le schopenhauérisme, il faut en venir à l’art le plus général qui soit, celui qui n’use d’aucune vision, d’aucune idée ; qui n’a pas même nécessairement besoin de la voix humaine, mais seulement de la voix des choses, et qui pourrait exister encore s’il n’y avait pas de monde vivant : l’art musical. De fait, la musique est pour Schopenhauer la langue universelle. Car elle ne parle d’aucun objet, même général. Elle est par delà la région des idées platoniciennes. Elle ne contemple l’archétype d’aucun être. Elle émeut le cœur, tout droit. Elle ne sait dire que la souffrance et la joie, seules modifications du vouloir. Par la mélodie rapide et simple, et facilement revenue à la tonique, elle dit la transition du désir à la satisfaction. Par la mélodie lente, enlisée dans les dissonances, revenue péniblement au point de départ, elle exprime la lutte de l’aspiration insatisfaite et la douleur. Elle dispose de tous les moyens d’expression, depuis ceux qui conviennent au plus vulgaire bonheur, jusqu’à ceux qui traduisent l’absolue lamentation. Elle exprime la quintessence des émotions. Et comme elle les traduit, sans toucher au contour matériel des choses ou aux linéaments abstraits des idées, l’occasion n’est-elle pas propice pour affirmer qu’elle décrit non pas la vie humaine seulement, mais toute vie ; qu’elle est la représentation du vouloir-vivre lui-même, avec son flux et son reflux, et avec ces images qui flottent, îlots de songe surgis un instant, sur la mer où nous voguons et où il ne sera donné à aucun de nous d’atterrir ?

Nietzsche n’a rien abandonné de la doctrine. Il la retrouvera dans Wagner, fortifiée de la compétence et soulevée par le souffle passionné du plus savant et du plus ambitieux musicien. Il lui restait à justifier le drame musical dont Schopenhauer n’avait pas l’idée, et qu’il eût répudié pour s’en tenir à la pure musique symphonique. Mais il est sûr que cette métaphysique musicale a enfoncé Nietzsche davantage dans ce schopenhauréisme outré qui lui servira à ruiner Schopenhauer. S’il existe un art qui reproduit, avec plus d’intensité que toute connaissance et toute pratique, l’activité profonde de l’univers ; si la vision artiste est une représentation plus précise et plus claire que les représentations dont le vouloir se donne le spectacle dans la vie ; si l’art guérit le vouloir, au moins pour un temps, tandis qu’aucune joie de l’action ne peut le consoler jamais, comment ne pas dire que les illusions de l’art sont plus réelles qu’aucune réalité ?

Schopenhauer le pensait ; et il n’osait tirer de cette pensée sa conséquence inévitable, à savoir qu’il n’y a rien par delà les apparences. Le phénoménisme est la vérité totale. La force d’enthousiasme, qui nous vient de quelques images éclatantes ou sonores, nous donne le pressentiment de l’absolue libération. Donc le vouloir s’épuise dans cette création d’images. Il n’est pas cette réalité transcendante où l’on voulait ancrer l’existence de l’univers. Le rapport de la connaissance rationnelle à la connaissance irrationnelle sera redevenu problématique. Ce qui demeure de la doctrine de Schopenhauer, c’est seulement une vue sur la hiérarchie des esprits.

IV. La hiérarchie des esprits. — Cette hiérarchie se définit par le genre et le degré de conscience à laquelle arrivent nos pensées plus ou moins émancipées du vouloir-vivre. Au bas de l’échelle : 1o  le sauvage ne vit guère que d’une vie animale ; 2o  notre prolétaire encore, tout absorbé par l’effort de subvenir au besoin du jour et de l’heure, mène, dans le tumulte et dans les querelles, une vie où la connaissance ne sert que le plus immédiat vouloir ; 3o  le praticien ou le commerçant qui vit dans des spéculations à longue échéance et dans le souci de faire durer sa maison et la collectivité, fonde déjà bien plus profondément dans le réel son existence ; 4o  le savant, par delà les personnes, étudie le passé entier et le cours durable de l’univers ; 5o  seuls l’artiste et le philosophe n’étudient plus aucun objet précis : ils se placent devant l’existence elle-même. Ils sont en présence de l’éternel[23].

Retenons l’image de ces bas-fonds où une multitude condamnée à la plus chiche existence matérielle, vit dans le dénuement de l’esprit et dans la médiocrité morale[24]; d’une canaille qui est légion, et où tous les sots et tous les aigrefins fraternisent : « Das Pack ist in Menge vorhanden und hait eng zusammen. Alle Lumpe sind gesellig[25]. » Nietzsche gardera la forte impression de cette humanité grégaire dont Schopenhauer se gausse en boutades aigres. Mais le vieux sceptique se satisfaisait de ces sarcasmes : « la misérable nature de la race humaine reste la même en tous les temps. » Nietzsche a reçu de son origine, de son tempérament et de Wagner une mission d’éducateur, qu’il assume avec la fougue de Fichte, et avec la gravité sacerdotale de Platon. Puis le transformisme moderne lui ouvre des possibilités d’espérer, que le rationalisme cartésien seul avait eues avec cette sereine certitude.

Faut-il redire que Schopenhauer n’a pas pensé grand bien des savants ? Rappeler ses satires sur leur servilité, leur goût de plaire, leur paresse de ruminants à l’étable, leur « sottise de veaux » en dehors de leur spécialité, leur goût des querelles et des vaines préséances ? Le chapitre sur l’érudition et les érudits, dans les Parerga est une gerbe de cuisantes orties, dont Schopenhauer caresse le visage des magisters suffisants de la science officielle. Il est l’ébauche de ces Considérations intempestives sur les historiens et les philologues, où Nietzsche reprendra ce motif, enrichi de son expérience.

L’emprunt vrai de Nietzsche fut cependant la théorie du génie ; et dans l’intellectualisme sceptique, où il fera une halte entre 1874 et 1881, c’est encore l’interprétation schopenhauérienne du génie qui persiste. Il le définit avant tout comme un développement prodigieux d’une intelligence plus affranchie du besoin sensible. Pourtant il faut marquer avec insistance la différence que crée entre Nietzsche et Schopenhauer la théorie qui, chez ce dernier, fait de l’intelligence une ouvrière salariée de la volonté. Et aussi bien une théorie analogue ramènera Nietzsche dans le voisinage de Schopenhauer après 1882. L’exactitude abstraite qui fait des méthodes de la science des instruments de précision si redoutables, c’est le tranchant affilé d’un outillage préparé pour une action agressive. L’entendement n’atteint qu’une vérité pratique. Au contraire, une intelligence détachée du besoin, élargie et affranchie, se fait irrationnelle.

Combien cette généralisation de l’expérience d’un Gœthe, d’un Schiller, d’un Hœlderlin a dû toucher Nietzsche ! Il n’y a pas de leit-motiv plus douloureux et plus constant dans sa vie. L’homme de génie est aux autres hommes ce que dans un homme l’intelligence est à la volonté. Chez lui le cerveau mène une existence à part. Il ne sert plus le corps. L’œuvre du génie n’est pas utile, comme celle des autres hommes. La multitude défriche et bâtit, achète et vend, fonde, organise, d’un zèle infatigable ; et les hommes du commun estiment les services mutuels qu’ils se rendent. Le génie seul ne rend service à personne. Il ne rend même pas service à la science. Il lit à même le « livre du monde »[26]. Il distingue les grandes lignes des formes qui se lèvent des brumes de l’avenir. On croit lire déjà Nietzsche, quand Schopenhauer décrit cette vie du penseur solitaire qui sent sa solidarité avec les générations à venir :

« L’homme qui conçoit une pensée vraiment grande sent, au moment même de la concevoir, son existence se prolonger à travers les siècles ; et, de même qu’il travaille pour la postérité, il vit avec elle[27]. »

D’emblée l’attitude de Nietzsche fut remplie de cette émotion de l’homme qui « étend la main sur les siècles », mais qui aussi, selon la métaphore de Schopenhauer, est un naufragé occupé à bâtir, sur son île perdue, un monument pour se signaler à des navigateurs qui ne sont pas encore en vue.

Douloureuse attente en effet, et dont souffre davantage l’émotivité si aisément meurtrie des hommes supérieurs par l’esprit. Ce n’est pas impunément que l’intelligence a affaibli la volonté. Le bonheur est assuré aux volontés fortes et aux intelligences ordinaires. Pour Schopenhauer, il n’y a pas de génie de l’action. Ce que l’on appelle génie chez un grand général ou un grand homme d’État, c’est une volonté audacieuse et ferme, accompagnée d’un sens judicieux ou astucieux des possibilités. Une intelligence haute, au contraire, paralyse le vouloir dans le moment précis où il est assailli par la meute des volontés robustes et inintelligentes de la foule. Et ce n’est pas la pire condition, car il pourrait se sauver peut-être par le mépris, et en renonçant à agir sur le temps présent[28].

La souffrance vraie du génie lui est intérieure. Solitaire par sa nature, il se voit mêlé au troupeau, qui ne veut pas de lui pour chef. Il mène deux existences, car il y a deux intelligences en lui. L’intelligence vulgaire en lui n’est pas abolie ; elle lui sert à se diriger parmi les hommes. L’intelligence supérieure coexiste chez lui avec cette intelligence basse. Elle pense pour tous les hommes ; mais elle ne sert pas ses intérêts propres. Elle pense le monde avec une clarté plus rayonnante, mais elle rend impropre aux pensées subalternes les fronts sur lesquels elle se pose. Voilà la scission interne qui compromet et égare le génie, et qui l’oblige, pour sa sécurité, à se masquer pour passer inconnu. Sans doute cela ne va pas sans compensations. Rien n’est séduisant comme le charme des idées éternelles. Un ravissement de tous les instants emporte sur ses ailes le génie. Il va à travers le monde, persécuté, mais radieux de lumière intérieure. Il porte avec une douleur sereine sa couronne d’épines, sachant que plus tard elle sera couronne de lauriers.

Le miracle du génie est d’utiliser l’intelligence pour une besogne en vue de laquelle elle n’était pas faite ; d’affranchir le vouloir humain et le vouloir du monde en lui dérobant son instrument le plus subtil, la pensée. Parmi les hommes qui réalisent ce miracle, y a-t-il encore une hiérarchie ? Tous les génies transportent l’intuition dans la pensée. Pourtant n’y a-t-il pas des intuitions plus hautes les unes que les autres ? Au-dessus de la poésie, fleur dernière de l’art, au-dessus de la tragédie, fleur entre toutes douloureuse et belle de la poésie, n’y a-t-il pas une œuvre d’art épanouie à la fois dans la lumière des images et dans la lumière de la pensée ? Pour aller plus loin dans l’irrationnel, ne faut-il pas choisir l’intuition la plus vaste, et celle qui dépasse davantage la région des images ?

La réponse, pour Schopenhauer, est simple. Il y a deux signes qui marquent la supériorité du génie : la solitude et le sentiment qu’il a de sa mission nécessaire. Le poète nous offre encore le mystère des choses dans des enveloppes imagées. Sa révélation se juxtapose sans conflit, à d’autres révélations poétiques. Le philosophe dispose d’une révélation exclusive et dominatrice. Il prétend régner seul, il « révolutionne toutes nos habitudes de pensée ». Tout est erreur, sauf la vérité qu’il apporte[29] ; et ce qu’il apporte, c’est la révélation la plus vaste. Le spectacle qui se déroule pour le métaphysicien du haut de la cime où le suivent de rares disciples, n’est plus la tragédie d’un héros symbolique ; c’est la lutte prodigieuse où se débat la douleur des mondes. Les « idées » qui pour lui surgissent, comme pour l’artiste, du rêve où il marche, ce sont les forces vivantes en tous les êtres. La tragédie qui se joue est celle du ta twam asi éternel, c’est cette destinée de tous où nous reconnaissons fraternellement notre destinée propre, glorifiée dans une pitié tout intellectuelle.

Pour Schopenhauer la primauté de la philosophie ne souffre donc pas de doute. L’histoire des hommes est celle des rois et des philosophes. Mais les philosophes siègent sur un trône plus haut. Tyrannique ambition : Nietzsche aussi l’aura en lui. Et d’abord, il la tournera contre Schopenhauer. Pour détrôner le Philosophe, il lui opposera l’Artiste créateur, Richard Wagner ; puis pour détrôner l’Artiste saisi à son tour du vertige des grandeurs, il lui opposera de nouveau le Philosophe. Enfin, pour s’affirmer supérieur à tous deux, il essaiera, sa vie durant, de concilier la vision du poète et la vision métaphysique.

V. La hiérarchie morale. — Entre Schopenhauer et Nietzsche le litige toutefois le plus profond est venu du rang que le pessimisme schopenhauérien assignait à l’action morale. Comment dans un système qui met à la racine des choses le vouloir, la révélation irrationnelle la plus pure ne consisterait-elle pas dans des actes ? Après un différend prolongé, ce sera sur cette conclusion finale que Schopenhauer et Nietzsche retomberont d’accord. Les questions les plus angoissées, quand il s’agira de la transvaluation de toutes les valeurs, concerneront, elles aussi, l’attitude de l’homme devant la vie. Provisoirement, il importe de savoir comment Nietzsche apprend de Schopenhauer à établir une hiérarchie morale. Elle s’établit comme entre le savoir vulgaire et la science ; elle monte des arts vulgaires à l’art pur, de façon à arriver par degrés au génie. Car, de même qu’il y a un génie métaphysique ou un génie dans l’art, il y a un génie moral, sinon un génie du succès dans l’action. Ce génie travaille seulement sur une autre matière. La pratique morale supérieure est toutefois irrationnelle comme la besogne du métaphysicien et comme l’œuvre de l’artiste,

La matière morale, à laquelle il s’agit de donner une forme, c’est le caractère des hommes. Tous les actes humains sortent d’un caractère, et s’exercent en vertu de mobiles définissables. Le rôle de l’intelligence est de présenter les mobiles au vouloir qui s’y conforme. La difficulté très grande de cette philosophie apparut tout de suite à Nietzsche. On conçoit le jeu des mobiles isolés, mais comment concevoir métaphysiquement le caractère, si le vouloir est un dans tous les êtres? Comment dans le flot profond et unique du vouloir se délimiterait ce tourbillon qui serait la force propre de notre moi intelligible? Y a-t-il déjà des individus dans le vouloir unique? Schopenhauer n’a-t-il pas dit toujours que les individus ne diffèrent que dans l’ordre des phénomènes? Ainsi s’explique cette appréciation de Nietzsche sur son maître, formulée en 1867 : « Schopenhauer n’a pas résolu le problème de l’individuation et il le savait[30] . » Voilà ce qui a retenu Nietzsche sur la position fichtéenne. Son effort a toujours tendu à définir dans le vouloir diffus de l’univers des foyers fixes, où établir l’individualité.

C’est ce qui ne l’a pas empêché d’aborder l’étude des phénomènes moraux avec un questionnaire schopenhauérien. L’intention de Schopenhauer n’a jamais été de formuler une morale : elle était de donner une interprétation philosophique des faits. Comment aurait-il rédigé un code des devoirs? Dans l’ordre phénoménal tout est déterminé; dans l’ordre des choses en soi tout est immobile. Nos actes sont deux fois immuables. Il est vain de nous proposer des impératifs qu’il ne nous est pas loisible de suivre, s’ils ne coïncident pas avec l’élan naturel de notre tempérament ; et il est vain de nous demander un repentir au sujet d’actes que nous n’étions pas libres de ne pas accomplir. L’ « immoralisme » de Nietzsche aura ses racines dans cette conception phénoméniste de la vie morale. Nous aurons à dire plus tard comment Nietzsche, à l’opposé de Schopenhauer, prétend demeurer un éducateur ; et comment il est arrivé à prescrire le code moral le plus rigoureux dans sa généreuse exigence qu’on ait vu jamais.

Il a donc gardé de Schopenhauer le phénoménisme : et pour arriver à la libération il a renoncé à cette doctrine du caractère qui fonde notre être dans ce qui est métaphysiquement immobile. Ce qui reste de la morale schopenhauérienne, quand on en défalque cette incertaine métaphysique du caractère, c’est d’abord une psychologie des mobiles moraux. Cette casuistique morale, si ingénieuse à dépister les sophismes du cœur, et qui fait de Schopenhauer un si proche voisin des moralistes français, fournit à Nietzsche plus d’un subtil stratagème analytique. Nietzsche différera de lui par le résultat auquel cette analyse le conduit. En revanche, il sera vraiment cet « Asmodée de la moralité » que Schopenhauer réclamait et qui rendra transparents, comme dans Cazotte, « non seulement les toits et les murailles, mais le voile de simulation, de fausseté, d’hypocrisie, de grimace, de mensonge et de tromperie », qui recouvre les apparences du droit, du patriotisme, de la religion, de la philosophie, de la vertu[31].

Dans Schopenhauer, la moralité subalterne a deux mobiles fondamentaux : 1o  un égoïsme sans limites ; 2o  l’amour des sexes. Facile classement, qui a pour lui le consentement universel, et qui n’est pas sans profondeur métaphysique. Si l’éternel en nous est l’idée platonicienne, c’est-à-dire l’espèce que nous représentons, comment n’y aurait-il pas en nous, outre l’instinct qui défend notre individualité passagère, un instinct au service de l’espèce, et qui est l’amour ?

La psychologie morale de Schopenhauer sera donc d’abord anatomie précise de cet « égoïsme colossal », grossi encore de toute la haine, de toute la venimeuse jalousie et de tout le ressentiment accumulé en lui par ses déconvenues ; cruel à plaisir, parce qu’il se soulage de sa propre souffrance en faisant souffrir autrui ; et tenu en bride seulement par sa lâcheté aussi grande que son irritabilité criminelle. Nietzsche retiendra les caractéristiques de cet agressif vouloir, dont Schopenhauer avait déjà dit : « Il veut jouir de tout, posséder tout.., et à tout le moins dominer sur toutes choses[32]. » Le nom seul chez Nietzsche sera nouveau, et l’on verra se prolonger dans le même esprit chez lui ces fines analyses, sardoniques et tristes, mais éclairées, dont l’exemple avait, été donné par Schopenhauer. De Schopenhauer il tient en second lieu le secret de sa psychologie des sexes ; son admiration médiocre du sexe féminin, « le plus laid des deux », étroit d’épaules, large de hanches, bas sur jambes ; et sa jovialité rabelaisienne dans l’art très averti de démasquer les sortilèges de l’amour.

Il faut attacher beaucoup d’importance à ces passages où Schopenhauer décrit cette voracité conquérante des instincts égoïstes, qui tout naturellement tendent à l’infini, à la domination totale. Ils contiennent en germe toute la psychologie du Nietzsche des dernières années. L’interprétation nietzschéenne de la moralité sociale ne sera pas moins dominée par ces réminiscences. Il y a lieu de réfréner, dit Schopenhauer, ces instincts qui tendent à la destruction immédiate de ce qui n’est pas eux. La société entière est au service de l’espèce. Les limites nécessaires, que l’individu n’aperçoit pas ou refuse d’observer, elle les aperçoit et les crée collectivement. Les lois de la société sont dans l’ordre pratique, ce que sont les observations expérimentales et la science dans l’ordre de la connaissance. Elles établissent un système de signes convenus qui nous orientent. Ces signes ne traduisent pas le réel, mais ils nous en épargnent le choc. Au bas, il y a aussi des observations expérimentales, des coutumes, des convenances. La société y croit-elle ? Les plus intelligents en doutent, et néanmoins s’y conforment. La raison commune à tous les individus, et qui considère les ensembles, cherche à apaiser le conflit engagé sans fin. Chacun rentre ses griffes ; passe silencieusement près du voisin qui rôde ; laisse au fauve voisin son domaine de chasse, pourvu qu’on lui abandonne en échange la proie qu’il poursuit. Un monde de fictions pratiques surgit : d’abord dans la sociabilité spontanée. Un code de probité s’établit ; et la sécurité de tous y gagne. Elle est de rigueur, dès qu’une propriété privée a pu s’instituer. L’honnêteté du riche est un bon placement. N’a-t-il pas tout intérêt à ce que la probité demeure générale ? et le pauvre sera probe pour ne pas être exclu de la franc-maçonnerie des honnêtes gens. Toutes ces vertus ne valent que comme une garantie contre la meute des appétits toujours prêts qui n’attendent que le signal de la curée[33].

En regard de cette casuistique de la moralité convenue, ce sont des chefs-d’œuvre encore que cette «  métaphysique de l’amour », ou ce chapitre « des femmes », où Schopenhauer définit la polygamie qui est la nôtre, et qui subsiste, bien que régularisée et masquée par des nécessités de bon renom ; les raisons de la pudeur et de la fidélité féminines, réduites à l’observance des rites d’une franc-maçonnerie très entendue ; les raisons du mariage européen enfin, approximativement monogame chez les femmes, parce qu’il est l’institution qui défend le mieux leurs intérêts[34].

Au-dessus de tout, de la sociabilité affinée et de la morale des sexes réglée, l’État est l’institution qui, scientifiquement, règle le rapport des volontés. Il fait un bilan exact des souffrances et des joies qui résultent de l’injustice, et les répartit équitablement par la loi. Métamorphose malaisée que celle qui se charge de transmuer de la force en droit. Toute l’ingéniosité de Hobbes, de Spinoza et de Fichte a été nécessaire pour nous la faire comprendre. Nietzsche qui recueille de Schopenhauer cette description en sera davantage poussé vers le transformisme.

Quoi de plus nietzschéen que cette analogie, établie déjà par la théorie du droit schopenhauérienne entre la condition des hommes et celle des animaux ? La sélection, après les animaux qui vivent en paix d’herbages ou de graines, produit spontanément des carnassiers et des rapaces qui font leur proie de ces animaux pacifiques. Ainsi chez les hommes : spontanément il naît des classes de rapaces et des peuples de carnassiers. La foule, au lieu de travailler pour elle-même, peine pour ses oppresseurs qui la dévorent. Comment de là naîtra le droit ? Cela même est le droit. La force engendre elle-même la raison qui la justifie. Celui qui domine par la force exclut aussi tout autre pouvoir. Les dominateurs sont aussi les guerriers qui protègent. Enfin, les mains oisives permettent aussi les têtes inventives, qui créent les technologies nouvelles. Les penseurs rendent à la masse en inventions fructueuses et en sécurité ce qu’ils prélèvent sur elle. Ils dirigent la foule évidemment munie de droits, mais qui ne sait pas les faire valoir. Le troupeau a besoin de chefs, et il les appelle d’un vœu puissant. Leur domination toutefois ne dure que si elle est intelligente. L’intelligence seule peut mettre d’accord les vouloirs en lutte, puisque, de sa nature, elle résulte de leur compromis. Il est de l’intérêt des dirigeants de conduire pour le mieux la masse grégaire qui se confie à eux, faute de quoi ils s’exposent à cette coalition tumultueuse des faibles qui sait deviner l’heure de faiblesse des forts et qui s’appelle la révolution.

Schopenhauer est-il qualifié pour tracer cette généalogie des formes de la morale et des formes politiques esquissée par lui ? Il semble bien qu’il lègue à son successeur un problème insoluble dans son système. Il faut, pour le résoudre, transcrire tout le schopenhauérisme dans le langage créé par la doctrine de l’évolution. Une fois de plus, les infirmités de la doctrine schopenhauérienne lui ont suscité le rival dangereux qui l’a supplantée[35].

Puis il reste une dernière cime à gravir : celle du génie moral. L’art et la métaphysique soulevaient le voile de l’illusion qui couvre les mondes. Le génie moral agit comme s’il marchait dans un univers où, toute apparence s’étant levée des choses, on ne distinguerait plus que la détresse du réel. Avec des égoïsmes il fait œuvre d’art. Est-ce possible ? Oui, en ne traitant pas, comme fait l’égoïsme vulgaire, autrui comme inexistant. Tous les vouloirs sont identiques au nôtre. L’intuition morale nous en avertit : c’est là l’état d’esprit de homme juste. Un Pascal qui n’ose ni se servir de son bien légitime, ni demander un service à quiconque, ni user d’aucun confortable, de peur de léser un droit égal au sien et de froisser une personnalité, est cet artiste moral. Un Gœthe dans le Tasse, un Byron, un Heine, un Lamartine, ont deviné que la vie est à substance de douleur. Il a pu se faire alors que leur chagrin, par l’étiolement lent du vouloir, s’achevât en résignation sereine et leur fît entrevoir cette douceur de mourir qui est, elle aussi, une guérison. Déjà le vieux maître Eckart n’avait-il pas dit : Das schnellste Tier, das uns trägt zur Vollkommenheit, ist das Leiden ? — Ou bien, si nous sommes plus énergiques, et comme nous ne pouvons vivre une vie heureuse, il nous est permis du moins, pour une œuvre hérissée de difficultés, de lutter et peut-être de vaincre. Non pour être récompensés, mais pour rester debout dans une attitude belle et hautaine, « Ein glückliches Leben ist unmöglich. Das höchste, was der Mensch erlangen kann ist ein heroïscher Lebenslauf. » Mais cette volonté d’héroïsme, usée par la lutte et par l’ingratitude, s’éteindra, elle aussi, dans la mort volontaire.

En vue de quelle fin pourtant ces attitudes de résignation délicate ou héroïque, si toute œuvre humaine n’attend que l’heure prochaine de l’anéantissement ? Nietzsche, en qui se gravent toutes ces formules éloquentes et qui sent naître en lui-même cette perfection qui nous vient du martyre, ne veut pas consentir à ce qu’elle soit vaine. L’idée éternelle, platonicienne, de l’homme s’y montre plus pure. À quelque degré, il faut que ces hautes images soient fixées dans un être plus profondément substantiel, et n’y eût-il pas d’autre réalité, c’est dans la beauté de ces attitudes qu’il faudrait faire consister le réel vrai. Nietzsche s’emploie donc à chercher les conditions métaphysiques sous lesquelles se justifie l’héroïsme.

Mais alors, comment n’y aurait-il pas aussi une manière d’héroïser et de justifier métaphysiquement l’amour ? Immense lacune dans Schopenhauer. Mieux qu’un autre, ce philosophe a reconnu que les amants cherchent l’un dans l’autre ce qui les complète ; qu’ils travaillent obscurément à réaliser une image de perfection humaine. La griserie, qui pour chacun d’eux idéalise l’objet aimé, n’a-t-elle pas de l’analogie avec l’extase platonicienne devant les idées ? Comment Schopenhauer n’a-t-il que des sarcasmes pour cette illusion mystique ? C’est, dit-il, que l’amour, en perpétuant la vie, jette dans le monde la semence impérissable de la douleur. Est-ce une raison pour nier la valeur de l’illusion d’amour, quand elle n’aurait duré qu’un instant ? Parmi les bévues de l’hypocondrie schopenhauérienne, il n’en est pas de plus sombre. Elle aurait suffi à jeter Nietzsche dans les bras du musicien qui a chanté la noble douleur de Tristan et d’Yseult. Puis, une fois converti à Lamarck, il découvrira que cet idéalisme de l’amour peut être artiste à sa façon. Il croit à une force plastique inhérente à l’image chère entrevue dans la passion, et il écrira les paroles fameuses : « J’appelle mariage la volonté à deux de créer l’être unique qui dépassera ceux qui l’ont créé[36]. »

Schopenhauer, au contraire, persiste dans la méfiance qui calomnie la vie. Une image embellie par l’amour lui paraît impure et lui fait peur. Où donc cherchera-t-il la génialité morale ? Il ne met sa créance que dans un esprit détaché du vouloir-vivre. Le chef-d’œuvre de cette intelligence est de se figurer autrui présent en nous, totalement, de souffrir en tous les misérables plus que de notre destinée propre, et de n’être plus joyeux que des joies étrangères. Cela aussi est de l’art, et c’est la condition de l’ascète. Mais ce que le poète tragique représente et ce que le métaphysicien comprend, l’ascète le souffre dans sa chair. Alors, dans cette chair meurtrie, il se passe comme une transsubstantiation ; et dans ce vouloir, vidé de désir, il se fait cette transformation totale que les docteurs appellent la grâce. L’ascète est vraiment réduit à une intelligence, humble peut-être, incapable d’inventer des images belles ou des métaphysiques profondes, et pourtant la plus pure de toutes, celle qui est cœur, charité, pitié. Telle quelle, elle suffit au salut du monde. Elle abolit le vouloir ; elle éteint la flamme des sens, et jusqu’à la lumière de la raison. Elle fait en elle le silence et les ténèbres. Elle entraîne avec elle dans le Nirwana vide où elle s’engloutit, le tourbillon des soleils et tout notre univers peuplé de maléfices. Le spectacle de ceux qui ont ainsi vaincu le monde et qui attendent la mort volontairement, engendre en nous, au lieu de l’agitation passionnée qui nous emplit, et qui va de l’espérance insatisfaite à l’espérance inextinguible, la paix, plus haute encore que la certitude métaphysique et ce calme dans les profondeurs de l’âme, dont le seul reflet sur les visages d’un Raphaël et d’un Corrège est un Évangile.

Il y a dans Schopenhauer, comme chez Fichte, quatre types d’humanité supérieure. Deux d’entre eux habitent la région de la Représentation : ce sont l’Artiste et le Philosophe. Deux se partagent la région du Vouloir : ce sont le Héros et le Saint. L’Artiste travaille encore sur des formes matérielles comme le Héros sur des Vouloirs. Le Philosophe absorbe dans sa pensée toute donnée matérielle et imagée, comme l’Ascète évapore dans son cœur mystique toute volonté. Nietzsche reçoit de Schopenhauer cette quadruple incarnation de l’idéal. Il croira sincèrement, en écrivant son premier livre, qu’il y a une quadruple garantie de la civilisation intellectuelle : 1o  la naissance du génie poétique et du génie métaphysique, qui nous arrachent à la vulgarité de la connaissance basse ; 2o  l’avènement de l’héroïsme et de la sainteté, qui nous arrachent à la bassesse de l’action. Laquelle préférer de ces supériorités ? Nietzsche les met aux prises. Il n’admet le triomphe d’aucune ; et, pour chacune d’elles, ses haines temporaires se corrigeront toujours par des retours d’affection. Il se souvient de la pensée schopenhauérienne sur la tyrannie des instincts ; il veut brider l’un par l’autre les instincts contraires et leur faire donner, par la collaboration la plus rigoureusement disciplinée, leur effort le plus haut. Il cherche à greffer l’ascétisme sur la vigueur du héros, et à garder la vision artiste dans l’élan de la pensée métaphysique. Mais s’il pouvait naître un jour un Héros ascète qui, dans sa pensée métaphysique, ferait surgir des images si puissamment plastiques qu’elle ferait d’elle-même céder à leur séduction toute matière et tout vouloir, de quel nom appellerait-on cet homme, qui serait par delà le Philosophe et l’Artiste à la fois et par delà le Héros et l’Ascète, parce qu’il porterait en lui toutes leurs énergies accumulées ? Nietzsche ne sait pas encore qu’il l’appellera le Surhumain. Il sait seulement qu’il sera fait de tous les Idéals réunis et dont aucun n’admet un culte exclusif.

Nietzsche ira donc à Wagner, aux heures où Schopenhauer lui paraîtra trop intellectuel, trop éloigné du culte des héros. Inversement, il quittera Wagner, quand Wagner courbera sa libre intellectualité devant la pureté morale de l’ascète vide de pensée. Pour Nietzsche, le Héros et le Saint ne sont grands que par la représentation qu’ils ont de l’univers. Leur supériorité ne consiste que dans une intellectualité qui pénètre leur vouloir le plus profond et le transforme. Le Métaphysicien et l’Artiste ne sont grands, à leur tour, que par des visions sorties d’un vouloir héroïque pareil à celui des fondateurs de cité, et qui sait assumer le suprême sacrifice. Voilà la logique sentimentale qui meut le système de Nietzsche. Elle le pousse instinctivement à faire front du côté de l’adversaire le plus dangereux, qui n’est pas toujours le même ; et les oscillations de la doctrine viennent des poussées inégales qu’il fait en des sens opposés pour rétablir son équilibre intérieur.

Choisira-t-il le héros Siegfrid ? Il ne le choisira que devant la menace de l’ascète Parsifal ; et au terme il saura les réhabiliter tous les deux. Choisira-t-il Schopenhauer, le Philosophe, ou Wagner, l’Artiste ? Au terme, il connaîtra leur infirmité, mais il ne cessera pas de les admirer. Il appelle ce qui les complète ; il n’ignore pas que leurs rivaux ont besoin d’être complétés par eux. Démarche antithétique de la pensée et du sentiment qu’il a connue dès l’adolescence. Elle ne s’est définie pour lui consciemment que vers 1874, mais elle a rythmé obscurément toujours son action entière.


  1. Attention: Cette note est à une place supposée, l’éditeur ayant oublié de la positionner :Corr., I, 128.
  2. Menschliches, fragments posthumes, § 4 (XI, 14).
  3. Schopenhauer, Parerga, t. II, chap. Selbstdenken, § 265.
  4. Menschliches, § 374 (XI, 120).
  5. Sur ce point, voir G. Simmel, Schopenhauer und Nietzsche, 1907, p. 19 sq. — Th. Ruyssen, Schopenhauer. 1911, p. 186. — Heinrich Hasse, Schopenhauers Erkenntnisslehre, 1913.
  6. Attention : Cette note est à une place supposée, l’éditeur ayant oublié de la positionner : Schopenhauer, Werke. Ed. Grisebach, I, 242, 264 ; II, 161, 427, 457.
  7. Schopenhauer, Welt als Wille, livre II, ch. xviii (II, 227) ; ch. xxii — xxiv (II, 337-74). Ueber den Satz vom Grunde, § 43 (III, 161-162) ; — Parerga, Vereinzelte Gedanken, chap. vi, § 74 (V, 120).
  8. E. Foerster, Das Leben Friedrich Nietzsches, I, 349.
  9. Schopenhauer, Der Wille in der Natur, chap. Vergleichende Anatomie.
  10. Schopenhauer, Werke, II, 48 ; V, 10.
  11. E. Foerster, Leben Nietzsches, I, 344-348.
  12. Schopenhauer, Welt als Wille. Ergänzungen zum I. Buch, chap. xvii, (II, 212, 215).
  13. Attention : Cette note est à une place supposée, l’éditeur ayant oublié de la positionner : Nietzsche, Menschliches, posth., § 59 (XI, 31).
  14. Nietzsche, Mensdiliches, posth., § 103 (XI, 49).
  15. Cela a été fortement mis en relief par Georg Simmel, Schopenhauer und Nietzsche, p. 74 sq.
  16. Schopenhauer, Die Welt als Wille und Vorstellung, § 54, Ed. Grisebacb, I, 370. Le rapprochement a été fait par Crusius, Erwin Rohde, p. 187.
  17. Schopenhauer, Welt als Wille und Vorst. Ergänzungen zum III. Buch., chap. xxx (II, 434 sq.).
  18. Ibid., § 14-18 (XIX, 273-281).
  19. Nietzsche, Platons Leben und Lehre, II, § 12 sq. {Werke, XIX, 271 sq.).
  20. Voir là-dessus André Fauconnet, L’Esthétique de Schopenhauer, 1913, pp. 96-376.
  21. Schopenhauer, Ergänzungen zum IIIten Buch., § 37 (II, 510).
  22. Schopenhauer, I, 356, cité déjà par August Siebenlist, Schopenhauers Philosophie der Tragœdie, p. 361.
  23. Parerga, Vereinzelte Gedanken, § 333 (V, 628).
  24. Parerga, Den Intellect betreffende Gedanken, chap. III, § 57 (V, 95).
  25. Ibid., Paraenesen und Maximen (IV, 478); — Vereinzelte Gedanken, chap. xx, § 242 (V, 500, 502).
  26. Parerga, Vereinzelte Gedanken, chap. xxii, § 258 (V, 520).
  27. Ibid., chap. xx, § 242 (V, 503).
  28. Parerga, Vereinzelte Gedanken'', chap. iii, § 50, 51 (V, 84, 86).
  29. Parerga, Vereinzelte Gedanken, chap. i, § 4 (V, 12).
  30. E. Foesrster, Leben Nietzsches, I, 345.
  31. Parerga, chap. VIII, § 114 (V, 215).
  32. Ueber die Grundlage der Moral, § 14 (III, 578).
  33. Grundlage der Moral, § 13 (V, 520 sq.).
  34. Die Welt als Wille und Vorstellung. Ergänzungen zum IV. Buch., ch. xliv ; — Parerga, Vereinzelte Gedanken, ch. xxvii.
  35. Parerga, Vereinzelte Gedanken, chap. ix, § 124-126 (V, 250, 252, 256).
  36. Zarathustra {Werke, VI, 103).