Annales de l’Empire/Édition Garnier/Ferdinand 1er

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FERDINAND Ier,
quarantième-deuxième empereur.

1557. L’abdication de Charles-Quint laisse la puissance des princes d’Allemagne affermie. La maison d’Autriche, divisée en deux branches, est ce qu’il y a de plus considérable dans l’Europe ; mais la branche espagnole, très-supérieure à l’autre, tout occupée d’intérêts séparés de l’empire, ne fait plus servir les troupes espagnoles, italiennes, flamandes, à la grandeur impériale.

Ferdinand Ier a de grands États en Allemagne ; mais la haute Hongrie, qu’il possède, ne lui rapporte pas à beaucoup près de quoi entretenir assez de troupes pour faire tête aux Turcs. La Bohême semble porter le joug à regret, et Ferdinand ne peut être puissant que quand l’empire se joint à lui.

La première année de son règne est remarquable par la diète de Ratisbonne, qui confirme la paix de la religion, par l’accommodement de la maison de Hesse et de celle de Nassau.

L’électeur palatin, celui de Saxe, et le duc de Clèves, choisis pour austrègues, adjugent le comté de Darmstadt à Philippe, landgrave de Hesse ; et le comté de Dietz à Guillaume de Nassau.

Cette année est encore marquée par une petite guerre qu’un archevêque de Brême, de la maison de Brunsvick, fait à la Frise. On vit alors de quelle utilité pouvait être la sage institution des cercles et des directeurs des cercles par Frédéric III et Maximilien. L’assemblée du cercle de la basse Saxe rétablit la paix.

1558. Enfin, le 28 février[1], les électeurs confirment à Francfort l’abdication de Charles et le règne de son frère. On envoie une ambassade au pape, qui ne veut pas la recevoir, et qui prétend toujours que Ferdinand n’est pas empereur. Les ambassadeurs font leur protestation, et se retirent de Rome. Ferdinand n’en est pas moins reconnu en Allemagne. Quelle étrange idée dans un prêtre élu évêque de Rome de prétendre qu’on ne peut être empereur sans sa permission !

Le duché de Slesvick est encore reconnu indépendant de l’empire.

Le plus grand événement de cette année est la mort de Charles-Quint, le 21 septembre. On sait que, par une dévotion bizarre, il avait fait célébrer ses obsèques avant sa dernière maladie ; qu’il y avait assisté lui-même en habit de deuil, et s’était mis dans la bière au milieu de l’église de Saint-Just, tandis qu’on lui chantait un De profundis[2]. Il sembla, dans les dernières actions de sa vie, tenir un peu de Jeanne, sa mère, lui qui n’avait, sur le trône, agi qu’en politique, en héros, et en homme sensible aux plaisirs. Son esprit rassemblait tant de contrastes qu’avec cette dévotion plus que monacale, il fut soupçonné de mourir attaché à plus d’un dogme de Luther. Jusqu’où va la faiblesse et la bizarrerie humaine ! Maximilien voulut être pape[3] ; Charles-Quint meurt moine, et meurt soupçonné d’hérésie[4].

Depuis les funérailles d’Alexandre, rien de plus superbe que les obsèques de Charles-Quint dans toutes les principales villes de ses États. Il en coûta soixante et dix mille ducats à Bruxelles, dépenses nobles qui, en illustrant la mémoire d’un grand homme, emploient et encouragent les arts. Il vaudrait mieux encore élever des monuments durables. Une ostentation passagère est trop peu de chose. Il faut, autant qu’on le peut, agir pour l’immortalité.

1559. Ferdinand tient une diète à Augsbourg, dans laquelle les ambassadeurs du roi de France Henri II sont introduits. La France venait de faire la paix avec Philippe II, roi d’Espagne, à Cateau-Cambresis. Les Français, par cette paix, ne gardaient plus dans l’Italie que Turin, et quelques villes qu’ils rendirent ensuite ; mais ils gardaient Metz, Toul, et Verdun, que l’empire pouvait redemander. À peine en parle-t-on à la diète. On dit seulement aux ambassadeurs qu’il sera difficile que la bonne intelligence subsiste entre la France et l’Allemagne tant que ces trois villes resteront à la France.

Le nouveau pape. Pie IV, n’est pas si difficile que Paul IV, et reconnaît sans difficulté Ferdinand pour empereur.

1560. Le concile de Trente, si longtemps suspendu, est enfin rétabli par une bulle de Pie IV, du 29 novembre. Il indique la tenue du concile à tous les princes ; il la signifie même aux princes protestants d’Allemagne ; mais comme l’adresse des lettres portait À notre très-cher fils, ces princes, qui ne veulent point être enfants du pape, renvoient la lettre sans l’ouvrir.

1561. La Livonie, qui avait jusque-là appartenu à l’empire, en est détachée. Elle se donne à la Pologne. Les chevaliers de Livonie, branche des chevaliers teutoniques, s’étaient depuis longtemps emparés de cette province sous la protection de l’empire ; mais ces chevaliers, ne pouvant point résister aux Russes et n’étant point secourus des Allemands, cèdent cette province à la Pologne. Le roi des Polonais, Sigismond, donne le duché de Courlande à Gothard Kettler, et le fait vice-roi de Livonie.

On recommence à tenir des séances à Trente.

1562. L’ambassadeur de Bavière conteste, dans le concile, la préséance à l’ambassadeur de Venise. Les Vénitiens sont maintenus dans la possession de leur rang. Une des premières choses qu’on discute dans le concile est la communion sous les deux espèces. Le concile ne la permet ni ne la défend aux séculiers. Son décret porte seulement que l’Église a eu de justes causes de la prohiber ; et les Pères s’en rapportèrent, pour la décision, au jugement seul du pape.

Le 24 novembre, les électeurs, à Francfort, déclarent unanimement Maximilien, fils de Ferdinand, roi des Romains. Tous les électeurs font en personne, à cette cérémonie, les fonctions de leurs charges, selon la teneur de la bulle d’or. Un ambassadeur de Soliman assiste à cette solennité, et la rend plus glorieuse en signant entre les deux empires une paix par laquelle les limites de la Hongrie autrichienne et de la Hongrie ottomane étaient réglées. Soliman vieillissait, et n’était plus si terrible. Cependant cette paix ne fut pas de longue durée ; mais le corps de l’empire fut alors tranquille.

1563. Cette année est mémorable par la clôture du concile de Trente (4 décembre). Ce concile, si long, le dernier des œcuméniques, ne servit ni à ramener les ennemis de l’Église romaine, ni à les subjuguer. Il fit des décrets sur la discipline qui ne furent admis chez presque aucune nation catholique, et il ne produisit nul grand événement. Celui de Bâle avait déchiré l’Église, et fait un anti-pape. Celui de Constance alluma, à la lueur des bûchers, l’incendie de trente ans de guerre. Celui de Lyon déposa un empereur, et attira ses vengeances. Celui de Latran dépouilla le comte Raimond de ses États de Toulouse. Grégoire VII mit tout en feu, au huitième concile de Rome, en excommuniant l’empereur Henri IV. Le quatrième de Constantinople, contre Photius, du temps de Charles le Chauve, fut le champ des divisions. Le second de Nicée, sous Irène, fut encore plus tumultueux, et plus troublé pour la querelle des images. Les disputes des monothélites furent sur le point d’ensanglanter le troisième de Constantinople. On sait quels orages agitèrent les conciles tenus au sujet d’Arius. Le concile de Trente fut presque le seul tranquille.

1564. Ferdinand meurt le 25 juillet. Un testament qu’il avait fait vingt ans auparavant, en 1543, et auquel il ne dérogea point par ses dernières volontés, jeta de loin la semence de la guerre qui a troublé l’Europe deux cents ans après[5].

Ce fameux testament de 1543 ordonnait qu’en cas que la postérité mâle de Ferdinand et de Charles-Quint s’éteignît, les États autrichiens reviendraient à sa fille Anne, seconde fille de Ferdinand, épouse d’Albert II[6], duc de Bavière, et à ses enfants. L’événement prévu est arrivé de nos jours, et a ébranlé l’Europe. Si le testament de Ferdinand, aussi bien que le contrat de mariage de sa fille, avaient été énoncés en termes plus clairs, il eût prévenu des événements funestes.

On peut remarquer que cette duchesse de Bavière, Anne, avait pris, ainsi que toutes ses sœurs, le titre de reine de Hongrie dans son contrat de mariage. On peut en effet s’intituler reine sans l’être, comme on se nomme archiduchesse sans posséder d’archiduché ; mais cet usage n’a pas été suivi.

Au reste, Ferdinand laissa, par son testament, à Maximilien son fils, roi des Romains, la Hongrie, la Bohême, la haute et la basse Autriche ;

À son second fils Ferdinand, le Tyrol et l’Autriche antérieure ;

À Charles, la Stirie, la Garinthie, la Garniole, et ce qu’il possédait en Istrie.

Alors tous les domaines autrichiens furent divisés ; mais l’empire, qui resta toujours dans la maison, fut l’étendard auquel se réunissaient tous les princes de cette race.

Ferdinand ne fut couronné ni à Rome ni en Lombardie. On s’apercevait enfin de l’inutilité de ces cérémonies, et il était bien plus essentiel que les deux branches principales de la maison impériale, c’est-à-dire l’espagnole et l’autrichienne, fussent toujours d’intelligence. C’était là ce qui rendait l’Italie soumise, et mettait le saint-siége dans la dépendance de cette maison.


  1. Voyez la note précédente.
  2. Voyez tome XII, page 274.
  3. Voyez année 1512.
  4. Consultez sur la vie de Charles-Quint à Saint-Just les Mémoires historiques publics par M. Mignet.
  5. Voyez le chapitre v du Précis du Siècle de Louis XV.
  6. Albert II, nommé Albert V dans le Catalogue des empereurs, article Ferdinand, naquit en 1528, selon l’Art de vérifier les dates, qui l’appelle Albert III. Il n’épousa Anne d’Autriche que le 4 juillet 1546, trois ans après le fameux testament.